Contexte de l’étude
La pandémie de Covid-19 a eu un impact majeur sur les marchés financiers mondiaux, touchant à la fois les économies en développement et les économies développées. L’étude présentée ici se penche sur les conséquences de cette crise sur les marchés boursiers de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Middle East and North Africa, MENA) et examine spécifiquement les changements dans le degré de connectivité financière entre les indices boursiers de cette région pendant la pandémie par rapport à la période précédant la crise.
La connectivité financière : de quoi s’agit-il ?
La connectivité financière se réfère à la facilité avec laquelle les actifs financiers, les transactions et les informations peuvent circuler entre les marchés, les institutions financières et les investisseurs. Elle mesure la fluidité et l’interconnexion des systèmes financiers, ce qui peut avoir un impact sur la rapidité et l’efficacité des opérations financières et sur la manière dont les événements sur un marché peuvent influencer d’autres marchés. En d’autres termes, c’est la capacité des marchés et des acteurs financiers à être interconnectés et à fonctionner de manière coordonnée.
Au fil des dernières décennies, la connectivité financière entre les marchés transfrontaliers a pris une importance croissante, favorisée par la mondialisation et l’adoption d’une économie ouverte tant par les pays en développement que par les pays développés (Lane & Milesi-Ferreti, 2003). La connectivité des marchés boursiers favorise le flux de capitaux des marchés excédentaires1 vers ceux en manque, facilitant ainsi une allocation efficace des ressources. En outre, le degré d’interconnexion financière permet aux investisseurs de repérer et d’explorer des opportunités d’investissement qui peuvent contribuer à diversifier leur portefeuille.
Grâce à la diversification, les investisseurs répartissent leurs fonds entre plusieurs types d’actifs (actions, obligations, immobilier) pour réduire les risques car différents actifs peuvent ne pas réagir de la même manière aux changements économiques et aux crises financières. De plus, la diversification peut également améliorer les rendements globaux du portefeuille en tirant parti des performances positives de plusieurs classes d’actifs. Par exemple, la diversification au travers de l’investissement dans les Real Estate Investment Trusts (REITs)2 est depuis longtemps considérée comme une composante incontournable de cette stratégie (Bhuyan et al., 2015 ; Granath & Carlsson, 2019 ; Yat et al., 2021 ; Bernardo et al., 2023).
Cependant, l’interconnexion des marchés financiers peut aussi accroître le risque de contagion. La contagion financière se produit lorsque les perturbations dans un marché (crise financière…) ou un secteur se propagent rapidement à d’autres marchés ou secteurs, ce qui déclenche une réaction en chaîne. Cela souligne l’importance de comprendre ces interconnexions entre les actifs et les marchés afin de construire des portefeuilles plus équilibrés et résilients.
Importance de la région MENA et impact de la Covid-19
La région MENA est renommée pour ses vastes réserves de pétrole et de gaz, ce qui en fait un acteur majeur sur le marché mondial de l’énergie qui influe directement les marchés financiers. De plus, la région MENA représente un important hub économique et commercial, reliant l’Asie, l’Europe et l’Afrique, ce qui signifie que les perturbations dans ces marchés financiers ont des répercussions sur les chaînes mondiales d’approvisionnement et les investissements internationaux. D’ailleurs, les efforts de diversification économique, qui visent à réduire la dépendance vis-à-vis de l’industrie pétrolière, ont créé de nouvelles opportunités d’investissement dans de nombreux pays de la région, attirant ainsi l’attention des fonds internationaux et des investisseurs (Aker & Aghaei, 2019).
La pandémie de Covid-19 a engendré d’importantes perturbations financières à l’échelle mondiale, suscitant des préoccupations quant à la stabilité financière et économique. De nombreuses études empiriques ont tenté de prédire et d’évaluer les conséquences d’un tel événement sur les marchés financiers et sur les économies en général. Il a été observé que la contagion financière et la connectivité entre les marchés internationaux s’intensifient en période de stress économique et financier, du fait de l’accroissement de l’interconnexion des marchés (Cardarelli et al., 2011 ; Chau et al., 2014 ; Apostolakis & Papadopoulos, 2015 ; Elsayed & Yarovaya, 2019). Cependant, il est important de noter qu’il existe actuellement un manque de recherches concernant l’impact de la Covid-19 sur les liens financiers entre les marchés boursiers, en particulier au sein de la région MENA.
Ainsi, l’objectif principal des travaux présentés dans cette synthèse est d’examiner comment le degré de connectivité financière entre certains marchés boursiers de la région MENA a évolué lorsque la Covid-19 atteignait son pic, par rapport à la période précédant la pandémie.
Méthodologie
L’étude exploite des données quotidiennes de prix des actions provenant de sept marchés boursiers en développement de la région MENA : l’Égypte, la Tunisie, la Jordanie, le Maroc, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït.
Nous avons comparé ces marchés à celui des États-Unis en termes de prix des actions. L’étude se déroule sur deux périodes : avant la pandémie (de janvier 2016 à décembre 2018) et pendant la pandémie (de janvier 2019 à décembre 2021). Les données proviennent de Datastream,3 et les analyses sont basées sur les répertoires MSCI4. Nous avons choisi d’utiliser des données quotidiennes plutôt que mensuelles car elles s’avèrent plus appropriées pour une période relativement courte.
Afin d’examiner la connectivité financière entre les marchés boursiers sélectionnés de la région MENA, nous suivons un processus d’analyse en plusieurs étapes :
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Tout d’abord, nous utilisons les tests ADF (Augmented Dickey-Fuller, 1979) et PP (Phillips-Perron, 1988), courants en économétrie pour déterminer si une série temporelle est stationnaire ou non. L’objectif étant de vérifier si les marchés boursiers sont stables ou instables dans le temps.
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Ensuite, nous employons la méthode de Johansen-Juselius (1990) pour détecter la cointégration entre les marchés boursiers, c’est-à-dire s’ils ont des relations durables à long terme.
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Nous appliquons par la suite le test de causalité de Granger (1969) afin d’examiner les relations dynamiques entre ces marchés.
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Enfin, dans la dernière partie de l’analyse, nous utilisons la décomposition de variance5 pour étudier comment les chocs dans les marchés boursiers de la région MENA affectent les uns les autres au fil du temps.
Principaux résultats
Stabilité des données
Notre objectif est de déterminer si les données sont stables, c’est-à-dire si elles présentent peu de variations au fil du temps. Les tests montrent que les données ont une certaine instabilité initiale. Pour les rendre plus stables, nous appliquons une technique appelée « différenciation ». Une fois les données différenciées, nous constatons qu’elles sont désormais stables, ce qui signifie qu’elles ne changent pas de manière significative. Cela est confirmé par nos résultats statistiques.
Cette stabilité nous permet maintenant d’effectuer un autre test important appelé le « test de Johansen-Juselius », qui aide à comprendre comment certaines variables sont liées entre elles sur le long terme.
Relations des variables entre elles sur le long terme
Il s’agit ici d’évaluer les hypothèses de base concernant le nombre de relations à long terme entre les marchés boursiers étudiés.
Les résultats montrent qu’avant la pandémie de Covid-19, les relations à long terme entre les marchés boursiers de la région MENA sont au nombre de deux. Pendant la pandémie, ce sont jusqu’à quatre relations à long terme qui sont mises en évidence. Cette découverte suggère que les marchés boursiers de la région MENA étaient plus étroitement connectés pendant la pandémie de Covid-19 que durant la période précédente. Cette conclusion est en accord avec des études antérieures qui ont montré que l’intégration financière entre les marchés de la région MENA et les marchés développés s’est améliorée après la crise financière mondiale (Almohamad et al., 2018).
Nous constatons ainsi une augmentation de la connexion financière entre les marchés boursiers de la région MENA pendant la pandémie, ce qui souligne l’importance de revoir le degré d’intégration entre ces marchés financiers.
Dynamisme des relations entre les marchés
Il s’agit ensuite d’examiner la manière dont les marchés boursiers de la région MENA sont interconnectés dans le temps. Il est intéressant de noter que pendant la crise de la Covid-19 nous observons plus de relations causales entre ces marchés, ce qui concorde avec les résultats précédents (test de cointégration de Johansen-Juselius). Plus spécifiquement, les marchés boursiers des pays exportateurs de pétrole (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Koweït, Égypte, Tunisie) et non exportateurs de pétrole (Jordanie, Maroc) se sont influencés mutuellement à court terme pendant cette période.
Nous observons que le marché boursier de l’Égypte est particulièrement influencé par les marchés boursiers des pays exportateurs de pétrole de la région MENA. On note aussi des relations causales bidirectionnelles avec le Koweït et les Émirats arabes unis. Cela s’explique en partie par l’importance croissante des envois de fonds des expatriés égyptiens qui travaillent pour l’économie égyptienne dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Finalement, on remarque que le marché boursier des Émirats arabes unis est considéré comme le plus « endogène » parmi les autres marchés de la région pendant la pandémie. Cela signifie qu’il réagit davantage à ses propres mouvements qu’à ceux des autres marchés6. Il est également impliqué dans un plus grand nombre de relations causales, qu’elles soient unidirectionnelles ou bidirectionnelles, par rapport aux autres marchés du CCG.
Impacts des chocs
Les erreurs de prévision7 dans les marchés boursiers de la région MENA sont influencées par ce qui se passe dans les autres marchés. Pendant la crise sanitaire, on observe une plus grande influence des mouvements des marchés les uns envers les autres par rapport à avant la pandémie, ce qui correspond aux résultats précédents (tests de causalité de Granger).
On note que les chocs sur le marché américain ont des effets plus importants sur les marchés de notre échantillon pendant la crise de la Covid-19. Les marchés pétroliers de la région MENA subissent des variations plus importantes en raison de ces chocs pendant la pandémie par rapport à avant.
On remarque également que le marché boursier des Émirats arabes unis exerce une forte influence sur les marchés pétroliers et qu’il est fortement impacté par ce qu’il se passe dans les autres marchés de la région MENA et aux États-Unis. Cependant, durant la pandémie, c’est le marché boursier d’Arabie saoudite qui semble être le plus affecté par les mouvements des autres marchés de la région MENA.
Pour les pays non exportateurs de pétrole de notre échantillon, le marché boursier de la Tunisie a une influence importante sur les autres marchés non-GCC, tandis que le marché boursier de l’Égypte n’a pas un impact significatif sur les marchés de la région MENA, ce qui est un peu surprenant par rapport aux résultats des tests de causalité.
Apports
Les résultats de notre étude revêtent une importance significative tant pour les investisseurs que pour les décideurs politiques. Tout d’abord, ils nous éclairent sur la manière dont les marchés financiers de la région MENA interagissent les uns avec les autres, à la fois à court et à long terme. Cette compréhension est précieuse pour les investisseurs, car elle leur permet de mieux gérer leurs portefeuilles et de prendre des décisions plus éclairées en matière de diversification afin de contrôler efficacement les risques et optimiser les rendements. Par exemple, en investissant dans des actifs mondiaux tels que des indices boursiers internationaux et des fonds immobiliers (REITs), les investisseurs peuvent réduire leur exposition à la volatilité spécifique à la région MENA. Cela signifie qu’ils sont mieux préparés à faire face aux fluctuations du marché et à réaliser des rendements plus stables sur le long terme.
D’autre part, les résultats de notre étude ont également une portée politique. Ils identifient les domaines où des réformes sont nécessaires pour renforcer la résilience des systèmes financiers de la région MENA face à d’éventuelles crises futures. Les décideurs politiques peuvent utiliser ces informations pour orienter leurs politiques économiques et financières. Ils peuvent notamment prendre des mesures pour améliorer la réglementation financière, encourager l’investissement étranger, ou promouvoir la stabilité macroéconomique.
Difficultés et pistes de réflexion
Cette étude présente un certain nombre de défis et de considérations importantes. Tout d’abord, il est essentiel de reconnaître que les conclusions de l’étude peuvent être spécifiques à la région MENA et à la période étudiée, ce qui limite leur applicabilité à d’autres régions ou périodes. Il est donc crucial que des études similaires soient menées dans différents contextes géographiques et temporels.
De plus, il est important de noter que les marchés financiers sont étroitement liés aux facteurs économiques et politiques. Ces derniers peuvent avoir un impact significatif sur les marchés. Par conséquent, les futures recherches pourraient envisager d’intégrer des analyses économiques et politiques dans leurs études pour mieux comprendre les résultats et les dynamiques des marchés financiers des régions concernées. Cette approche plus holistique pourrait contribuer à une compréhension plus complète et approfondie des connexions entre les marchés financiers dans ce contexte complexe.
En outre, compte tenu du caractère relativement récent des fonds immobiliers négociés en bourse (REITs) dans la région MENA, en particulier dans le GCC, il serait particulièrement significatif d’évaluer comment ces produits financiers émergents impactent les marchés financiers. Les recherches pourraient se concentrer sur la performance et l’évolution de ces produits, fournissant ainsi des informations utiles pour les investisseurs, les décideurs et les acteurs du secteur immobilier.