Contexte de l’étude
Un cas concret étudié en cours à l’ESPI
Les étudiants de deuxième année de mastère Manager en aménagement et promotion immobilière (MAPI) à l’École supérieure des professions immobilières, campus de Bordeaux, ont eu l’opportunité de mener un cas d’étude concret sur les mobilités actives et ses effets sur le marché de l’immobilier à l’échelle d’un quartier.
Les mobilités actives comprennent toutes les formes de déplacement non assistées et non motorisées (vélo, marche…). L’objectif était de déterminer si les nouveaux usages en matière de mobilité ainsi que les aménagements associés pouvaient influencer le marché de l’immobilier. Ainsi, nous nous sommes intéressés plus spécifiquement à la mise en place du réseau vélo express (ReVe) dans la métropole bordelaise. Nous avons tenté d’évaluer si ce nouvel aménagement pouvait impacter l’offre immobilière (la façon de construire et le choix d’implantation des opérations), la demande immobilière (le choix résidentiel) et les prix de vente.
En d’autres termes, ce Zoom recherche questionne les effets du développement des aménagements cyclables sur le secteur immobilier, tant sous l’angle des usages que sur celui de l’attractivité du quartier. Le ReVe a-t-il un impact sur le marché de l’immobilier, en particulier dans le cas de la métropole bordelaise ?
Le ReVe pour décongestionner Bordeaux Métropole : un réseau d’autoroutes pour les cyclistes
Cette première réflexion menée avec le concours des apprenants a été impulsée par la directrice adjointe à la multimodalité de Bordeaux Métropole, chef du service Études, marketing et animation territoriale. Cette dernière souhaitait comparer les effets de l’arrivée du tramway sur le marché de l’immobilier bordelais avec ceux liés au déploiement du ReVe. En effet, Bordeaux Métropole présente des enjeux forts autour des questions de mobilité. Cette métropole, située dans la région Nouvelle Aquitaine, compte 831 534 habitants1 installés sur 28 communes dont sa ville-centre Bordeaux (261 804 habitants). Elle fait face à un double enjeu : une forte croissance démographique de 1,2 % par an en moyenne entre 2015 et 20212, gagnant près de 9 500 habitants par an, et un étalement urbain qui génère des déplacements de plus en plus longs (temps et distance) pour les habitants. Dans ce contexte, la mobilité apparaît comme un levier pour améliorer l’accès à la métropole bordelaise, qui enregistre en 2017 trois millions de déplacements par jour ayant une origine dans la métropole – 78 % des trajets routiers – et/ou une destination – 22 % des trajets routiers viennent de l’extérieur, ce qui représente 58 % des km parcourus par jour (Bordeaux Métropole, 2021, p. 7).
De plus, selon le nouveau schéma des mobilités « horizon 2030 » voté en septembre 2021, « un quart des emplois est occupé par des habitants hors métropole et 90 % de leurs trajets se font en voiture avec prédominance de l’autosolisme ». Alors que le trafic automobile a diminué de 6 % en 10 ans en intrarocade, il a, en revanche, augmenté en extrarocade, et plus spécifiquement à l’ouest de la métropole (+10,2 % ; Bordeaux Métropole, 2021, p. 7). Sur le territoire métropolitain, les mobilités présentent aussi un levier en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES). Elles représentent 40 % des émissions de GES dont 54 % sont générés par la voiture individuelle (Bordeaux Métropole, 2021, p. 9). Pour répondre à ces enjeux (décongestion et décarbonation), le nouveau schéma des mobilités fixe plusieurs objectifs, dont ceux de supprimer 10 % des flux de véhicules sur voirie (Bordeaux Métropole, 2021, p. 13) et de développer l’offre alternative de mobilités sur des distances plus longues. Parmi les différents moyens de transport, le vélo fait partie des ambitions les plus fortes où la part modale devrait représenter 18 % contre 8 % actuellement3 (2017 ; Bordeaux Métropole, 2021, p. 33). En comparaison, la marche passerait de 24 % à 29 %, la voiture de 49 % à 33 % et les transports en commun de 12 à 20 % (figure 1).
Figure 1. Évolution des parts modales des mobilités dans Bordeaux Métropole selon les phases du développement du tramway et les politiques de transports
Parts modales, de haut en bas : automobile, transports en commun, vélo, marche.
Reproduit du schéma des mobilités de Bordeaux Métropole horizon 2030, 2021, p. 33.
Ainsi, le développement de l’usage du vélo est identifié comme étant une priorité dans ce nouveau schéma des mobilités. Cela s’est matérialisé par la mise en œuvre du troisième plan Vélo, fruit d’une concertation entre élus, partenaires associatifs et institutionnels et usagers menée de novembre 2020 à juin 2021. Parmi les mesures prises visant une augmentation de 10 % par an du trafic vélo : le ReVe, qui représentera à terme 272 km permettant de relier 14 points situés aux extrémités de part et d’autre de la métropole (figure 2).
Figure 2. Plan du ReVe de Bordeaux Métropole
© Bordeaux Métropole
Le principe est de créer des voies rapides dédiées exclusivement aux vélos. Ces voies sont identifiables par des marquages spécifiques et bénéficient de points de services tels que des stations de gonflage ou de réparation (figure 3).
Figure n°3. Marquages de la ligne 3 du ReVe de Bordeaux Métropole
© Élodie Texier, octobre 2024
La plupart des lignes du ReVe sont aménagées sur d’anciennes voies vélo existantes en y apportant des améliorations notables en matière de confort de route (continuités, voies plus larges, sécurisées, éclairées…). Deux itinéraires sont actuellement opérationnels à Mérignac et entre Bordeaux et Parempuyre. L’objectif de ces aménagements est de lever les freins à la pratique du vélo qui ont été soulignés lors d’une étude de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) réalisée en 2021 à la demande de Bordeaux Métropole, intitulée La mobilité des habitants de Bordeaux Métropole à l’heure du COVID-19 et citée dans le nouveau schéma des mobilités. Selon cette étude, « 82 % des habitants utiliseraient plus le vélo si les intersections et les aménagements cyclables étaient mieux sécurisés » (Bordeaux Métropole, 2021, p. 71).
Les mobilités actives et leurs impacts sur le marché de l’immobilier : un angle mort des sciences sociales
Notre objet d’étude reste encore peu étayé dans le champ académique des sciences sociales. De nombreux travaux scientifiques documentent davantage les effets de la mobilité résidentielle sur le marché de l’immobilier. Dès 1988, Pierre Riquet, géographe, publie l’article « Mobilité résidentielle, marché immobilier et conjoncture dans les grandes villes allemandes » dans les Annales de géographie. D’autres chercheurs inscrivent leurs travaux dans ce sillage (Filippi, 1998 ; Lévy, 1998 ; Serreau, 2016). Comme le souligne justement Maldini dans son mémoire de recherche La perception du rôle de l’immobilier dans la co-construction de la mobilité durable, la littérature existante met difficilement en lien mobilité durable4 et immobilier et leurs « relations d’influence et de réciprocité » (Maldini, 2019, p. 1), d’autant plus quand cela traite des mobilités actives. En revanche, il existe de nombreuses productions issues d’organisations publiques et privées. Sans être exhaustif, nous en retiendrons deux, dont les principaux résultats sont exposés ci-dessous. L’Urban Land Institute, dans son rapport Active Transportation and Real Estate: The Next Frontier (2016), s’est intéressé aux liens entre les mobilités actives (marche et vélo) et le marché de l’immobilier. En s’appuyant sur plusieurs études de cas menées dans des villes américaines, européennes et asiatiques, il explique en quoi les aménagements piétons et cyclables sont des sources d’opportunités pour le secteur de l’immobilier, les activités économiques et la santé des habitants (tableau 1).
Tableau n°1. Principaux avantages économiques et en matière de qualité de vie des infrastructures de mobilités actives
Prix des biens immobiliers |
Santé publique et environnement |
Développement économique |
Les propriétés situées à moins de 400 m du Radnor Trail, qui fait partie du réseau de sentiers régionaux du Circuit de Philadelphie, ont été évaluées en moyenne à 69 000 $ de plus que les autres propriétés de la région. |
Le système de partage de vélos à Barcelone contribue à réduire les émissions de CO2 d’environ 9 000 t métriques (9 221 t) par an, l’équivalent de 12 vies sauvées chaque année en raison d’une activité physique accrue. |
Copenhague (Danemark) prédit qu’en complétant un réseau de 28 « autoroutes cyclables », cela conduira à un rendement économique de 19 % pour la région. |
Les maisons de Montréal ont connu une augmentation moyenne de leur valeur de 8 649,80 $ CA (6 123,10 $ US) après l’installation de la station locale de partage de vélos. |
La santé publique positive et les résultats environnementaux du projet d’« autoroute cyclable » de Londres générera un montant net de 76 millions £ (109 millions $) d’avantages économiques au cours des 30 prochaines années. |
La voie verte du Midtown à Minneapolis a catalysé plus de 750 millions $ de nouveaux projets de développement résidentiels. |
Traduction du tableau “Key Economic and Quality-of-Life Benefits of Active Transportation Infrastructure”, Urban Land Institute, 2016, p.36.
Le rapport identifie ainsi plusieurs avantages tels que le développement de l’économie dont l’économie immobilière (production de logements, valeur des biens immobiliers), le retour sur investissement grâce à l’amélioration de l’environnement et de la santé des habitants (lutte contre l’obésité, contre les problèmes cardio-respiratoires, bien-être…). Cela objective les effets positifs des mobilités actives sur le secteur immobilier et, plus largement, sur la qualité de vie urbaine.
En outre, en 2022, l’agence de conseil en immobilier Knight Frank entreprend d’interroger les investisseurs français et internationaux disposant d’un patrimoine hexagonal afin d’évaluer l’impact des mobilités actives sur leurs projets immobiliers. L’enquête révèle que « pour 57 % d’entre eux, le développement de solutions dédiées favorisant l’accueil et la pratique des mobilités douces dans leurs nouveaux projets est désormais systématique » (Knight Frank, 2022). Certains opérateurs s’inscrivent même dans une démarche certificative « ActiveScore » qui permet d’évaluer et de reconnaître la qualité des aménagements et des services dédiés aux mobilités actives. D’autres, comme Icade, ont rejoint ByCycle initiative5, un collectif d’acteurs immobiliers engagés dans le déploiement des mobilités actives dans le but de partager les bonnes pratiques et de former l’industrie immobilière à ces nouveaux enjeux. Les répondants partagent aussi leurs inquiétudes pour répondre à ces nouveaux besoins notamment en matière de rentabilité et de valorisation des stationnements vélos dans les loyers des immeubles de bureaux, installés aux dépens des parkings voitures, qui pouvaient être monnayés.
Méthodologie
Choix du terrain d’étude
Notre recherche vise à évaluer les effets du ReVe sur le marché de l’immobilier de la métropole bordelaise. Les aménagements du ReVe étant en cours de réalisation, nous avons fait le choix de nous positionner sur la ligne n° 3, qui est une des plus abouties (figure 2). Elle permet de relier Bordeaux à Parempuyre sur 15,7 km en longeant le lac de Bordeaux par l’est, traversant les communes de Bruges et de Blanquefort.
Outils mobilisés
Cette phase exploratoire s’est appuyée uniquement sur des données qualitatives. Les recherches documentaires ont été complétées par une phase de terrain afin d’enrichir le recueil de données secondaires par des données de première main. Ainsi, des entretiens in situ type micro-trottoir ont été menés sur deux demi-journées les 30 et 31 octobre 2024, complétés par des relevés de terrain (les mêmes jours) à l’aide d’une grille d’observation urbaine et un reportage photographique. Au total, 46 personnes ont été interviewées : 14 cyclistes, 18 habitants, 6 commerçants, 2 professionnels de l’immobilier (un promoteur et un agent immobilier) et 6 salariés et/ou étudiants.
Répartition des groupes de travail et présentation des périmètres d’étude
Les étudiants étaient organisés par groupe de quatre à cinq individus et avaient en responsabilité un périmètre d’étude préalablement défini contigu à la ligne n° 3 (figure 4).
Figure 4. Périmètres d’intervention des groupes d’étudiants de l’ESPI
© Élodie Texier.
Carte : IGN 2023.
Les périmètres d’étude s’étendent de la place Ravezies à l’avenue du Lac sur la commune de Bruges, en traversant la commune du Bouscat (groupe 3). Cette zone est située sur la rive gauche, au nord-ouest de Bordeaux. Elle comprend une zone d’activités tertiaires articulée en frange autour de l’allée de Boutaut et le boulevard Jacques-Chaban-Delmas qui longe le lac. Des quartiers résidentiels complètent le paysage urbain en arrière-plan. Nous y retrouvons des logements collectifs, du pavillonnaire et des logements sociaux (Les Aubiers, groupe 4).
Premiers résultats
Apports
Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cette phase exploratoire d’étude de l’impact de la ligne 3 du ReVe sur le marché de l’immobilier.
Des niveaux d’équipement hétérogènes entre les immeubles d’habitation et les immeubles tertiaires
À partir des observations et des entretiens, nous avons constaté que les bâtiments neufs ou en cours de construction à destination d’habitation prévoient systématiquement des locaux vélos en pied d’immeuble. Cependant, cela ne semble pas forcément suffisant puisque nous avons pu apercevoir la présence de vélos sur des balcons. Cela souligne peut-être que le niveau de sécurité des stationnements vélos proposés par l’immeuble n’est pas suffisant.
S’agissant des immeubles de bureaux et des locaux commerciaux, ils ne sont pas toujours adaptés à l’accueil des salariés et des clients pratiquant le vélo. Par exemple, de nombreux vélos sont accrochés aux grillages des clôtures des bâtiments.
La ligne du ReVe non déterminante dans l’implantation d’immeubles
Concernant le choix d’implantation des immeubles, selon plusieurs personnes interrogées, la présence du tramway semble être l’argument principal. La présence de la piste cyclable du ReVe ne serait pas déterminante. En effet, un grand nombre de répondants n’avait pas remarqué la présence de la piste cyclable. D’autres ont souligné la présence de cette piste cyclable antérieurement aux constructions immobilières. En effet, cette portion cyclable a seulement été adaptée aux standards du ReVe.
Un ensemble d’aménités à l’origine de l’attractivité du quartier
Concernant les effets positifs de la ligne 3 du ReVe sur l’attractivité du quartier, les personnes interrogées considèrent que la piste cyclable à elle seule ne peut générer de l’attractivité et influencer les prix de l’immobilier. En revanche, elles mentionnent les synergies avec l’ensemble des aménagements et services présents tels que le tramway, les voies de bus, les routes, le parc relais, les commerces… qui permettent de valoriser le quartier et d’améliorer la qualité de vie. Ainsi, la piste cyclable fait partie des atouts supplémentaires qui valorisent le quartier.
Difficultés
Mesurer les impacts de la ligne 3 du ReVe sur les usages et le marché de l’immobilier reste une gageure dans notre contexte d’étude. En effet, la piste cyclable étudiée est insérée dans un espace multimodal existant où plusieurs mobilités cohabitent (bus, tramway, voiture, vélo...) et entrent ainsi en conflit (figure 5). Il est ainsi difficile de déterminer lesquels de ces moyens de transport influent sur le marché de l’immobilier.
Par ailleurs, l’observation urbaine met certes en relief une urbanisation récente et en cours, accompagnée par les politiques foncières de la métropole, qui s’articule autour des axes de mobilité et notamment de la ligne ReVe. Néanmoins, le territoire pris en compte présente des disponibilités foncières importantes ; cela remet en question les effets directs des infrastructures de mobilités actives sur le marché de l’immobilier. En revanche, ces infrastructures intégrées au développement urbain restent des atouts dans le choix résidentiel des habitants mais aussi dans l’accès à l’emploi puisque les zones d’étude présentent des activités tertiaires.
Figure 5. Infrastructures de l’allée de Boutaut à Bordeaux
L’allée Boutaut illustre parfaitement le partage de la voirie selon les modes de déplacement : au centre se trouve le tramway, à sa droite et à sa gauche s’insèrent les véhicules motorisés y compris les bus, et au pied des immeubles est la piste cyclable unidirectionnelle.
© Élodie Texier.
Pistes de réflexion
Pour poursuivre la réflexion et objectiver les effets induits du développement de l’offre de mobilités actives sur le secteur immobilier, il serait pertinent de mobiliser les méthodes quantitatives en exploitant différentes bases de données. Par exemple, Sitadel, qui recense les informations liées au cycle de vie des permis de construire et autres autorisations d’urbanisme, permettrait d’évaluer l’évolution des constructions sur la zone d’étude avant et après la mise en service de la ligne du ReVe. Demande de valeurs foncières (DVF), quant à elle, offrirait la possibilité de mesurer l’intensité des ventes immobilières. Bien que ces méthodes puissent présenter des limites, ces deux bases de données favoriseraient la compréhension de l’impact des infrastructures en matière de mobilités actives.
En complément, il pourrait être utile de réaliser des interviews auprès d’acquéreurs et de locataires du secteur d’étude pour mieux comprendre les déterminants de leur choix d’installation et identifier la place des infrastructures de mobilités actives, et plus spécifiquement celle des pistes cyclables, dans le processus décisionnel de leur lieu de vie. Aussi, l’analyse des descriptifs d’annonces immobilières permettrait de relever les atouts identifiés par les acteurs de l’immobilier.
Cette première approche exploratoire a le mérite d’avoir « défriché » notre question de recherche en y posant les apports et les limites. Par ailleurs, cela illustre d’une part les liens possibles entre les cours dispensés et les recherches menées et d’autre part les possibilités de cas pratiques proposés aux étudiants lors desquels une collaboration, dans un esprit gagnant-gagnant, se crée entre eux et l’enseignant-chercheur.