Entretien avec François Prochasson, géographe

Lolita Gillet

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Gillet, L. (2021). Entretien avec François Prochasson, géographe. Dans I. Maleyre & G. Audrain-Demey (dir.), L’impact de la densification de l’espace urbain sur l’immobilier. Mis en ligne le 20 décembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 05 décembre 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/682

François Prochasson et Hervé Judeaux sont intervenus, lors de cette dernière table ronde sur le potentiel et les perspectives de la densification, pour échanger sur le thème des communs. François Prochasson est géographe élu à la Ville de Nantes, délégué au droit au logement et au logement social, et vice-président de Nantes Métropole ; Hervé Judéaux, architecte diplômé de l’École spéciale d’architecture (DESA), enseigne l’urbanisme au sein du Groupe ESPI. Ils sont tous deux membres de l’association Rue de l’avenir.

Les notes sont celles de l’éditeur.

Tout d’abord, commençons par présenter l’association Rue de l’avenir, puisque c’est aussi en tant que représentant de cette association que vous avez participé à cette deuxième journée d’étude du laboratoire ESPI2R.

L’association Rue de l’avenir1 a été créée il y a plus d’une trentaine d’années maintenant. Elle se concentre sur les questions liées à la qualité de vie dans les villes et, en particulier, à la qualité des espaces publics. D’une part, Rue de l’avenir travaille beaucoup sur la pédagogie auprès des habitants, des citoyens, grâce à des outils de réappropriation2 de la ville, de la rue. Nous accompagnons aussi les élus dans le débat qui porte sur la production de la ville à travers, notamment, les concertations qu’ils mènent avec les habitants. Nous venons donc en appui des collectivités locales, quelquefois un peu désemparées, dans leur développement de politiques publiques de partage de la rue. En somme, nous sommes attachés au « dialogue avec la ville ». D’autre part, nous organisons aussi des animations, qui concernent surtout la place de l’enfant dans la rue.

Pour Rue de l’avenir, la ville appartient en effet à toutes et à tous, et la sécurité des enfants, des piétons, constitue une priorité.

Tout à fait. Nous travaillons également sur les choix de mobilité, sur le partage de la rue, la qualité de l’aménagement, l’espace public de manière générale. De fait, le lien entre « les vides » et « les pleins » représente un axe central de nos réflexions. L’acceptation de la densité est un élément clé de cette qualité de vie.

Comment s’intègre la notion de « communs » dans votre réflexion sur l’espace public ?

Cette notion de « communs » est relativement ancienne ; elle revient dans les débats depuis quelques années mais elle a déjà été traitée dans les années 19903. Les communs réunissent tous les biens qui gagnent de la valeur en se partageant : il s’agit, à mon sens, de la meilleure définition que l’on puisse leur donner. Un livre, par exemple, gagne de la valeur s’il est consulté par une multitude de personnes. C’est en divisant le bien qu’il prend de la valeur. Les communs représentent l’attachement des urbains à leur ville. Plus la ville est appréciée, la qualité de vie perçue comme positive, plus « elle fait du commun ». Il me semble donc évident que les espaces publics sont des communs : le square, le jardin public, une rue agréable où l’on a envie d’aller marcher, les cheminements piétons aménagés...

Ou encore les rez-de-chaussée, sur lesquels vous travaillez avec M. Judéaux, qui sont des espaces « d’entre-deux ». D’ailleurs, les communs sont-ils forcément des espaces publics ou considérez-vous qu’ils puissent être partagés dans un immeuble, par exemple ? On parle bien de « parties communes ».

Les communs peuvent se situer dans des lieux dits privés. Les parties communes, en l’occurrence, sont des espaces en transition avec l’espace public, accessibles à toutes et à tous. Dans un immeuble, les communs intègrent également ces espaces partagés voire, comme il se développe aujourd’hui dans des opérations de construction immobilière, des lieux participatifs, des espaces de rencontre, des jardins partagés, etc. Le commun ne se définit pas par rapport à la propriété.

Lorsque l’on rapproche cette notion de commun à celle de densification urbaine, certains communs sont-ils plus particulièrement concernés ?

Oui. Ce que je trouve essentiel dans la ville, c’est qu’il puisse y avoir des espaces partagés où l’on se retrouve, nombreux, en foule, avec plaisir, pour des événements festifs, par exemple. Ces moments sont animés, bruyants. Cependant, on a aussi envie de s’isoler en dehors de ces endroits très fréquentés, de cohue. Là réside le problème des villes très denses. Il faut que la ville soit duale ; elle doit proposer des lieux apaisés, de calme, de repos, pour se ressourcer. Cette dualité fait que la densité peut être supportable ; à contrario, elle peut devenir un enfer si on ne peut pas échapper à ces espaces animés. Garantir une certaine intimité des lieux, en retrait de ces endroits très fréquentés, est au cœur de l’acceptation de la densité urbaine.

Ici, la densité fait référence à la densité de population et à celle du bâti. Doit-on se questionner sur d’autres types de densité, à l’échelle de la ville ?

La dualité se fait pour moi à la fois sur une densité de bâti, pour être cohérent avec les objectifs que l’on porte aujourd’hui sur la ville du futur, et sur une densité d’espaces naturels. Il devient de plus en plus évident que si nous voulons proposer une densité de bâti acceptée, il faut être particulièrement vigilant sur la densité du végétal4.

Un peu comme un mécanisme de compensation, en quelque sorte.

Un mécanisme d’équilibre plutôt, qui est apparu de façon tout à fait éclatante avec le confinement. Les Français aspiraient à côtoyer un peu de nature à proximité de chez eux, voire apercevoir des arbres à la fenêtre de leur appartement. Il y a ensuite un niveau d’acceptabilité de la densité d’une ville en fonction des avantages perçus d’y habiter. Dans certaines villes, il est difficile d’observer un arbre de sa fenêtre ; pourtant, elles parviennent quand même à se réguler. Les habitants de ces villes ont certainement une capacité à faire des compromis pour accepter une forte densité de construction, parce que des compensations existent par ailleurs, tel un accès plus facile au travail, à certains équipements de proximité, une vie sociale plus riche. C’est le cas de Paris, par exemple.

Les Parisiens privilégieraient la localisation, quitte à « manquer d’air », en conséquence de quoi ils acceptent la densité du bâti.

Tout à fait, mais sous réserve de pouvoir s’échapper un moment quand ils le souhaitent. On supporte d’autant mieux la vie de quartier si on a la possibilité d’en sortir. L’enfermement dans un environnement peut être pesant, devient extrêmement lourd à porter, d’autant plus si on n’a pas la possibilité d’aller voir ailleurs. Cette nuance fait que l’acceptabilité de la densité est une question tout à fait relative et la place au cœur des « paradoxes intenables » auxquels les villes sont aujourd’hui confrontées. Densifier, certes, pour limiter l’étalement urbain, mais comment satisfaire l’aspiration à plus de nature en ville face à la disparition des jardins situés en cœur d’îlot, convaincre leurs habitants d’accepter ce qui est perçu aujourd’hui comme une « bétonisation » du cadre urbain et une artificialisation des sols des villes ? Densifier, mais comment concilier densité et îlots de fraîcheur ? Enfin, densifier pour diminuer la consommation énergétique liée aux mobilités des habitants et aux transports, mais comment les réseaux techniques de la ville vont-ils continuer à fonctionner face à cet essor des besoins en un même lieu ? L’accroissement de la population requiert en effet un redimensionnement des réseaux d’eau potable, électriques, d’assainissement… sans oublier ceux indispensables au bon fonctionnement des services publics (écoles, piscines...).

Quelle gestion de la ville proposer pour tenter de dépasser ces paradoxes, tout en essayant de garantir un certain niveau d’acceptabilité de la densité urbaine ? Comment concilier cela ?

Les documents d’urbanisme essaient d’intégrer ces enjeux dans leur définition. Le plan local d’urbanisme métropolitain (PLUm) de Nantes5, approuvé en 2019, essaie de traiter la conciliation entre la faible artificialisation des sols et la nécessité de densifier. Mais la très forte technicité de cet outil de planification met à l’écart habitants et associations qui souhaitent davantage s’impliquer dans la connaissance des documents d’urbanisme. Le « coefficient de biotope par surface »6, qui figure dans ce document, en est un exemple ; il rend inaccessible à la majorité la compréhension de la façon dont se construit la ville. Or, la vraie question est de trouver la bonne méthode pour répondre à ce besoin d’implication de chacun dans la production des documents d’urbanisme. Il faut changer d’échelle pour maîtriser le cadre de vie dans sa globalité, en tant que responsable de son propre habitat et de sa manière d’habiter la ville.

Comment peut-on permettre aux habitants de se réapproprier cet enjeu ?

La revendication porte sur les manières de concevoir la ville lors de la révision des documents d’urbanisme, en particulier sur les questions de densification ou les hauteurs des bâtiments. Elle s’exprime contre la gentrification rampante qui chasse les habitants précaires pour construire des quartiers neufs sans aspérité. L’augmentation des loyers repousse en effet les personnes précaires en périphérie, au point que les quartiers populaires de faubourg perdent leur diversité sociale. Ce discours n’est pas nouveau ; il a émergé aux États-Unis, mais on le retrouve en France notamment dans les publications annuelles de la Fondation Abbé Pierre7. Il faut donc lutter contre une gestion de la ville comme une entreprise, avec un objectif de rentabilité économique. Les urbanistes considèrent généralement, en effet, que les forces du marché jouent à plein dans la fabrique de la ville, avec des régulations jugées insuffisantes pour maintenir des loyers et des prix d’acquisition accessibles8.

La qualité et l’urbanité des projets de construction sont parfois remises en cause notamment lors du dépôt des permis de construire. Certaines associations nantaises – des associations politiques comme Nantes en commun et des associations de voisinage, tel le collectif Le Cri, pour « citoyens résolus et irrités » – interviennent pour tenter de bloquer certains projets d’urbanisme et portent leurs revendications communes devant mairies, collectivités et promoteurs. Elles souhaitent être associées aux débats sur la fabrique de la ville, et il faut bien admettre l’urgence de cette réflexion face aux défis sociaux et climatiques.

Au-delà de la question de la planification urbaine par les documents d’urbanisme, quel mode de gestion est envisageable pour cette ville densifiée ?

Je peux citer quelques cas de gestion urbaine qui impliquent la participation des habitants, y compris dans le cadre de la rénovation urbaine. Précisons-le, il ne s’agit pas simplement du voisin surveillant avec un œil attentif voire réprobateur la construction qui pourrait se faire à côté de chez lui. Les meilleurs exemples de co-construction ont été menés par l’urbaniste Patrick Bouchain9, initiateur du projet-manifeste La Preuve par 710 pour développer une culture de la participation des habitants, ou encore par sa collègue Sophie Ricard, avec qui il a travaillé sur la réhabilitation de l’hôtel Pasteur à Rennes en proposant notamment la création d’un tiers-lieu culturel, L’Université foraine11. Mais d’autres pratiques moins médiatisées existent au quotidien dans les quartiers, y compris dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous avons les conseils de quartier, qui regroupent des gens souvent très discrets, mais qui participent activement à la vie de leur quartier. Ils prennent part à la mutation des quartiers et représentent une richesse considérable.

Dans toutes les villes, d’autres formes de participation sont actives, mais elles relèvent davantage de la revendication autour d’associations militantes. Ces dernières se sont constituées à partir d’une contestation d’une opération d’urbanisme mais elles évoluent souvent vers un regard un peu plus global sur la ville. Le collectif Le Cri, que l’on vient d’évoquer, a une approche beaucoup plus politique de par l’engagement des citoyens. Ce type d’association s’interroge sur la densification de la ville et rejette sa bétonisation. Cela conduit à des débats politiques souvent exacerbés pendant les périodes électorales. Nous avons donc une diversité de situations, qui regroupe tous les modes de concertation possibles ; cela va de la concertation sur un projet très concret, voire déjà en train de se faire, autour de la table du voisin, jusqu’au dessin collectif du projet. Une autre forme de concertation est celle beaucoup plus globale, qui porte sur l’avenir de la ville.

En tant qu’élu, y a-t-il un mode de concertation privilégié pour travailler sur la question de la densité urbaine ? Une forme de concertation qui serait davantage adoptée par les habitants ? Cela dépend-il des lieux, des quartiers ?

J’ai l’impression que les habitants sont davantage consommateurs qu’acteurs des formes de concertation ; la concertation est un laboratoire permanent. Les meilleures que l’on ait pu mener à Nantes sont sur le mode des conventions citoyennes. Des citoyens sont tirés au sort pour réfléchir sur un thème de la politique de la ville. Par exemple, à la suite du confinement, de la crise sanitaire, il a été mené une convention citoyenne sur la question suivante : que la crise sanitaire nous a-t-elle apporté dans notre réflexion sur la ville que nous voulons ensemble ? Ce travail a été extrêmement intéressant, parce que les habitants qui ont participé sont tous d’accord pour considérer que pouvoir se loger correctement, dans toutes les villes, est une priorité, avec un souci qualitatif. Dans les échanges ressort de plus en plus la question de la qualité des constructions et de la proximité du vivant, de la végétation, tout simplement la qualité de vie. Ce débat est largement ouvert aujourd’hui sur les problématiques autour de la taille du logement, leur configuration, etc. Cette forme de concertation est extrêmement intéressante dans la mesure où elle se détache du projet. Ensuite, certaines concertations peuvent être menées notamment sur des projets de zones d’aménagement concerté (ZAC) très en amont des opérations, où l’on essaie d’associer les riverains du futur quartier.

Les ZAC sont plutôt connues pour alimenter l’étalement urbain plutôt que de favoriser la densification. Mais cela dépend peut-être de ce que l’on en fait.

De plus en plus, les ZAC servent à la reconstruction de la ville sur la ville, notamment sur des friches industrielles, en reconversion, en particulier à Nantes.

Cet aspect est particulièrement intéressant parce qu’effectivement la reconversion de friches industrielles constitue un outil de densification. Avez-vous des exemples de participation des habitants, à Nantes, à de tels projets de changement d’usage ?

Je pense à deux exemples en particulier. Le premier se situe sur l’île de Nantes, en lien avec l’abandon de chantiers de construction navale qui a libéré des espaces considérables sur lesquels, parce que la ZAC est ancienne, la concertation ne s’est pas forcément faite comme on la ferait aujourd’hui. Le second concerne des espaces aux portes de la ville, qui sont à la fois agricoles, des maraîchages, des anciennes décharges à ciel ouvert. Des lieux à la marge, en somme. Aujourd’hui, sur ce type de ZAC, il y a un travail considérable de concertation avec les habitants pour imaginer ce que serait ce nouveau quartier. On se projette sur des sortes d’utopie urbaine, selon l’inspiration du moment : comment vit-on harmonieusement dans les espaces publics ? Comment assure-t-on une qualité du bâti ? Cela aboutit à des idées extrêmement intéressantes. L’apport de la réflexion de l’usager sur les usages du quartier est très riche parce que l’on découvre des choses que l’on n’aurait pas imaginées, d’autant que certaines idées permettent de raccrocher le futur à l’histoire d’un quartier, ici, maraîcher et industriel, avec un espace ferroviaire générateur d’emplois liés à la SNCF. Les quartiers ont une identité sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour construire leur futur. On ne fait pas table rase. La participation des habitants est vraiment essentielle parce que les urbanistes en charge de ces projets n’ont pas vécu sur les lieux.

En 2018, à Nantes, les habitants ont pu voter pour leur projet préféré dans le cadre de l’appel à créativité « 15 lieux à réinventer », qui concerne des propriétés publiques en friches. Les bains-douches, quai Baco, devenus inadaptés aux besoins, en faisaient partie. Certains des lauréats ont-ils été choisis aussi parce qu’ils proposaient une gestion impliquant particulièrement les citoyens ?

Il s’agit d’un critère essentiel. Non seulement le choix des projets a été soumis aux citoyens, mais ces 15 lieux vont ensuite être gérés par eux, via le collectif lauréat. Le cas des bains-douches est tout à fait exemplaire et intéressant. D’une part, l’emblématique bâtiment des bains-douches quai Baco, protégé par le PLU au titre du patrimoine nantais, conserve sa vocation sociale grâce au projet La coopérative, devenu Le Grand Bain, véritable tiers-lieu ; d’autre part, il s’agit aussi de transférer les bains-douches vers un équipement plus adapté aux besoins. Il n’était pas question de les fermer. Le déménagement étant fait se sont installées dans ce lieu de partage des entreprises de l’économie sociale et solidaire, avec un système de prestations pour les créateurs d’entreprise qui ont besoin d’un comptable, par exemple. La richesse de l’opération de renouveau de cet espace devenu inadapté tient au fait qu’elle est ouverte sur le quartier et non renfermée sur elle-même. Le changement de fonction des anciens bains-douches a créé une dynamique locale. C’était un quartier de faubourg, qui s’est gentrifié au départ des ateliers d’artisans remplacés par des espaces de coworking, entre autres. Les occupants du Grand Bain accueillent des SDF deux fois par semaine ; ces derniers viennent boire sur place un café, discuter, rencontrer d’autres personnes, etc. Les usages se sont diversifiés et contribuent effectivement à maintenir cette identité de quartier autour de ce lieu de rassemblement, tout en la faisant évoluer dans ses usages.

Pour vous, la densification de la ville doit donc aller de pair avec une certaine conservation de son identité, une prise en compte de son histoire. Elle doit se faire avec l’ensemble des citoyens et ne doit pas forcément rimer avec gentrification.

Tout à fait. Lorsque l’on construit la ville sur la ville, avec tous les enjeux que l’on connaît aujourd’hui – reconversion d’espaces, densification, limitation de l’artificialisation, utilisation de matériaux biosourcés – on fabrique une ville différente. Non le maintien coûte que coûte de son identité, mais on la fait évoluer grâce à l’appropriation par les habitants. Ces derniers se sentent bien dans leur quartier parce qu’ils partagent ces éléments d’identité qui « font ce commun » dont on a tous besoin.

Percevez-vous que les élus sont aussi de plus en plus sensibles, sensibilisés, à l’intégration de la participation citoyenne dans les réflexions autour de la densification de la ville ? Cela dépend-il des territoires, certains étant moins concernés par cette question ou bien historiquement, politiquement moins engagés sur ce sujet ?

Cela fait aussi partie de ces paradoxes. Beaucoup d’élus qui ont l’habitude de concerter, d’écouter les préoccupations de leurs administrés, ont affiché une volonté de limiter la construction. Cela a été un sujet de la campagne électorale municipale de 2020. Aujourd’hui ces mêmes élus se trouvent confrontés à la difficulté à la fois de répondre au besoin de logements tout en tentant de ne pas donner l’image d’une ville de béton. La concertation a fait émerger ce paradoxe. Elle nous impose ainsi d’ouvrir le débat notamment entre les élus. C’est d’ailleurs un sujet que je travaille dans ma délégation, au niveau métropolitain. Comment lever ce paradoxe entre la nécessité de construire et la conservation de cette qualité de vie, tout en gardant l’identité communale, du quartier, etc. ? Par rapport à cela, et c’est un défi pour la promotion immobilière, il faut que l’on sorte du modèle de production de logements un peu standardisés, que l’on pratique beaucoup aujourd’hui pour différentes raisons. Un immeuble construit à Bordeaux ressemble étrangement à un immeuble construit à Nantes. Et cela se traduit au niveau du quartier sans véritablement tenir compte de la forme urbaine existante.

Intuitivement, nos administrés ont parfois l’impression que l’on laisse filer à la promotion immobilière, la production de la ville sans veiller à cette identité que j’évoque. Je pense notamment aux quartiers ouvriers, où les immeubles standardisés se marient mal avec de petites maisons.

Le PLU permet tout de même, à l’échelle de certains quartiers, de pouvoir imposer des hauteurs et des types d’habitat.

Ce sujet est vraiment complexe car le PLU doit distribuer de façon uniforme les droits à construire pour éviter de tomber dans un système clientéliste où tel secteur pourrait disposer de droits à construire en déconnexion avec le tissu urbain existant. On navigue toujours avec cette idée qu’il faut veiller à une forme d’équité dans la production de la ville, et maintenir l’identité d’un quartier par exemple, au niveau de son bâti, des formes, comme ces petites maisons ouvrières pas très élevées. Sur le territoire de la Métropole, nous avons des communes où on peut monter à R +2, R +3 sans problème, puis d’autres où le bâti se limite à R +1. Y ajouter un immeuble en R +3 à côté, cela passe difficilement. Ce sont des éléments sur lesquels il faut travailler, sur lesquels les PLU nous aident effectivement. Mais le décryptage du PLU est tellement compliqué que, à priori, cela crée plus de défiance que d’intérêt envers le respect de l’identité d’un quartier.

Au-delà des intérêts de chaque acteur de la fabrique de la ville, il se trouve tout de même un effet stimulant à s’imposer des règles, à essayer de voir comment les utiliser pour que chacun atteigne sa finalité. Le promoteur peut chercheur à construire des bureaux, l’habitant veut préserver la tranquillité de son quartier, des espaces verts, etc. Ce travail de confrontation est extrêmement passionnant ; il ne doit surtout pas être désespérant du seul fait de sa complexité.

À cet égard, en termes de pédagogie au vu de la complexité de la lecture de certains documents d’urbanisme, l’association Rue de l’avenir peut-elle être amenée à organiser des ateliers pour aider les habitants à mieux les appréhender et ainsi davantage s’impliquer dans la gestion citoyenne de la ville ? Portés ou non par une association, avez-vous connaissance de ce genre d’atelier ?

Rue de l’avenir n’est pas présente sur ce créneau car davantage centrée sur l’espace public comme un élément du système urbain. Mais le volet qui porte sur la transition entre espace public/espace bâti pourrait éventuellement faire l’objet de tels échanges. C’est un peu de l’histoire ancienne, mais je me souviens d’ateliers d’urbanisme qui existaient dans les années 1970-1980 à Roubaix, où cette dimension pédagogique était traitée autour d’une discussion sur la ville que l’on voulait construire. Il existe toujours dans les villes des ateliers d’urbanisme, plus ou moins dynamiques, mais c’est un peu trop confidentiel.

Un travail pédagogique de plus grande ampleur est nécessaire, il faudrait vraiment parvenir à l’organiser. C’est une réflexion par étape : avant de se tourner vers les habitants, encore faudrait-il, comme vous le faisiez remarquer tout à l’heure, que les élus aient clairement dans leur tête le modèle de ville auquel ils aspirent. Et je vous garantis qu’avec toutes les remises en question récentes autour des enjeux climatiques, de la biodiversité, etc., les élus peuvent être un peu désemparés. Pour l’instant, dans une ville comme Nantes, nous sommes beaucoup plus dans un travail d’introspection pour discuter entre élus de la fabrique de la ville de demain que dans un travail de concertation. On acte un certain nombre de contraintes, d’orientations nouvelles, en lien avec le coût même de la construction dans la mesure où il devient de plus en plus onéreux de loger les gens. Il faut que l’on parvienne à s’approprier tous ces enjeux, qui sont aussi des attentes du public. La nature en ville est un sujet très attendu, de même que la qualité des espaces bâtis, des espaces de vie. Nous devons être capables aujourd’hui de décliner ces défis, ces contradictions, pour que le débat avec les habitants puisse se construire avec des élus qui savent à peu près ce qu’ils veulent. Autrement, le dialogue est difficile. On a entendu ces attentes, notamment à l’occasion de cette convention citoyenne ; maintenant, l’exercice pour retourner vers les habitants consiste à réfléchir à la manière dont les professionnels nous accompagnent pour décliner cette ville future. Des demandes très précises, liées aux premiers enseignements de la crise sanitaire, ont été formulées par les habitants.

Le débat est en somme extrêmement ouvert. Je pense qu’il faut continuer ce dialogue entre ce qui était pour moi une approche associative et qui devient maintenant une approche d’élu, et l’ensemble des acteurs de l’immobilier, y compris les enseignants-chercheurs.

1 www.ruedelavenir.com

2 Publications, animations, campagnes…

3 Lire les travaux d’Elinor Ostrom, en particulier Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles (1990). En

4 On peut lire à ce propos, notamment : Balaÿ, O. (2012). L’architecte, l’habitant, le végétal et la densité. Dans J.-P. Thibaud & D. Siret (dir.), Am

5 https://metropole.nantes.fr/plum

6 Le coefficient de biotope par surface (CBS) permet d’attribuer à chaque projet une obligation de maintenir une part de végétal dans l’opération. « 

7 Lire, notamment, la conclusion du 21e rapport sur le mal-logement (2016), « Mixité sociale ou droit au logement », p. 264-267.

8 Voir La ville néolibérale de Jason Hackworth (2006).

9 Patrick Bouchain (né en 1945) est un architecte engagé lauréat en 2019 du Grand Prix de l’urbanisme. Il est notamment connu pour ses projets de

10 https://lapreuvepar7.fr

11 http://construire-architectes.over-blog.com/2015/06/les-universites-foraines.html

1 www.ruedelavenir.com

2 Publications, animations, campagnes…

3 Lire les travaux d’Elinor Ostrom, en particulier Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles (1990). En savoir plus : Kébir, L., & Wallet, F. (2021). Les communs à l’épreuve du projet urbain et de l’initiative citoyenne. PUCA.

4 On peut lire à ce propos, notamment : Balaÿ, O. (2012). L’architecte, l’habitant, le végétal et la densité. Dans J.-P. Thibaud & D. Siret (dir.), Ambiances en acte(s). Actes du 2nd Congrès International sur les Ambiances, (p. 285-290), Ambiances.

5 https://metropole.nantes.fr/plum

6 Le coefficient de biotope par surface (CBS) permet d’attribuer à chaque projet une obligation de maintenir une part de végétal dans l’opération. « Le CBS est un coefficient qui décrit la proportion des surfaces favorables à la biodiversité (surface écoaménageable) par rapport à la surface totale d’une parcelle. Le calcul du CBS permet d’évaluer la qualité environnementale d’une parcelle, d’un ilot, d’un quartier, ou d’un plus vaste territoire » (ADEME. [2015]. Réussir la planification et l’aménagement durable. Les cahiers techniques de l’AEU2. 4 : écosystèmes dans les territoires, p. 63).

7 Lire, notamment, la conclusion du 21e rapport sur le mal-logement (2016), « Mixité sociale ou droit au logement », p. 264-267.

8 Voir La ville néolibérale de Jason Hackworth (2006).

9 Patrick Bouchain (né en 1945) est un architecte engagé lauréat en 2019 du Grand Prix de l’urbanisme. Il est notamment connu pour ses projets de réhabilitation de friches industrielles et d’urbanisme temporaire. Il prône la contribution active des citoyens dans l’aménagement urbain. Il fonde en 1986 l’agence Construire, qui place les usagers et leur participation au cœur de ses préoccupations.

10 https://lapreuvepar7.fr

11 http://construire-architectes.over-blog.com/2015/06/les-universites-foraines.html

Lolita Gillet

Éditrice, à la direction académique et de la recherche, Groupe ESPI

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