Le titre de la communication de Sylvain Guerrini1 est issu d’un article publié en 2017 dans La revue foncière (Guerrini & Mertiny, 2017). Fondé sur ce texte mais enrichi grâce à des données et des analyses récentes, son exposé s’inscrit dans une perspective historique et critique des dispositifs fiscaux d’incitation à l’investissement locatif depuis leur origine – avec la loi Quilès-Méhaignerie en 1984 – jusqu’à la fin programmée du Pinel en 2024. 14 dispositifs se sont ainsi succédé. S’ils reposent tous sur une incitation fiscale (réduction d’impôt sur le revenu principalement) en contrepartie d’un engagement à louer un logement neuf à usage d’habitation principale pendant une durée minimale, ces dispositifs sont néanmoins marqués par une forte instabilité réglementaire (zones, plafonds de ressources des locataires, plafonds de loyers, habitat collectif ou non, performance énergétique…). Les effets de cette politique publique sont encore mal connus, en particulier ceux sur les marchés du logement.
Des dispositifs coûteux pour l’État
Sylvain Guerrini explique que ces aides fiscales, bien qu’importantes pour maintenir un niveau élevé de production immobilière (environ 25 à 30 % des logements construits entre 2013 et 20212), sont onéreuses pour l’État : elles représentent 2 milliards d’euros par an sur les 38 consacrés à la politique du logement en 2021, en légère baisse (-0,5 %) par rapport à l’année précédente (2020 ayant été le pic ; Boutchenik, Mathieu, Nouvellon, & Tafial, 2022). Et ce d’autant plus que ces dispositifs connaissent un processus lent d’extinction. Par exemple, les effets budgétaires du Scellier, qui s’est éteint le 31 décembre 2012, courent jusqu’en 2029. C’est pour cela que l’on évoque souvent « le coût générationnel » de ces dispositifs.
Des dépenses peu efficaces ?
Le coût de ces dispositifs, dont le pilotage relève du ministère des Finances et non d’une entité dédiée au logement, peut d’abord être questionné au regard de la logique « de guichet » qui prévaut pour leur mises en œuvre. Des études d’opportunité, une programmation avec des plafonds, des quotas de logements éligibles préétablis ou une répartition géographique font défaut. En conséquence, les logements construits sont parfois mal situés (effets soleil, bord de mer) et ne répondent pas toujours aux besoins locaux.
Par ailleurs, ces dispositifs sont accusés de doper les prix du foncier et des coûts de construction si bien que les prix d’achat ne sont pas bien inférieurs à ceux du marché. Cet effet inflationniste peut également être lié aux techniques de commercialisation des logements défiscalisés, qui semblent parfois relativement coûteuses. Nous pouvons citer à ce propos les travaux d’Imen Daly3, de Guillaume Chapelle, de Pierre-Henri Boo et Alain Trannoy, ou encore la thèse de Rémi Lei (2023). La sortie de la zone B2 du Duflot et du Pinel en 2018 a, par exemple, entraîné une baisse des prix immobiliers dans les territoires concernés.
Enfin, les contreparties sociales de cette politique apparaissent comme limitées. Pierre Madec (2022, 2016) explique ainsi que les plafonds de loyers des logements Pinel sont quasiment équivalents aux loyers de marché tandis que les plafonds de ressources à l’entrée dans les logements ne sont pas adaptés aux ménages aux revenus moyens4. Du point de vue de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les dépenses engagées en faveur de ces dispositifs pourraient être opportunément redirigées en faveur du logement social et en particulier des logements relevant des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), qui sont moins coûteux qu’un Pinel.
Des investisseurs plus exposés au risque locatif
Dans le cadre des dispositifs de défiscalisation, ce sont les ménages, propriétaires bailleurs, qui endossent la fonction d’investisseurs dans le parc immobilier privé et non des personnes morales comme les investisseurs dits institutionnels (les « zinzins »). C’est donc sur les particuliers que repose le risque locatif : impayés, turn over, vacance (et donc perte du soutien fiscal accordé si le logement acquis reste vide plus d’un an), mauvais entretien. Pour éviter le développement de copropriétés composées de logements locatifs – structurellement fragiles5 –, le dispositif Duflot prévoyait de limiter à 80 % la part des logements d’un même immeuble éligibles à la défiscalisation. Cette disposition a peu été appliquée.
Patrice Vergriete (2013), devenu depuis maire de Dunkerque, explique cette situation par l’essor dans les années 2000 – avec un pic en 2006 – des « promoteurs défiscalisateurs », dont les méthodes de vente de ces produits d’investissement auprès des particuliers pouvaient être particulièrement agressives (stratégie de services « tout-en-un » : offre, agence, emprunt, syndic ; points de vente en centre-ville, démarchage chez les investisseurs potentiels). Les immeubles étaient parfois inscrits dans les marchés de villes secondaires, où les besoins en logements étaient faibles ; l’offre y est parfois devenue surabondante. Montauban ou Carcassonne ont été, par exemple, deux villes particulièrement touchées par ce phénomène.
Arguments des défenseurs de ces aides
Selon leurs partisans, principalement les promoteurs immobiliers et les entreprises de construction, les dispositifs de défiscalisation ont permis la construction d’un volume important de logements ; de 2000 à 2016, ce sont 1,2 million de logements qui ont été achetés par des particuliers au moyen de ces aides6. Le risque endossé par ces derniers serait d’ailleurs comparable à celui de tout autre investissement. Ces constructions dynamiseraient le marché de l’emploi dans le secteur du BTP. De surcroît, les défenseurs de la défiscalisation évoquent volontiers un rôle « contra-cyclique » du dispositif Scellier en 2008, faisant de ces aides des outils politiques de lutte contre les effets des crises immobilières.
De plus, les aides à l’investissement des ménages ont soutenu le secteur immobilier lors du désengagement des « zinzins » de l’immobilier au cours des années 1980 et 1990 au profit des marchés d’action. Elles pallient également le déclin de l’initiative libre privée sur le marché locatif. Par la construction neuve, cette politique permettrait ainsi de maintenir le parc locatif privé, ce qui est essentiel pour la fluidité du marché et l’intégration des jeunes, en particulier. Elle concourt en outre au développement du parc social en raison de la mixité de certains programmes, en lien avec le déploiement de la « VEFA-HLM ». La relative modération de l’évolution des loyers constatée dans certaines villes pourrait leur être attribuée (Angers, Nîmes, Marseille). La concurrence que les logements défiscalisés exerce vis-à-vis de l’immobilier ancien aurait pu également favoriser la rénovation de celui-ci (Bosvieux, 2008).
L’autre argument en faveur de la défiscalisation concerne le budget de l’État : les recettes fiscales (TVA notamment) sont immédiates, tandis que la dépense fiscale est étalée dans le temps.
Des dispositifs modulés en fonction des contextes économique, social et politique
Sylvain Guerrini précise finalement que les objectifs prévalents de ces dispositifs oscillent entre logique économique et logique sociale selon le contexte du moment. Cela peut expliquer leur instabilité, car ils s’adaptent aux enjeux économiques, sociaux et politiques en fonction des effets potentiels que l’on vient de passer en revue. Le Scellier a favorisé la relance économique (réduction directe de l’impôt sur le revenu, niveau d’aide élevé, plafonds des loyers proches des loyers de marché, généralisation des plafonds de ressources des locataires…). Le Duflot poursuivait des objectifs plus sociaux en accentuant le caractère intermédiaire des logements défiscalisés (plafonds cibles de loyers inférieurs à 20 % de ceux du marché). Le Pinel, quant à lui, cherche à soutenir l’activité économique par la construction (élargissement et diversification des modes de financement, possibilité de louer le bien à un ascendant ou à un descendant) et intègre parmi les territoires éligibles les communes faisant l’objet d’un contrat de redynamisation de site de défense (CRSD). Autre exemple : leur rôle dans le maintien du parc locatif privé se confirme en particulier lors des crises immobilières, tandis que la visée sociale s’affirme davantage en périodes de reprise économique. Depuis 2014, le Duflot met l’accent sur le locatif intermédiaire, ce qui est peu remis en question depuis.
Ces dispositifs intègrent en outre les problématiques environnementales : depuis la loi dite Climat et résilience de 2021, le Pinel est désormais fermé à l’habitat individuel, considéré comme plus consommateur de foncier ; le Pinel + impose une double exposition des logements, des surfaces minimales habitables et d’extérieur, ainsi que des critères énergétiques, ou bien la localisation dans un quartier prioritaire de la ville.
Sylvain Guerrini conclut par la nécessité de disposer de données et d’études plus neutres pour mieux cerner les impacts de ces aides à l’investissement. La Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) se montre particulièrement en faveur de ces dispositifs tandis que la Cour des comptes les fustige dans son rapport Les dépenses fiscales en faveur de l’investissement locatif des ménages (2018)7. La question principale est la suivante : les logements auraient-ils été créés sans ces aides ? Il faut savoir qu’en France nous construisons beaucoup par rapport à la moyenne par habitant observée dans l’Union européenne, en raison notamment du logement social. Cependant, nous constatons effectivement une forte baisse de la production ces dernières années8. Peut-être devrions-nous nous diriger vers une modification du zonage en privilégiant l’infracommunal et une forme de programmation locale sur la base d’une enveloppe territorialisée, comme en Bretagne (expérimentation « Pinel breton »).