Veille juridique immobilière n° 2

Novembre-décembre 2022

Gaëlle Audrain-Demey, Sébastien Avallone, Stanislas Barry, Fernanda Chatelard, Carine Guémar, Antoine Fournier, Florian Laussucq, Jennyfer Pilotin et Marcos Povoa

Citer cet article

Référence électronique

Audrain-Demey, G., Avallone, S., Barry, S., Chatelard, F., Guémar, C., Fournier, A., Laussucq, F., Pilotin, J., & Povoa, M. (2023). Veille juridique immobilière n° 2. Veille juridique immobilière. Mis en ligne le 30 janvier 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1114

L’immobilier est un secteur en perpétuelle évolution. La présente Veille juridique immobilière, publiée par le département Droit du laboratoire ESPI2R, est un outil incontournable pour comprendre les mutations de l’immobilier contemporain et bâtir une pensée constructive sur les besoins de demain.
La Veille juridique immobilière s’adresse à tout lecteur intéressé par l’immobilier au sens large, juriste ou non. Elle a pour objectif de recenser les actualités juridiques majeures sur un intervalle bimestriel, classées par grande thématique puis en fonction du type de texte concerné.
Ce numéro est réalisé avec la contribution d’apprenants de l’ESPI : Olivia Braghini, Assia Chater, Mathilde Garrigue, Cyrielle Haulon, Marie Julien, Maxime Meunier, Guichelle Ngassaki, Océane Zarate-Zimnol.

Droit de la construction

Jurisprudences

Conseil d’État, 7– 2chambres réunies, 2 novembre 2022, n° 450930, Institut national de recherches archéologiques préventives

Par cet arrêt, le Conseil d’État énonce que le contrat conclu entre l’opérateur des fouilles et l’aménageur ayant pour objet l’exécution des prescriptions édictées par l’État doit être exécuté conformément auxdites prescriptions y compris lorsque celles-ci sont modifiées au cours de l’exécution du contrat. Cependant, il ne résulte pas de ce constat qu’une modification des prescriptions entraîne d’elle-même une modification du contrat sans intervention des parties au contrat de fouilles. Les parties peuvent décider conjointement de modifier certaines clauses en conséquence de l’évolution des prescriptions.

Conseil d’État, section, 9 décembre 2022, n° 454521

Par cette décision, le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence. En cas de demande de pièce complémentaire illégale au cours de l’instruction des autorisations d’urbanisme, ladite autorisation d’urbanisme sera autorisée tacitement sans que la demande de complément puisse y faire obstacle. La demande d’une pièce complémentaire non requise n’a pas pour effet d’interrompre ou de modifier le délai à partir duquel une décision favorable peut naître implicitement. Avant cette décision, la demande de pièce complémentaire, même ne figurant pas au Code de l’urbanisme, était interruptive du délai d’instruction de l’autorisation concernée.

En savoir plus
Avallone, S. (2023, 5 janvier). Effets d’une demande illégale de pièces complémentaires sur une autorisation d’urbanisme. Dalloz Actualité.

Cour de cassation, 3chambre civile, 14 décembre 2022, n° 21-21.305

Par cet arrêt, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence au regard d’un arrêt rendu le 16 janvier 2020 (pourvoi n° 18-25.915). Lors de ce précédent arrêt, la Haute juridiction avait jugé que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur se prescrivait par cinq ans à compter du jour où le premier avait connu les faits lui permettant de l’exercer. L’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal constituait ainsi logiquement le point de départ du délai de prescription.

Cette solution de la Cour a créé un problème dans la mesure où les constructeurs, afin de faire interrompre le délai de prescription, ont été contraints d’introduire une action au fond dirigée contre les autres constructeurs et leurs assureurs avant même d’avoir été assignés au fond par le maître de l’ouvrage.

Par cet arrêt du 14 décembre 2022, la Cour de cassation est revenue sur cette solution et a donc jugé que le point de départ du délai de prescription quinquennale s’appliquant dans le cadre des recours entre constructeurs est désormais l’assignation au fond délivrée à l’initiative du maître de l’ouvrage.

Droit de l’urbanisme et de l’environnement

Règlement

Décret n° 2022-1653 du 23 décembre 2022 portant application de l’article L. 152- 5-1 du Code de l’urbanisme relatif aux dérogations aux règles du plan local d’urbanisme accordées pour l’installation de dispositifs de végétalisation

Entré en vigueur le 28 décembre 2022 et s’inscrivant dans la même lignée que la loi dite Climat et résilience du 22 août 2021, ce décret précise les modalités de dérogations au plan local d’urbanisme (PLU) relatives à la hauteur et à l’aspect extérieur des constructions, accordées pour l’installation de dispositifs de végétalisation des toitures et des façades. Désormais, les maires peuvent délivrer des permis de construire en dérogeant à certaines règles imposées par le PLU. Ledit décret autorise entre autres le dépassement à un mètre, pour les règles de hauteur, afin de rendre possible l’installation de ces dispositifs.

Jurisprudences

Cour de cassation, 3e chambre civile, 21 septembre 2022, FS-B, n° 21-21.933

L’article L. 514-20 du Code de l’environnement prévoit que lorsqu’une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d’en informer par écrit l’acheteur. De plus, il doit l’informer également, pour autant qu’il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l’exploitation. En l’espèce, la cour d’appel avait écarté l’application de cet article car elle estimait qu’il n’était pas démontré qu’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) avait été exercée sur les parcelles concernées par la vente. Cependant, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a violé cet article du Code de l’environnement dans la mesure où ces parcelles avaient accueilli l’entrée d’une usine exploitée sur le site par le passé, classée ICPE soumise à autorisation. Cela suffit, pour elle, à caractériser l’exploitation d’une ICPE sur le terrain de la vente.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 novembre 2022, n° 21-24.473

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle qu’une construction édifiée conformément à un permis de construire ne peut pas être démolie du fait d’une méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique sauf si ce permis a été annulé pour excès de pouvoir et si la construction figure dans certaines zones listées à l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.

La Cour de cassation a ainsi cassé et annulé partiellement le jugement de la cour d’appel (cour d’appel d’Aix-en-Provence, pôle 1 - chambre 5, 28 octobre 2021, n° 18/18956) qui a violé cet article du Code de l’urbanisme en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas. En l’occurrence, la cour d’appel avait ajouté une condition non prévue à l’article L. 480-13, à savoir que la construction soit visible du monument historique ou soit visible en même temps que lui. La Cour de cassation rappelle donc que « la condamnation à démolir la construction édifiée en méconnaissance d’une règle d’urbanisme... est donc subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l’intérieur d’une zone soumise à un régime particulier de protection ».

Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 6e chambre, 2 décembre 2022, n° 1912958

En matière de compensation, tous les arbres ne se valent pas. Un arbre abattu pour les besoins d’un projet de construction doit être remplacé par une essence susceptible de redonner une valeur paysagère équivalente, si le plan local d’urbanisme de la commune concernée l’impose. À défaut, ce sera le permis de construire qui pourra être retiré.

Il s’agit d’un arrêt confirmatif, mais qui reste non exhaustif puisqu’il est à se demander ce qu’entend le tribunal administratif par « essence susceptible de redonner une valeur paysagère équivalente ».

Conseil d’État, section, 9 décembre 2022, n° 463563

Dans cet avis contentieux, le Conseil d’État précise les obligations liées au dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, ainsi que les conditions de délivrance d’un tel acte par l’administration. Dès lors que la présence de spécimens sur l’espace où est prévu le projet d’aménagement est démontrée, et « si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé », ce qui signifie que « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte », alors le pétitionnaire doit déposer une demande de dérogation.

De plus, le Conseil d’État rappelle que les trois conditions posées à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement sont cumulatives, et que l’administration doit prendre en compte lors de leur examen les mesures d’évitement, de réduction et de compensation du pétitionnaire.

Conseil d’État, 6e – 5e chambres réunies, 14 décembre 2022, n° 448013

Le Conseil d’État rappelle qu’à la suite de l’annulation d’un refus de permis de construire, le pétitionnaire souhaitant faire usage des dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme ne peut pas modifier son projet au-delà de simples ajustements ponctuels.

Conseil d’État, 1re – 4e chambres réunies, 22 décembre 2022, n° 458524

Le maire d’une commune avait délivré un certificat d’urbanisme pour la création d’un lotissement mentionnant la possibilité d’opposer un sursis à statuer à une déclaration préalable ou une demande de permis en raison de la procédure en cours d’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal, puis il avait délivré des permis de construire sur les lots. Un recours a été formé contre ces derniers. À cette occasion, le Conseil d’État rappelle que « l’illégalité d’un acte administra- tif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale ». Pour le Conseil d’État, un permis de construire sur un lot n’est pas délivré pour l’application de la décision par laquelle l’administration a délivré l’autorisation de lotir. En effet, cette dernière n’est pas la base légale de la première. Dès lors, « l’illégalité de la décision d’autorisation de lotir ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre l’autorisation d’occupation des sols ».

Conseil d’État, 22 décembre 2022, n° 463331

Après plus de deux années suivant l’entrée en vigueur de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’État met fin aux tergiversations en considérant que ces dispositions permettent au maire de prononcer des mises en demeure et d’ordonner la démolition d’un immeuble illégalement édifié, sous astreinte.

Conseil d’État, 6e – 5e chambres réunies, 28 décembre 2022, n° 449658

Le Conseil d’État s’est, une nouvelle fois, prononcé sur la réouverture de la carrière de Nau-Bouques. Il avait, en 2020 (décisions n° 425395, 425399, 425425 du 3 juin 2020), estimé que le projet pouvait répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, car il visait à favoriser l’approvisionnement durable de secteurs d’industrie en matières premières en provenance de sources européennes et contribuait à l’existence d’une filière française de transformation du carbonate de calcium. Il avait donc censuré l’arrêt de la cour administrative d’appel de Mar- seille. Cette dernière ayant de nouveau rejeté l’appel des sociétés portant le pro- jet, ces dernières ont de nouveau formé un pourvoi devant le Conseil d’État.

Cette fois, la raison impérative d’intérêt public majeur n’est pas le sujet principal du contentieux. L’article L. 411-2 du Code de l’environnement dispose que pour qu’une dérogation à la protection des espèces puisse être accordée, le projet concerné ne doit pas avoir pour conséquence de nuire à l’état de conservation des espèces protégées qu’il affecte dans leur aire de répartition naturelle. En l’occurrence, la cour administrative d’appel de Marseille avait considéré que les lacunes du dossier de demande de dérogation ne lui permettaient pas d’apprécier les impacts du projet sur l’état de conservation des espèces concernées. Elle avait donc estimé que la condition ne pouvait être regardée comme remplie et avait confirmé l’annulation de la dérogation prononcée par le tribunal administratif en première instance. Le Conseil d’État rejette le pourvoi en considérant que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit.

Droit bancaire et financier

Communiqué de l’Autorité des marchés financiers, 23 décembre 2022

L’Autorité des marchés financiers (AMF) met en garde le public contre certaines plateformes proposant d’investir dans l’immobilier sous forme de royalties. La mise en garde est formulée de manière limpide : « L’AMF souhaite alerter les investisseurs sur le discours commercial, parfois trompeur, tenu par les initiateurs de ces offres et les risques liés à ces investissements. Alors que la communication commerciale met souvent l’accent sur un investissement dans l’immobilier, les investisseurs ne deviennent en aucun cas propriétaires du bien mais sont de simples créanciers d’une société constituée spécialement à cet effet et souvent peu capitalisée. Ils ont apporté leur argent à cette société pour acheter l’immeuble dont elle devient propriétaire. »

Droit patrimonial

Jurisprudences

Cour de cassation, chambre commerciale, 22 juin 2022, FS-B, n° 20-11846

Un acquéreur a acheté des quirats (parts indivises) d’un navire, dans un but de défiscalisation. L’opération de défiscalisation n’aboutissant pas, il saisit la justice afin d’obtenir la nullité de la vente pour erreur sur une qualité essentielle. La Cour de cassation répondait traditionnellement par la négative, estimant que l’objectif de défiscalisation n’était qu’un mobile psychologique et, par conséquent, était indifférent dès lors qu’il n’était pas entré dans la sphère contractuelle. Elle opère ici un revirement de jurisprudence. Elle estime en effet que l’objectif était une qualité essentielle, quand bien même il n’aurait pas fait l’objet d’une stipulation contractuelle.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 novembre 2022, n° 21-23.505

Une société avait constaté l’apparition de divers désordres de construction dans la réalisation de la charpente métallique et du revêtement d’un bâtiment à usage commercial. Elle a alors assigné l’entrepreneur et son assureur en responsabilité contractuelle de droit commun, ainsi qu’en garantie décennale des constructeurs.

La Cour de cassation refuse à l’usufruitier la possibilité d’agir sur le fondement de la garantie décennale que la loi dite Spinetta de 1978 attache à la propriété de l’ouvrage. En effet, l’usufruitier, même s’il est titulaire du droit de jouir de la chose comme un propriétaire, n’est cependant pas le propriétaire de cette chose. Elle lui reconnaît toutefois la possibilité d’agir, mais sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Cour de cassation, chambre commerciale, 30 novembre 2022, n° 20-18.884

Des associés d’une société civile immobilière ont cédé l’usufruit temporaire de leurs parts (pour une durée de 20 ans) à une société tierce, ne s’acquittant pour l’occasion que du droit fixe de 125 € prévu à l’article 680 du Code général des impôts. L’administration, considérant qu’il s’agissait en réalité d’une cession de titres de participation, a soumis l’acte au droit proportionnel de 5 %. La cour d’appel de Paris (pôle 5 - chambre 10, 29 juin 2020, n° 18/27154), validant la décision des juges du fond, estime que la notion de cession englobe toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son dénombrement, sans qu’il faille distinguer selon que la cession porte sur la pleine propriété ou uniquement sur son démembrement.

La Cour de cassation infirme cette décision, en estimant que dès lors que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, la cession de l’usufruit des droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux, ce qui entraîne conséquemment l’impossibilité de les soumettre aux droits d’enregistrement prévues à l’article 726 du Code général des impôts.

Droit des contrats

Jurisprudences

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 1-8, 6 juillet 2022, RG n° 19/15137

En l’espèce, un bien en copropriété est infesté de puces à cause d’un défaut d’entretien d’une partie commune, à savoir le local poubelle. Les locataires, certificats médicaux à l’appui, se plaignent de démangeaisons, et ont réclamé au bailleur la restitution des loyers versés ainsi que des dommages-intérêts. Le bailleur leur avait opposé le fait qu’il avait fait le nécessaire en mandatant deux entreprises de désinsectisation. Pour autant, cette démarche était loin d’être suffisante : le bailleur doit « justifie[r] avoir accompli toutes les diligences qui lui incombaient, auprès du syndicat, en sa qualité de copropriétaire ». Ce que le propriétaire n’a pas fait.

Le bien en question a donc été déclaré inhabitable par la cour d’appel depuis la date de sa mise en location, aux dépends du bailleur. Ce dernier a été condamné à restituer les sommes correspondantes aux loyers et à indemniser les locataires de leur préjudice matériel, s’élevant aux factures des produits anti- parasitaires, et moral, correspondant aux désagréments subis.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 9 novembre 2022, n° 21-19.212

Un locataire qui a constaté que la surface louée était inférieure de plus de 5 % à celle indiquée dans le bail a réclamé une réduction de son loyer auprès du propriétaire. Le locataire saisit la justice plus de cinq mois après la première demande faite au propriétaire. Il soutient devant les tribunaux que les discussions durant ces cinq mois auraient entraîné une suspension du délai de quatre mois prévu par l’article 3-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. La Cour de cassation a statué que le délai en question est un délai de forclusion et non de prescription, donc non susceptible de suspension ni d’interruption. L’assignation en justice a été jugée irrecevable.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 novembre 2022, n° 21-18.527

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle qu’en cas de décès du preneur dans le cadre d’un bail rural, ce dernier se poursuit au profit de son conjoint participant à l’exploitation ou y ayant participé de manière effective au cours des cinq années antérieures au décès, et ce même s’il a acquis la qualité de conjoint peu de temps avant son décès. La troisième chambre civile opère ici une interprétation stricte de l’article L. 411-34, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime. Cette interprétation est salutaire en ce que cette disposition a pour dessein de protéger le conjoint investi dans l’exploitation.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 novembre 2022, n° 21-22.400

Par cet arrêt, la Cour de cassation juge que le seul fait, pour le propriétaire, de proposer lui-même un bien à la vente alors qu’il avait mandaté un agent immobilier en exclusivité pour cet acte, revient à violer le contrat signé avec l’agent et justifie que ce dernier soit indemnisé en raison de clause pénale contractuellement stipulée. En l’espèce, la vente n’avait même pas été réalisée, et le propriétaire a assuré que l’agent immobilier serait dûment payé en cas de vente.

Cour d’appel de Paris, pôle 5 - chambre 11, 18 novembre 2022, n° 21/03539

La cour d’appel de Paris a débouté la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) et le Syndicat national des professionnels de l’immobilier (SNPI) de leurs demandes formulées à l’encontre de Particulier à particulier (PAP). Début 2019, PAP offre une nouvelle formule pour vendre un bien immobilier à ses usagers, appelée « coaching immobilier », incluant des services comme une estimation du prix par un expert, un photographe professionnel, une visite virtuelle, pour un forfait fixé à 790 €. La FNAIM et le SNPI ont saisi le tribunal de commerce de Paris contre PAP pour dénigrement, concurrence déloyale et exercice illicite de la profession d’agent immobilier. Le tribunal de commerce avait débouté les plaignants, décision confirmée donc par la cour d’appel.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 30 novembre 2022, n° 21-20.033

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que, pour actionner la garantie d’éviction, l’éviction suppose un trouble actuel et non simplement éventuel. Partant, la simple connaissance par l’acheteur de l’existence d’un droit au profit d’un tiers susceptible de l’évincer est insuffisante à lui permettre d’agir en garantie. En l’espèce, par une lettre du 1er juin 2012, le voisin de l’acquéreur sol- licite de ce dernier qu’il prenne des mesures pour retrouver les limites de sa parcelle sans pour autant intenter une quelconque action en justice. La cour d’appel (cour d’appel de Basse-Terre, 1re chambre civile, 29 avril 2021, n° 19/01564) en charge du litige a statué qu’il n’était nullement établi l’existence d’un trouble actuel de droit concernant l’acheteur, faute d’action judiciaire intentée par le tiers afin d’être rétabli dans ses droits. Cette solution avalisée par la troisième chambre civile est conforme aux règles régissant la vente, permettant ainsi d’éviter un recours systématique aux garanties de la part de l’acheteur.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 décembre 2022, n° 21-23.103

Par cet arrêt, la Cour de cassation considère que l’article L. 145-15 du Code de commerce, qui permet de réputer non écrites les clauses qui ont vocation à faire échec au droit au renouvellement du locataire d’un bail commercial, n’est pas applicable à une demande de requalification d’un contrat de location classique par le preneur en un bail commercial. Conséquemment, la troisième chambre civile a ainsi confirmé le raisonnement de la cour d’appel (cour d’appel de Pau, 2e chambre civile, 1re section, 29 juillet 2021, n° 19/03523) qui avait retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.

Droit fiscal

Loi

Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023

Publiée le 31 décembre 2022 au Journal officiel, la loi de finances pour 2023 comporte des dispositions à destination des particuliers et des entreprises. Tour d’horizon sur certaines d’entre elles qui ont vocation à s’appliquer en matière immobilière.

Article 5. La perte en capital, dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé et causée par le non-remboursement d’un prêt par une personne physique, peut être imputée sur les intérêts de nouveaux prêts consentis à condition qu’ils soient aux mêmes conditions et perçus au cours de la même année ou des cinq suivantes. Le montant total des pertes imputables ne peut excéder 8 000 € au titre d’une même année. Ce dispositif ne s’appliquera plus pour les minibons souscrits jusqu’au 10 novembre 2023.

Article 7. Le dispositif d’exonération, sous conditions, de plus-values en cas de cession d’un bien immobilier destiné au logement social est prolongée d’un an et celui en cas de cession d’un droit de surélévation est prolongé de deux ans (article 7, I-3°).

Article 37. Pour l’imposition des résultats des exercices clos à partir du 31 décembre, le plafond des bénéfices imposables au taux réduit de l’impôt sur les sociétés de 15 % est relevé à 42 500 € (auparavant 38 120 €). Cette mesure ne concerne que les petites et moyennes entreprises.

Article 55. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sera supprimée en deux temps : pour les impositions établies au titre de l’année 2023, elle sera d’abord réduite de moitié puis elle sera totalement supprimée à compter de 2024.

Article 62. De nouvelles procédures comme celle du cachet électronique qualifié au sens du règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil sont instaurées pour permettre d’émettre ou de recevoir des factures électroniques.

Article 65. Les prestations de rénovation énergétique bénéficient du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5,5 % sous conditions.

Articles 73 et 74. Le champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants est précisé et, à compter du 1er janvier 2023, son taux augmente et est de 17 % pour la première année (article 74). D’après l’article 73, le nombre de communes qui pourront majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et instaurer la taxe d’habitation sur les logements vacants sera élargi. Un décret fixera la liste des communes concernées.

Article 75. Dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes est mise en place une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement. Elle s’appliquera dès le 1er janvier 2023.

Articles 86 et 91. Le régime juridique de la TVA, concernant les obligations déclaratives des « groupes TVA » ainsi que les modalités de contrôle de leur conformité au regard de la législation en vigueur, est entré en vigueur.

Fiscalité immobilière

Règlement

Décret n° 2022-1344 du 21 octobre 2022 pris pour l’application du 13° de l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales

Le décret introduit dans le Livre des procédures fiscales (LPF) les articles R.* 80 B-17 à R.* 80 B-19, qui déterminent les modalités de mise en œuvre du rescrit en matière de taxe d’aménagement. Aux termes de l’article L. 80 B, 13°, du LPF, le rescrit doit concerner les projets supérieurs à 50 000 m2 de surface taxable. Parmi ces modalités, le demandeur doit fournir, dans la demande adressée à l’administration fiscale, une présentation précise et complète des travaux envisagés.

Jurisprudences

Conseil d’État, 15 novembre 2022, n° 449273, 449278, 451510

Une société qui n’utilise matériellement que des panneaux photovoltaïques pour les opérations qu’elle effectue n’est pas considérée comme ayant disposé des toits des bâtiments agricoles sur lesquels reposent lesdits panneaux pour les besoins de son activité professionnelle au sens de l’article 1467 du Code général des impôts. Par conséquent, ces toits ne doivent pas être pris en compte pour calculer la valeur locative de la cotisation foncière des entre- prises (CFE) dont elle est éventuellement redevable.

Cour administrative d’appel de Versailles, 3e chambre, 1er décembre 2022, n° 21VE00022

Des dépenses de travaux, dans le cadre du dispositif concernant les monuments historiques, et portant sur une partie non éligible d’un manoir, ne sont pas déductibles dès lors que ces travaux ne contribuent pas au maintien ou à l’amélioration de la partie du manoir ayant fait l’objet du classement.

Conseil d’État, 9e et 10e chambres réunies, 9 décembre 2022, n° 459206

Les juges étaient confrontés à la question de la livraison d’un terrain à bâtir par une personne physique afin de déterminer si cette dernière était dans la seule gestion de son patrimoine privé ou exerçait au contraire une activité économique devant dès lors être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le Conseil d’État a estimé que la soumission à la TVA nécessite des démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.

Or, en l’espèce, « relèvent... de telles démarches celles entreprises dans le cadre d’une opération d’aménagement d’un terrain à bâtir, d’une ampleur telle qu’elles ne sauraient relever de la simple gestion d’un patrimoine privé ».

Gaëlle Audrain-Demey

Responsable du département Droit, laboratoire ESPI2R

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Avocat à la Cour, enseignant permanent, ESPI

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