La publicité foncière est « l’ensemble des règles destinées à faire connaître aux tiers intéressés la situation juridique des immeubles par le moyen d’un fichier immobilier et la publicité des privilèges, des hypothèques et des autres droits portant sur ces immeubles » (Cornu, 2016).
Une ordonnance caduque
La réforme de la publicité foncière avait enfin pu être adoptée grâce à l’ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 20241 (Piédelièvre, 2024), qui s’appuie pour l’essentiel sur les travaux de la Commission de réforme de la publicité foncière sous la direction de Laurent Aynès (2018). Cette réforme était ô combien attendue car la publicité foncière restait régie par deux décrets des 4 janvier et 14 octobre 19552. Malheureusement, la réforme les abrogeant – qui devait entrer en vigueur à la date de publication de son décret d’application, et au plus tard le 31 décembre 2028 – était soumise à une condition : le dépôt d’un projet de loi de ratification devant le Parlement dans les trois mois de la publication de l’ordonnance. Or, ce délai n’ayant pas été respecté, l’ordonnance n° 2024-562 est donc caduque en application de l’article 38 de la Constitution, et surtout par la dissolution fautive de l’Assemblée nationale.
L’ordonnance n° 2024-562 améliorait la lisibilité du droit de la publicité foncière, d’une part, en simplifiant le vocabulaire et, d’autre part, en codifiant la publicité foncière dans le Code civil. En effet, en introduisant une théorie générale de la publicité foncière au Livre II du Code civil, la publicité foncière devait participer pleinement du régime de la propriété et des droits réels. Le titre V du Livre II du Code civil, qui n’accueille qu’un article, l’article 710-1, devait normalement contenir cinq chapitres : un premier consacrant les principes généraux, un second exposant les dispositions communes à toutes les formalités, les deux suivants propres aux formalités de publication puis de mention en marge, et le dernier renvoyant aux dispositions locales d’Alsace-Moselle et de Mayotte. Par ailleurs, la section dédiée à l’inscription des hypothèques dans le Livre IV relatif aux sûretés avait fait l’objet d’une réécriture par l’ordonnance afin de la simplifier.
Une intégration à droit constant des règles dans le Code civil
L’intégration des règles relatives à la publicité foncière dans le Code civil devait, en réalité, se faire à droit constant. En effet, nombre de règles consistaient en une réécriture des dispositions issues des décrets de 1955 et en une consécration des règles jurisprudentielles ainsi que des pratiques professionnelles.
L’ordonnance posait surtout une définition de la publicité foncière, définition intégrée à l’article 710-1 du Code civil et centrée sur sa fonction principale d’opposabilité aux tiers des droits réels immobiliers.
Le chapitre 1er dressait aux articles 710-3 à 710-6 du Code civil les principes généraux du droit de la publicité foncière. Ainsi, les formalités de la publication, de l’inscription ou de la mention en marge étaient précisées. De même, la condition d’authenticité des actes soumis à publication, la règle de l’effet relatif3 et l’accessibilité du public aux informations du fichier devaient être codifiées.
Le chapitre II fixait, d’une part, le socle des sanctions de l’irrégularité de la demande déposée (articles 710-7 à 710-9 du Code civil) et, d’autre part, maintenait la règle de tenue chronologique du registre des dépôts puisque la date détermine les effets de la formalité (article 710-10 du Code civil). Les articles 710-7 à 710-9 du Code civil encadraient la procédure de refus de dépôt en cas de non-conformité des documents quant à la forme, la nature ou le contenu. Puis, les articles 710-11 à 710-13 portaient sur les contrôles qui auraient pu entraîner une suspension puis un arrêt de l’opération de publicité si l’irrégularité n’était pas rectifiée pendant le délai de suspension.
Le chapitre III devait, aux articles 710-22, 710-23 et 710-24 du Code civil, poser les opérations soumises à publication. Auraient dû être publiés à titre d’opposabilité les actes et les décisions affectant l’existence, l’usage ou la disposition d’un droit réel immobilier, de même que les actes constatant une prescription acquisitive ou une autre transmission ou constitution résultant de la loi. Ainsi, le système de la publicité aurait été réduit aux actes relatifs aux droits réels de l’immeuble. Surtout, la publicité aurait été sanctionnée par l’opposabilité aux tiers des actes publiés tels qu’ils résultent des mentions du fichier (article 710-32, al. 1er, du Code civil). En ce sens, le rôle du fichier aurait été considérablement renforcé et ne se serait plus résumé à une nature de répertoire.
Dès lors, dans un premier temps, la réforme de la publicité foncière opérée par l’ordonnance du 19 juin 2024 pouvait être qualifiée de « modernisation sans révolution » (Séjean-Chazal, 2024). Mais, dans un second temps, cette réforme réécrivait intégralement la partie du titre II du Livre IV du Code civil relative à l’inscription des hypothèques (articles 2421 et suivants du Code civil).
Une fausse réforme du régime de l’inscription des hypothèques
Rappelons, à titre liminaire, que l’inscription des hypothèques avait déjà subi deux réformes majeures par les ordonnances des 23 mars 2006 et 15 septembre 20214.
Sur la forme, l’ordonnance du 19 juin 2024 simplifiait certes le langage dans un but de compréhension des règles pour le profane, mais cette simplification aurait pu être source d’incohérence, d’imprécision, et surtout d’insécurité juridique5.
Sur le fond, l’ordonnance maintenait la majorité des règles antérieures, comme la double spécialité de l’inscription (article 2422 du Code civil), l’usage de deux bordereaux – revêtus d’un certain nombre de mentions et de déclarations – pour procéder à l’inscription (article 2426 du Code civil), les règles de renouvellement et de péremption de l’inscription (articles 2431 et 2432 du Code civil), etc.
Enfin, l’article 710-31 du Code civil prévoyait une nouveauté : déposer des actes reçus par des officiers publics ou ministériels étrangers au rang des minutes d’un notaire exerçant en France, notaire qui aurait dû contrôler les conditions d’acceptation et de reconnaissance, avant de procéder à leur publication (Godechot-Patris, 2024). Cette nouvelle règle contraste avec l’actuel article 710-1 du Code civil. En effet, ce dernier limite l’accès au fichier aux seuls actes reçus par un notaire exerçant en France et prohibe de publier les actes simplement déposés au rang de ses minutes. Les actes notariés étrangers impliquent en effet nécessairement une réitération en France pour être publiés sur le registre français (Cuif, 2011).
Une uniformisation et une unification civilistes de la publicité foncière avortée
En définitive, l’ordonnance avait le mérite de proposer une réforme uniformisée et unifiée de la publicité foncière dans le Code civil, en consacrant une théorie générale de la publicité foncière au Livre II du Code civil. Certes, les décrets d’application qui devaient être pris au plus tard le 31 décembre 2028 auraient pu modifier quelque peu en substance les règles mais la réforme aurait eu au moins le mérite d’abroger les décrets de 1955 et de moderniser la publicité foncière. Malheureusement, cette espérance fut de courte durée, car la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, qui a pour conséquence l’arrêt des projets de loi alors en cours, a définitivement avorté la théorie générale de la publicité foncière. Alors, Monsieur le Législateur à votre plume !