Veille juridique immobilière n° 6

Septembre-octobre 2023

Gaëlle Audrain-Demey, Fernanda Chatelard, Carine Guémar, Florian Laussucq, Jennyfer Pilotin, Marcos Povoa et Aubéri Salecroix

Citer cet article

Référence électronique

Audrain-Demey, G., Chatelard, F., Guémar, C., Laussucq, F., Pilotin, J., Povoa, M., & Salecroix, A. (2023). Veille juridique immobilière n° 6. Veille juridique immobilière. Mis en ligne le 30 novembre 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1242

L’immobilier est un secteur en perpétuelle évolution. La présente Veille juridique immobilière, publiée par le département Droit du laboratoire ESPI2R, est un outil incontournable pour comprendre les mutations de l’immobilier contemporain et bâtir une pensée constructive sur les besoins de demain.
La Veille juridique immobilière s’adresse à tout lecteur intéressé par l’immobilier au sens large, juriste ou non. Elle a pour objectif de recenser les actualités juridiques majeures sur un intervalle bimestriel, classées par grande thématique puis en fonction du type de texte concerné.

Ce numéro est réalisé avec la contribution d’apprenants de l’ESPI : Assia Chater, Mathilde Garrigue, Cyrielle Haulon, Marie Julien, Elena Laurent, Guichelle Ngassaki, Ségolène Patient, Julie Snoeck, Claire Theunissen, Océane Zarate-Zimnol.

Droit de la construction

Jurisprudences

Cour de cassation, 3e chambre civile, 13 juillet 2023, n° 22-17.010

Le maître de l’ouvrage doit être pleinement informé du coût total de la construction envisagée afin d’éviter tout engagement dans une opération qu’il ne pourrait pas achever. Ainsi, le coût des ouvrages nécessaires pour obtenir l’autorisation de construire doit être inclus dans le prix forfaitaire proposé par le constructeur. Si ces coûts sont à la charge du maître de l’ouvrage, le constructeur doit fournir une estimation chiffrée de ces travaux.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 septembre 2023, n° 22-13.858

« Le risque sanitaire encouru par les occupants d’un ouvrage peut, par sa gravité, caractériser à lui seul l’impropriété de l’ouvrage à sa destination » et justifier l’engagement de la responsabilité décennale du constructeur même si ce risque ne s’est pas réalisé dans le délai d’épreuve de 10 ans. En l’espèce, la longueur trop importante des canalisations justifiait une indemnisation quand bien même le risque de développement de légionelles ne s’était pas encore réalisé.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 19 octobre 2023, n° 22-15.536

Une cour d’appel prive sa décision de base légale en appliquant une clause excluant la garantie des vices cachés lors d’une affaire de vente, sans vérifier si la société civile immobilière (SCI) vendeuse avait effectivement réalisé les travaux à l’origine des problèmes affectant la propriété vendue. Il était essentiel de déterminer si la SCI avait agi comme un constructeur, indépendamment des changements dans la composition de ses associés et gestionnaires. En l’absence de cette enquête, la cour a manqué d’une base légale pour sa décision.

Droit commercial

Jurisprudence

Cour de cassation, chambre commerciale, 20 septembre 2023, n° 21-14.252 et n° 22-21.718

L’article L. 237-2 du Code de commerce prévoit que la personnalité morale d’une société dissoute persiste tant que ses droits et obligations sociaux ne sont pas entièrement réglés. Une cour d’appel viole ces dispositions en déclarant nul l’appel d’une société, arguant d’un défaut de capacité d’ester en justice, alors que l’action engagée contre la société pour un contrat de bail suggère que les droits et obligations de ce contrat pourraient ne pas avoir été entièrement liquidés. Ainsi, la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, même si elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés.

Droit de l’urbanisme et de l’environnement 

Lois

Loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre lartificialisation des sols et à renforcer laccompagnement des élus locaux

Cette loi, dite « Zéro artificialisation nette » (ZAN), adoptée en juillet 2023, vise à régler les problèmes pratiques liés à la mise en œuvre des objectifs de la loi Climat et résilience du 20 mai 2021. Elle a une double intention : rassurer les élus locaux et mieux concilier les objectifs ZAN avec le développement des territoires, tout en impactant les porteurs de projets.

Voici les points clés de cette loi ZAN.

Report des échéances régionales et locales (article 1)

Les délais de mise en œuvre des objectifs de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) seront, aux niveaux régional et local, décalés.

Gouvernance locale (article 2)

La gouvernance prendra en compte les attentes et les besoins spécifiques des collectivités locales.

Projets d’envergure nationale ou européenne (article 3)

La loi précisera quels projets de grande ampleur sont considérés d’intérêt général majeur au niveau national ou européen.

Création de la « garantie rurale » (article 4)

La loi stipule désormais qu’une superficie minimale de consommation d’ENAF d’un hectare est garantie aux communes.

Droit de préemption (article 6)

La loi ajoute aux actions et opérations d’aménagement, dans des secteurs justifiant la mise en œuvre d’un droit de préemption en raison de leur « potentiel foncier majeur pour favoriser l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols », celles de recyclage foncier ou encore de renaturation et de désartificialisation des sols.

« Sursis à statuer ZAN » (article 6)

Un mécanisme de suspension de projets qui menacent d’entraver la réalisation des objectifs de réduction de la consommation d’ENAF sera mis en place, en attendant des conditions de mise en œuvre plus claires.

Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte

Inspirée par les recommandations du rapport Simplifier et accélérer les implantations d’activités économiques en France de Laurent Guillot, paru en mars 2022, cette loi vise à remédier aux délais excessifs pour l’implantation d’activités économiques en France. Elle vise à stimuler la reprise de l’industrie française tout en promouvant la transition écologique, en renforçant la considération des enjeux environnementaux dans les marchés publics et en améliorant le financement de l’industrie verte. Elle met en œuvre une simultanéité entre l’instruction administrative des projets et la consultation du public pour réduire les délais d’implantation des projets industriels, avec l’objectif de diviser ces délais par deux, passant de 17 à 9 mois. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a souligné devant les sénateurs le 20 juin 2023 que cette réforme constitue une véritable révolution administrative. La loi encourage particulièrement des projets tels que ceux du Big Five (éolien, photovoltaïque, pompes à chaleur, batteries et hydrogène décarboné). De plus, elle établit une « procédure exceptionnelle simplifiée » sous le contrôle de l’État pour les projets industriels d’intérêt national majeur. En parallèle, la loi vise à accélérer la réhabilitation des friches industrielles et à faciliter la mise en œuvre des obligations de compensation pour les projets ayant un impact sur la biodiversité.

En savoir plus
Loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte. (2023, 24 octobre). Vie publique.

Jurisprudence

Conseil constitutionnel, question prioritaire de constitutionnalité, 14 septembre 2023, n° 2023-1060

Par cet arrêt du 15 juin 2023, le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions du Code de l’urbanisme relatives à la sanction prévue en cas de non-respect de l’obligation d’enregistrement des transactions mettant fin à une instance relative à une autorisation d’urbanisme conformes à la Constitution. En effet, l’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme dispose que la transaction par laquelle une personne s’engage à se désister de son recours en annulation, en contrepartie d’une somme d’argent ou d’un avantage en nature, doit être enregistrée auprès de l’administration fiscale dans un délai d’un mois. En cas de non-respect de cette formalité, la contrepartie est réputée sans cause, alors que le titulaire de l’autorisation d’urbanisme conserve le bénéfice du désistement. Il était reproché à cette disposition de créer un déséquilibre en faveur du bénéficiaire de l’autorisation, argument qui n’a pas été suivi par le Conseil constitutionnel qui juge donc que cette sanction est conforme aux normes constitutionnelles.

Droit des contrats 

Jurisprudences

Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 juillet 2023, n° 22-11.321

Par cet arrêt relayé par les médias spécialisés en octobre 2023, la 1re chambre civile de la Cour de cassation juge que, en matière de crédit immobilier, un taux d’endettement élevé peut être acceptable si le « reste à vivre » dont dispose l’emprunteur paraît suffisant au juge. En l’espèce, les emprunteurs avaient un taux d’endettement de plus de 60 % de leurs revenus mensuels mais, malgré cela, ils avaient un « reste à vivre » supérieur à 3 500 euros par mois. La Cour de cassation statue ainsi qu’il appartient au juge du fond d’évaluer si ce montant est suffisant aux dépenses ordinaires des emprunteurs.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 septembre 2023, n° 22-13.209

La 3chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’un vendeur en viager qui demande la résolution du contrat de vente en raison du non-paiement des rentes par l’acquéreur est obligé de restituer la valeur correspondant au bouquet initial, payé plus de 30 ans avant la résolution du contrat. En l’espèce, le contrat prévoyait qu’en cas de défaillance de l’acquéreur dans le paiement des rentes mensuelles convenues, il pouvait y avoir résolution de la vente, et qu’à titre de sanction, les rentes versées resteraient acquises au vendeur. Néanmoins, le contrat ne faisait aucune mention au destin du bouquet initial lors de la résolution. Ainsi, à travers cet arrêt, la Cour de cassation précise qu’en cas de défaut de paiement, si les rentes mensuelles sont acquises au vendeur, le bouquet initial doit être rendu à l’acheteur en cas de silence du contrat sur ce point.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 12 octobre 2023, n° 22-18.580

L’obligation du bailleur de justifier, dans le congé, du caractère réel et sérieux de la décision de reprise n’est pas édictée à peine de nullité ; le juge du fond peut apprécier l’intention du bailleur de reprendre le logement pour l’habiter à titre de résidence principale en tenant compte d’éléments postérieurs à la date de délivrance du congé dès lors qu’ils sont de nature à établir cette intention.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 12 octobre 2023, n° 22-19.117

Le report des effets des clauses résolutoires prévu par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période n’est applicable que lorsque le délai de deux mois laissé au locataire, destinataire d’un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus, pour apurer sa dette, expire au cours de la période juridiquement protégée instituée entre le 12 mars et le 23 juin 2020.

Droit fiscal

Loi

Projet de loi de finances n° 1680 pour 2024 enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2023

Le projet de loi de finances pour 2024 a été présenté le 27 septembre dernier en Conseil des ministres. Amené à être adopté dans un contexte de forte inflation, de hausse des taux d’intérêt et de tensions géopolitiques de plus en plus marquées, le texte souhaite s’inscrire dans un mouvement de réformes structurelles notamment sur le plan de la transition écologique, de maîtrise des dépenses publiques, de lutte contre l’inflation et de protection du pouvoir d’achat des Français.

Tour d’horizon des principales mesures envisagées par le projet de loi de finances pour 2024.

Mise en place d’un niveau minimum d’imposition de 15 % pour les entreprises multinationales (article 4)

Transposant en droit interne les règles de la directive (UE) 2022/2523 du 14 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union, l’article 4 du projet de loi prévoit d’instaurer un niveau minimum d’imposition fixé à 15 % sur les bénéfices des groupes d’entreprises multinationales disposant d’une implantation en France. Sont également concernés les grands groupes nationaux réalisant un chiffre d’affaires consolidé égal ou supérieur à 750 M€ (au cours d’au moins deux des quatre exercices précédant l’exercice considéré) qui développent leurs activités sur le seul territoire français. La mesure fiscale vise à mettre en place un impôt complémentaire sous conditions, qui serait distinct de l’impôt sur les sociétés.

Création d’un crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte (article 5)

Afin de contribuer au développement de secteurs clés pour la transition vers une économie décarbonée encourageant la production de panneaux solaires, de batteries, de turbines éoliennes ou encore de pompes à chaleur, le gouvernement voudrait créer un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte (C3IV) qui bénéficierait à certaines entreprises sous conditions.

Prorogation du dispositif de prêt à taux zéro destiné à financer la première accession à la propriété (PTZ) (article 6)

Dans un contexte actuel de remontée des taux d’intérêt, le dispositif serait prorogé pour quatre ans, soit jusqu’au 31 décembre 2027. Il en est de même pour le dispositif de prêt visant à financer certains travaux d’amélioration de la performance énergétique globale des logements (éco-PTZ).

Aménagement des dispositifs fiscaux de soutien au développement des territoires ruraux (article 7)

Afin de soutenir le développement économique des territoires ruraux, l’article 7 du projet de loi propose d’aménager les dispositifs fiscaux existants – prévoyant notamment des exonérations d’impôts sur les bénéfices et d’impôts locaux – en simplifiant le zonage géographique sur lequel s’appliquent ces allègements fiscaux. Il serait alors créé un zonage unique dénommé « France Ruralités Revitalisation ».

Échelonnement de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (article 8)

« Dans un objectif de conciliation de la maîtrise de la situation des finances publiques et de poursuite de la réduction des impôts de production », le Gouvernement propose d’échelonner sur quatre années la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Pour rappel, l’article 55 de la loi de finances pour 2023 prévoyait que la CVAE serait supprimée en deux étapes : une réduction de moitié en 2023, puis totale en 2024.

D’autres mesures fiscales devraient également voir le jour comme la prorogation du dispositif des bassins urbains à dynamiser (BUD) ou du dispositif des zones de revitalisation du commerce en centre-ville (ZRCV) jusqu’en 2026 ; la création d’une redevance sur la consommation d’eau potable ; la privation à l’encontre d’une personne condamnée pour fraude fiscale aggravée, à titre de peine complémentaire, du droit à l’octroi de réductions ou crédits d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière...

Droit administratif

Jurisprudence

Conseil d’État, 5e - 6chambres réunies, 07 juin 2023, n° 447797

Lorsque le Conservatoire de l’espace littoral opère l’intégration des biens immobiliers occupés par un exploitant via un bail rural dans le domaine public, ce bail constitue un titre d’occupation jusqu’à sa dénonciation. Cela empêche l’expulsion ou la poursuite de l’exploitant pour occupation illégitime. Cependant, une fois les biens intégrés, le contrat ne peut conserver un caractère de bail rural incompatible avec la propriété publique. Le Conservatoire peut dénoncer le bail avant son expiration, puis proposer une convention d’usage temporaire compatible avec ses missions. Si le bail n’est pas dénoncé, l’occupant peut poursuivre temporairement, sous certaines conditions, son exploitation agricole. Toute exploitation nuisant à la propriété publique constitue une contravention de grande voirie à réprimer administrativement.

À l’international

Loi

Projet de loi n° 31, modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation

Ce projet de loi a récemment été présenté à l’Assemblée nationale du Québec. Voici les points principaux.

Changements dans l’avis de reprise ou d’éviction (article 1962 du Code civil du Québec)

Si le locataire ne répond pas à l’avis d’éviction après 30 jours, le projet de loi prévoit qu’il sera réputé avoir refusé de quitter le logement, marquant une différence avec la règle actuelle. L’abrogation proposée de l’article 1966 vise à harmoniser les règles de reprise et d’éviction.

modification de larticle 1963 alinéa 2 du Code civil du Québec

Elle confirme la jurisprudence du Tribunal administratif du logement, exigeant du locateur demandant la reprise ou l’éviction de démontrer que cela ne constitue pas un prétexte pour atteindre d’autres fins.

Indemnité en cas d’éviction

L’indemnité due au locataire ne serait pas plus de trois mois de loyer, mais comprendrait des frais raisonnables de déménagement et une indemnité équivalente à un mois de loyer pour chaque année de location ininterrompue, avec un plafond de 24 mois de loyer et un plancher de trois mois de loyer.

Cession de bail

L’avis de cession de bail doit indiquer la date prévue de la cession, et le locateur peut refuser la cession sans motif sérieux. En cas de refus du propriétaire, le bail sera résilié à la date prévue de la cession dans l’avis, visant à réduire les litiges liés à la cession de bail. Ce point a suscité de vives réactions et après plusieurs mois de discussions, cet article, de la ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau, devrait être approuvé en commission parlementaire.

Gaëlle Audrain-Demey

Responsable du programme Diplôme supérieur de l’immobilier
Enseignante-chercheuse, département Droit, laboratoire ESPI2R

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Responsable du département Droit, laboratoire ESPI2R

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Enseignante-chercheuse, département Droit, laboratoire ESPI2R

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Enseignant-chercheur, département Droit, laboratoire ESPI2R

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Enseignant-chercheur, département Droit, laboratoire ESPI2R

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Aubéri Salecroix

Chargée d’enseignement et de suivi pédagogique, ESPI
Avocate
Conseillère en immobilier

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