Intervenants :
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Morgane Bregnat (M. B.)1, chargée de mission Dialogue citoyen, évaluation et prospective, Nantes Métropole ;
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Fanny Broyelle (F. B.), directrice, Mondes communs.
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Matthieu Clavier (M. C.), responsable du Nantes City Lab, Nantes Métropole ;
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Julie Hemmer (J. H.), pilote de la participation habitante, ICEO ;
Animation : Emmanuelle Gangloff et Hélène Morteau, fondatrices et dirigeantes, Bien Urbaines.
La ville sensible : définitions et évocations
Des sensations et des émotions
Les échanges ont débuté par l’évocation de la ville sensible.
J. H. « Sensible » n’est pas un adjectif simple ; il fait appel aux sens, qui nous permettent de percevoir. Notre corps, notre cerveau, s’adaptent ainsi aux transitions dans la ville sensible.
F. B. Ensuite, « sensible », « sens », renvoient au sensoriel, au sensationnel, aux sentiments, au sensuel. La ville ne matérialise pas uniquement des fonctionnalités, des bâtiments : elle implique une interrelation, une altérité, un rapport à l’autre, à la façon dont nous vivons les uns avec les autres. La ville incarne aussi des représentations : intervient dès lors le champ du symbolique, de l’identité, de la perception, mais aussi de l’immatériel. Sans oublier le rapport au vivant – l’humain, le non-humain –, au non-vivant – les bâtiments, les espaces. La ville est un écosystème, un biotope, à envisager dans toute sa dimension organique2 et relationnelle.
« Sensible » convoque également le champ des émotions, c’est-à-dire ce que l’on ressent via les ambiances, les atmosphères, des lieux traversés – aimés, ou pas, pour des raisons souvent extrêmement subjectives. Ils nous ramènent à leur histoire mais aussi à la nôtre ; ce qu’ils dégagent peut alors être différent selon les personnes. Les sensations suscitées par un espace évoluent pendant la journée, la semaine, la saison. Cependant, certains éléments peuvent tout de même être objectivés.
H. M. En effet, malgré la subjectivité du sensible, l’analyse de ces éléments pour partie objectivables relève du travail des chercheurs grâce au déploiement de certaines méthodes adéquates, aujourd’hui assez bien documentées.
Le dialogue citoyen
M. B. Par ailleurs, la ville sensible ramène à la question du dialogue citoyen : comment faire participer les habitants et les habitantes de la ville ? La ville sensible, c’est aussi la ville de l’expérience ; l’expérience mène à l’expertise d’usage et des usagers de la ville. La ville sensible est une ville qui écoute et entend la diversité des usages, des points de vue, des personnes qui la traversent. Elle regroupe de multiples sensibilités ; la ville à hauteur d’hommes, de femmes, d’enfants, des minorités de genre fait ainsi l’objet de travaux spécifiques. Comment capter cette diversité pour faire émerger les dialogues et faire ainsi commun ?
Les émotions de la ville
M. C. En outre, la question du sensible peut être prise dans l’autre sens, du côté de la ville. La ville est sensible ; elle est apte à capter des émotions. Comment peut-on capter les émotions de la ville, ressentir ce qu’il s’y passe ? Un des objectifs du Nantes City Lab – dispositif qui travaille l’innovation au service de la ville en partant de l’expérimentation – est d’étudier la façon dont réagit la ville, tel un organisme vivant, à certains stimuli.
Et les quartiers sensibles ?
F. B. Enfin, « sensible » a longtemps été associé aux quartiers sensibles, c’est-à-dire complexes, problématiques, etc. ; l’adjectif sert dans ce cas à masquer une réalité sous un vocabulaire plus sympathique car il n’a absolument rien de dysfonctionnant. L’imaginaire autour de la ville sensible est, lui, tout autre. Le même terme donne donc lieu à des significations bien différentes.
Pratiques professionnelles et méthodes de la ville sensible : l’expérimentation
Des projets menés différemment
M. C. Le Nantes City Lab est un dispositif créé il y a sept ans à Nantes Métropole dans un contexte où l’on parlait beaucoup de smart city. De grands groupes proposaient alors à la Métropole de « piloter la ville », de la contrôler, grâce à la technologie, à l’automatisation et les tableaux de bord qui en découlaient. Cela marquait un fantasme d’un futur désirable et souhaitable où tout serait géré informatiquement. Mais la collectivité suggérait à ces acteurs de créer un cadre d’expérimentation pour tester certaines innovations « en vrai » et ainsi être confrontés à des situations réelles en termes d’usages. Grâce à l’expérimentation, limitée dans le temps, toutes les parties prenantes pourront ainsi mieux saisir ce qui fonctionne ou pas, comment et pourquoi, plutôt que d’installer des projets à la durée vague.
Un exemple d’expérimentation portée par Nantes City Lab a concerné le vélo dans le but de développer la mobilité durable. Il était alors question de savoir si la mise en place stratégique de pompes à vélo électriques et autonomes donnait plus de confiance aux usagers pour utiliser plus régulièrement leur vélo. Un porteur de projet nous a proposé un dispositif : une pompe alimentée par un panneau solaire. Six ont été déployées dans la métropole, et l’expérimentation a permis d’en évaluer le fonctionnement, sa fiabilité, sa durabilité ainsi que ses effets en termes d’utilisation et de périodicité. L’expérimentation permet aussi de mener un projet différemment, avec des possibilités d’évolution au fur et à mesure en prenant en compte les retours plutôt que de partir d’un canevas bien défini avec son cahier des charges et son déroulement, quitte à changer de projet si celui initialement prévu ne fonctionne pas.
Autre exemple : la fresque au sol à proximité du Carrousel des Mondes marins, qui rentre dans le cadre d’un appel à projet expérimental sur la santé globale, sans relever du soin stricto sensu. Y a été créé un environnement qui incite à l’activité physique. La mesure est en cours pour savoir si, par ce design actif, les personnes viennent s’amuser, s’exercer en lien avec l’installation, s’il y a des détournements d’usages. De la même manière, La Parenthèse enchantée, qui va bientôt être inaugurée sur les bords de l’Erdre, vise à être un lieu de déconnexion qui incite au repos grâce notamment à son atmosphère, son mobilier, ses peintures.
M. B. Il est vrai que Nantes Métropole privilégie une approche de la ville par les usages en les interrogeant en amont d’un projet urbain ou d’une nouvelle politique publique. Pour cela, une diversité de méthodes et d’outils est possible : les traditionnelles déambulations dans l’espace public ; les débats in situ sur le futur d’un lieu afin de se reconnecter à ce que l’on vit ; les récits, dessins, images pour essayer, par les pratiques artistiques des habitants, de capter les représentations qu’ils ont de l’espace ainsi que leurs émotions.
L’évaluation
M. C. Après la phase d’exploration, il fallait ensuite faire une évaluation de ce travail, à mettre au point à partir des interrogations suivantes : que se passe-t-il lorsque cette expérimentation est implémentée dans l’espace public ? Que cela implique-t-il, transforme-t-il ? À qui faut-il d’ailleurs poser la question, comment ? Du côté des usagers, ce que le porteur de projet a imaginé s’ancre-t-il dans une réalité ou plus dans un fantasme ? Cela nécessite de se rendre sur place pour observer. De nombreuses méthodes sont alors possibles, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, directes ou indirectes.
M. B. Dans l’évaluation de l’expérimentation, une autre interrogation est celle de l’utilisation des données recueillies – parfois paradoxales –, des mesures. Comment les fait-on dialoguer les unes avec les autres au vu de la diversité des sensibilités, des émotions et donc des intérêts qui peuvent s’exprimer à un même moment, dans un même lieu ? Comment organiser la mise en commun de ces curseurs pour en tirer des constats partagés, des enseignements, des préconisations ? Dans quel espace collectif et démocratique peut-on en débattre et avec qui afin de participer, in fine, aux décisions publiques qui peuvent soutenir un projet, une ville sensible ? Interviennent alors les notions de sensibilisation, de concertation, de dialogue citoyen.
De l’économie sociale et solidaire dans la promotion immobilière
Des démarches participatives et/ou d’habitat participatif
J. H. Parmi les autres pratiques professionnelles que l’on peut observer sur cette question du sensible sont celles d’un promoteur de l’économie sociale et solidaire comme ICEO. Le rapport entre le non-vivant et le vivant est une problématique très présente. D’abord, construire une ville sensible signifie aussi construire une ville confortable pour ses habitants, c’est-à-dire avec des bâtiments conçus à la fois pour respecter l’environnement et le bien-être des résidents. Il s’agit alors d’un travail plutôt technique avec les matériaux, qui a aussi pour objectif de construire un bâti harmonieux grâce, notamment, au concours des architectes. Par ailleurs, tous les projets menés par ICEO – qui durent quatre ans – ont des démarches participatives et/ou relevant de l’habitat participatif. Dans un premier temps, un groupe d’habitants avec des sensibilités, des cultures et des lieux différents, est constitué. L’organisation de ce groupe relève de la psychologie et de l’intelligence collective : comment fait-on pour le dynamiser ? L’aide des assistants à maîtrise d’usage est alors précieuse pour pouvoir ensuite coconcevoir les logements individuels et les espaces communs en essayant d’inclure tout le monde. Les espaces communs ne sont pas à négliger car ce sont des lieux de rencontres, d’échanges, y compris de sensibilité. Ce n’est cependant pas toujours facile de mixer plusieurs catégories sociales et cultures ; l’approche dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), anciennement « quartiers sensibles », n’est ainsi pas la même. ICEO a lancé deux projets en QPV, l’un à Nantes nord, à Chêne des Anglais, et l’autre à Lyon, à Bron Terraillon ; or, le discours y est différent par rapport aux quartiers hors QPV, ce qui amène à se requestionner régulièrement, à faire des pas de côté.
E. G. L’expérimentation dans le cadre de la projection pour de futurs habitants est en effet fort intéressante, en particulier dans ces QPV, car elle interroge les personnes sur la dimension sensible d’un lieu déjà connu vs un sensible que l’on aimerait. Il y a sans doute une grande différence entre ce que l’on vit, ce dont on a l’impression qui est déjà là, et ce que l’on aimerait projeter ; comment cela peut-il se rejoindre ? Cela interroge la temporalité.
Les interventions artistiques
F. B. L’expérimentation accompagnée d’artistes, avec leur hypersensibilité, leurs pas de côté, leur esprit critique, voire leurs subversions est un autre champ à explorer qui rejoint cette question de la temporalité3. Les Ateliers de la cité, dans la cité de la Bricarde, en face de la sensible Castellane dans un quartier nord de Marseille, est un exemple assez emblématique. La Bricarde est une cité complètement fermée, sans accès facile au centre-ville, et seulement desservie par un bus qui passe une fois toutes les 50 minutes. La zone dans laquelle elle s’insère est fortement marquée par le chômage ; la population, très jeune, est issue de l’immigration pour la grande majorité. Pendant huit ans, le bailleur social Logirem a monté le dispositif Les Ateliers de la cité avec une structure d’art contemporain avec la volonté d’accueillir des artistes nationaux et internationaux sur des résidences longues, de un an à trois ans, dans des rez-de-chaussée d’immeubles en guise d’ateliers. En contrepartie, ces artistes devaient réaliser des œuvres à destination du territoire, en incluant ou pas les habitants. Ce projet, qui a duré huit ans (2006-2017), a été évalué dans le cadre d’un programme de recherche sociologique qui a cessé pour de très mauvaises raisons : le quartier est devenu de plus en plus dangereux et invivable en raison d’un report du trafic à la Bricarde à la suite d’une descente à la Castellane. Avant cela, ce dispositif a bien fonctionné et a reçu un accueil très favorable par les habitants. Ce temps long du projet pendant lequel les artistes se sont insérés durablement dans le quartier a favorisé les rencontres, les échanges, voire même des amitiés tissées avec des habitants. Les œuvres d’art contemporain installées, pointues, n’ont quasiment jamais été vandalisées, preuve d’un certain attachement des résidents. Les Ateliers de la cité ont généré des dynamiques locales assez fortes, notamment avec des jardins partagés, des temps conviviaux, etc. De par leur insertion au cœur du quartier, certains artistes ont même changé leur projet d’œuvre d’art ; Stefan Eichhorn avait ainsi prévu de créer une sorte de vaisseau spatial venant se poser dans la cité mais, au bout de trois mois, il s’est rendu compte que cela ne correspondait pas du tout au besoin des habitants. Il a ensuite décidé de réaliser un banc en demi-cercle, Le Parlement, au milieu duquel a été placée une grille de barbecue ; les habitants se sont ensuite approprié le lieu jusqu’à devenir un espace de squat de certains jeunes mais aussi des familles.
Cette présence artistique a été extrêmement accompagnée par le bailleur social comme par l’association ; elle est le fruit d’une importante mission de médiation. Les artistes ne sont pas arrivés « par hasard » pour installer des œuvres, sans aucune histoire ; ce sont plutôt des œuvres que l’on peut qualifier de processuelles ou relationnelles. Ce qui fait œuvre, quelque part, c’est ce process de production. Dans ce temps du monde des arts, où les artistes travaillent en lien avec les habitants, l’œuvre compte moins que le chemin parcouru pour y parvenir. Dès lors, ce quartier sensible est devenu encore plus sensible, mais dans l’autre sens du terme. Les habitants éprouvaient une certaine fierté d’habiter cet endroit, d’ordinaire peu sillonné, notamment lors des visites organisées par Le Printemps de l’art contemporain, avec tout le contraste en termes de population que cela suppose.
Cette question de la réception des œuvres d’art dans Les Ateliers de la cité a été étudiée par des chercheurs en sociologie à travers les paroles habitantes. Le récit construit autour de ce projet était double ; d’un côté, il était vu comme un musée à ciel à ouvert, sous forme d’un cabinet de curiosités au sein de la cité ; de l’autre, des légendes urbaines plus critiques ont été fabriquées, comme celle du Jardin des inclinaisons. Cette œuvre de Charlie Jeffery, créée dans le cadre de Marseille Provence 2013 capitale de la culture, avait été installée dans un terrain « à crottes de chien » mais certains habitants ont raconté qu’on leur avait pris leur terrain de pétanque (alors qu’il n’a jamais été utilisé comme tel). D’autres avaient du mal à comprendre pourquoi n’était pas privilégiée la réparation des fenêtres ou des ascenseurs.
Limites et défis posés par les projets et les expérimentations de la ville sensible
Le choc des cultures
F. B. Ces réflexions amènent à penser aux limites de tels projets artistiques. L’arrivée des artistes peut mettre en tension des territoires, en particulier dans les cités d’habitat social où des personnes sédentaires rencontrent des personnes nomades, qui s’installent pour de courtes durées et qui, souvent, ne dorment pas sur place. Des personnes au chômage se heurtent à des individus qui eux travaillent, sur des questions artistiques, souvent considérées comme ne relevant pas d’une profession. L’autre limite tient au fait que l’univers de certains artistes peut percuter celui des habitants ; leur façon de parler, de s’exprimer, d’être, peut rentrer en complexité avec la manière dont les habitants reçoivent cette présence. Et cela est de plus en plus fréquent ; des difficultés liées à des questions décoloniales et d’appropriations culturelles sont rencontrées, qui rendent la rencontre extrêmement difficile. En outre, de nombreux habitants en ont assez d’être consultés, qu’on fasse leur portrait, le récit de leur vie, de leurs quartiers, sans voir vraiment à quoi cela sert.
Faire évoluer les métiers
M. B. À l’intérieur de cette ville sensible, l’écoute des différents points de vue, de cette parole qui vient du terrain bouscule en effet les métiers. On peut même parler aussi de choc des cultures entre l’ingénieur, le technicien, etc. À Nantes, il est fait en sorte que ce dialogue soit intégré à la conduite de projet sans que cela soit porté par un service à part en particulier ; c’est le chef de projet urbain qui doit réfléchir aux questions qu’il a envie de poser aux habitants, qui doit venir aux réunions de concertation, choisir un prestataire, accompagner. Il s’agit de travailler en transversalité en désilotant les façons de faire parce que le sensible ne se traite pas thématique par thématique, mais touche à quelque chose de plus poreux, au mode de vie. Piloté par le chef de projet, le processus doit être clair ; il doit également expliquer clairement les marges de manœuvre possibles, poser des questions très claires aux habitants pour lesquelles il est intéressant d’obtenir des réponses. Une fois le cadre posé au départ, un processus d’instruction des préconisations et des propositions des citoyens est mis en place, avec plusieurs services de la Métropole, de la Ville où sont analysés les éléments qui ressortent en termes de perception et de représentation. Les élus s’engagent ensuite à apporter une réponse argumentée avec un maximum de transparence et de traçabilité sur la manière dont l’instruction a fait bouger le projet.
H. M. À Nantes Métropole, ce dialogue à l’échelle de toutes les politiques publiques à venir vient transformer la culture interne des agents. Une partie s’est acculturée à cette prise en compte de la parole des citoyens.
M. B. D’ailleurs, les nouvelles façons de faire l’urbanisme plus sensible interrogent aussi les métiers des agents. Par exemple, on attend aujourd’hui qu’un jardinier municipal soit aussi un médiateur, un animateur de collectif ; cela nécessite aussi d’accompagner les agents de la collectivité dans cette évolution. Par ailleurs, de nouveaux métiers devraient sans doute se créer, comme ceux liés aux conciergeries de l’espace public. En amenant du sensible dans l’espace public, de l’animation, cela questionne sa gestion, son entretien, le stockage.
E. G. Les professionnels doivent s’adapter à ces projets qui mettent en œuvre des dispositifs participatifs. Si tout un champ professionnel commence à s’emparer de ces missions – agences d’assistance à maîtrise d’usage, agences de concertation, etc. –, l’évolution doit aussi se faire en interne.
J. H. Chez ICEO, malgré la diversité des parcours professionnels, l’équipe est réunie de par les valeurs partagées. Ce sont ces valeurs qui amènent aux questionnements sur les pratiques au sein de notre métier. Avoir fait de la recherche auparavant, par exemple, pousse au doute, à l’observation, à l’analyse, à cette adaptation constante.
Produire des logements accessibles
J. H. D’autres limites relèvent de ce rapport au vivant et au non-vivant. Pour ce qui est du bâti, il est ainsi question de produire des logements réellement accessibles en termes de prix. Chez ICEO, les prix sont fixés au mètre carré dès le début du projet ; pendant les deux ans où le groupe de dialogue se forme, c’est donc bien le promoteur immobilier qui porte le risque financier et juridique. Ce n’est qu’une fois que les personnes ont coconçu leur habitat qu’ils commencent à s’engager financièrement. Or, lors d’appels à projet, certains sont retenus pour leur beauté architecturale et un peu moins pour leur performance énergétique ou leur capacité à proposer un prix en dessous du marché.
F. B. Les activités d’ICEO relèvent de l’économie sociale et solidaire, ce qui est singulier pour un promoteur immobilier. Logiques économiques et sociales sont très différentes de celles des entreprises de « l’économie classique ». Certaines questions de rentabilité ne sont donc pas posées, au contraire de celles de gouvernance partagée, d’intérêt général.
Quant au vivant, les projets ICEO s’efforcent de faire participer les habitants. Cela se fait via des ateliers, des groupes, qui deviendront autonomes pour prendre les décisions. L’accompagnement sur quatre ans – puis un an après la livraison – permet de mettre en place des actions réelles. Les limites se ressentent plutôt lors des démarches participatives une fois le projet terminé, et le promoteur peut avoir des difficultés à trouver sa place. Par exemple, pour l’inauguration prochaine du programme Jadéo à Nantes – particulièrement mixte (cession libre, locatif social, locatif « classique ») –, communiquer sur l’événement n’est pas évident. Il s’agit d’utiliser les bons outils pour tenter de rassembler, de créer des échanges : la barrière de la langue est forte. Des associations sont aussi mobilisées, pour récupérer des paniers bios par exemple, mais cela demande beaucoup d’énergie.
Expérimentation et service public
M. C. Au sein du City Lab, les projets sont souvent plus restreints ; ce ne sont pas des « produits d’urbanisme » mais davantage des objets, des organisations, ou des services. Les limites rencontrées portent sur les changements des pratiques lors de missions avec le service public bien souvent animé par la volonté de développer un service et d’en garantir le fonctionnement dans la durée. Or la logique de l’expérimentation repose sur un temps court. Un travail de pédagogie est donc nécessaire pour en expliquer les principes et le mode de faire : durée limitée, évaluation, mesure de la valeur produite pour les différentes parties prenantes, devenir incertain du projet en fonction. Ce dernier point est sans doute le plus complexe à faire entendre.
Temporalité et exogéniété des variables
M. C. Une autre des limites éprouvée, par rapport à la ville sensible, est ce temps de l’expérimentation dans le City Lab. Il n’est pas évident de cerner la période et le temps idéal pour réaliser cette expérimentation. En fonction de la période prise en compte, les résultats peuvent être radicalement différents. L’autre enjeu est celui lié au grand nombre de variables exogènes qui entrent en compte : un événement particulier dans la vie du quartier, inattendu, peut décider du sort d’un projet. Par ailleurs, bien que l’aspect « grandeur nature » de l’expérimentation permette un contact direct avec les usagers, il est certain que la méthodologie d’accompagnement devrait être approfondie, notamment par différents tests comparatifs.
