L’ampleur de la hausse des prix immobiliers entre 2000 et 2008 interroge sur l’évolution éventuelle des préférences des acheteurs en matière d’habitat. L’analyse empirique opérée sur les données de transactions immobilières, sur cette période, révèle que la hausse des prix n’a pas modifié la structure de ces préférences bien que les prix implicites de certaines caractéristiques du bâti, estimés grâce à une méthode des prix hédonique, aient augmenté. Le changement a essentiellement concerné la valeur de la localisation.
Contexte
L’augmentation des prix de l’immobilier résidentiel, amorcée à la fin des années 1990, a été significativement plus importante que les hausses précédemment observées (Grjebine, 2013). L’indice du prix des logements en France est ainsi passé de 100 en 2000 à 201 en 2008, soit une hausse des prix de 101 %. Cette augmentation a marqué le début d’un nouveau cycle dont la morphologie est particulière : la contraction des prix n’a pas été de la même ampleur que la montée des prix qui l’a précédée, si bien que la moyenne de l’indice des prix des logements se situe autour du pic atteint en 2008. L’absence de retour à la moyenne de long terme indique que, dans le cas de la France, la hausse des prix immobiliers entre 2000 et 2008 ne correspond pas à une situation de bulle spéculative, mais à un changement structurel sur le marché.
Les raisons de cette évolution sont multiples (Friggit, 2015), mais elles tiennent toutes au fonctionnement du marché. Autrement dit, ce n’est pas la spéculation qui explique la hausse des prix ; ce sont les choix économiques rationnels des consommateurs. Le travail présenté ici a ainsi pour objectif d’étudier les préférences des acheteurs en matière d’habitat et leurs mutations. Partant du principe qu’un bien immobilier est un ensemble de diverses composantes – surface, agencement, exposition, état d’usage, localisation, etc. –, cette étude cherche à répondre à la question suivante : toutes les composantes d’un bien immobilier ont-elles été valorisées dans les mêmes proportions lors de l’augmentation des prix entre 2000 et 2008 ? En d’autres termes, lorsque les acquéreurs ont été en mesure de doubler le prix de leur achat immobilier, ont-ils modifié la valeur accordée à certaines caractéristiques des biens ?
Pour répondre à cette question, une analyse des prix des transactions est réalisée dans le but de comparer les prix implicites des différentes composantes d’un produit immobilier entre 2000 et 2008, c’est-à-dire sur la période qui marque la sortie de l’indice des prix de leur « tunnel » historique.
Méthodologie
La méthode déployée ici a été formalisée par Rosen (Rosen, 1974) dans son article fondateur de 1974 : il s’agit de la méthode des prix hédoniques. Le point de départ de l’analyse des prix hédoniques consiste à considérer qu’un bien peut être décrit comme un ensemble de caractéristiques car il n’est pas acheté pour lui-même mais pour ses qualités. Il s’agit alors de décomposer le prix d’un bien immobilier en fonction des grandes caractéristiques qui l’influencent : la valeur de chacune d’entre elles est isolée et quantifiée en fonction de l’utilité que les consommateurs leur concèdent. Partant de ce constat, l’analyse hédonique s’effectue en deux étapes.
La première étape consiste à estimer l’équation du prix, c’est-à-dire la relation entre le prix total du bien au vecteur de caractéristiques que ce bien représente. Cela signifie que chaque caractéristique, ou variable, se voit attribuer un coefficient adéquat à sa valeur. On parle ainsi de fonction hédonique. Plusieurs formes fonctionnelles sont alors possibles1 (Marchand & Skhiri, 1995) ; celle retenue ici est « log-linéaire ». « Le modèle log-linéaire (appelé aussi log-log) relie le logarithme2 du prix de vente aux logarithmes des différentes variables explicatives » (Terra, s. d.). Elle présente un avantage double : elle tient compte de la non-linéarité potentielle entre le prix du bien et certaines de ses caractéristiques et permet une interprétation économique des résultats puisque les coefficients ainsi obtenus correspondent en réalité à des élasticités du prix par rapport aux caractéristiques identifiées.
Un test d’autocorrélation spatiale3 est ensuite effectué pour s’assurer que le prix d’un bien n’a pas d’influence sur les prix des biens situés autour (effets de voisinage). Les résultats du test indiquent que l’hypothèse d’autocorrélation ne peut être rejetée pour les appartements (mais pas pour les maisons4). Par conséquent, pour les appartements, c’est un modèle SAR, Spatial AutoRegression (Loonis, 2018), qui est utilisé pour tenir compte des variations potentielles des coefficients en fonction de la localisation.
Puis une analyse de l’importance relative5 (Il Idrissi, Iooss & Chabridon, 2021) est réalisée afin de mettre en évidence le poids explicatif des différentes caractéristiques et son évolution entre 2000 et 2008.
La seconde étape de l’analyse hédonique consiste à estimer simultanément les fonctions d’offre et de demande pour les caractéristiques du bien. Cette étape est souvent ignorée dans les travaux empiriques en raison de l’indisponibilité des données, tout en étant indispensable pour comprendre le marché. Le travail présenté s’appuie sur la même base de données qui a permis la réalisation de la première étape, la base Perval, constituée par les notaires qui l’alimentent lors de la signature des contrats. La méthode des prix hédoniques a été déployée sur les données de transactions immobilières du département de l’Oise6. Des modèles distincts ont été estimés pour les maisons et les appartements afin de tenir compte des différences de logique économique qu’il peut y avoir entre les deux types de biens.
La méthodologie repose sur deux grandes catégories de variables explicatives : les variables structurelles et les variables de localisation, ces dernières se décomposant entre l’accessibilité et la qualité du voisinage (y compris le contexte socio-économique du territoire).
Principaux résultats
Pour les maisons, les coefficients associés aux variables qui caractérisent le bâti du bien gardent leur caractère significatif en 2008 par rapport à 2000 (voir le tableau 1) malgré leur tendance baissière pour la plupart. Des changements plus prononcés sont observables concernant les variables de localisation : certaines deviennent significatives en 2008 alors qu’elles ne l’étaient pas en 2000, comme le niveau d’équipement en éducation dans la commune ou encore la distance par rapport à la gare7.
Pour les appartements, les résultats de l’estimation de l’équation hédonique sont similaires : les coefficients associés aux variables du bâti ont baissé en 2008 par rapport à 2000. La préférence accordée à la présence d’un jardin, quant à elle, est devenue significative.
L’estimation de l’équation des prix hédoniques permet de calculer les prix implicites des différentes caractéristiques (voir le tableau 2), à condition que celles-ci soient significatives8. Ce type de résultat, affichant un prix plutôt qu’un coefficient, est plus facile à interpréter car il permet de s’affranchir de la non-linéarité. Ainsi, indépendamment de l’état du bien et de sa localisation, pour 1 m2 de surface habitable, les acquéreurs ont payé 2 034,68 € en 2000 contre 3 701,10 € en 2008 (voir le tableau 2). Le prix implicite des pièces a augmenté tandis que celui des salles de bain a diminué. La dépréciation associée aux travaux est nettement plus importante en 2008 par rapport à 2000.
Pour les maisons, la dépréciation liée à la présence de logements sociaux dans la commune a considérablement augmenté sur cette période. À noter que le prix implicite associé aux transports en commun peut être contre-intuitif : il est négatif, alors qu’il s’agit d’une aménité urbaine souvent valorisée (Fritsch, 2007). Dans le cas présent, ce résultat tient à la particularité du territoire étudié : les communes dotées d’un réseau de transports en commun sont également celles dont l’image est négative en raison de leur contexte socio-économique jugé défavorable (notamment la ville de Creil).
Pour les appartements, les résultats sont également globalement proches : la plupart des prix des caractéristiques du bâti ont augmenté. Le prix implicite qu’ont accepté de payer les acquéreurs en 2008 pour bénéficier d’un jardin s’élève à 10 897 € en 2008, alors que cet attribut n’était pas clairement valorisé en 2000.
L’analyse des prix implicites des différentes caractéristiques a pu être approfondie par une analyse d’importance relative. Les résultats indiquent que peu de caractéristiques structurelles sont devenues plus importantes du point de vue des acquéreurs : c’est uniquement le cas du nombre de pièces. En revanche, le poids relatif des salles de bain a diminué9, de même que l’impact des travaux à réaliser. En revanche, l’importance relative des caractéristiques de localisation a, pour la grande majorité d’entre elles, augmenté. À noter que le poids des caractéristiques de localisation demeure en 2008 moins important que celui des variables du bâti malgré l’augmentation des prix implicites.
Concernant la seconde étape, l’étude met en évidence de nombreux effets croisés qui existent entre les caractéristiques : l’offre et la demande pour une caractéristique peuvent être sensibles aux autres variables. La demande de caractéristiques, s’agissant des caractéristiques structurelles, est sensible aux travaux et aux places de stationnement. Quant aux variables de localisation, les équipements de commerce, médicaux et de récréation influencent la demande, de même que le taux de taxe foncière dans la commune. Pour toutes les variables citées, l’évolution entre 2000 et 2008 n’est pas significative. L’unique variable dont l’impact sur la demande n’était pas significatif en 2000 et l’est devenu en 2008 est la présence d’un réseau de transports en commun dans la commune. Il est à noter que l’analyse n’a pas révélé d’effet significatif de l’âge, de la situation familiale ni du lieu de résidence sur la demande de caractéristiques.
L’offre de caractéristiques est également sensible à certains attributs structurels ainsi qu’à des variables de localisation qui sont similaires à celles qui affectent la demande. Les variables liées au profil des vendeurs n’ont pas d’effet significatif sur l’offre, sauf une : les vendeurs ayant acquis leur maison gratuitement (par héritage notamment) valorisent certaines caractéristiques de manière plus importante en 2008 qu’en 2000, à savoir le nombre de pièces, de salles de bain, la surface de la parcelle ainsi que l’équipement de la commune en matière de transports.
Apports
Les résultats de l’analyse hédonique révèlent que l’augmentation des prix immobiliers entre 2000 et 2008 n’a pas été accompagnée d’un changement majeur au niveau des préférences des acquéreurs par rapport aux caractéristiques du bâti. L’étude ne permet pas d’affirmer qu’ils seraient devenus plus exigeants sur ce point
La valorisation a été davantage portée par des variables liées à la localisation, ce qui indique que c’est davantage la composante foncière qui a absorbé (ou généré) la hausse des prix. Ce constat est cohérent avec l’évolution des prix de la construction neuve, où le coût de la construction a connu une croissance modérée tandis que le prix de la composante foncière a connu une forte hausse10.
De manière plus générale, les résultats indiquent que le dicton « Emplacement, emplacement, emplacement » n’est pas tout à fait vérifié dans le cas du marché français, puisque les variables structurelles ont davantage de poids dans la fixation du prix par rapport à la localisation et aux aménités disponibles.
Le travail présenté est l’un des rares en France à déployer les deux étapes de la méthode des prix hédoniques. S’arrêter à la première étape (les prix implicites) revient à analyser l’état du marché de manière statique avec comme donnée l’unique point d’équilibre qui est le prix de la transaction. C’est bien la seconde phase qui permet de mieux comprendre les préférences des acquéreurs et les exigences des vendeurs.
Difficultés et pistes de réflexion
La principale difficulté technique dans ce travail était la gestion des variables manquantes dans la base de données Perval. L’alimentation de la base par les notaires est certes obligatoire, mais sans aucun engagement sur la qualité de la description transmise. Ainsi, pour certaines transactions, seules les mentions obligatoires (numéro de parcelle et prix) étaient renseignées. Il était donc important d’étudier en profondeur les non-réponses afin de les traiter de manière adéquate et non les écarter simplement.
Pour aller plus loin, il serait pertinent d’enrichir les données mobilisées avec celles d’autres territoires. Le pouvoir explicatif des modèles serait probablement amoindri, mais les résultats pourraient avoir un caractère moins particulier. Il serait également intéressant d’étoffer l’analyse avec les données des promoteurs concernant les ventes de biens neufs afin de savoir si l’impact du coût de la construction produit finalement le même résultat que celui observé sur le marché de l’ancien.
Enfin, l’analyse a pu être réalisée sur la phase croissante d’un cycle immobilier particulier, dont il n’est pas possible de dire s’il est terminé aujourd’hui. Après une contraction, les prix ont repris leur croissance, qui perdure en 2021. La question est donc de savoir si les résultats obtenus pour 2008 sont toujours valables en 2021. Cette méthodologie permettrait de confirmer ou non le changement éventuel des préférences depuis la pandémie (l’importance accordée à la présence d’un extérieur, voire au nombre de pièces pour faire du télétravail, etc.). Cela favoriserait ainsi une meilleure réactivité des promoteurs immobiliers pour proposer aux acheteurs des biens dont les caractéristiques sont les mieux adaptées à leur désir.
La méthodologie des prix hédoniques pourrait être utilisée dans le cadre de l’expertise en évaluation immobilière étant donné sa plus grande précision, d’autant plus que la méthode par comparaison tend à privilégier la localisation alors que l’on vient de comprendre son poids relatif. Il faudrait pour cela que l’expert travaille avec un économètre pour estimer et calibrer l’équation qui permet d’effectuer l’évaluation.