Les origines et les fondements de la blockchain

Valentin Blanc, Fernanda Chatelard, Erika Dewald, Marc Durand, Benjamin Fragny, Youness Garah, Lolita Gillet, Benoît Lopez, Isabelle Maleyre, Baptiste Saint-Martin, Éric Seulliet, Michael Sigda, Jérôme Tixier, Inès Trojette, Yannick Vincent et Cathy Zadra-Veil

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Référence électronique

Blanc, V., Chatelard, F., Dewald, E., Durand, M., Fragny, B., Garah, Y., Gillet, L., Lopez, B., Maleyre, I., Saint-Martin, B., Seulliet, É., Sigda, M., Tixier, J., Trojette, I., Vincent, Y., & Zadra-Veil, C. (2021). Les origines et les fondements de la blockchain. Dans C. Zadra-Veil (dir.), Blockchain & immobilier. Le smart bail. Mis en ligne le 06 février 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1040

En retraçant brièvement l’histoire de la blockchain à travers celle de la cryptographie et de la cryptomonnaie, nous en redécouvrons les grandes étapes, les difficultés ainsi que les mutations qui ont mené, progressivement, à la blockchain telle que nous la connaissons aujourd’hui.

De la cryptographie…

Qu’est-ce que la cryptographie ?

Les opérations d’une blockchain sont cryptographiées.

La cryptographie consiste à chiffrer un texte pour s’assurer de son inviolabilité. Il s’agit de l’un des pans de la cryptologie, la science du secret ; cette science étant composée de la cryptographie, qui s’attache à l’écriture secrète, et de la cryptanalyse, « étude des attaques contre les mécanismes de cryptographie » (CNIL, 2016).

Ainsi, à l’origine, la cryptographie est une discipline qui permet la protection de messages afin d’assurer la confidentialité, l’authenticité et l’intégrité des informations via des clés.

La cryptographie fait appel à deux types de clef :

  • la cryptographie à clef privée − ou clef secrète −, appelée aussi symétrique, utilise un unique mot clef qui permet à la fois de crypter et de décrypter un message entre les différents interlocuteurs ;

  • la cryptographie à clef publique, dite aussi asymétrique, fait la distinction entre les données publiques et les données privées. Deux clefs sont alors nécessaires, l’une pour le chiffrement et l’autre pour le déchiffrement.

L’utilisation de ces clefs donne lieu à deux types d’algorithmes.

La cryptographie au service de la blockchain

L’architecture utilisée par la technologie blockchain est décrite pour la première fois au début des années 1990 par les chercheurs Stuart Haber et W. Scott Stornetta, qui conceptualisent une solution informatique autorisant l’horodatage de documents numériques, les rendant dès lors impossibles à antidater ou à altérer. Ce système sécurisé cryptographique permet de stocker des documents horodatés.

En 1979 (Faure-Muntian, de Ganay & Le Gleut, 2018), le cryptographe Ralph C. Merkle (né en 1952) crée un arbre de hachage, qui porte son nom.

« Un arbre de Merkle est le nom donné à une suite de blocs de données qui comportent chacun le hash du bloc précédent », le hash étant un « identifiant... permettant de relier les blocs les uns aux autres » (Faure-Muntian, de Ganay & Le Gleut, 2018, p. 123 et p. 27).

Cet arbre de Merkle est ensuite incorporé par Stuart Haber et W. Scott Stornetta dans leur technologie dans le but de pouvoir rassembler plusieurs documents à horodater en un seul bloc.

Cette technologie a servi de base au développement de la blockchain telle que nous la connaissons actuellement.

… à la cryptomonnaie

Les prémices des monnaies numériques

Si les premiers bitcoins ne circulent qu’en 2009, certains acteurs avaient déjà songé, bien avant, à la création d’une monnaie numérique. En 1982, David Chaum évoque, dans le Blind signatures for untraceable payments (« Signatures aveugles pour des paiements intraçables » ; Chaum, 2012), qu’une monnaie peut être basée sur le fait qu’une banque aurait la possibilité de créer et de diffuser une « pièce de monnaie signée en blanc », selon Daniel Augot, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Pour aider à le comprendre, il invite ainsi à se représenter l’utilisateur d’une unité monétaire, qui lui attache un numéro de série unique apposé sur un papier glissé dans une « enveloppe de papier carbone ». La banque, de son tampon, la signe à l’aveugle et « débite une unité de compte de l’utilisateur ». Ce dernier peut ensuite le dépenser, le cachet de la banque faisant foi. Le commerçant transmet ainsi le document tamponné à sa banque, qui le crédite. La transaction s’est faite donc de manière anonyme (Faure-Muntian, de Ganay & Le Gleut, 2018, p. 17).

Cette invention technologique permettrait également, potentiellement, d’éviter que cette pièce soit extraite du système et manipulée sans posséder l’exemplaire en question. Tout ceci empêcherait de créer de la monnaie supplémentaire comme la « planche à billets » qu’utilisent certaines banques d’État.

Les cryptomonnaies les plus populaires créées avant le bitcoin sont le e-cash (1983) et le digicash (1990), inventées par David Chaum. Leurs objectifs étaient de lutter contre la falsification, contre le vol, mais avant tout de posséder une monnaie différente de celles proposées par les États. En 1996, Douglas Jackson fonde le e-gold, une devise numérique indexée sur l’or, échangeable à l’international, circulant sans contrôle gouvernemental et sans influence des fluctuations du marché boursier.

D’autres acteurs ont travaillé sur la création de monnaies numériques, en visant la protection de la vie privée. Citons Wei Dai qui, en 1998, pense la b-money, qu’il ne développera pas car trop complexe à mettre en place, ou encore Nick Szabo, à l’origine du bitgold, jamais implémenté par manque de soutien.

Les initiateurs : Timothy C. May et les cypherpunks

Timothy C. May (1951-2018) est un ingénieur, scientifique et expert en cryptographie, ayant travaillé au sein de la société Intel. Il écrit en 1988 The Crypto Anarchist Manifesto, « Le manifeste cryptoanarchiste » (Lakomski-Laguerre, 2020), texte qui pose les bases de la cryptoanarchie et dans lequel il prône une communication sécurisée permettant d’échanger en toute liberté, tout en restant ano­nyme. May est un des membres fondateurs, avec les programmeurs Eric Hughes et John Gilmore, du groupe d’anarchistes cypherpunks. Ce sont des cyberpunks pour qui la cryptographie constitue une opportunité pour changer l’ordre établi, en redéfinissant notamment les notions de confiance et d’identité, en dehors de l’intervention d’un organe central et du gouvernement. Du fait de l’anonymat, cette société cryptoanarchiste serait non violente (Rolland & Slim, 2017).
La création d’une monnaie électronique permettrait ainsi de s’émanciper des autorités publiques.
Les cypherpunks communiquent via des listes de diffusion actives jusqu’en 1993, année où Eric Hughes publie A Cypherpunk’s Manifesto, « Un manifeste cypherpunk » (Rolland & Slim, 2017).

Les leçons des premières cryptomonnaies

Toutes ces cryptomonnaies n’ont pas ou peu fonctionné, mais elles ont permis d’apporter des réponses au problème de la virtualisation de la monnaie. Une autre difficulté qu’il a fallu surmonter est celle liée à la confiance, véritable point névralgique du système.

Dans le secteur informatique, il est primordial d’anticiper les défaillances en termes d’information, de logiciel ou de support matériel. Ces défaillances peuvent avoir été implici­tement accidentelles ou malveillantes durant les phases de conception ou de transport des données. Elles impliquent la transmission d’informations erronées ou incohérentes, nommées « tolérance aux pannes ». En 2000, les programmeurs Tom Pepper et Justin Frankel développent Gnutella, première plateforme de transfert de fichiers pair-à-pair1 complètement distribuée. Ce type de réseau permet à chacun des participants d’être à la fois serveur et receveur afin de décentraliser les informations ou les données. Ainsi, l’architecture de fonctionnement des cryptomonnaies, dite « client-serveur », règle le problème technique de la panne.

Une autre question fondamentale restait à résoudre. Il s’agit de la « double dépense » selon laquelle, par exemple, un jeton numérique, ou token, est dépensé plus d’une fois, ou qu’un agent puisse prétendre disposer de plus de bitcoins qu’il n’en a.

Un jeton numérique, ou token, est un fichier numérique déterminant le nombre d’exemplaires ou de fragments d’exemplaires possédés.

Au même titre que de la fausse monnaie, « la double dépense » peut entraîner des conséquences sur l’économie et défier la confiance des utilisateurs. Or, les techniques cryptographiques permettent de diminuer ou d’empêcher ce problème tout en conservant l’anonymat des transactions (Choan, 2017).

Ainsi, le cypherpunk et développeur de cryptomonnaies Adam Back crée en 1997 le hashcash, un algorithme ayant pour but la validation des transactions par hash cryptography, que l’on peut traduire par « preuve de travail » (voir p. 22). La preuve de travail permet d’éviter l’interaction avec un « tiers de confiance » physique via la modélisation d’un système distribué de confiance.

La blockchain et le problème des généraux byzantins

Le problème mathématique dit « des généraux byzantins » a fait couler beaucoup d’encre parmi les chercheurs depuis le début des années 19802. Il renvoie à la difficulté de communiquer d’une seule voix, sans autorité centrale régulatrice infailliblement fiable, et en toute confiance. C’est la question qui se pose dans le cadre des transactions, échanges numériques en réseaux P2P.
La parabole de l’assaut d’une cité par une armée est à cet égard significative : comment établir un plan commun pour gagner la bataille alors que certains généraux peuvent être des traîtres ? La solution : le consensus, qui exige qu’au moins deux tiers des généraux soient fidèles.
En matière informatique, Satoshi Nakamoto a renforcé la robustesse des premiers algorithmes utilisés pour répondre à ce problème des généraux byzantins, grâce à la preuve de travail. Dans ce système, les participants qui valident les échanges par des calculs (les mineurs), en compétition les uns avec les autres, sont récompensés de leur tâche par des bitcoins. C’est en effet la chaîne la plus longue, celle qui a demandé le plus d’énergie, qui est finalement approuvée. Satoshi Nakamoto introduit un autre apport essentiel : il suffit désormais que la moitié des « généraux » soit loyale.
Source : Lars, L. (2019, 3 septembre). Le problème des généraux byzantins. Viresinnumeris.fr.

1 Registre centralisé, le P2P est inventé en 1999 sur la base d’une technologie créée par l’informaticien Shawn Fanning et utilisée initialement dans

2 Ce problème est notamment exposé dans le texte suivant : Lamport, L., Shostak, R., & Pease, M. (1982). The Byzantine Generals Problem. ACM tra

1 Registre centralisé, le P2P est inventé en 1999 sur la base d’une technologie créée par l’informaticien Shawn Fanning et utilisée initialement dans son logiciel Napster. Ce dernier est dédié au partage de fichiers audio. L’un des protocoles P2P les plus utilisés dans la technologie de la blockchain est l’InterPlanetary File System (IPFS) ou « système de fichier interplanétaire ».

2 Ce problème est notamment exposé dans le texte suivant : Lamport, L., Shostak, R., & Pease, M. (1982). The Byzantine Generals Problem. ACM transactions on programming languages and systems, 4(3).

Valentin Blanc

Étudiant, MIFIM, ESPI

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