Contexte de l’étude
Les réseaux de franchise, en progression constante, représentent une part de plus en plus importante du commerce de détail en France ces dernières années. Leur nombre, sur le territoire national, est ainsi passé de 530 en 1998, à 1 234 en 2008, pour atteindre 2 004 réseaux en activité au 1er janvier 2018 (Banque populaire & Fédération française de la franchise, 2018).
Ces réseaux sont construits sur la relation entre un franchiseur et des franchisés. Elle s’articule autour de droits et de devoirs entre les deux parties. Si les franchisés sont sommés de respecter le concept du franchiseur, ce dernier doit soutenir et assister les franchisés tout au long de la durée du contrat de franchise. Ces obligations soulignent l’importance du rôle du franchiseur dans le développement du réseau.
Être franchiseur ne se limite pas uniquement à transmettre un concept commercial ; il s’agit également de mettre en place une animation et des fonctions support pertinentes (commercialisation, logistique, marketing...) pour maximiser les chances de réussite des franchisés dans l’exploitation de leur unité commerciale (point de vente).
La littérature professionnelle parle à ce titre d’un « deuxième métier » que le franchiseur doit apprendre lors de la création de son réseau et qui est source de l’avantage concurrentiel de ce dernier.
L’objet de l’article est de déterminer les savoir-faire propres au métier de franchiseur afin de constituer un modèle explicatif probant de la réussite des franchiseurs dans un marché donné.
Méthodologie
La démarche de recherche s’est déroulée en deux temps. Le premier consiste en une méthode exploratoire basée sur des entretiens en face à face et des échanges avec des professionnels. Il a souligné la pertinence de l’approche par l’angle du métier de franchiseur. Le second temps nous a permis de caractériser le métier de franchiseur à partir d’un recueil de données secondaires sur 19 réseaux de franchise. Ces derniers présentaient des caractéristiques montrant leur durabilité sur le marché français, les rendant ainsi pertinents pour l’analyse de l’avantage concurrentiel d’un franchiseur.
Quatre types de données secondaires ont été recueillies :
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la communication institutionnelle des 19 réseaux ;
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les fiches d’information des 19 franchiseurs, disponibles sur des annuaires internet reconnus dans la profession ;
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des conférences de consultants spécialistes traitant des problématiques de développement d’un réseau de franchise ;
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des interviews des dirigeants des 19 réseaux sélectionnés.
L’ensemble de ces données a été analysé à travers un codage thématique effectué avec un logiciel d’analyse textuelle (NVivo 10). Ce codage a permis, d’abord, d’identifier les capacités opérationnelles décrivant le métier de franchiseur. Puis le travail a consisté à regrouper conceptuellement ces capacités opérationnelles pour comprendre les capacités centrales du métier de franchiseur.
Cette analyse s’inscrit dans l’approche par les ressources des entreprises, et plus particulièrement à travers le cadre théorique des capacités dynamiques (Teece, 2007).
Principaux résultats
Grâce au codage, 11 capacités opérationnelles ont été obtenues et regroupées en trois capacités centrales qui définissent le métier de franchiseur.
La première capacité centrale du métier de franchiseur, « Savoir-répliquer », est issue des capacités opérationnelles « Distribuer », « Normaliser », « Former ».
« Distribuer » est fondamental au développement d’un réseau de franchise : il s’agit de la création du concept des unités commerciales.
« Normaliser » correspond à la formalisation des différents processus de gestion de ces unités.
« Former » renvoie à l’apprentissage des différents acteurs en charge de la commercialisation des produits/services, à savoir les franchisés et leur personnel. C’est à travers cette capacité que les têtes de réseau peuvent proposer des unités de commercialisation homogènes dans l’ensemble d’un territoire.
« Savoir-outiller » souligne les relations inter-organisationnelles que doit gérer le franchiseur avec ses franchisés. En effet, si l’activité commerciale d’origine a pour cible le consommateur final (B to C), le métier de franchiseur constitue une activité de B to B dans laquelle les clients sont des franchisés indépendants.
« Savoir-outiller » regroupe cinq capacités opérationnelles : « Communiquer », « Financer », « Installer », « Acheter » et « Informatiser ». Elles révèlent que le métier de franchiseur comprend une partie de création d’outils et de services mis à la disposition des franchisés pour leur permettre de générer de la valeur ajoutée à leur adhésion au réseau de franchise. Les franchiseurs organisent en effet des campagnes de communication, mettent en relation les franchisés avec des banques partenaires, proposent une aide à l’installation, offrent des centrales d’achat et de référencement ainsi que des moyens informatiques pour l’exécution des processus du réseau.
Contrairement aux outils identifiés dans le « Savoir-répliquer », ceux présentés ici – spécifiques au métier de franchiseur, faisant de lui une source de valeur pour les franchisés – n’ont pas pour objectif de leur être transmis mais simplement proposés. Ces éléments permettent d’éclairer et de préciser ce qui est communément appelé « l’avantage de l’effet de réseau », dont bénéficie un franchisé. Cette notion est peu abordée dans la littérature académique.
« Savoir-piloter » montre le rôle des franchiseurs dans la prise en charge des liens entre la tête de réseau et les franchisés. Cette capacité centrale fait apparaître une fonction supplémentaire du franchiseur. Il n’est plus uniquement question de produire des outils relatifs à la gestion d’une unité commerciale mais de mettre en place des actions plus transversales de gestion d’activité.
Elle se décompose en trois catégories opérationnelles : « Contrôler », « Animer » et « Développer ».
« Contrôler » fait référence à l’établissement de protocoles de contrôle des points de vente du réseau.
« Animer » le réseau de franchise a pour objectif de créer une culture de réseau pour renforcer l’adhésion des franchisés et d‘installer des processus de contrôle informel.
Enfin, « développer » est la prise en compte des problématiques de maillage territorial et de recrutement des nouveaux franchisés afin d’assurer le développement du réseau.
Pour déployer un réseau avec un avantage concurrentiel, les franchiseurs doivent développer des processus sur l’ensemble des capacités centrales identifiées.
Apports
Ces résultats permettent de proposer un outil de réflexion stratégique pour les franchiseurs afin de comprendre le niveau de performance. La figure 2 représente le dynamisme existant entre les trois capacités centrales du métier de franchiseur.
de réflexion stratégique pour les franchiseurs afin de comprendre le niveau de performance. La figure 2 ci-contre représente le dynamisme existant entre les trois capacités centrales du métier de franchiseur.
Les trois flèches de la figure 2 montrent l’interdépendance entre les capacités centrales, qui sous-tend l’évolution de l’avantage concurrentiel. Cette analyse de la réussite des réseaux de franchise constitue une avancée dans l’appréhension de l’évolution de l’avantage concurrentiel dans les réseaux de franchise en soulignant l’importance de l’ensemble des aspects du métier de franchiseur.
Pour faire progresser un réseau de franchise, il est nécessaire de tenir compte de cette interdépendance : l’évolution d’une capacité centrale, de façon indépendante, entraîne un déséquilibre de l’avantage concurrentiel qui doit être compensé par l’ajustement des deux autres capacités. Le changement d’une capacité centrale amène donc des modifications sur les autres des capacités centrales du métier de franchiseur.
Par exemple, un changement de l’offre du réseau de franchise, afin de répondre à une demande particulière d’un marché local, doit être suivi d’une modification sur les deux autres capacités centrales. Cela permet d’assurer la mise en oeuvre de cette nouvelle offre de façon homogène dans l’ensemble des points de vente du réseau.
L’une des difficultés de cette recherche a résidé dans l’accessibilité des données, qui a été une procédure complexe, afin de proposer un corpus de données pertinent. La mobilisation des données secondaires a permis d’obtenir des informations riches et ainsi de proposer une lecture analytique de l’avantage concurrentiel d’un réseau de franchise.
À partir de cette recherche, d’autres pistes de réflexion apparaissent. L’une des premières repose sur la réaction des réseaux à la crise sanitaire de 2019, plus particulièrement dans l’immobilier. Cette crise a été l’occasion pour de nombreux réseaux de mettre en œuvre des outils technologiques, et il serait intéressant de savoir de quelle manière ces modifications ont eu un impact sur les trois capacités centrales des franchiseurs.