Les centres-villes : l’action urbaine à l'épreuve des enjeux de transitions

Élodie Texier et Alix du Réau de La Gaignonnière

Citer cet article

Référence électronique

Texier, É., & Gaignonnière, A.R.L. (2025). Les centres-villes : l’action urbaine à l'épreuve des enjeux de transitions. Repère biblio. Mis en ligne le 14 janvier 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 25 mars 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1637

Les centres-villes ou les centres-bourgs sont des objets urbains familiers qui structurent les espaces formels et sociaux des villes et des territoires européens. Ils peuvent également renvoyer à d’autres vocables, tels que « cœur de ville », « centre ancien » ou encore « centre historique », ce qui souligne ainsi la complexité des perceptions mémorielles, affectives, politiques et économiques de ces quartiers. Souvent réduits à leur seule dimension économique, ils se caractérisent par la concentration et la diversité des fonctions urbaines qui y cohabitent : fonctions économique, servicielle, récréative, résidentielle, administrative, etc. Aussi le centre-ville apparaît-il autant comme l’espace névralgique de la ville que celui de l’identité locale, favorisant attachement et appropriation au lieu. Cet ensemble de valeurs symboliques et culturelles est devenu l’instrument de mesure contemporain de la vitalité d’une ville, qui cristallise enjeux sociaux et tensions (voire luttes) entre acteurs.

Les centres-villes n’ont, toutefois, suscité qu’un intérêt scientifique marginal jusqu’à aujourd’hui. Relativement peu documentés, ne bénéficiant d’aucune définition scientifique ou juridique, ces objets pâtissent d’un certain nombre d’idées préconçues, relativement datées, voire de poncifs nourris et relayés dans l’espace médiatique. Le développement récent des programmes de revitalisation à destination de ces espaces a néanmoins remis à l’agenda national la question de leur aménagement et engage à renouveler les approches scientifiques et opérationnelles dominantes.

Ce Repère biblio donne à voir la complexité des enjeux associés à ces lieux – et l’ancienneté relative de la littérature à ce sujet – afin de s’emparer de cet objet de recherche scientifique et d’action publique.

Les essentiels

Bien que certaines de ces références bibliographiques soient anciennes, elles dépassent l’approche monographique et permettent ainsi de poser les bases d’une analyse comparative et transversale des caractéristiques générales des centres-villes.

Beaujeu-Garnier, J. (1965). Méthode d’étude pour le centre des villes. Annales de géographie, 74(406), 695-707.

Bourdin, A. (2019). Faire centre. La nouvelle problématique des centres-villes. L’Aube.

Chevalier, J., & Peyon, J.-P. (dir.). (1994). Au centre des villes. Dynamiques et recompositions. L’Harmattan.

Devisme, L. (2005). La ville décentrée. Figures centrales à l'épreuve des dynamiques urbaines. L’Harmattan.

Levy, J.-P. (1987). Centres villes en mutation. Éditions du CNRS.

Ouvrage de référence dont l’auteur, chercheur en géographie, propose une exploration des dynamiques des centres-villes de villes moyennes du Sud de la France telles que Toulouse, Albi, Castres. Publié à la fin des années 1980, ce livre soulève des enjeux qui restent contemporains : le rôle et la stratégie des acteurs intervenant en centre ancien, les dynamiques foncières et immobilières, les politiques publiques visant la rénovation des centres.
Son approche, qui croise recherche fondamentale et recherche appliquée, facilite la montée en généralité des résultats, et les constats font encore écho aux problématiques actuelles des centres. Lévy redonne au centre-ville ses lettres de noblesse en l’élevant au statut d’objet de recherche en tant que tel ; aucun autre ouvrage ou travail de recherche portant sur les centres-villes n’offre cette dimension. Le titre invite pourtant à poursuivre cette œuvre en suggérant que « la reconquête et le retour au centre sont des notions ambiguës qui doivent être éclaircies » (Lévy, 1987).

Levy, J.-P. (1987). Réflexions sur l’évolution contemporaine des centres-villes. Bulletin de l’Association de géographes français, 4, 307-316.

Macario, M. (2012). L’aménagement des centres-villes : la mobilité, vecteur et acteur de la centralité urbaine. [Thèse de doctorat, Aix-Marseille université]. Theses.fr

Marsault, A. (2019). Agir face au défi de revitalisation des centres-bourgs : essai de charte urbaine pour repenser les territoires. [Mémoire de master, école nationale supérieure d’architecture de Nancy].

Feriel, C. (2015). L’invention du centre-ville européen. La politique des secteurs piétonniers en Europe occidentale, 1960-1980. Histoire urbaine, 42, 99-122.

Gaschet, F., & Lacour, C. (2002). Métropolisation, centre et centralité. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 1, 49-72.

Gaschet, F., & Pouyanne, G. (2011). Nouvelles centralités et valeurs immobilières : vers un découplage des centralités résidentielles et économiques ? Revue d’économie régionale & urbaine, 3, 499-525.

Gasnier, A. (1991). Centralité urbaine et recomposition spatiale : l’exemple du Mans. Norois, 151, 269-278.

Texier, E. (2022). Les centralités des petites villes : en marge ou au cœur de l'action publique ? [Thèse de doctorat, université de Poitiers]. Hal.science

Le centre-ville, entre représentations et pratiques urbaines

Dépassant la seule étude morphologique, plusieurs chercheurs se sont attachés à étudier la place et la spécificité de ces quartiers dans la représentation sociale de leurs usagers (habitants, travailleurs, touristes, décideurs politiques, etc.). Les représentations différenciées des centres-villes varient ainsi en fonction des catégories d’usagers et des territoires. Pour certains acteurs locaux, le centre-ville cristallise une dimension structurelle et centrale de l’image de la ville et de son territoire. Mobilisé par des pratiques de marketing territorial, il est ainsi présenté comme une vitrine et associé à l’attractivité de la ville (auprès d’habitants et/ou d’investisseurs).

L’espace public et sa requalification revêtent également un rôle central dans l’aménagement des centres-villes, au travers de son esthétisation (il s’agit de « faire ancien ») ou de sa piétonnisation (qui traduit des pratiques d’appropriation sociale cachées sous des arguments environnementaux). Ces aménagements peuvent toutefois entrer en décalage avec les pratiques quotidiennes des habitants (sociabilité, consommation, appropriation locale, etc.), ce qui peut créer des espaces de conflictualité entre des intérêts divergents.

Brenac, T., Reigner, H., & Hernandez, F. (2013). Centres-villes aménagés pour les piétons : développement durable ou marketing urbain et tri social ? Recherche transports sécurité, 29, 267-278.

Di Meo, G. (2001). La géographie en fêtes. Ophrys.

Gravari-Barbas, M. (2000). Stratégies de requalification dans la ville contemporaine. L'esthétisation du paysage urbain, symptôme d’une privatisation croissante des espaces publics. Cahiers de la Méditerranée, 60, 223-247.

Houllier-Guibert, C.-É. (2009). Évolution de la communication territoriale : les limites de l’idéologie de la proximité. Les Enjeux de l’information et de la communication, 1, 45-61.

Marchand, D. (2005). La construction de l’image d’une ville : représentation de la centralité et identité urbaine. Dans M. robin & E. ratiu (dir.), Transitions et rapport à l’espace. L’Harmattan.

Cet article questionne le rôle de la mémoire d’un lieu dans le processus de construction identitaire des habitants et d’appropriation spatiale. Il se focalise plus spécifiquement sur les représentations socio-spatiales des habitants des centres-villes du Havre et de Rennes.
L’étude de l’image des villes s’appuie ici sur une méthodologie déterministe et phénoménologique. Elle mobilise des outils qualitatifs originaux, tels que les cartes mentales pour déterminer les représentations socio-spatiales et le récit de vie pour définir les représentations mentales des lieux. L’intérêt de cet article est qu’il démontre que les représentations et le sentiment d’attachement au centre-ville varient selon les contextes socio-spatiaux.

Marchand, D. (2005). Le centre-ville est-il le noyau central de la représentation sociale de la ville ? Les Cahiers internationaux de psychologie sociale, 66, 55-64.

Périgois, S. (2006). Patrimoine et construction d’urbanité dans les petites villes. Les stratégies identitaires de la requalification des centres-villes en Isère. [Thèse de doctorat, université Grenoble I-Joseph-Fourier]. Theses.hal.science

Tissot, S. (2012). Centres-villes : modèles, luttes, pratiques. Actes de la recherche en sciences sociales, 195, 4-11.

la Gaignonniere (du Réau de), A. (2024). « Refonctionnaliser » les centres historiques des petites villes en décroissance : une quête d’attractivité basée sur la proximité servicielle. Géoproximités, 3.

Décroissance et revitalisation des centres-villes

Depuis le milieu des années 2010, différents programmes de revitalisation ont été déployés aux échelles nationales (notamment Opération centres-bourgs et Action cœur de ville), régionales et départementales. Ces programmes se fondent sur le constat d’une décroissance des centres historiques en France, qui touche principalement ceux des villes petites et moyennes. L’abandon des politiques d’équilibre, la périurbanisation et la métropolisation de l’aménagement ont, en effet, contribué directement à cette décroissance. L’ambition affichée des programmes est alors de concentrer l’effort public dans un temps et un espace restreints (effet levier) dans l’idée que la décroissance de ces quartiers résulte d’un « dysfonctionnement » local, susceptible d’être rapidement enrayé. Si de tels programmes constituent les premiers en France (voire dans le monde) à être massivement développés à destination des territoires en décroissance, leurs modalités d’action ne sont pas sans poser de questions. Plus que de nouveaux instruments publics, ils semblent témoigner d’un tournant néolibéral dans la gestion et l’aménagement des territoires non métropolisés.

Association des Architectes-conseils de l’État. (2019). Du centre-bourg à la ville : réinvestir les territoires. Constats et propositions des Architectes-conseils de l’État.

Association internationale urbanisme et commerce. (1969). Le centre des villes a-t-il encore un avenir ? Rapports introductifs.

Beaujeu-Garnier, J. (1970). Le centre des villes a-t-il encore un avenir ? Urban Core and Inner City. Proceedings of the International study week, Amsterdam. 11-17 sept. Annales de géographie, 434, 494-496.

Berroir, S., Fol, S., Quéva, C., & Santamaria, F. (2019). Villes moyennes et dévitalisation des centres : les politiques publiques face aux enjeux d’égalité territoriale. Belgeo, 3.

Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – Cerema. (2018). Redynamiser le centre des villes moyennes. Note problématique et première analyse des enjeux.

Centre-ville en mouvement. (2020). Solutions et idées pour la relance de l’attractivité de nos centres-villes. Analyse de 40 auditions de maires, fédérations et confédérations nationales des commerces et divers acteurs du centre-ville.

Cunningham-Sabot, E., & Fol, S. (2009). Shrinking cities in France and Great Britain: A silent process. In The future of shrinking cities: Problems, patterns, and strategies of urban transformation in a global context (p. 17-28). Institute of urban and regional development.

De Lajartre, M. (2017). Étude : Le patrimoine dans le dispositif d’appel à manifestation d’intérêt Centres-bourgs. Première évaluation auprès des 54 lauréats : contexte général. Sites & Cités remarquables de France, ministère de la Culture et de la Communication, Caisse des Dépôts et Consignations.

Duhamel, P.-M., Narring, P., Munch, J., Freppel, C., & le Divenah, J.-P. (2016). La revitalisation commerciale des centres-villes. Inspection générale des finances et conseil général de l’environnement et du développement durable.

Esch, M.-O., & Riquier-Sauvage, D. (2021). Comment redynamiser nos centres-villes et nos centres-bourgs ? Conseil économique, social et environnemental.

La Gaignonniere (du Réau de), A. (2023). Revitaliser la ville. Les instruments de gestion du patrimoine urbain face à la décroissance des centres historique des petites villes [Thèse de doctorat, université Paris sciences & lettres/École normale supérieure].

Cette recherche s’attache à élaborer une évaluation critique des instruments d’action publique liés à l’aménagement des centres historiques des petites villes en décroissance. Elle contribue doublement aux études urbaines et du patrimoine par l’apport de trois principaux résultats.
Le premier porte sur la mesure et la compréhension du phénomène de décroissance des centres historiques. L’auteur démontre, en effet, que la décroissance des centres historiques est un phénomène majeur et en progression, au moins depuis 2006 : elle en touche près d’un sur deux (48,3 %) et affecte particulièrement les centres historiques des petites villes.
Le deuxième résultat porte sur l’inadaptation des instruments de gestion du patrimoine urbain en contexte de décroissance. Cela s’explique en partie par l’ancrage de ces instruments dans le paradigme de croissance qui les conduit à aggraver les symptômes de la décroissance plutôt qu’à les soulager. Cet ancrage s’opère, à l’échelle nationale, par ce que nous avons appelé le « contrat patrimonial ». Ce dernier vise à contrebalancer les contraintes du classement patrimonial – notamment l’ingérence publique dans le droit privé – par la valorisation économique du foncier des biens patrimonialisés. Un tel contrat se trouve toutefois inadapté aux mécanismes de la décroissance urbaine où la valorisation foncière ne peut être garantie par l’emploi de ces instruments.
Le troisième résultat porte sur la formalisation d’un cadre d’analyse de la revitalisation urbaine comme modèle néolibéral de l’aménagement des centres historiques. Ce modèle s’inscrit, d’abord, dans une histoire au croisement de trois « lignées » de politiques urbaines, dont il tire un certain nombre de concepts et d’instruments. Le modèle de revitalisation urbaine bénéficie ensuite d’une circulation descendante qui s’opère de l’État vers les régions, au travers de différents programmes mis en place depuis 2015 (Opération centres-bourgs, Action cœur de ville, Petites villes de demain, Villages d’avenir). Ce modèle se fonde, enfin, sur un mode opératoire orienté vers la compétition territoriale, via l’allocation inégalitaire de ressources documentaires, financières et techniques ; celle-ci est conditionnée à une sélection par appels à manifestation d’intérêt (AMI). Ainsi cette recherche pose-t-elle des fondements d’une analyse critique sur le patrimoine post-croissance et sur la place des centres historiques dans l’aménagement durable des territoires.

L’Institut Paris Region. (2020). Redynamiser les cœurs de ville.

Massa, M. (2018). Redynamiser les centres historiques. L’expérience des petites villes de Toscane. Tous urbains, 21, 51-53.

Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine. (2019). Panorama des politiques et des dispositifs en faveur de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs en Nouvelle-Aquitaine.

Pointereau, R., & Bourquin, M. (2018). Rapport d´information n° 526 fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) et de la délégation aux entreprises (2) sur les travaux relatifs à la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

Roux, J.-M. (2018). Crise des quartiers centraux, dans les villes petites et moyennes. Tous urbains, 21, 36-41.

Le centre-ville comme cœur économique ?

Les aspects économiques et commerciaux occupent une place substantielle tant dans la littérature qu’au sein des actions urbaines mises en œuvre dans les programmes de revitalisation. Ces aspects recoupent, en effet, des caractéristiques structurantes de la centralité d’un centre-ville : depuis le xixsiècle, il est perçu comme un espace privilégié de la consommation urbaine, qui propose variété d’artisans et de grands magasins. Le développement des zones commerciales périurbaines (dont les galeries marchandes singent les rues commerçantes des centres-villes) et l’avènement des franchises internationales modifient cependant le paysage commercial de ces quartiers. Le petit commerce indépendant peine à se maintenir dans ces espaces du fait de la concurrence des franchises dans les centres attractifs ou du manque de clients dans les centres en décroissance. Le développement de nouveaux modes d’achat (click & collect, livraison à domicile) rebat également les cadres des pratiques de consommation en centre-ville et, ainsi, de l’offre commerciale qui peut y être développée.

Carpentier, J.-N., & Mangin, D. (2017). Le maire, l’architecte, le centre-ville… et les centres commerciaux. Books on demand.

Grimmeau, J.-P. & Wayens, B. (2016). Les causes de la disparition des petits commerces (1945-2015). Courrier hebdomadaire du CRISP, 16(2301-2302), 5-114.

Lebrun, N. (2002). Centralités urbaines et concentrations de commerces. [Thèse de doctorat, université de Reims-Champagne-Ardennes]. Theses.hal.science

Lestoux, D. (2016). Revitaliser son cœur de ville - L’adapter au commerce de demain. Territorial Éditions.

Navereau, B. (2021). Le commerce alimentaire de proximité dans le centre-ville des grandes agglomérations, l’exemple de Toulouse et de Saragosse. [Thèse de doctorat, université de Toulouse]. Theses.hal.science

Palu, P. (1982). Les politiques commerciales en centre-ville. Annales de géographie, 506, 435-441.

Petit, M. (2024). Les représentations des pratiques marchandes au sein des villes moyennes, un indicateur des effets d’attractivité et de proximité du centre-ville. Géoproximités, 3.

Razemon, O. (2017). Comment la France a tué ses villes. Rue de l’échiquier.

Varanda, M. (2005). La réorganisation du petit commerce en centre-ville. L’échec d’une action collective. Revue française de sociologie, 46(2), 325-350.

Yildiz, H., Heitz-Spahn, S., & Siadou-Martin, B. (dir.). (2019). (R)évolution du commerce de centre-ville : de l’état des lieux à la résilience. Presses universitaires de Nancy/Éditions universitaires de Lorraine.

Cet ouvrage collectif et pluridisciplinaire dresse un état des lieux du commerce de centre-ville, en souligne les principales mutations et ouvre le débat sur les perspectives de développement voire de résilience de cette fonction urbaine. Il est articulé en quatre volets : 1°) Décrypter les dynamiques du commerce de centre-ville ; 2°) Identifier les méthodes et les outils de dynamisation du commerce de centre-ville ; 3°) Commerce de centre-ville et formats de distribution : entre maintien des fondamentaux et innovation ; 4°) Susciter et accompagner la dynamique du commerce de centre-ville : la mise en œuvre opérationnelle. Ce livre s’intéresse aussi aux dispositifs de soutien des commerces de centre-ville et pose les enjeux du devenir de l’armature commerciale dans les centres-villes dans sa forme actuelle.

La sauvegarde du patrimoine des centres-villes : entre artefact et authenticité des lieux

La sauvegarde et la valorisation du patrimoine architectural et urbain constituent un aspect majeur de l’action urbaine en centre-ville. Les objectifs et les effets de la mobilisation du patrimoine pour le développement local de ces quartiers restent, toutefois, soumis à débat. Pour certains chercheurs, le patrimoine des centres-villes représente une ressource territoriale qui participe directement au développement économique, mémoriel et identitaire des communautés locales. Une partie importante des recommandations internationales récentes (UNESCO et ICOMOS) vont dans ce sens, en tissant un lien direct entre valorisation patrimoniale et développements économique et social. D’autres chercheurs inscrits dans une analyse critique démontrent, à l’inverse, que la valorisation du patrimoine peut contribuer à une dépossession des communautés locales de leur héritage et de leur mémoire, en particulier les populations les plus pauvres. Dans cette perspective, la sauvegarde du patrimoine s’ancre dans un mécanisme d’appropriation par les catégories sociales supérieures et sa valorisation dans une marchandisation des biens hérités du passé. Cette dernière participerait ainsi directement à une « muséification » des centres-villes, à leur gentrification et à la production d’un urbain générique correspondant aux attentes du tourisme international.

Backouche, I. (2013). Aménager la ville. Les centres urbains français entre conservation et rénovation (de 1943 à nos jours). Armand Colin.

Bidou-Zachariasen, C. (dir.). (2003). Retours en ville : des processus de « gentrification » urbaine aux politiques de « revitalisation » des centres. Descartes et Cie.

Brown, L., & Malbrel, A. (2024). La réhabilitation du patrimoine bâti des centres anciens. Cahiers ESPI2R, dossier Repère biblio.

Collin, I. (2019). Les centres-villes métropolitains au regard des animations culturelles et festives : l’exemple de Lille et de Marseille. [Thèse de doctorat, Normandie Université]. Theses.hal.science

Conseil international des monuments et des sites – ICOMOS. (2011). Déclaration de Paris sur le patrimoine comme moteur de développement.

Conseil international des monuments et des sites – ICOMOS. (2014). Déclaration de Florence. Paysage et patrimoine en tant que valeurs humaines.

Conseil international des monuments et des sites – ICOMOS, & International Committee on Historic Towns and Villages – CIVVIH. (2011). Principes de la Valette pour la sauvegarde et la gestion des villes et ensembles urbains historiques.

Diaz, I., & Fleury-Jägerschmidt, E. (dir.). (2020). Réinventer la ville centre. Le patrimoine en jeu. Parenthèses Éditions.

Feriel, C. (2015). Piétonniser les centres-villes (1960-1980). États, pouvoirs municipaux et sociétés urbaines face aux mutations des centres urbains au second xxsiècle (Europe, États-Unis). [Thèse de doctorat, université Paris-Saclay].

Dans sa thèse, Cédric Feriel retrace le processus de patrimonialisation des centres-villes européens à travers sa piétonnisation. Il dénonce la standardisation des espaces centraux entre les années 1960 et 1980 qui associe le centre-ville à un artefact urbain. Ainsi, si ses travaux reconnaissent l’intérêt de la piétonnisation pour, entre autres, faciliter l’accès, il démontre une forme de déconnexion entre cet aménagement urbain et le patrimoine du centre-ville. Il parvient à documenter cette période de l’histoire urbaine en étudiant plus spécifiquement les acteurs et les pratiques mimétiques en matière d’aménagement.

Greffe, X. (2000). Le patrimoine comme ressource de la ville. Les Annales de la recherche urbaine, 86, 29-38.

Guinand, S. & Bonard, Y. (2010). Le tourisme dans les processus de renouvellement des centres urbains : entre valorisation patrimoniale, muséification et gentrification. Dans C., Bataillou (dir.), Tourismes, patrimoines, identités, territoires (p. 325-335). Presses universitaires de Perpignan.

Levy, J.-P. (1983) Quartiers anciens et centre ville à Toulouse : nouveaux enjeux d’une politique de réhabilitation. Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 54(1), 101-126.

Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO. (2005). Mémorandum de Vienne sur « Le patrimoine mondial et l’architecture contemporaine – Gestion du paysage urbain historique ».

Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO. (2005). Déclaration sur la conservation des paysages urbains historiques.

Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO. (2011). Recommandations concernant le paysage urbain historique.

Veschambre, V. (2018). Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition. Presses universitaires de Rennes.

Cet ouvrage de géographie sociale traite de la manière dont les enjeux mémoriels se formalisent dans l’espace urbain en France. Il s’attache ainsi à l’étude de la patrimonialisation des espaces urbains (notamment les centres-villes) d’un point de vue tant social (luttes et légitimation) que spatial (sauvegarde, valorisation et démolition). La thèse qui y est défendue est que cette patrimonialisation relève d’un processus d’appropriation spatiale des classes socio-économiques dominantes. Cette appropriation s’effectue à la fois par l’accaparement des héritages formels des classes populaires (embourgeoisement des quartiers centraux et du patrimoine « non noble ») et par « l’effacement » des héritages les moins susceptibles d’être appropriés par les classes supérieures (grands ensembles et héritages industriels, notamment) – une « expropriation de l’espace ». Pour Vincent Veschambre, en effet, sauvegarde patrimoniale et démolition sont les deux faces d’un même processus urbain de légitimation de l’ordre social. D’après lui, les discours portant une critique de « l’inflation patrimoniale » tendent à nier aux classes populaires la possibilité de se « forger un patrimoine en propre…, une légitimité » (p. 39) et traduisent ainsi une volonté de limiter l’accès au marquage spatial à cette catégorie sociale. Au sein de ce système, la démolition comporte un fort aspect idéologique, souvent caché ou relativisé par les décisionnaires locaux, et témoigne d’une violence symbolique et sociale prenant corps dans la transformation du cadre bâti.
Pour aller plus loin
Gauthiez, B. (2010). Vincent Veschambre, Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition. Géocarrefour, 85(4), 339.
Ripoll, F., & Veschambre, V. (2005). Introduction. L’appropriation de l’espace comme problématique. Norois - Environnement, aménagement, société, 195, 7-15.
Veschambre, V. (2005). Le recyclage urbain, entre démolition et patrimonialisation : enjeux d’appropriation symbolique de l’espace. Réflexions à partir de quatre villes de l’Ouest. Norois - Environnement, aménagement, société, 195, 9-92.

Liens utiles

Centre-ville en mouvement

Atlas des centres

Élodie Texier

Enseignante-chercheuse, département Urbanisme, laboratoire ESPI2R

Articles du même auteur

Alix du Réau de La Gaignonnière

Enseignant-chercheur, département Urbanisme, laboratoire ESPI2R

CC BY-NC-ND 2.0 FR sauf pour les figures et les visuels, pour lesquels il est nécessaire d'obtenir une autorisation auprès des détenteurs des droits.