Sylvain Grisot. Manifeste pour un urbanisme circulaire. Pour des alternatives concrètes à l’étalement urbain

Compte-rendu de lecture

Lolita Gillet

Référence(s) :

Grisot, S. (2020). Manifeste pour un urbanisme circulaire. Pour des alternatives concrètes à l’étalement urbain. Éditions Apogée.

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Référence électronique

Gillet, L. (2021). Sylvain Grisot. Manifeste pour un urbanisme circulaire. Pour des alternatives concrètes à l’étalement urbain. Dans I. Maleyre & G. Audrain-Demey (dir.), L’impact de la densification de l’espace urbain sur l’immobilier. Mis en ligne le 20 décembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 27 juillet 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/464

Avant toute chose, regardons l’ouvrage écrit par Sylvain Grisot dans sa matérialité : prise en main agréable, 230 pages environ, police et corps permettant une lecture aisée, ainsi qu’une marge extérieure qui offre un potentiel espace d’annotations. Un livre facilement transportable, échangeable, appropriable, soit l’idée que l’on se fait d’un manifeste. Et surtout, en première et quatrième de couverture, une illustration de Julien Billaudeau, diplômé de l’École supérieure des arts et industries graphiques (Estienne) et de l’École nationale des Arts décoratifs (EnsAD)1. Cette illustration représente, en elle-même, cette « déclaration écrite, publique et solennelle, dans laquelle un homme, un gouvernement, un parti politique expose une décision, une position ou un programme » qu’est le manifeste, selon le Trésor de la langue française informatisé. À ce sujet, la définition du manifeste en tant que genre littéraire (s’il en existe un), de par ses formes et objectifs divers, peut se révéler complexe. Claude Abastado (1980) rappelle la brièveté du texte, tandis qu’il l’oppose, justement, à la déclaration qui, elle, « affirme des positions sans demander aux destinataires d’y adhérer » (Abastado, 1980, p. 3). Il concède toutefois la multiplicité, par extension, des définitions et des morphologies.

Si le crayon de Julien Billaudeau, un brin naïf, rappelle ses travaux réalisés pour les maisons d’édition jeunesse (Actes Sud junior en particulier), il fait également écho au sobre « Pour nos enfants », par lequel nous pénétrons dans l’ouvrage, et à l’épigraphe de Saint-Exupéry choisi par Sylvain Grisot :

Il y avait des graines terribles sur la planète du petit prince... c’était les graines de baobabs. Or un baobab, si l’on s’y prend trop tard, on ne peut plus jamais s’en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Le dessin de Julien Billaudeau évoque ainsi la nature, par le fond vert utilisé – densifier la nature est un axe fort du Manifeste –, et propose une narration en accord parfait avec le propos du livre. Comme un enfant, le lecteur redécouvre dès lors le plaisir d’observer les saynètes qui racontent, notamment, le réemploi de bâtiments existants, la construction de la ville sur la ville, un urbanisme qui prend corps avec le paysage, et ce dans une fresque colorée, vive, où chaque personnage apporte sa pierre à l’édifice.

Un contexte favorable aux manifestes

Ces dernières années, un certain nombre de manifestes, en matière d’urbanisme, ont été diffusés (via des canaux divers) : Manifeste pour un réchauffement de la ville (Chauvier, 2013) ; Manifeste A. Pour une nouvelle fabrication de la ville (Michelin, 2016) ; Manifeste pour une frugalité heureuse et créative. Architecture et aménagement des territoires urbains et ruraux (Bornarel, Gauzin-Müller & Madec, 2018) ; ou encore Manifeste pour une transition écologique & solidaire par le projet de paysage (APCE, FFP & IFLA Europe2, 2020). Nous rejoignons ainsi Viviana Birolli (2018), qui a analysé le manifeste architectural contemporain : « En débit de la “mort” du genre proclamée pendant les années 1980, on n’a jamais cessé d’écrire des manifestes. Récemment, cette continuité du phénomène manifestaire a fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part de la critique » (Birolli, 2018, 2). En outre, la crise climatique et environnementale, la prise de conscience citoyenne progressive favorisent la renaissance du manifeste, alors même que les réseaux de communication étendus facilitent leur rapide publication et transmission.

Consultant en urbanisme et enseignant, Sylvain Grisot a monté l’agence Dixit en 2015. Il s’intéresse en particulier aux projets de réutilisation d’espaces urbanisés, de recyclage des sols et de densification. En somme, les espaces de transition. Certes, l’édition d’un livre commercialisé est la voie pour laquelle il a opté – ou qui s’est présentée à lui – pour diffuser son Manifeste pour un urbanisme circulaire, mais elle s’insère dans un tissu, accessible à tous, d’articles et de podcasts disponibles sur le site Internet Dixit.net. Ces derniers participent du caractère « assertif » du manifeste, vu comme « une machine qui organise et met en branle sa propre propagation et qui de fait devra sans cesse redire et refaire, lire et écrire, exposer et proclamer, etc. » (Gallet, 2013, p. 21).

Une forme originale de discours urbanistique

Le texte de Sylvain Grisot s’organise en quatre parties principales : « L’impasse », « L’urbanisme circulaire », « Manifeste » et une série de trois postfaces. « L’impasse » expose les constats suivants : l’extension démesurée et quasi incontrôlable des villes ; la divergence des chiffres sur l’artificialisation des sols ; le rôle prépondérant de la voiture dans l’aménagement du territoire et ses conséquences ; enfin, le désamour que subissent les villes au profit du périurbain, ce qui va à l’encontre d’une gestion économe du foncier et est vecteur d’inégalités sociales. L’image du rond-point occupé par les Gilets jaunes, devenue presque un stéréotype de ce mouvement, est à cet égard significative et sonne le glas du « rêve pavillonnaire » (p. 64), tué notamment par les coûts engendrés par l’étalement urbain (prix du carburant, etc.).

« L’urbanisme circulaire », nous y reviendrons plus en détail, constitue selon Sylvain Grisot la solution pour « sortir de l’impasse » grâce à plusieurs boucles régénératrices : l’intensification des usages urbains, la transformation de l’existant et le recyclage des friches. Les dialogues avec « les pionniers » (p. 82), qui animent intelligemment cette partie, démontrent la faisabilité des projets. Non, l’urbanisme circulaire n’est pas une utopie : la preuve directe par l’exemple. Là est un premier point d’originalité de la forme du texte.

Sans surprise, « Manifeste » articule les quatre enjeux de la ville déterminés par l’auteur – « faire une ville frugale, proche, résiliente et pour tous » (p. 172) – avec les boucles de l’urbanisme circulaire pour proposer des pistes qui contribueraient à ce que les expériences des pionniers ne restent pas des exceptions. Le ton se veut plus ferme, plus inclusif, usant et abusant des impératifs, du verbe « devoir » et des « il faut ».

De surcroît, trois postfaces – et non pas une, comme pour mieux faire approuver la thèse de l’auteur – concluent l’ouvrage. Elles sont rédigées par l’architecte et l’urbaniste Partick Henry, c’est la validation par les pairs ; par le député Jean-Luc Lagleize, c’est la validation par le pouvoir, l’institution ; et par William Aucant, doctorant en architecture-urbanisme que le hasard a fait participer à la Convention citoyenne pour le climat, c’est la validation par le peuple, qui peut faire valoir son expertise, et la démocratie.

Un autre élément notable se niche dans des fictions, entre utopies et dystopies, qui parsèment le Manifeste et constituent une force de persuasion du texte. Se positionnant comme visionnaire mais non sans humour, l’auteur prévient le lecteur « Toute ressemblance avec des faits réels – passés ou futurs – n’a rien de fortuite [sic] » (p. 15). Par exemple, le prologue se déroule en 2032, ce qui n’est pas sans évoquer le récit Démocratie locale 2032 (2018)3 proposé sur Dixit.net, et écrit par Sylvain Grisot et l’architecte urbaniste Hermeline Sangouard pour l’institut Kervégan (think thank nantais).

Urbanisme circulaire, densification et immobilier

Cette forme hybride de discours est au service de la thèse de l’auteur : l’urbanisme circulaire, inspiré de l’économie ainsi qualifiée4, constitue le modèle à adopter – ou plutôt à propager, car il existe déjà, en prenant en compte les particularismes locaux – pour changer le paradigme de la construction de la ville. Densifier et non étaler. « L’urbanisme circulaire doit produire une ville flexible, capable de s’adapter en continu aux évolutions des besoins, pour optimiser l’usage des sols déjà artificialisés, et ainsi éviter la consommation de nouveaux sols agricoles ou naturels » (p. 80).

Quelles en sont, ou seraient, les conséquences sur l’immobilier ? D’abord, la mixité des usages à l’intérieur d’un même bâtiment. Sylvain Grisot cite l’exemple du Mab’Lab5, dans le VIe arrondissement de Paris (p. 83) : un espace de coworking qui prend place au sein du restaurant universitaire lorsque celui-ci n’est pas occupé. Intensifier les usages, c’est aussi maximiser l’utilisation du temps au bénéfice de l’espace. Il propose également une analyse intéressante d’Airbnb (p. 86), en en soulevant les aspects positifs souvent négligés au profit des dérives entendues dans les médias. En effet, le concept tend à exploiter les ressources en logements d’une ville sans avoir besoin nécessairement d’ériger des résidences touristiques. On voit donc que cette première boucle fait émerger des systèmes économiques inédits, voire des marchés, dans le secteur immobilier. Plateau Urbain, société coopérative d’intérêt collectif, exploite ainsi les « temps de solitude [qui] comptent pour 5 à 10 % dans la vie d’un bâtiment » (p. 90), c’est-à-dire une vacance temporaire en raison de travaux notamment, pour les proposer à des associations, des artisans... La vacance devient solidaire.

Deuxième boucle : la transformation de l’existant. Réinvention des dents creuses (Van Lidth, 2020) et des terrains libres ou libérables aisément (« Des bouts d’espaces publics sans grand intérêt, des parkings toujours vides, des jardins devenus trop grands... », p. 114-115), bon usage du BIMBY, Build in My Backyard (« Construis dans mon jardin »), réhabilitation, occupation temporaire, filières de réemploi font partie des réponses. Si ces pratiques ne sont pas novatrices, on apprécie cependant l’intervention d’Emma Vilarem et de Pierre Bonnier (p. 125), qui appartiennent à un collectif de chercheurs en sciences cognitives et d’urbanistes ([SCITY]), pour expliquer les ressorts psychologiques des mutations urbaines, dont fait partie la densification. Ils offrent un éclairage, en les humanisant, sur les réticences et les oppositions à certains projets. Par ailleurs, Sylvain Grisot insiste, à bon escient, sur la qualité de la densification : « Il faut donc sortir des débats sur les hauteurs des bâtiments ou les formes urbaines, pour parler de la ville dans son ensemble » (p. 123). L’équation n’est donc pas aussi simple et mérite une attention particulière portée aux zones de transition, à l’espace public et à la rue.

Troisièmement, le recyclage des friches, et pas seulement pour reconstruire des logements mais aussi pour reconquérir la nature. Celles du passé (industriel, mais aussi militaire, hospitalier, etc.), bien qu’elles soient déjà investies pour développer des écoquartiers notamment, souffrent d’un repérage insuffisant6. Celles du futur, Sylvain Grisot les anticipent (p. 149) : elles seraient le résultat de la vacance d’espaces mobilisés dans le cadre, justement, de l’étalement urbain. Il s’agit principalement d’actifs en périphérie urbaine qui pourraient tomber en désuétude en raison de l’évolution des modes de consommation (commerce en ligne) : les surfaces commerciales, grandes et petites d’ailleurs (les « petits commerces » se déplacent plutôt qu’ils ne disparaissent). Dans cette réflexion sur le renouvellement urbain, la question des champs délaissés aux limites des villes – donc aisément viabilisables – est cruciale, car la tentation est forte de les artificialiser. Pourtant, malgré la complexité, la réutilisation de ces espaces pour l’agriculture elle-même est possible : « Cultiver la lisière, c’est passer d’une logique de protection encore timide... à une démarche de projet positive, cumulant production alimentaire de proximité, transition des modèles productifs, pédagogie, paysage, mais aussi signal politique » (p. 168).

Conclusion

Manifeste pour un urbanisme circulaire. Pour des alternatives concrètes à l’étalement urbain de Sylvain Grisot est un ouvrage didactique, accessible, où l’exposé des idées reste fluide malgré l’hybridité des textes proposée. Le néophyte y trouvera des définitions, des schémas simples mais précieux, une bibliographie, des mises au point accompagnées d’exemples éclairants et probants. L’averti goûtera ces initiatives, dont nombre d’entre elles sont présentées par celles et ceux qui en sont à l’origine. Le Manifeste en lui-même (p. 171-194) permet de prendre de la hauteur sur ces variétés d’actions modèles et constitue une synthèse qui finira d’en convaincre plus d’un de « bifurquer » (p. 183) avant de passer à l’action, voire à l’action-recherche comme certains caractérisent le travail de Sylvain Grisot.

1 Source : Ricochet-jeunes.org.

2 APCE : Association des paysagistes-conseils de l’État. FFP : Fédération française du paysage. IFLA Europe: International Federation of Landscape

3 https://dixit.net/democratie-locale-2032

4 La première journée d’étude du laboratoire ESPI2R, qui portait sur « l’immobilier durable : de la ville d’aujourd’hui à la cité de demain », avait

5 Le Mab’Lab a depuis définitivement fermé.

6 « Quelques bases de données spécialisées permettent de localiser certains sites industriels éteints. Des dispositifs fiscaux ou réglementaires

1 Source : Ricochet-jeunes.org.

2 APCE : Association des paysagistes-conseils de l’État. FFP : Fédération française du paysage. IFLA Europe: International Federation of Landscape Architects.

3 https://dixit.net/democratie-locale-2032

4 La première journée d’étude du laboratoire ESPI2R, qui portait sur « l’immobilier durable : de la ville d’aujourd’hui à la cité de demain », avait organisé une table ronde dédiée à l’économie circulaire. Actes à consulter dans les Cahiers ESPI2R.

5 Le Mab’Lab a depuis définitivement fermé.

6 « Quelques bases de données spécialisées permettent de localiser certains sites industriels éteints. Des dispositifs fiscaux ou réglementaires peuvent aussi fournir quelques indications. Mais le foncier potentiel pour le renouvellement urbain reste dans l’ensemble très mal connu » (p. 147). Voir également AdCF. (2019, octobre). La revitalisation des friches industrielles. Enjeux et synthèse de 40 fiches-actions portées par les Territoires d’industrie.

Lolita Gillet

Éditrice à la direction académique et de la recherche, Groupe ESPI

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