La nature juridique du délai biennal permettant d’actionner la garantie légale des vices cachés1 dans le cadre du contrat de vente, et notamment de vente immobilière, a toujours suscité de nombreuses interrogations (prescription/forclusion). La décision du 5 janvier 2022 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue raviver le débat sur la nature dudit délai en optant pour la qualification de délai de forclusion. Il était donc nécessaire d’analyser le choix opéré par la Haute Juridiction ainsi que les conséquences juridiques qui en découlent.
Contexte de l’étude
Le 5 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a dû statuer sur la question de la nature juridique du délai biennal permettant d’actionner la garantie légale des vices cachés (Cour de cassation, 3e chambre civile, 5 janvier 2022, n° 20-22.670). En l’espèce, il s’agissait d’un acquéreur d’un bien immobilier qui, à la suite de la découverte du caractère vétuste, incomplet et polluant de l’installation d’assainissement non collectif, a assigné les vendeurs, le notaire et le diagnostiqueur en nullité de la vente et en paiement de dommages et intérêts.
En première instance, l’acquéreur s’était fondé sur le dol2 et l’erreur sur les qualités substantielles3. En appel, il a opté pour un autre axe de défense en sollicitant la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. La cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 15 septembre 2020 (Cour d’appel de Rennes, 1re chambre, 15 septembre 2020, RG n° 18/04241), a déclaré sa demande irrecevable en raison de l’expiration du délai de l’article 1648 du Code civil, au motif que ce dernier constitue un délai de forclusion (pour plus de détails sur le délai de forclusion, voir notamment la partie « Apports de la décision »). Le demandeur au pourvoi réfute la décision de la cour de l’appel au moyen notamment :
Qu’il résulte des articles 2239 et 2241 du Code civil qu’une demande d’expertise en référé interrompt le délai de prescription et que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à la demande d’expertise avant tout procès, le délai de prescription recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.
mais également que :
L’action en nullité pour vice du consentement, bien que distincte de l’action en résolution pour vices cachés, tendait à un même but, à savoir l’anéantissement de la vente, de sorte que l’assignation du 28 juin 2016 sur le fondement du dol et de l’erreur avait interrompu la prescription de l’action en garantie des vices cachés.
(Cour de cassation, 3e chambre civile, 5 janvier 2022, n° 20-22.670)
La troisième chambre civile confirme la décision de la cour d’appel au motif que le délai de l’article 1648 du Code civil qui permet d’agir sur le fondement de la garantie des vices cachés est un délai de forclusion insusceptible de suspension et qui peut seulement être interrompu par l’introduction d’une demande en justice. Il convenait donc d’analyser les motivations de la Cour de cassation et les apports/conséquences de la décision du 5 janvier 2022 sur la mise en œuvre de la garantie des vices cachés.
De manière plus globale, cet arrêt s’inscrit dans un débat doctrinal de longue date portant sur la nature du délai biennal. Certains auteurs sont partisans de la prescription, d’autres de la forclusion. La discussion entourant cette question est d’autant plus vivace que le législateur demeure, à l’heure actuelle, muet. Il revient donc à la doctrine et à la jurisprudence de trancher la question, chose faite par la troisième chambre civile par le truchement de la présente décision. Pour autant, même s’il est certain que cet arrêt apporte une réponse claire sur la nature juridique du délai, il ne suffira pas à notre sens à entériner le débat tant que le législateur ne se saisira pas de cette problématique.
Apports de la décision
La décision du 5 janvier 2022 comprend deux apports : l’un sur le plan théorique et l’autre sur le plan davantage pratique.
L’apport théorique réside dans la qualification juridique de forclusion du délai biennal en matière de garantie des vices cachés. Il convient en amont de rappeler que, contrairement au délai de prescription extinctif qui est susceptible d’interruption mais également de suspension, le délai de forclusion, lui, ne peut être suspendu. Partant, le temps pour agir diffère sensiblement. L’arrêt permet donc d’expliciter la nature juridique du délai biennal. Là où le législateur est pour le moins laconique, la troisième chambre civile a pris ses responsabilités et a opéré une qualification juridique du délai. L’opération de qualification est cardinale en droit car de cette opération dépendront les règles applicables. Il faut donc saluer la prise de position audacieuse et cet effort accompli par la Cour de cassation.
Concernant l’apport pratique de la décision, il réside dans le fait que les acquéreurs et leurs conseils devront, par précaution, assigner le vendeur au fond dans les deux ans suivant l’ordonnance de référé expertise (essentielle en matière de vices cachés car sans expertise les juges sont réticents à reconnaître les vices de la chose objet de la vente) sans attendre la fin des opérations d’expertise. Et ce afin d’assurer l’interruption du délai jusqu’à l’extinction de l’instance et éviter la forclusion qui aurait pour fâcheuse conséquence de priver les acquéreurs de la possibilité d’actionner la garantie légale des vices cachés.
Difficultés
Deux difficultés apparaissent néanmoins à la lecture de la décision ; l’une est intrinsèque à la motivation de la Cour de cassation, l’autre extrinsèque à cette dernière.
Si la qualification du délai biennal de la garantie des vices cachés est bienvenue, il demeure assez regrettable que les hauts magistrats n’aient pas densifié leurs motivations et expliqué de manière didactique le raisonnement qui les ont conduits à opérer ce choix. En effet, il aurait été sans doute préférable que la troisième chambre civile s’exprime davantage sur ce choix plutôt que de se borner à rappeler le régime des délais de forclusion pour justifier sa décision. Toutefois, la position de la Cour de cassation peut s’avérer compréhensible tant qualifier un délai d’action n’est pas chose aisée. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’il n’existe aucun critère pertinent et unanime de distinction entre les délais de prescription et de forclusion. Au surplus, la réforme de la prescription datant de 20084 n’a consacré aucun critère de distinction entre prescription et forclusion mais se contente uniquement de rappeler qu’il existe une différence de régime entre ces deux délais tout en occultant de définir le délai de forclusion. In fine, la Cour de cassation s’est alignée sur les réticences du législateur et a, par conséquent, pris le parti de déterminer la qualification du délai biennal en considération du régime de la forclusion sans en définir la notion.
Aussi, une autre difficulté indépendante de la motivation des hauts magistrats apparaît à la lecture de la décision découlant en partie de l’absence de critère de distinction entre délai de prescription et délai de forclusion. En effet, la première chambre civile de la Cour de cassation, qui avait déjà été saisie de la question en 2010 (Cour de cassation, 1re chambre civile, 1er décembre 2010, n° 09-65.673), considère pour sa part que le délai biennal est un délai de prescription. Selon cette dernière, l’article 1648 du Code civil édicte un délai de prescription pouvant, à ce titre, faire l’objet d’une suspension lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Dès lors, la nature du délai biennal de la garantie des vices cachés varie selon la chambre civile de la Cour de cassation. Cette dichotomie est source d’insécurité juridique puisque l’acquéreur et son conseil seront suspendus à l’aléa de l’attribution respective des deux chambres en question pour connaître du sort réservé à l’action intentée et, indirectement, de son succès. Conséquemment, il n’apparaît pas prudent de laisser cette discordance jurisprudentielle perdurer, et ce notamment en matière de ventes immobilières où les enjeux financiers sont considérables et où l’importance de la garantie des vices cachés pour assurer la protection de l’acquéreur n’est pas contestée. Il a donc fallu aborder des pistes de réflexion pour pallier l’instabilité instaurée par la jurisprudence avec le concourt du législateur qui se refuse à légiférer sur l’article 1648 du Code civil5.
Pistes de réflexion
Deux pistes de réflexion ont été envisagées dans cette étude pour éviter aux acquéreurs l’écueil d’une forclusion du délai biennal de la garantie des vices cachés qui résulte du flottement entourant sa nature. L’une permettant de pallier le problème sur le court terme, et l’autre davantage sur le long terme qui vise notamment à définitivement sortir de l’hésitation jurisprudentielle et tracer ainsi une ligne directrice.
Dès aujourd’hui et afin d’éviter toute déconvenue, il faut inviter les acquéreurs et leurs conseils à la plus grande diligence. Pour ce, il est préférable de suivre la ligne tracée par la troisième chambre civile et considérer le délai biennal siégeant à l’article 1648 comme un délai de forclusion. Ainsi, la partie se prévalant de la garantie devra assigner le vendeur au fond dans les deux ans suivant l’ordonnance de référé, sans attendre la clôture des opérations d’expertise, afin d’assurer l’interruption du délai de la garantie jusqu’à l’extinction de l’instance.
Dans un dessein plus pérenne, il faut espérer que les rédacteurs de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux6, qui fait actuellement l’objet de consultations publiques, insèrent dans le projet une modification de l’actuel article 1648 du Code civil : il s’agirait d’inscrire « dans le marbre » la nature forclusive du délai biennal de la garantie des vices cachés. En effet, le bénéfice du recours au fondement textuel réside dans son caractère invariable là où la jurisprudence est régulièrement assujettie aux revirements et décisions antagonistes, comme l’illustre parfaitement la dissonance actuelle des chambres civiles de la Cour de cassation concernant la nature du délai biennal.