Conclusion

Gaëlle Audrain-Demey et Romain Weigel

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Référence électronique

Audrain-Demey, G., & Weigel, R. (2021). Conclusion. Dans I. Maleyre & G. Audrain-Demey (dir.), L’impact de la densification de l’espace urbain sur l’immobilier. Mis en ligne le 20 décembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/671

Les dimensions interdisciplinaire et internationale ont été au cœur de cette deuxième journée d’étude du laboratoire ESPI2R, consacrée à « l’impact de la densification de l’espace urbain sur l’immobilier ». La densification représente un phénomène diffus qui interroge de nombreux champs d’expertise, de l’architecture à l’urbanisme, en passant par le droit, l’économie, la gestion, la géographie… Effectivement, la densification, en tant que réponse au problème de l’étalement urbain, s’examine du point de vue du territoire français, de la ville, mais aussi du bâtiment. Ces diverses échelles se mêlent, se complètent ou semblent s’opposer, mais apportent chacune à l’analyse du phénomène.

L’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), exposé par Julien Fosse en introduction de la journée d’étude, propose un profond changement du paradigme de l’urbanisme en France ainsi qu’un nouvel élan donné à la densification. Repris dans le plan Biodiversité présenté en 2018 par le ministre de l’Écologie, le « ZAN » peine néanmoins à devenir normatif. Les résistances, qu’elles soient juridiques, financières ou culturelles (table ronde 1), sont nombreuses et restent parfois difficilement surmontables. L’encadrement légal est au centre de la lutte contre l’étalement urbain en orientant les objectifs des documents d’urbanisme vers la gestion économe du foncier. Comme le note Carine Guemar :

Si des contraintes juridiques ont été mises en place pour assurer une gestion économe du foncier et de l’espace à travers les objectifs contenus dans la densification urbaine, il n’en demeure pas moins que c’est bien la volonté politique qui régit le futur succès d’une ville dense, durable et désirable.

La difficulté, pour les communes et les intercommunalités, à parvenir aux objectifs de gestion économe de l’espace est manifeste, tout comme les tentatives de les contourner. Pour Gaëlle Audrain-Demey, « il est manifeste que le contentieux lié à la gestion économe de l’espace est riche et divers, qu’il provienne d’une contestation liée au rapport de compatibilité entre documents d’urbanisme ou au classement des parcelles ».

Cette orientation du droit de l’urbanisme vers la gestion économe de l’espace renforce les perspectives et les opportunités de densification offertes par la réhabilitation (table ronde 2). Le potentiel de cette dernière semble conséquent, particulièrement quand elle peut intégrer la surélévation, qui permet d’envisager le développement de la surface habitable dans des immeubles déjà construits. Cependant, selon les termes de Géraldine Bouchet-Blancou : « L’intérêt de la surélévation, à l’échelle du projet, est grand, mais ne peut être considéré à l’échelle urbaine comme une solution à tous les maux de la ville. » L’accompagnement de ce type de projet, comme de la rénovation de la ville dans son ensemble, ne pourra être généralisé à un niveau satisfaisant que si des dispositifs notamment fiscaux les soutiennent. C’est le cas du dispositif Denormandie créé en 2018 et entré en vigueur en 2019 : il vise à faire bénéficier les acheteurs d’un bien à rénover, qui sera mis en location longue durée, d’une défiscalisation, à l’instar de ce qui a été installé par le dispositif Pinel pour le logement neuf. Pour Lectícia Souquet, « le retour à la ville dense pourra se faire en conjuguant développement et patrimoine, politique du logement et relance de l’industrie de la construction à forte valeur ajoutée ».

Le type de territoire est aussi déterminant, en particulier en matière de densification verticale (table ronde 3). Au travers de l’exemple du périurbain francilien, où la densification se développe sous l’influence des évolutions législatives et règlementaires, les difficultés rencontrées par les acteurs publics concernant le financement de telles opérations ainsi que les freins provoqués par un certain rejet de la part des populations locales ont pu être évoqués. La mise en place d’une politique urbaine indifférenciée en matière de densification ne serait pas la piste la plus pertinente à suivre dans ce domaine selon Claire Fonticelli, qui considère que « l’espace périurbain est spécifique et dispose de dynamiques très différentes de celles de la ville et de la banlieue. À trop y intégrer des solutions urbaines faisant fi des particularités territoriales, on produit un logement sous contrainte, qui ne répond pas aux aspirations de ses habitants ».

Le problème est bien loin d’être uniquement franco-français, comme le démontrent les analyses réalisées par les participants concernant Genève, Barcelone ou encore Oran. L’étude des zones d’habitat urbain nouvelles (ZHUN) de cette ville algérienne, par Najet Mouaziz-Bouchentouf, est hautement représentative des difficultés à conjuguer la qualité de vie des habitants avec la densification de l’espace urbain. L’interrogation qu’elle lance dans sa contribution – « Les bâtiments, contrairement aux dominos ou aux morceaux de sucre, abritent des familles, des modes de vie, des habitudes et doivent offrir confort et qualité. Peut-on balayer tout cela au nom de l’efficacité économique et de l’esthétique urbaine  ? » – fait écho aux propos tenus lors de la quatrième table ronde concernant l’étude des perspectives de la densification.

Lors de ce dernier échange, plusieurs intervenants ont eu à cœur de considérer l’expérience utilisateur comme un enjeu central du secteur de l’immobilier, surtout en zone tendue. Pour Jérôme Staub et Alexis Durand Jeanson, « l’accompagnement dans les projets devait être non plus uniquement technique mais aussi social » (table ronde 4). La capacité à comprendre les besoins des usagers des constructions et des aménagements, la prise en compte des questions de confort illustrée par le traitement de la nuisance sonore sont quelques solutions qui permettraient de dépasser les freins et les blocages évoqués tout au long de cette rencontre. Par ailleurs, François Prochasson, dans l’entretien qu’il nous a accordé, insiste en particulier sur la nécessité de la participation citoyenne pour une meilleure acceptabilité de la densification par les habitants.

La journée d’étude se clôture sur la recherche de solutions à la fois opérationnelles mais aussi conceptuelles face à la problématique de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols. L’« urbanisme circulaire », développé par Sylvain Grisot, qui permet une intégration en amont des usages paraît être un des axes à suivre pour renouveler la pensée et ses applications en matière d’aménagement des villes, et plus largement du territoire français. Entre l’optimisation de l’usage de l’existant en matière d’immobilier, le recyclage et la transformation vers des formes urbaines plus adaptées aux enjeux de notre temps, le concept est ambitieux pour offrir une densification de qualité.

Les questions de qualité de vie, d’adaptation des formes urbaines aux usages des habitants, de l’acceptabilité de la densification de l’espace urbain et du dépassement des résistances auront été le fil rouge de la journée d’étude. Les travaux des participants auront permis de mettre en exergue ces sujets, en expliquant les éventuels blocages et en apportant des points de vue complémentaires permettant de tracer des perspectives pour les dépasser. À cet égard, l’exposition des illustrations de Laurent Gapaillard, avec qui nous avons pu échanger, nous a menés vers des villes imaginaires, des espaces fantasmés qui puisent leurs racines dans les représentations collectives urbaines, aussi bien visuelles que narratives. L’impression de surdensité et de gigantisme qui émerge de ses dessins, en suscitant à la fois angoisse et fascination, questionne par la subjectivité et l’émotion notre fabrique verticale de la ville.

Nous remercions les contributeurs pour la qualité de leurs interventions et pour leur disponibilité à répondre aux nombreuses questions du public. Nous remercions également toutes les personnes ayant participé à cette journée ainsi que toutes celles ayant contribué à son organisation.

Gaëlle Audrain-Demey

Enseignante-chercheuse, laboratoire ESPI2R, Groupe ESPI

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Romain Weigel

Enseignant-chercheur, laboratoire ESPI2R, Groupe ESPI

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