Contexte de l’étude
Depuis la fin du xxe siècle, de nombreux travaux se focalisent sur l’analyse des hiérarchies des systèmes urbains et de leur croissance démographique associée. Ces travaux s’intéressent, d’une part, à la relation entre la taille d’une ville (population) et son rang dans la distribution et, d’autre part, à la croissance démographique des villes. Deux groupes de travaux sur ces thématiques se distinguent. Premièrement, les travaux considérant la croissance urbaine comme un processus aléatoire, ce qui signifie que la croissance démographique des villes est indépendante de leur taille. Deuxièmement, les travaux considérant la croissance urbaine comme déterministe, c’est-à-dire dépendante des effets d’agglomérations, de localisation du capital et des entreprises.
Dans ce contexte, cette étude cherche à prolonger ces travaux en appliquant ces méthodes non plus au niveau des pays mais au niveau régional. Elle propose ainsi de comparer la croissance et les hiérarchies urbaines de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) avec celles de la France métropolitaine dans l’objectif de montrer que les dynamiques démographiques nationales peuvent parfois cacher des dynamiques régionales différentes. Ce qui est le cas de la région PACA, dont les dynamiques urbaines semblent aller à contre-courant des évolutions nationales.
En effet, par rapport à ce que l’on observe sur le plan national, la région PACA connaît un processus d’étalement urbain particulièrement prononcé, lié à trois facteurs :
-
l’intensité de la croissance démographique de la région ;
-
l’importante présence de résidences secondaires ;
-
les processus d’urbanisation diffuse des terres agricoles abandonnées à proximité des pôles urbains et sur le littoral.
Méthodologie
Dans l’étude des hiérarchies urbaines, la définition du périmètre de la ville (commune, unité urbaine, aire urbaine, intercommunalité) joue un rôle fondamental. Dans ce travail, le niveau d’agrégation spatiale en aires urbaines1 permet d’intégrer les processus de développement péri-urbain constatés sur la période d’après-guerre et apparaît comme le plus adapté pour une telle étude (Paulus & Pumain, 2002). La base de données utilisée provient des données du recensement de la population publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Plusieurs outils méthodologiques sont utilisés. Premièrement, pour comparer l’évolution des hiérarchies urbaines des régions françaises entre 1962 et 2013, le modèle de Gabaix et Ibragimov (2011) est utilisé : où R est le rang d’une ville, S sa population, β le coefficient de hiérarchisation (coefficient de Pareto) et α un indicateur de la taille de la plus grande ville de la région. Une baisse de la valeur absolue du coefficient de Pareto indique une tendance à la concentration urbaine ; à l’inverse, une hausse du coefficient montre un processus de diffusion de la population plus équitable entre les villes d’un territoire.
Deuxièmement, les chaînes de Markov complètent l’analyse des dynamiques intra-distributionnelles des aires urbaines en France métropolitaine sur la période : elles permettent d’appréhender la dynamique de la distribution rang-taille des aires urbaines (dans chacune des régions françaises, classement hiérarchique des aires urbaines en fonction de leur population). On admet que la population d’une ville représente une chaîne de Markov si, lorsqu’en connaissant la taille d’une ville (S) en t, on peut prédire les tailles futures de cette ville, sans prendre en compte les tailles antérieures. La probabilité pour une aire urbaine de taille (i), à l’instant (t), de passer à une taille (ii) à l’instant (t+1) est donnée par : .
Principaux résultats
Les hiérarchies urbaines en France métropolitaine
Les années 1980 marquent le début d’une baisse progressive de la population vivant dans les aires urbaines en région PACA, passant de 94,2 % en 1975 à 92,3 % en 2013. À contrario, en France, la population habitant les aires urbaines s’accroît fortement durant cette période. En région PACA, les aires urbaines les plus dynamiques sur le plan démographique sont celles dont la taille est comprise entre 10 000 et 50 000 habitants. Ces aires urbaines se retrouvent pour la plupart d’entre elles soit à proximité de Nice, d’Aix-Marseille et de Toulon (effet de diffusion de la croissance démographique), soit dans les espaces périurbains du Var. Ces territoires sont nés du phénomène d’étalement urbain ; ils sont spatialement déterminés par les grands axes de communication et apparaissent comme des interfaces entre des territoires très urbanisés et des territoires ruraux. La tendance est différente au niveau national, puisqu’on observe les croissances démographiques les plus fortes dans les plus grandes aires urbaines (supérieures à 50 000 habitants), durant toute la période de 1962 à 2013.
Tableau I. Part de la population appartenant à une aire urbaine.
Région |
1962 |
1968 |
1975 |
1982 |
1990 |
1999 |
2008 |
2013 |
Densité en 2013 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur |
93,2 % |
93,8 % |
94,2 % |
93,8 % |
93,3 % |
93,1 % |
92,7 % |
92,3 % |
158 |
France métropolitaine |
79,9 % |
81,8 % |
83,5 % |
84,1 % |
84,7 % |
85,0 % |
84,8 % |
84,8 % |
115 |
Sources : Barois, données Insee.
L’utilisation des modèles de hiérarchisation confirme ces résultats. Les dynamiques des aires urbaines des territoires étudiés, la France métropolitaine et la région PACA, sont sensiblement différentes. On observe une déconcentration démographique des plus grandes aires urbaines au profit des plus petites en région PACA, alors qu’au niveau national, la tendance est à la concentration de la population dans les plus grandes aires urbaines. Ces dynamiques différenciées rendent l’analyse de la nature de la croissance urbaine des régions françaises d’autant plus importante.
La croissance urbaine des régions françaises : de multiples disparités
Le tableau II permet de comparer la distribution initiale des aires urbaines (répartition des aires urbaines en fonction de leur population dans différentes classes en début de simulation) avec la distribution ergodique (répartition des aires urbaines en fonction de leur population dans différentes classes en fin de simulation), qui émerge à l’état stationnaire, autrement dit lorsque cesse tout mouvement ascendant ou descendant des aires urbaines au sein de la distribution. L’état initial correspond au découpage de la distribution des aires urbaines afin d’obtenir des classes homogènes, c’est-à-dire des classes qui contiennent le même nombre d’individus au début de la simulation. Dans la distribution finale, 80 % des aires urbaines de la région PACA se trouvent dans les deux groupes les plus élevés (64 % dans la classe 5 et 20 % dans la classe 4). À l’état ergodique, la région PACA retrouverait, uniformément répartie sur son territoire, une multitude d’aires urbaines de taille importante. À l’inverse, en France métropolitaine, on trouve une concentration des aires urbaines dans les classes 1 et 2 : ceci est lié au fait que la concentration démographique dans les aires urbaines les plus grandes s’accentue, tandis que la majorité des moyennes et petites aires urbaines restent à l’écart d’un quelconque dynamisme démographique. À terme, en France métropolitaine, le système urbain serait composé de quelques grandes aires urbaines concentrant la majorité de la population et de très nombreuses aires urbaines de petite taille.
Tableau II. Distribution initiale et ergodique des nouvelles régions françaises.
État |
Région |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
État initial (début de la simulation) |
France |
0,200 |
0,200 |
0,200 |
0,200 |
0,200 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur |
0,194 |
0,194 |
0,222 |
0,194 |
0,194 |
|
État ergodique (fin de la simulation) |
France |
0,723 |
0,185 |
0,056 |
0,023 |
0,013 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur |
0,015 |
0,075 |
0,065 |
0,205 |
0,641 |
Notes : Les classes C1 à C5 représentent un découpage homogène des différentes aires urbaines en fonction de leur population (C1 étant composée d’aires urbaines de petites tailles, C5 étant composée d’aires urbaines de grandes tailles).
Sources : Barois, données Insee.
Lorsqu’on compare la région PACA à la France métropolitaine, on se prive des informations sur les dynamiques des autres régions. La dynamique nationale pourrait ainsi cacher des dynamiques régionales plus spécifiques. Cependant, l’étude prend en considération ces limites, et des analyses plus fines montrent que la région PACA est la seule à observer une déconcentration de son système urbain à l’échelle des aires urbaines (phénomène de diminution du poids démographique des plus grandes aires urbaines au profit des petites et moyennes aires urbaines). Toutes les autres régions suivent le comportement observé à l’échelle de la France métropolitaine, soit un renforcement du système urbain primatial (pour chaque région, phénomène d’accentuation du poids démographique de la plus grande aire urbaine au détriment des moyennes et petites aires urbaines).
Apports
Tout d’abord, il s’agit d’un travail original puisque jamais effectué à ce niveau géographique. Il tente de mettre en évidence des disparités régionales parfois souvent oubliées dans les études effectuées au niveau des pays. Il rejoint différents travaux effectués notamment sur la péninsule ibérique, les États-Unis et le Japon. Ce travail teste également la robustesse de ces résultats sur différents échelons territoriaux pour relever d’éventuels biais liés au choix du zonage géographique.
Ce travail permet de mettre en relation l’évolution démographique particulière de la région PACA avec une étude statistique précise et les phénomènes d’étalement urbain observé. Cette étude démontre par des outils économétriques les observations statistiques effectuées sur la croissance des territoires périurbains et permet d’avoir, toutes choses égales par ailleurs, une vision de long terme sur les évolutions démographiques et la modification des systèmes urbains à un échelon régional.
Difficultés et pistes de réflexion
Cette étude, comme tout travail de recherche, rencontre certaines limites mais appelle aussi à des travaux ultérieurs.
Dans les pays anciennement industrialisés comme la France, les changements démographiques s’opèrent de façon très lente, à l’inverse des pays en développement. Bien que nous disposions de données sur presque 50 ans, il semble prudent de souligner l’hypothèse d’éventuelles tendances de moyen terme qui influencent les résultats dans un sens ou un autre.
Les interactions entre les aires urbaines d’une même région ou voisines ainsi que les influences macroéconomiques régionales (flux migratoires, infrastructures, revenu, politiques publiques, etc.) sont des facteurs clés du changement du système urbain, comme le laissent supposer les différents tests économétriques. Ainsi, la prise en compte de ces facteurs macroéconomiques doit être analysée de façon plus précise.
Cette étude ne considère pas l’autocorrélation spatiale (mesure de la ressemblance/dissemblance en fonction de la proximité géographique des observations) alors que les aires urbaines y sont fortement assujetties. La prise en compte de cette forme d’autocorrélation dans les modèles de croissance urbaine reste encore difficile mais ouvre dans le même temps des perspectives de recherche sur les interactions entre les aires urbaines régionales.
Ces tendances et observations soulignées vont être amenées à être analysées de nouveau pour deux raisons principales. La première étant la crise sanitaire de la Covid-19, catalyseur des envies de départ des ménages des grandes agglomérations vers des villes moyennes, et cela à l’échelle de la France entière. Ainsi, on peut se demander si les observations propres à la région PACA ne vont pas se généraliser à l’ensemble du territoire. On peut émettre l’hypothèse que les évolutions spécifiques de la région PACA sont la manifestation d’une trajectoire démographique cyclique des systèmes urbains régionaux, susceptible de se reproduire dans d’autres. La seconde étant le nouveau zonage de l’Insee, nommé « aires d’attraction », qui remplace avec de nombreuses modifications géographiques le zonage en aires urbaines. Ainsi, les constatations effectuées à l’échelle des aires urbaines seront-elles similaires à celles réalisées sur les aires d’attraction ?