Dispositifs fiscaux et cohérence territoriale

Résumés des interventions de la session 2

Mélanie Lavois, Florian Laussucq, Lolita Gillet et Marie-Noëlle Lefebvre

Citer cet article

Référence électronique

Lavois, M., Laussucq, F., Gillet, L., & Lefebvre, M.-N. (2025). Dispositifs fiscaux et cohérence territoriale. Actes des 5ᵉ et 6ᵉ journées d’étude. La transmission des biens immobiliers / La défiscalisation immobilière. Mis en ligne le 30 avril 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 01 mai 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1717

Dispositif fiscaux et financiarisation du littoral – Mélanie Lavois1

Dans sa communication, Mélanie Lavois explore la question de la financiarisation des littoraux français, en particulier dans les Pyrénées-Orientales, pour analyser l’impact des politiques fiscales sur l’urbanisation et la gouvernance de ces territoires. Et ce dans un contexte de pression réglementaire (objectif « zéro artificialisation nette », ZAN), de recomposition spatiale au profit de l’arrière-pays et de risque inondations (promulgué en 2015), qui réduit encore le nombre de terrains constructibles. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de sa thèse L’urbanisation et la gouvernance du littoral : l’illustration de l’obsolescence d’un modèle d’aménagement. Politiques et croissances urbaines du littoral occitan, 50 ans après la mission Racine2.

Mélanie Lavois se place à l’échelle de la station et prend le cas de la commune de Saint-Cyprien, dont la station balnéaire est issue de la mission interministérielle d’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, dite mission Racine. Le foncier littoral, jusque-là inexistant, est alors créé de toute pièce. Cette mission a généré, dans l’ensemble des sept stations concernées3, la création de plus de 272 000 lits touristiques pour une population totale de 48 000 habitants à l’année. La financiarisation de ce littoral relève davantage d’une logique étatique, institutionnelle plutôt que de la pression des promoteurs, des constructeurs et des banques et donc des logiques de marché.

Mélanie Lavois montre ainsi comment les dispositifs fiscaux et l’économie résidentielle ont transformé les littoraux en espaces de rente, favorisant une croissance extensive axée sur des produits résidentiels et touristiques plutôt que productifs. L’urbanisation du littoral devient alors un modèle de développement économique via la rentabilisation fiscale du foncier. Jusqu’à 20 % de recettes fiscales de ces communes sont liées au tourisme (taxe de séjour, taxe d’habitation sur les résidences secondaires).

En cinquante ans, la croissance démographique et l’activité de construction sont devenues essentielles en termes de création-redistribution de plus-values foncières, de créations d’emplois et de ressources fiscales. Moins aiguë dans les moyennes et les grandes villes au tissu économique diversifié, cette situation peut atteindre des extrêmes dans les petites stations balnéaires étroitement dépendantes de l’activité touristique et des taxes foncières.
(Daligaux, 2003)4

Ces évolutions, héritées des politiques de développement massives des années 1960, ont contribué à renforcer la dépendance économique des territoires littoraux aux revenus fonciers et résidentiels. Mélanie Lavois parle même d’une lecture comptable du modèle d’aménagement de la station balnéaire qui donne lieu à un système de création-redistribution des contributions monétaires (État, collectivités, établissements publics de coopération intercommunale, régions, départements) qui alimenterait les processus territoriaux à base résidentielle et touristique.

L’intervention a mis en évidence l’importance des aménités littorales dans la structuration des marchés immobiliers locaux, où les logements individuels dominent et atteignent des prix très élevés. L’effet de ces aménités (coefficientées de manière empirique) impactent les prix du foncier (deux à trois fois supérieurs en moyenne) et le dynamique du marché. À Saint-Cyprien, le prix au m2 des logements va jusqu’à 13 000 € en marina alors qu’il est entre 3 000 et 7 000 € ailleurs dans la commune. Mélanie Lavois montre comment ces dynamiques peuvent aboutir à une saturation de l’espace et à un éloignement des populations locales face à l’inflation foncière. Elle rend ainsi compte des mécanismes socioéconomiques initiés par des acteurs non institutionnels : les propriétaires de biens immobiliers, en particulier, ont saisi les perspectives de développement économique captés par des ressorts fonciers. Ils participent de cette résidentialisation des produits fiscaux par l’introduction de leur bien au sein du marché locatif saisonnier, venant ainsi alimenter l’offre non marchande de produits touristiques. Le volume de fiscalité lié à l’offre non marchande est alors plus important que l’offre marchande classique.

En conclusion, Mélanie Lavois souligne la nécessité de réguler ce système économique fiscal et immobilier – qui fait de la station balnéaire un objet d’une forme d’occupation extensive allant d’une conception matérielle et physique (extension spatiale) à une conception immatérielle (extension financière) par une fiscalité locale mieux calibrée. Car c’est bien la structure des impôts et des taxes, et donc les opportunités qu’elle représente (extension par le sol), qui posent question. Son analyse invite à repenser le modèle d’aménagement des littoraux en intégrant des logiques durables pour limiter les effets d’enfermement économique et spatial liés à une urbanisation résidentielle non productive.

L’application dérogatoire du Pinel dans des zones sans tension locative, une bombe (fiscale) à retardement ? – Florian Laussucq

La communication de Florian Laussucq est issue d’un article éponyme publié dans le Village de la justice en octobre 20215.

Florian Laussucq examine la déconnexion entre le dispositif Pinel et le zonage, considéré comme peu efficace pour réduire la tension locative dans les territoires concernés. Il questionne la pertinence et les risques fiscaux de l’application du Pinel dans des territoires non éligibles initialement ou mal adaptés : d’abord conçu pour répondre aux tensions entre l’offre et la demande de logements dans des zones fortement urbanisées (zones A, A bis, B1), le dispositif Pinel a progressivement été étendu à d’autres territoires, ce qui a parfois conduit à des incohérences, notamment en permettant des investissements dans des zones où la demande locative est faible. C’est le cas pour les communes couvertes ou ayant été couvertes par un contrat de redynamisation de site de défense (CRSD)6 à la suite de la restructuration des armées entre 2008 et 2015. Ces sites ont donc subi « une perte importante d’emplois et… connaissent une grande fragilité économique et démographique »7. Le Pinel s’applique alors à des espaces à priori non attractifs d’un point de vue locatif.

Florian Laussucq mentionne aussi le Pinel+ – en plus d’être situé dans une zone éligible, le logement doit s’inscrire dans un quartier prioritaire de la ville ou respecter des critères en matière de performance énergétique, d’usage et de confort.

Autre cas évoqué, celui des investissements réalisés en zones B2 et C : ces zones ont été exclues du dispositif par la loi de finances pour 2018 mais avec des dérogations, à savoir que la demande de permis de construire doit avoir été déposée avant le 31 décembre 2017, et l’acquisition réalisée au plus tard le 15 mars 2019.

Dès lors que le dispositif Pinel sert à venir en soutien à des difficultés économiques et non à une tension locative, le risque pour les investisseurs est accru. Ce risque se manifeste d’abord par la remise en cause de la réduction d’impôt en cas de vacance locative initiale de plus de un an ou de location interrompue pendant la durée de l’engagement. À cela s’ajoutent un intérêt de retard et une majoration8. Ensuite, Florian Laussucq évoque le risque fiscal et économique. En effet, si l’investisseur a opté pour du Pinel dans l’ancien, c’est le déficit foncier qui peut être remis en cause si la vacance est supérieure à trois ans. Par ailleurs, en cas de difficultés, il va essayer de limiter les pertes en mettant son bien à la vente ; or, la plus-value est imposée. Mais il ne faut pas ignorer la possibilité de moins-value, que l’investisseur ne peut déduire de son résultat fiscal.

Florian Laussucq aborde également la question des limites du zonage défini par le législateur ; il pointe le manque de méthodologie claire pour déterminer les zones éligibles et l’imprécision des critères juridiques, comme la notion de « zone d’urbanisation continue ». Sont en effet éligibles « les zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre important de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social »9. La liste des communes est ensuite établie par décret. Or, d’autres zonages, réglementaires cette fois, sont beaucoup plus précis ; ce n’est dons pas une lacune intrinsèque au droit.

En conclusion, Florian Laussucq souligne que le Pinel est davantage perçu comme un outil économique que comme un véritable outil d’aménagement du territoire, ce qui limite son efficacité dans certaines zones. Il a également interrogé le rôle des promoteurs après la fin programmée du Pinel en 2024, en plaidant pour une réforme qui recentrerait ces dispositifs sur des besoins territoriaux spécifiques, tout en évitant les déséquilibres créés par une application généralisée. Il évoque à cet égard le Pinel breton, expérimenté dès 202010 : piloté par le préfet de région – qui fixe par arrêté les plafonds de loyer, de ressources pour chaque commune ou partie de commune éligible et par type de logement –, il est davantage précis (sous-zonage), à l’échelle de l’IRIS ou du carreau de densité tels que définis par l’Insee. Dérogatoire, le Pinel breton soutient l’investissement dans les logements locatifs intermédiaires là où la tension locative est forte. Il illustre ainsi une adaptation régionale réussie basée sur un zonage précis et collaboratif, aligné avec les réalités locales.

Mélanie Lavois

Doctorante en aménagement et urbanisme, université de Perpignan Via Domitia

Florian Laussucq

Enseignant-chercheur, département Droit, laboratoire ESPI2R

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Lolita Gillet

Éditrice scientifique, laboratoire ESPI2R

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Marie-Noëlle Lefebvre

Enseignante-chercheuse, laboratoire ESPI2R, département Économie

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