Une désaffection originelle
La rue de la République, à Marseille, est une percée d’inspiration haussmannienne qui a été créée entre 1858 et 1864 pour atteindre La Joliette, extension portuaire nouvellement créée pour satisfaire une activité maritime toujours croissante et qui ne tenait plus dans le Vieux Port. Cette ouverture a occasionné la destruction d’un pan important de la ville ancienne tout en proposant des constructions bourgeoises de standing, supposées attirer une nouvelle catégorie d’investisseurs et d’habitants, plus fortunés. Le linéaire des façades de cette rue surprend ainsi par sa régularité et son esthétique soignée en pierre jaune et ferronneries, proche de la référence parisienne.
Cependant, l’environnement portuaire et populaire caractéristique du cœur de Marseille n’a jamais vraiment attiré la population visée – plus encore, les logements haussmanniens n’ont cessé de se dégrader, tout en servant parfois de lieux d’accueil pour migrants sans titre et en précarité.
Figure 1. La rue de la République à Marseille
© Samuel Depraz, 2025.
L’échec de la revalorisation de la rue
En 2004, la Société immobilière de Marseille revend donc tous ses biens à des fonds d’investissement étrangers (Lonestar et Primonial en particulier), qui relancent la valorisation de la rue, en profitant de la proximité de l’opération de rénovation urbaine Euromed.
Mais, si la rénovation a bien fait monter les prix en provoquant l’éviction – parfois violente (Borja, 2013) et médiatisée – de populations modestes, elle n’a toujours pas eu le succès escompté. Aujourd’hui encore, une part importante des bureaux et des commerces reste inoccupés (55 % en 2019 ; Goiffon, 2019) et près d’un tiers des logements y seraient toujours vacants (34 % en 2015 ; Mateos Escobar, 2016).
Tableau 1. Vacance des logements des IRIS1 que traverse la rue de la République à Marseille (2021) – zone aval direction La Joliette
IRIS |
Total logements |
Dont vacants |
Taux de vacance |
Mazenod-République |
1 005 |
131 |
13,0 % |
Charité République |
908 |
173 |
19,1 % |
Dames |
1 104 |
178 |
16,1 % |
Les Carmes |
680 |
93 |
13,7 % |
Pour l’amont, le découpage IRIS s’éloigne beaucoup de la rue de la République et englobe soit Le Panier, soit le Vieux Port.
Source : Insee (2025), base infracommunale, données logements à l’IRIS pour l’année 2021.
Les investisseurs ont alors subdivisé les biens afin de repositionner l’offre en direction de petits studios et de meublés pour étudiants (Un centre-ville pour tous, 2019), voire de locations saisonnières touristiques, mais le résultat n’est pas encore atteint – faisant de cet « interminable échec » (Goiffon, 2019) un cas d’école pour comprendre les erreurs de diagnostic et de calcul de risque d’un projet immobilier.
Figure 2. Chiffres clés sur la vacance immobilière à Marseille et rue de la République
Sources : Logements vacants du parc privé par ancienneté de vacance, par commune et par EPCI - data.gouv.fr ; Goiffon, 2019 ; Insee, 2025.
Un problème social qui perdure, de formes en formes
Cette situation de blocage a suscité les critiques des associations de défense du droit au logement, tout particulièrement dans un contexte marseillais où une fraction de la population vit dans des copropriétés dégradées. En janvier 2019, l’État a donc décidé de louer plusieurs dizaines de logements pour reloger les victimes de l’effondrement de la rue d’Aubagne (Lane, 2019) tandis que, de leur côté, les fonds d’investissement ont préféré revendre une partie des lots à des sociétés d’habitations à loyer modéré (HLM) – en particulier à Unicil, filiale d’Action Logement – qui doivent aussi rénover.
Figure 3. Déclaration préalable de travaux par Unicil rue de la République à Marseille
© Samuel Depraz, 2025.
Mais les travaux tardent, et certains logements sont squattés. Si des portes « anti-squat » et des vigiles sont placés pour empêcher cette pratique, Unicil a aussi mis en place une « protection par occupation »2 : il s’agit d’une contractualisation auprès d’une société privée qui place des « gardiens temporaires » – des actifs, adultes sans enfant, en général – qui occupent les logements pour un loyer minime, mais avec contrôle régulier de l’état du bien et sans garantie de durée, puisque le bien peut être récupéré à tout moment par le propriétaire. Le problème social perdure donc toujours, si ce n’est sous d’autres formes.
Figure 4. Protection d’occupation mise en place par Unicil rue de la République à Marseille
© Samuel Depraz, 2025.
Téléchargez le poster Vacance immobilière et occupations temporaires. Le cas de la rue de la République à Marseille (clic)