Contexte
Le concept de smart city a plus de 20 ans. La ville intelligente est née d’une volonté de proposer un développement et une gestion des villes prenant en compte les enjeux auxquels celles-ci doivent faire face, dont l’augmentation de la croissance urbaine et ses conséquences environnementales. Les smart cities sont généralement définies comme des villes qui utilisent des outils technologiques pour répondre à un besoin particulier et rendre la ville plus intelligente (Commission européenne, s. d.). Or, le concept doit être plus global, en comprenant les outils technologiques comme des moyens et non pas comme une finalité (Angelidou, 2014). Le nombre de publications sur les smart cities impliquant le knowledge management1 est ainsi en augmentation depuis 2012 (Israilidis, Odusanya & Mazhar, 2019). Ces cadres théoriques sont pertinents pour analyser les stratégies mises en place par les villes intelligentes. En effet, l’approche par les capacités dynamiques, qui se base sur les ressources des organisations, met en avant la stratégie d’une organisation et l’évolution dans le temps de cette stratégie en fonction des changements de l’environnement. Ainsi, cette approche permet de mieux comprendre la smart city dans sa globalité, et non pas uniquement par le prisme du développement technologique (Anthopoulous, 2015 ; Ismagilova, Hughes, Dwivedi et al., 2019 ; Mosannenzadeh, Bisello, Vaccaro et al., 2017).
L’objectif de notre recherche est, dans un premier temps, d’utiliser l’approche par les capacités dynamiques pour comprendre de quelle manière les villes vont construire leur stratégie smart. Nous nous appuyons sur les sept dimensions communément admises par la littérature scientifique (Ismagilova, Hughes, Dwivedi et al., 2019 ; Giffinger, Handlmaier & Kramar, 2010 ; Appio, Lima & Paroutis, 2019 ; Stübinger & Schneider, 2020) : « smart architecture et technologie, smart citoyens, smart économie, smart environnement, smart gouvernance, smart conditions de vie et smart mobilité ». Ensuite, pour comprendre la capacité de résilience face à un risque sanitaire au sein d’une smart city, nous proposons de développer une nouvelle dimension afin d’intégrer des enjeux de santé urbaine : la smart health. En effet, dans les sept dimensions issues de la littérature, la santé n’est qu’une sous-caractérisation de la dimension « smart conditions de vie ». La smart health a déjà fait l’objet de certaines publications, qui se concentrent principalement sur les aspects technologiques, la e-health (Al-Azzam & Alazzam, 2019). Notre développement de cette nouvelle dimension vise à considérer la santé de façon plus large, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »2 ; et dans sa dimension urbaine, en comprenant comment la santé peut être influencée par le milieu urbain (Barton & Tsourou, 2004).
Matériel et méthode
Notre étude s’intéresse à 40 villes intelligentes européennes de tailles et de densités diverses. Nous avons collecté d’abord des données3 pour 79 variables qui décrivent les sept dimensions de la smart city précédemment évoquées. Puis nous avons ajouté sept variables supplémentaires pour caractériser les villes selon des aspects socio-démographiques (Cantuarias-Villessuzanne, Weigel & Blain, 2021). Nous avons réalisé ensuite une analyse en composantes principales4 (ACP) pour chacune des sept dimensions smart ainsi qu’une classification ascendante hiérarchique5 (CAH) à partir des composantes principales afin de regrouper les villes selon leurs caractéristiques communes. Pour développer la dimension smart health, nous avons récolté des données pour quatre variables : les équipements, les infrastructures de santé et l’utilisation d’internet pour trouver de l’information médicale et pour prendre des rendez-vous médicaux. Enfin, une ACP sur cette nouvelle dimension a été réalisée6.
Résultats
La réalisation de nos ACP nous a permis d’obtenir des composantes principales par dimension smart, que nous avons définies comme des capacités centrales (cf. tableau 1), et la CAH d’identifier trois catégories de villes intelligentes (cf. figure 1). La première classe correspond aux villes avec des stratégies smart émergentes, présentant des enjeux de pollution de l’air ; elles disposent aussi de solutions smart pour favoriser divers types de mobilité. La deuxième classe développe des stratégies orientées vers la technologie, l’e-commerce, l’e-citoyen, l’équipement et les infrastructures, l’accessibilité numérique, thèmes au cœur de l’approche smart city. La troisième classe réunit les stratégies centrées sur la qualité de vie, l’information, l’énergie, l’environnement, l’entrepreneuriat, les plateformes de partage, mais aussi des enjeux de transport face à la dépendance à la voiture. Il s’agit de villes avec des objectifs environnementaux. Notre première analyse sur la dimension smart health nous permet d’identifier deux capacités centrales bien caractérisées : les infrastructures de santé dans la ville, qui expliquent 46 % de la variance de l’échantillon, et l’axe e-health, qui explique 28 % de la variance (cf. figure 2).
Conclusion
Notre étude montre d’abord trois stratégies de smart cities différentes en Europe et souligne qu’il n’y a pas un seul type de smart city. Celles-ci ont des stratégies différentes selon leur propre développement urbain et économique. Ce travail a déjà fait l’objet d’une publication (Cantuarias-Villessuzanne, Weigel & Blain, 2021). Ensuite, les villes intelligentes peuvent être, à notre sens, pertinentes pour répondre non seulement aux défis environnementaux mais aussi pour développer une capacité de résilience plus globale, notamment face aux risques sanitaires comme celui de la pandémie de Covid-19 et, de manière plus large aussi, aux problématiques de santé urbaine. La dimension smart health proposée vient ainsi compléter l’analyse des sept dimensions de la smart city, issues de la littérature, et caractériser cette capacité de résilience sanitaire. Nos travaux exploratoires de classification afin d’évaluer la robustesse de cette nouvelle dimension dans l’approche des villes intelligentes vont ainsi se poursuivre et viendront renforcer l’étude des dynamiques d’ensemble des smart cities.