Rapport de synthèse

Marie-Noëlle Lefebvre

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Référence électronique

Lefebvre, M.-N. (2025). Rapport de synthèse. Actes des 5ᵉ et 6ᵉ journées d’étude. La transmission des biens immobiliers / La défiscalisation immobilière. Mis en ligne le 30 avril 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 01 mai 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1710

À travers une approche pluridisciplinaire (économie, droit, géographie), les discussions ont exploré les impacts, les limites et les perspectives des politiques de défiscalisation, notamment le dispositif Pinel et ses évolutions récentes.

Cette synthèse revient d’abord sur les principaux enseignements de la journée, puis souligne l’importance du dialogue entre les disciplines dans l’évaluation des dispositifs de défiscalisation et, enfin, expose les pistes de réforme proposées par les intervenants.

Principaux enseignements thématiques

Depuis 2014, plusieurs dispositifs fiscaux, tels que les lois Scellier et Pinel, ont joué un rôle clé dans la construction de logements. Leur efficacité fait néanmoins l’objet de débats.

Ainsi, les travaux de Pierre-Henri Bono (Sciences Po) et Alain Trannoy (Aix-Marseille School of Economics, École des hautes études en sciences sociales ; Bono & Trannoy, 2012) ont mis en évidence l’effet inflationniste de ces mesures sur le prix du foncier, limitant l’impact positif attendu sur l’accessibilité au logement, notamment dans les zones dites « tendues ». Dans le même esprit, les recherches d’Imen Daly (université Paris-Saclay) confirment que la loi Pinel a stimulé la construction mais s’est accompagnée d’importantes hausses de prix dans les régions à forte demande, comme l’Île-de-France. De son côté, Sylvain Guerrini (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, Cerema) souligne que, malgré l’accroissement de l’offre, ces dispositifs peinent parfois à réduire la vacance et à répondre aux besoins des ménages modestes. Il met en outre l’accent sur le coût élevé pour l’État, estimant qu’une meilleure orientation géographique permettrait d’optimiser leur efficacité.

Ces constats invitent à réexaminer le zonage et la définition même de la « zone tendue ». Ce fut le thème central de la présentation de Florian Laussucq (ESPI). En effet, rendre ces dispositifs éligibles dans des secteurs sans réelle tension locative peut produire des effets délétères, tant pour les marchés immobiliers que pour les propriétaires et les investisseurs. Les travaux menés par des apprenants des campus de Nantes et de Marseille se sont concentrés sur le point de vue des investisseurs face au dispositif Pinel. Leurs conclusions montrent que, malgré son attractivité fiscale, le Pinel n’assure pas toujours une rentabilité suffisante, en raison notamment des plafonds de loyers et des coûts d’acquisition élevés.

Au-delà des considérations économiques, Nawel Belmanaa (barreau de Marseille) a soulevé la question de la responsabilité des commercialisateurs. Si l’origine des dispositifs est législative, leur mise en œuvre incombe largement aux acteurs de la filière immobilière. Cela interroge leur rôle vis-à-vis des investisseurs, notamment pour ce qui est de la qualité de l’information délivrée et de la pertinence des conseils fournis. Ces interrogations concernent à la fois la protection des investisseurs et l’éthique professionnelle des intermédiaires.

Enfin, Mélanie Lavois (université de Perpignan Via Domitia) a analysé l’impact de ces politiques fiscales sur les littoraux, montrant qu’elles ont favorisé une financiarisation du foncier littoral tournée vers l’économie résidentielle et touristique, souvent aux dépens des populations locales et de leurs usages traditionnels. Cette dynamique accroît la pression foncière, creuse les inégalités territoriales et encourage une urbanisation dominée par les résidences secondaires et les investissements privés, au détriment d’un aménagement équilibré. Face à ces constats, Mélanie Lavois appelle à repenser les mécanismes fiscaux pour préserver les spécificités sociales et écologiques des littoraux et inscrire leur développement dans une logique plus durable et équitable.

Dialogue entre disciplines

La nécessité d’évaluer les dispositifs fiscaux tels que le Pinel a constitué un fil conducteur des interventions. L’économie apparaît de prime abord comme la discipline la plus adaptée pour proposer des évaluations, car elle offre des outils rigoureux permettant de quantifier les impacts sur la construction, les prix et les recettes fiscales. Les approches empiriques, comme les modèles économétriques ou les analyses coûts-bénéfices, aident à mesurer les effets directs et indirects de ces dispositifs tout en identifiant leurs éventuels effets pervers, tels que l’inflation foncière.

Pour autant, cette journée a souligné l’importance des autres disciplines. Le droit, par exemple, interroge la responsabilité des acteurs et examine les limites juridiques du zonage ou des critères d’éligibilité, souvent flous. Il permet d’aborder la question des implications légales et éthiques, en particulier vis-à-vis des investisseurs individuels.

La géographie, pour sa part, met en lumière les dynamiques territoriales et sociales. Elle révèle comment la défiscalisation redessine les espaces, parfois au détriment des populations locales, en encourageant la financiarisation de certaines zones, notamment littorales ou périurbaines. L’urbanisme complète ce tableau en examinant l’adéquation entre l’offre de logements et les besoins des ménages, soulignant ainsi les décalages entre l’offre produite et la demande réelle.

Cette approche pluridisciplinaire est indispensable pour dépasser la seule efficacité économique et saisir l’ensemble des conséquences sociales, territoriales et institutionnelles des dispositifs fiscaux. Le croisement de ces perspectives ouvre la voie à une évaluation plus complète et nuancée, tout en invitant à réfléchir à des réformes qui allieraient efficacité et justice sociale.

Vers une réforme des dispositifs fiscaux

Alors que la fin du dispositif Pinel est programmée au 31 décembre 2024, plusieurs propositions d’amélioration ont été avancées. Un consensus s’est dégagé sur la nécessité d’affiner le zonage afin d’adapter plus finement l’éligibilité aux conditions réelles du marché. Il s’agirait, par exemple, d’exclure les territoires à faible tension locative pour éviter la vacance et l’inflation des prix. De même, une distinction claire entre la fiscalité du bâti et celle du foncier a été proposée pour limiter la hausse du prix du foncier tout en favorisant la construction de logements abordables.

L’importance d’un suivi empirique rigoureux a également été soulignée. Une plus grande transparence des données a aussi été réclamée dans le but de faciliter l’évaluation et la responsabilisation des acteurs.

La présentation finale d’Alain Trannoy a apporté une synthèse théorique et empirique de ces enjeux, proposant des réformes audacieuses. Il a notamment suggéré de taxer les revenus locatifs et de compenser cette taxation par des subventions équivalentes à l’investissement locatif. Cette démarche vise à éviter l’atrophie du parc locatif tout en remédiant aux deux principales distorsions : le sous-investissement locatif et le surinvestissement dans les résidences principales. Alain Trannoy a également insisté sur la nécessité de ne plus subventionner indifféremment foncier et bâti afin d’enrayer l’inflation foncière. Une réforme distinguant clairement ces deux composantes serait, selon lui, plus efficace et moins coûteuse pour l’État.

En conclusion, ces propositions convergent vers un objectif commun : maximiser l’impact des dispositifs fiscaux, tout en réduisant leurs effets indésirables. Il s’agit ainsi de conjuguer rigueur économique, adaptabilité territoriale et souci des enjeux sociaux et environnementaux, pour repenser en profondeur le cadre fiscal de la politique du logement.

Marie-Noëlle Lefebvre

Enseignante-chercheuse, laboratoire ESPI2R, département Économie

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