Le marché locatif : éléments de cadrage

Carmen Cantuarias-Villessuzanne, Gaëlle Audrain-Demey, Lolita Gillet, Carine Guémar, Radmila Pineau et Isabelle Maleyre

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Cantuarias-Villessuzanne, C., Audrain-Demey, G., Gillet, L., Guémar, C., Pineau, R., & Maleyre, I. (2021). Le marché locatif : éléments de cadrage. Dans C. Cantuarias-Villessuzanne (dir.), Investissement immobilier et objectif « zéro artificialisation nette ». Mis en ligne le 06 février 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1002

Sur les 36,5 millions de logements que compte le parc immobilier national, 7,4 millions sont détenus par des bailleurs privés1 et occupés par des locataires – d’après les estimations de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et du service de la donnée et des études statistiques (SDES) –, ce qui correspond à 1 logement sur 5. À titre de comparaison, le parc locatif social compte 5,3 millions de logements tandis que celui des propriétaires occupants dénombre 17,2 millions de biens. La part restante représente les logements vacants et les résidences secondaires (Mesnard, Lefranc, Colin, Malard & Mathieu, 2019).

Les locataires représentent 39,9 % des ménages en France (Martin & Rignols, 2020), dont une majorité (22,9 %) réside dans le parc privé. Bien que le nombre de biens locatifs augmente continuellement, la part des ménages locataires diminue depuis le début des années 2000. Ce phénomène est moins dû au marché locatif qu’aux évolutions du parc des propriétaires occupants, caractérisées par deux tendances majeures : d’une part, la facilité d’accès à la propriété qui a marqué les années 2000 à 2008 et, d’autre part, le vieillissement de la population. Sur ce deuxième point, le lien s’explique par l’augmentation de l’âge, qui agit elle-même sur la hausse de la propension à être propriétaire de son logement. Plus nous vivons longtemps, plus nous avons de chance de devenir propriétaire (accumulation de l’épargne, volonté de se constituer un patrimoine à transmettre, de vieillir à domicile, notamment). Cela implique un taux de propriétaires occupants qui dépasse 70 % à partir de 60 ans en 2013 (Mainaud & Rioux, 2019, p. 204-205).

Au niveau du volume du parc locatif privé, après avoir stagné dans les années 1990, celui-ci connaît actuellement une phase de croissance soutenue avec, en moyenne, 90 000 nouveaux logements mis en location par des bailleurs physiques chaque année depuis 2014 (Mesnard et al., 2019)2. À noter toutefois qu’en parallèle de l’accroissement du parc des bailleurs physiques, celui des bailleurs personnes morales3 diminue d’année en année (voir la figure 1). Nous reviendrons sur les origines de cette tendance ultérieurement.

Figure 1. Parc des bailleurs personnes morales (hors logement social)

Figure 1. Parc des bailleurs personnes morales (hors logement social)

Source : Mesnard et al., 2019.

Réalisation : auteures.

Dans l’ensemble, pour l’année 2018 (Mesnard et al., 2019), les bailleurs personnes physiques ont investi 36,28 milliards d’euros dans l’immobilier (acquisition et travaux dans le secteur résidentiel), ce qui représente près de 11 % de l’investissement total en immobilier sur la même année (y compris celui des propriétaires occupants, des bailleurs sociaux ainsi que l’investissement en résidence secondaire). Après avoir connu une période de croissance rapide entre 2000 et 2007, l’investissement des bailleurs personnes physiques a fluctué entre 2008 et 2014 pour ensuite retrouver une tendance haussière qui paraît stable depuis 2015. Au sein de cet investissement global, le montant consacré aux travaux représente près de 5,9 milliards d’euros, historiquement plutôt stable. Concernant les acquisitions, l’investissement dans l’ancien demeure majoritaire en 2018 (53 %), mais sa part semble relativement volatile en moyenne période, puisque, à titre d’exemple, elle est passée de 47 % en 2012 à 58 % trois ans plus tard (voir la figure 2).

Figure 2. Investissement des bailleurs personnes physiques

Figure 2. Investissement des bailleurs personnes physiques

Sources : Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ; comptes du logement 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018.

Réalisation : auteures.

Concernant le contenu du parc locatif privé en France, les sources d’information robuste font défaut. Depuis l’enquête nationale logement (EnL) de 2013, aucune base de données ne permet de dresser le portrait du parc locatif privé avec exactitude. Les auteures de la présente étude ont sélectionné un certain nombre de résultats disponibles à partir de l’EnL 2013 pour les moduler, compte tenu des observations faites par ailleurs, et les compléter avec d’autres sources disponibles, notamment les observatoires de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM).

La répartition des logements locatifs privés par nombre de pièces indique une forte présence de petits logements sur ce marché, comparativement aux logements des propriétaires occupants ou encore au parc locatif social : environ 45 % des logements du secteur locatif privé (y compris meublés et sous-location) comptent 1 ou 2 pièces (contre 6 % chez les propriétaires occupants et 19 % dans l’ensemble du parc résidentiel occupé). Bien que les investissements dans le neuf se poursuivent et augmentent, le parc locatif privé dans son ensemble demeure marqué par une certaine ancienneté : plus d’un tiers des biens datent d’avant 1949.

La répartition géographique du parc locatif privé fait apparaître une très forte concentration de logements locatifs dans les zones urbaines. D’après le recensement général de la population de 2016, l’unité urbaine de Paris concentre, à elle seule, plus de 16 % du parc locatif privé français (alors que ce taux est de 13,6 % pour l’ensemble du parc résidentiel). Au sein de ce périmètre, les logements locatifs privés représentent 26 % du parc, ce qui correspond à une surreprésentation significative par rapport à la moyenne nationale.

La concentration du parc locatif ne se limite pas à la région parisienne : ensemble, les unités urbaines de Marseille (avec Aix-en-Provence), Lyon, Bordeaux et Lille totalisent 9,1 % du parc locatif privé français (contre 6,8 % du parc résidentiel total). Dans ces villes, la part du secteur locatif privé dépasse considérablement la moyenne nationale puisqu’elle est de 29 % pour Marseille, 30 % pour Lyon, 32 % pour Bordeaux et 25 % pour Lille.

L’agglomération de Paris ainsi que les plus grandes villes se détachent du reste du territoire non seulement par la concentration du parc locatif, mais également par les loyers. Sur cette question aussi, Paris se démarque considérablement. D’après l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP), le loyer moyen dans l’agglomération de Paris est de 18,3 €/m2 en 2019 et de 19,3 €/m2 pour les baux de moins d’un an. La ville de Paris se définit par des loyers plus élevés : 23,3 €/m2 en moyenne générale et 25,6 €/m2 pour les baux de moins d’un an (pour l’année 2019).

À titre de comparaison, pour l’année 2018, les loyers moyens de marché (uniquement sur les emménagés récents) de l’agglomération parisienne dépassent de 48 % la moyenne nationale : 18,9 €/m2 (OLAP, 2018) contre 12,8 €/m2 (CLAMEUR, 2018) pour la France entière. Quant à l’évolution des loyers, d’après les enquêtes trimestrielles de loyers de l’Insee, depuis quatre ans, celle-ci reste très modérée : l’indice de référence des loyers (IRL) augmente, mais à un rythme inférieur à 1 % par an (Martin & Rignols, 2020). Cette quasi-stabilité des loyers dans le secteur locatif privé est assez inédite4 : sur une période de 30 ans, les taux d’évolution des loyers du secteur libre se situaient en moyenne entre 1 % et 4 % de croissance, avec des valeurs qui ont ponctuellement dépassé 5 %/an au début des années 1990.

Figure 3. Loyers médians au m2 du parc privé dans les principales agglomérations en 2018

Figure 3. Loyers médians au m2 du parc privé dans les principales agglomérations en 2018

Pour l’agglomération lilloise, la valeur indiquée pour la catégorie 4 pièces et plus correspond à la valeur observée pour les logements de 4 pièces. L’observatoire des loyers local fait apparaître par ailleurs une autre catégorie : 5 pièces et plus, pour laquelle la valeur du loyer médian s’élève à 8,2 €/m2.

Réalisation : auteures.

Sources : OLAP et observatoires des loyers locaux.

À noter qu’au total, sur l’année 2018, les locataires du parc privé ont versé, dans leur ensemble, 52 milliards d’euros de loyers (Mesnard et al., 2019), ce qui correspond à 14,6 % de la dépense globale au titre du logement (y compris l’énergie, l’eau et les charges, pour l’ensemble des statuts d’occupation). À titre de comparaison, les locataires du parc social ont payé environ 25 milliards d’euros de loyers, et les loyers imputés5 des propriétaires occupants sont estimés à 164 milliards d’euros pour la même année. En moyenne, en 2018, un ménage locataire du parc privé a dépensé 6 991 euros en loyers, auxquels s’ajoutent 965 euros de charges puis 1 619 euros de dépenses d’énergie et d’eau.

1 Dans le compte satellite du logement (CSL), la notion de bailleurs privés regroupe à la fois les particuliers propriétaires bailleurs et les

2 Estimations Parc Insee-SDES pour les années 2014 à 2018.

3 Dans le cas d’un bailleur physique, c’est un être humain qui est doté de la personnalité juridique. Quant aux bailleurs personnes morales, il s’agit

4 À notre connaissance, aucune étude n’a été engagée pour expliquer cela. Cependant, il est probable que les loyers des nouveaux entrants soient

5 La notion de loyer imputé renvoie au loyer dont devrait s’acquitter un propriétaire occupant s’il occupait son logement non pas en tant que

1 Dans le compte satellite du logement (CSL), la notion de bailleurs privés regroupe à la fois les particuliers propriétaires bailleurs et les bailleurs institutionnels (très peu nombreux en France effectivement). Ce terme est utilisé dans le CSL surtout en opposition aux bailleurs sociaux.

2 Estimations Parc Insee-SDES pour les années 2014 à 2018.

3 Dans le cas d’un bailleur physique, c’est un être humain qui est doté de la personnalité juridique. Quant aux bailleurs personnes morales, il s’agit d’un groupement. On distingue les personnes morales de droit public (comme l’État) de celles de droit privé (banques, mutuelles, sociétés civiles, associations...). Source : définitions de l’Insee.

4 À notre connaissance, aucune étude n’a été engagée pour expliquer cela. Cependant, il est probable que les loyers des nouveaux entrants soient influencés par les loyers en place (sauf pour les baux de longue date), qui fluctuent selon l’évolution de l’IRL.

5 La notion de loyer imputé renvoie au loyer dont devrait s’acquitter un propriétaire occupant s’il occupait son logement non pas en tant que propriétaire, mais en tant que locataire. Les institutions françaises déploient une méthodologie complexe pour estimer ce loyer, en tenant compte de la structure du logement, de sa taille, de sa localisation, etc. Les biens détenus par les propriétaires étant en moyenne plus grands, leur valeur locative théorique est plus importante que celle des biens en location.

Figure 1. Parc des bailleurs personnes morales (hors logement social)

Figure 1. Parc des bailleurs personnes morales (hors logement social)

Source : Mesnard et al., 2019.

Réalisation : auteures.

Figure 2. Investissement des bailleurs personnes physiques

Figure 2. Investissement des bailleurs personnes physiques

Sources : Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ; comptes du logement 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018.

Réalisation : auteures.

Figure 3. Loyers médians au m2 du parc privé dans les principales agglomérations en 2018

Figure 3. Loyers médians au m2 du parc privé dans les principales agglomérations en 2018

Pour l’agglomération lilloise, la valeur indiquée pour la catégorie 4 pièces et plus correspond à la valeur observée pour les logements de 4 pièces. L’observatoire des loyers local fait apparaître par ailleurs une autre catégorie : 5 pièces et plus, pour laquelle la valeur du loyer médian s’élève à 8,2 €/m2.

Réalisation : auteures.

Carmen Cantuarias-Villessuzanne

Enseignante-chercheuse, département Économie, ESPI

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Responsable du département Droit, ESPI

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Directrice académique et de la recherche (2018-2021)

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