Les principes de la politique d’utilisation des sols (préconisations dans les documents d’urbanisme) ont un double objectif :
-
(i) la délimitation de zones définies par des droits à construire ;
-
(ii) la définition des règles d’implantation, de volume, d’aspect et de contenu des constructions autorisées.
Cependant, cinq enjeux liés à la gestion raisonnée, qualitative et quantitative de l’espace et du foncier (article L. 101-2 du Code de l’urbanisme) sont identifiés.
Les cinq enjeux pour une gestion foncière raisonnée
Préserver des terres agricoles et des espaces naturels
La préservation des terres agricoles et des espaces naturels est devenue un des objectifs du droit de l’urbanisme français. Ce dernier doit rechercher l’équilibre entre le besoin en logements des populations et « une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels »1. Les questions alimentaires et de protection de la biodiversité sont au cœur de ce dessein, l’urbanisation et l’artificialisation des sols empêchant ces derniers de remplir certaines fonctions d’intérêt général, comme la production de biomasse ou encore le stockage de CO2.
Réduire la consommation foncière
La pression foncière, généralement importante à proximité des grandes métropoles, mais pas seulement, ainsi que les conflits d’usage des sols, qui se terminent souvent au détriment de la protection d’espaces non artificialisés, représentent quelques explications à l’étalement urbain. La réduction de la consommation foncière et l’adoption d’une politique d’aménagement évitant le gaspillage du foncier, rare, est l’un des enjeux phares de la densification de l’espace, permettant de concilier les usages du sol.
Préserver l’activité commerciale en centre-ville par une consommation économe de l’espace/aménagement commercial
L’activité commerciale des centres-villes et l’attractivité de ces derniers ont été mises à mal par l’installation, en périphérie des villes, de grandes surfaces très consommatrices de foncier, notamment pour le stationnement. Les enjeux de densification, de consommation économe de l’espace et d’attractivité des centres-villes se rejoignent au travers de cette problématique.
Permettre la division de lots dans les lotissements pour une densification douce
La division de lots dans des lotissements où la taille des parcelles est importante permet de densifier des quartiers résidentiels sans bouleverser entièrement le paysage urbain et sans recourir à des programmes gagnant en hauteur. Sur le papier, cette densification « douce » est plus acceptable que des constructions parfois imposantes ; néanmoins, un phénomène de rejet peut s’observer dans certains lotissements, encouragé par les incertitudes législatives.
Permettre la surélévation en milieu urbain/rural
La surélévation est une technique permettant d’ajouter des étages à une construction déjà existante. Pratiquée surtout en zone urbaine, elle représente une possibilité pour la densification dans des zones tendues et une opportunité financière pour les propriétaires de l’immeuble concerné. Cependant, de nombreuses contraintes issues des documents d’urbanisme peuvent freiner les projets de surélévation, en plus de risques relatifs aux troubles anormaux du voisinage.
Présentation synthétique de quatre décisions illustrant des dépassements importants de la gestion économe du foncier
Quatre décisions ont été sélectionnées pour cette synthèse, parmi de très nombreuses autres rendues par les juridictions administratives. Elles ont été choisies car elles sont représentatives de la diversité du contentieux en matière de compatibilité entre le SCoT et le PLU concernant la consommation économe d’espaces. Une décision du Conseil d’État donnant une clé d’interprétation est citée ainsi que des exemples variés d’appréciation par les cours administratives d’appel (CAA). Les juges du fond apprécient de manière très factuelle la compatibilité entre les deux documents d’urbanisme, ce qui peut donner des décisions en apparence divergentes. Les décisions ont été également choisies pour leur caractère récent, afin de refléter l’actualité de la jurisprudence en matière de densification.
Conseil d’État, 6e - 1re chambres réunies, 18 décembre 2017, n° 3952162
Le SCoT du Pays de Thelle, dans l’Oise, prévoyait de limiter à 1 % la croissance démographique annuelle dans chaque commune de son territoire. La commune de Mesnil-en-Thelle a révisé son PLU afin de permettre la création de 15 nouveaux logements par an, ce qui avait pour effet de dépasser le plafond maximum prévu par le SCoT. La CAA de Douai avait estimé que, malgré l’écart constaté entre les orientations du SCoT et les objectifs du PLU, ces deux plans étaient compatibles dans la mesure où l’esprit général du SCoT était respecté. Des circonstances locales étaient également avancées : le vieillissement de la population, la nécessité de renouveler et de diversifier l’habitat, notamment. Le Conseil d’État donne raison à la CAA de Douai. Il estime qu’« il appartient aux auteurs des plans locaux d’urbanisme, qui déterminent les partis d’aménagement à retenir en prenant en compte la situation existante et les perspectives d’avenir, d’assurer,... non leur conformité aux énonciations des schémas de cohérence territoriale, mais leur compatibilité avec les orientations générales et les objectifs qu’ils définissent ».
Cour administrative d’appel de Nantes, 5e chambre, 16 octobre 2017, n° 16NT01725
La commune de Daoulas dans le Finistère a ouvert à l’urbanisation, entre 2001 et 2012, une superficie de 13 ha (consommation de 1,1 ha par an). Le PLU prévoit une consommation foncière pour l’habitat de 26 ha sur 20 ans, donc une augmentation de la consommation foncière d’environ 18 %. Celle-ci n’est pas compatible avec l’objectif de « diminuer significativement la consommation foncière nécessaire à l’urbanisation » retenu par le ScoT du Pays de Brest (cette décision a été rendue avant l’arrêt du Conseil d’État).
Cour administrative d’appel de Nantes, 2e chambre, 7 juin 2019, n° 18NT02798
Modification d’un PLU classant une zone en 1AUb (outil de maîtrise de la densification) alors qu’elle était classée auparavant en 2AU. La lutte contre l’étalement urbain prévue par le SCoT du vignoble nantais n’interdit pas toute ouverture à l’urbanisation, mais la limite. La modification contestée impliquait une extension d’urbanisation pour réaliser 140 nouveaux logements, extension qui ne dépasse pas la proportion de logements fixée en dehors de l’enveloppe urbaine (60 %). Décision : compatibilité avec le SCoT.
Cour administrative d’appel de Lyon, 1re chambre - formation à 3, 30 avril 2019, n° 18LY01903
Conformité avec un SCoT prévoyant « une maîtrise de l’extension de l’urbanisation au profit du réinvestissement du tissu existant, d’une préservation des espaces agricoles et d’une amélioration de la sécurité des traversées des villes et des villages en améliorant la fluidité des déplacements routiers » d’un PLU faisant apparaître un prélèvement d’environ 1 % de la superficie totale des zones agricoles à des fins d’urbanisation. On peut considérer que cela est compatible avec les grands principes du droit de l’urbanisme.
Tableau 4. Exemples des appréciations des dépassements importants dans les documents d’urbanisme
Juridiction |
Date |
Compatibilité |
Justification |
Conseil d’État |
18 décembre 2017 |
Oui |
Le PLU doit être compatible avec les orientations générales et les objectifs définis par le SCoT. Pas de « normes prescriptives » dans les SCoT, c’est leur « esprit général » qui doit être respecté, il ne s’agit pas d’un rapport de conformité. |
CAA de Nantes |
16 octobre 2017 |
Non |
La différence entre la consommation prévue par le PLU et les objectifs fixés par le SCoT était disproportionnée et sans commune mesure avec les exigences locales. |
CAA de Nantes |
7 juin 2019 |
Oui |
La lutte contre l’étalement urbain prévue par le SCoT du vignoble nantais n’interdit pas toute ouverture à l’urbanisation, mais la limite. |
CAA de Lyon |
30 avril 2019 |
Oui |
Prélèvement d’environ 1 % de la superficie totale des zones agricoles à des fins d’urbanisation compatible avec une gestion économe de l’espace. |
Enjeux de la densification en lien avec les documents d’urbanisme
Les mécanismes de densification vont au-delà des outils de planification territoriale. Nous avons identifié cinq enjeux en matière de densification en décrivant les liens avec les outils de planification. Nous présentons également des jurisprudences afin d’analyser l’application pratique des principes théoriques contenus dans les lois et les règlements. Il s’agit également de décisions récentes reflétant l’état de la jurisprudence à l’heure actuelle, représentative du contentieux et des décisions du juge administratif.
Tableau 5. Enjeux de la densification en lien avec les documents d’urbanisme
Enjeux en matière de densification |
Documents d’urbanisme (outils de planification territoriale) |
Jurisprudence Exemples d’application territorialisée |
Description |
Préserver des terres agricoles et des espaces naturels |
Compatibilité PLU/SCOT |
CAA de Lyon, 30 avril 2019, n° 18LY01903 |
Compatibilité entre un SCoT posant le principe d’une maîtrise de l’extension de l’urbanisation au profit du réinvestissement du tissu existant et d’une préservation des espaces agricoles avec un PLU prévoyant un prélèvement d’1 % de l’ensemble des terres classées en zones agricoles. |
Réduire la consommation foncière |
Compatibilité PLU/SCOT |
CAA de Nantes, 16 octobre 2017, n° 16NT01725 |
Incompatibilité entre le SCoT et le PLU lorsqu’une consommation foncière prévue par un PLU est proche de 20 % et qu’un objectif de réduction significative est retenu à titre de prescriptions par le SCoT. |
Préserver l’activité commerciale en centre-ville par une consommation économe de l’espace/ aménagement commercial |
Article L. 752-6 du Code de commerce |
CAA de Nantes, 4 mai 2018, n° 16NT03262 |
Consommation excessive de foncier d’un bâtiment de 5 934 m2 de surface de plancher et d’un parc de stationnement de plain-pied de 5 850 m2 auxquels s’ajoutent 736 m2 de voirie et seulement 725 m2 d’espaces verts. Les espaces de stationnement ne sont pas optimisés, selon la Commission nationale d’aménagement commercial. |
Permettre la division de lots dans les lotissements pour une densification douce |
Cahier des charges (document contractuel qui respecte la hiérarchie des normes : le cahier des charges doit être en conformité avec les prescriptions en matière d’urbanisme). |
Cour de cassation, 14 septembre 2017, n° 16-21.329 |
Le cahier des charges, document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues, peut toujours être opposé à un projet de division du lot de lotissement par les colotis, même après l’entrée en vigueur de la loi ALUR. |
Permettre la surélévation en milieu urbain/rural |
PC en concertation avec le voisinage/nuisance pour la surélévation. Servitude de vue. |
Conseil d’État, 11 juin 1993, n° 89 497 (décision de principe). |
Règle classique en droit de l’urbanisme : le PC doit être conforme aux documents d’urbanisme (PLU/POS). Ce sont les prescriptions d’un document d’urbanisme (POS/PLU) qui fixent une règle de hauteur maximale des constructions sans distinguer d’ailleurs selon que ces constructions sont ou non édifiées en bordure d’une voie publique. Le Code de l’urbanisme précise bien que le PC doit être conforme aux prescriptions contenues dans le document d’urbanisme. Il n’existe pas de dérogations aux règles et servitudes définies par le POS, hormis pour des adaptations mineures (en l’espèce surélévation possible, annulation de l’arrêté du maire prévoyant le retrait du PC). |