La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a souligné l’importance ainsi que l’accélération de l’érosion de la biodiversité en Europe et à l’échelle mondiale (Montanarella, Scholes & Brainich, 2018). Parmi les déterminants de cette érosion, l’artificialisation des sols joue un rôle essentiel. L’étalement urbain et le grignotage progressif des terres agricoles par des constructions, des infrastructures de transport ou des parkings sont en effet à l’origine de la destruction d’habitats naturels et de continuités écologiques qui permettent à la faune sauvage de circuler. Dans ce contexte de crise écologique, la France vise l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN ; Fosse, Belaunde, Dégremont & Grémillet, 2019).
L’artificialisation est une notion nouvelle dans le débat public ; elle est aussi un phénomène difficile à caractériser en raison de la diversité des définitions statistiques1 et de son manque d’articulation avec les politiques d’urbanisme et de soutien au logement neuf. La définition retenue par France Stratégie (Fosse et al., 2019) consiste à désigner comme artificialisés les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers, connus sous le sigle ENAF. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema ; Bocquet, 2019) définit les contours de l’artificialisation en soulignant qu’il s’agit de la transformation des ENAF par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale des sols afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport (habitat, activités, commerces, infrastructures, équipements publics…).
La France apparaît comme le pays le plus artificialisé en Europe, avec une faible densité des nouvelles constructions, en particulier du logement individuel2. Le rythme d’artificialisation est plus rapide que la croissance de la population française depuis les années 1980. De plus, la rentabilité annuelle moyenne avant impôts des classes d’actifs s’ordonne comme suit : actions, environ 7 % ; bâti locatif, environ 3 à 4 % ; foncier non bâti, inférieur à 1,5 % (Sainteny, 2018), ce qui incite les acteurs à les artificialiser. Ainsi, le comité pour l’économie verte (Loisier & Petel, 2019) appelle à ne plus aborder de manière fragmentée les enjeux de biodiversité, de logement, d’alimentation, de climat, de développement économique ou encore d’attractivité du territoire ; il recommande une politique de maîtrise de l’artificialisation.
Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, engagé depuis février 2021, intègre dans son chapitre III l’objectif d’absence de toute artificialisation des sols dans les dix années à venir3.
Plusieurs préconisations pour ralentir l’artificialisation des sols et atteindre l’objectif ZAN sont aujourd’hui avancées :
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(i) améliorer le suivi statistique en partant des fichiers fonciers4 ;
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(ii) freiner l’artificialisation brute par la densification des nouvelles constructions avec des outils réglementaires ou fiscaux ;
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(iii) mettre en place une gouvernance de l’artificialisation des sols ;
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et (iv) développer les opérations de renaturation.
Parmi les mesures possibles, France Stratégie recommande de fixer des densités de construction minimales dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) et de revoir les politiques fiscales de soutien au logement neuf pour les réserver aux projets réalisés sur des zones déjà artificialisées.
La situation du marché du logement en France ainsi que le rôle de la fiscalité comme instrument de la politique du logement sont analysés par Jean Bosvieux et Bernard Coloos (2016). Ils montrent la complexité de la fiscalité du logement, qui favorise la propriété occupante alors que les besoins concernent aujourd’hui le logement locatif privé. Pour rendre l’instrument fiscal plus efficace, ils suggèrent de le simplifier en reconnaissant la fourniture du service de logement pour ce qu’elle est : une activité productive, à traiter fiscalement comme telle5.
Dans une perspective proche, le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD ; Deniau, Krieff, Maréchal-Dereu, Apers, Bégassat & Guillou, 2019) évalue le dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel. L’évaluation porte sur l’impact de ce dispositif sur l’offre de logements (nombre, localisation, loyer), ses effets sur les prix (foncier, vente aux particuliers) et ses conséquences sur la ville (politique locale de l’habitat, copropriétés dégradées…). Selon Bosvieux (2019), ce rapport rejoint les appréciations déjà portées sur les précédents dispositifs d’aide fiscale à l’investissement locatif : la difficulté de pilotage, l’effet inflationniste sur les prix fonciers, la qualité parfois médiocre des logements produits, l’effet insignifiant sur le niveau des loyers, la non-prise en compte des objectifs des politiques locales de l’habitat, le faible rendement pour l’investisseur, le revenu élevé des bénéficiaires, mais aussi son impact positif très significatif sur le volume de l’offre locative privée. Ces dispositifs fiscaux n’ont pas été conçus pour traiter l’enjeu de la réduction de l’artificialisation des sols (Fosse et al., 2019). La présente étude vise ainsi à analyser les outils fiscaux compatibles avec une politique ZAN.
La demande des ménages pour l’accession à la propriété traduit le plus souvent « le rêve de la maison individuelle ». Cette forme d’urbanisme, combattue au moins depuis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2000 et jusqu’à la doctrine ZAN, s’inscrit en contradiction avec l’impératif environnemental. En termes d’occupation des sols, l’habitat (volumes construits et sols artificialisés associés) représente environ 42 % des surfaces artificialisées estimées selon l’enquête Teruti-Lucas (Fosse et al., 2019). Le débat sur la légitimité de la maison individuelle comme mode de développement se complexifie en raison de la dimension sociale du phénomène. Gérard (2020) nous rappelle que le marché de la maison individuelle représente encore des volumes importants de construction, et qu’il s’est plutôt mieux porté que la moyenne en 20196. Il apparaît que, loin d’être centré sur des populations modestes, il concerne plutôt une clientèle de ménages appartenant à des catégories sociales relativement aisées. Le rôle non négligeable et croissant des retraités sur ce marché témoigne d’une certaine solidité, alors que les seniors sont de plus en plus nombreux dans l’ensemble des pays occidentaux. Par ailleurs, on peut se demander si la maison, en moyenne plus grande que l’appartement et disposant d’un espace extérieur, n’offre pas un cadre plus favorable au télétravail (Gérard, 2020), fortement recommandé depuis la pandémie de Covid-19.
La politique locale d’urbanisation s’appuie également sur de nombreux instruments de planification, notamment les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), les programmes locaux de l’habitat (PLH), les plans de déplacements urbains (PDU). Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) visent à coordonner ces instruments à l’échelle d’un large bassin de vie ou d’une aire urbaine, dans le cadre d’un projet d’aménagement et de développement durable (PADD). L’ensemble des documents d’urbanisme permet aux communes de favoriser l’installation de ménages et d’entreprises sur leur territoire pour en maintenir le dynamisme économique. Les divers documents de planification peuvent parfois se contredire en apparence et afficher des objectifs divergents. La présente étude souligne quelques difficultés inhérentes à l’articulation du droit de l’urbanisme français avec la question de l’artificialisation des sols.
La prise en compte de la densification dans les documents d’urbanisme est également une des pistes de réflexion traitée. En cela, l’encadrement législatif a permis de mieux considérer la densification dans la planification territoriale et, de manière générale, incite à une gestion qualitative et quantitative de l’espace. L’offre foncière doit répondre ainsi au principe de gestion économe des sols et de rationalisation de la demande de déplacements en incluant une garantie de préservation des milieux naturels, des paysages et de la biodiversité.
Dans les SCoT, la question de l’artificialisation des sols est très présente puisqu’ils doivent systématiquement présenter une « analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années précédant le projet de schéma »7.
Dans les documents d’orientation et d’objectifs (DOO) intégrés aux SCoT, on retrouve également les impératifs législatifs avec « des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain »8. Les DOO représentent donc l’un des outils majeurs pour une densification maîtrisée. Les DOO peuvent imposer aux PLU de définir un seuil minimal de densité pour les nouvelles constructions ainsi qu’une valeur plancher de la densité.
La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) introduit un nouvel alinéa à l’article L. 122-1-2 du Code de l’urbanisme, qui prévoit que le rapport de présentation du SCoT « identifie, en prenant en compte la qualité des paysages et du patrimoine architectural, les espaces dans lesquels les plans locaux d’urbanisme doivent analyser les capacités de densification et de mutation »9. Le PLU reste cependant l’instrument essentiel au service des collectivités territoriales pour traduire localement les orientations stratégiques en matière de densité.
Atteindre l’objectif ZAN nécessite ainsi de combiner la révision de la politique du logement avec une politique de renaturation des terres artificialisées. En théorie, il faudrait fixer une cible d’artificialisation brute, pour laquelle le coût d’une réduction supplémentaire de l’artificialisation serait équivalent au coût de renaturations supplémentaires (Fosse et al., 2019). Cela suppose d’améliorer la connaissance, aujourd’hui quasi nulle, sur les coûts et les gisements de renaturation.
En matière de logement, le dispositif d’aide à l’investissement immobilier locatif Pinel a été analysé dans ses aspects sociaux et économiques (Deniau et al., 2019). Cependant, les coûts environnementaux sont faiblement évoqués dans la littérature.
La présente étude propose donc de :
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(i) fournir une synthèse des éléments clés du marché locatif privé français ;
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(ii) identifier les coûts ainsi que les bénéfices socio-économiques et environnementaux de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols ;
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(iii) recenser les outils juridiques favorisant la densification urbaine et décrire quelques démarches immobilières qui prennent en compte les enjeux de la densification.