Changements stratégiques et émotions des membres dans l’entreprise familiale

Modar Ajeeb

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Ajeeb, M. (2023). Changements stratégiques et émotions des membres dans l’entreprise familiale. Repère biblio. Mis en ligne le 15 mars 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1121

Le changement est au cœur des organisations. Il débute généralement par le changement stratégique, « soit une modification de la stratégie, de la mission et de la vision de l’organisation » (Masmoudi, 2020, p. 99). Le changement stratégique, qui est « une forme distincte du changement organisationnel », fait référence à un changement qualitatif de la philosophie ou de l’identité organisationnelle de l’entreprise (Huy, 2011). Il provient de la différence au niveau de la forme, de la qualité ou de l’état de l’alignement de l’organisation avec son environnement au fil du temps. (Van de Ven & Poole, 1995).

Dans l’entreprise familiale, parfois qualifiée d’« arène émotionnelle » selon l’expression de Fineman (1993), les limites d’une approche rationnelle de la décision, du comportement et du fonctionnement des organisations ressortent clairement. En effet, aussi bien son mode de management que son évolution dans le temps sont contrariés par de nombreux biais, « à la fois cognitifs et émotionnels, individuels et collectifs. [Ils] engendrent des coûts d’agence1 supplémentaires et accroissent le risque spécifique (au sens de Lintner et Sharpe) inhérents à l'entreprise familiale pouvant conduire ainsi à sa disparition » (Hirigoyen, 2008).

Ce Repère biblio donne des clés de lecture afin de comprendre l’impact émotionnel des changements stratégiques sur les membres de l'entreprise familiale.

Changements stratégiques dans l’entreprise familiale

Assyakh, H., & Messaoudi, A. (2023). Internationalisation de la PME familiale : entre changement stratégique et adaptation. Revue internationale des sciences de gestion, 6(1), 52-83.

Basly, S. (2002). L’internationalisation de l’entreprise familiale. Dans J. Caby & G. Hirigoyen (dir.), La gestion des entreprises familiales, Economica.

Bourgeat, G., & Merchadou, J.-L. (2020). Chapitre 4. La problématique du changement dans l’entreprise. Dans Penser et réussir le changement. Pour une transformation gagnante de l'entreprise (p. 33-71). Dunod.

Debellis, F., De Massis, A., Messeni Petruzzelli, A., Frattini, F., & Del Giudice, M. (2021). Strategic agility and international joint ventures: The willingness-ability paradox of family firms. Journal of International Management, 27(1), 100739.

Erdogan, I., Rondi, E., & De Massis, A. (2020). Managing the tradition and innovation paradox in family firms: A family imprinting perspective. Entrepreneurship Theory and Practice, 44(1), 20-54.

Les entreprises familiales privilégient les routines sources des succès passés et rejettent les positions et jugements divergents du groupe familial dominant. Dans cette perspective s’inscrivent les recherches sur le paradoxe de la tradition et de l’innovation dans les entreprises familiales. En adoptant une démarche d’imprégnation familiale, Erdogan et al. (2020) théorisent la manière dont l’héritage durable des générations familiales précédentes façonne deux approches de l’innovation – rejet ou intégration –, et deux approches de la tradition – préservation ou restauration. Cela définit ainsi quatre stratégies possibles de gestion du paradoxe tradition/innovation : préserver l’héritage ; maintenir l’essence ; s’enfermer dans le passé ; restaurer l’héritage.

Masmoudi, K. K. (2020). La conduite du changement stratégique : Rôle du leadership. Recherches en sciences de gestion, 1(136), 97-134.

Van de Ven, A. H., & Poole, M.S. (1995). Explaining development and change in organizations. Academy of Management Review, 20(3), 510-540.

Paré-Julien, D. (2016). Changement de cap pour les entreprises familiales : place à la gestion multigénérationnelle. Gestion, 41(3), 44-51.

Sfeir, S. (2020). Une succession familiale, que d’émotions ! Entreprendre & Innover, 1(44), 39-47.

Émotions des membres dans l'entreprise familiale

Barsade, S. G., & Gibson, D. E. (1998). Group emotion: A view from top and bottom. In D. H. Gruenfeld (ed.), Composition (p. 81-102). Elsevier Science/JAI Press.

Deux grands groupes de membres peuvent être distingués dans l’entreprise familiale :
• les membres de la famille, y compris le dirigeant s’il en est issu ;
• les membres non familiaux, y compris le dirigeant s’il est extérieur à la famille.
Selon Barsade et Gibson (1998), chaque groupe constitue un groupe émotionnel qui est l’expression d’émotions collectives. Le groupe pourrait être émotionnellement homogène, c’est-à-dire que tous les individus du groupe partageraient les mêmes émotions. Or, il n’en est rien car le groupe est plural et composé d’individus actifs, dotés de leur propre fonction d’utilité et ayant leurs propres émotions. Une émotion collective est composée dans des proportions variables de différentes émotions. Le groupe émotionnel est quant à lui constitué de plusieurs émotions individuelles. Pour les auteurs, l’émotion est un processus de révision des croyances et des préférences des individus. Elle est définie comme une « résonnance affective, physiologique et comportementale » sensible à l’existence d’un écart entre ce qui est perçu, pensé ou imaginé, relativement à une situation ou à un état donné, et la réalité concrète de cet état ou de cette situation. Barsade et Gibson désignent par l’expression de « stock émotionnel partagé » la partie commune aux différents groupes émotionnels, c’est-à-dire les émotions communes à l’ensemble des membres familiaux et non familiaux de l’entreprise familiale. Le stock émotionnel partagé est inclus dans le stock émotionnel global et sa valence2 peut être positive ou négative. La mosaïque émotionnelle représente la carte d’identité émotionnelle des membres d’une entreprise familiale à un moment donné.

Fineman, S. (ed.). (2000). Emotion in organizations. Sage.

Hirigoyen, G. (2008). Biais comportementaux dans l’entreprise familiale : antécédents et impacts. Économies et sociétés, 19, 1901-1930.

Humphrey, R. H., De Massis, A., Picone, P. M., Tang, Y., & Piccolo, R. F. (2021). The psychological foundations of management in family firms: Emotions, memories, and experiences. Family Business Review, 34(2), 122-131.

Labaki, R., & D’Allura, G. M. (2021). A Governance Approach of Emotion in Family Business: Towards a Multi-level Integrated Framework and Research Agenda. Entrepreneurship Research Journal, 11(3), 119-158.

Labaki, R., Michael-Tsabari, N., & Zachary, R. K. (2013). 31. Emotional dimensions within the family business: Towards a conceptualization. In K. X. Smyrnios, P. Z. Poutziouris & S. Goel (eds.), Handbook of Research on Family Business (p. 734-763), 2nd ed. Edward Elgar Publishing.

Livet, P. (1995). Évaluation et apprentissage des émotions. Dans P. Paperman, & R. Ogien (dir.), La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions (p. 119-145). Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.

Van Hoorebeke, D. (2005). L’émotion et la prise de décision. Revue française de gestion, 2(182), 33-44.

L’impact émotionnel des changements stratégiques sur les membres dans l’entreprise familiale

Daspit, J. J., Chrisman, J. J., Sharma, P., Pearson, A. W., & Mahto, R. V. (2018). Governance as a source of family firm heterogeneity. Journal of Business Research, 84, 293-300.

Hirigoyen, G., & Villéger, A. (2018). L’apport de la pensée d’Émile Durkheim à la connaissance de l’entreprise familiale. Revue française de gestion, 6(275), 113-130.

Huy, Q. N., 2011. How middle managers’ group‐focus emotions and social identities influence strategy implementation. Strategic Management Journal, 32(13), 1387-1410.

Levy, D., Murphy, L., & Lee, C. K. (2008). Influences and emotions: exploring family decision-making processes when buying a house. Housing Studies, 23(2), 271-289.

Michael‐Tsabari, N., & Lavee, Y. (2012). Too close and too rigid: Applying the circumplex model of family systems to first‐generation family firms. Journal of Marital and family therapy, 38(s1), 105-116.

Olson, D. H. (2000). Circumplex model of marital and family systems. Journal of Family Therapy, 22(2), 144-167.

La théorie du « circomplexe » (circumplex) d’Olson est l’une des théories des systèmes familiaux les plus largement appliquées et citées. Initialement, elle a été développée comme un outil pour diagnostiquer et traiter les relations familiales dysfonctionnelles. Le modèle, enraciné dans la théorie des systèmes, est conçu pour permettre de poser un diagnostic relationnel « sur le comportement de la famille à partir de deux dimensions, la cohésion et la flexibilité ». D’après Olson, la cohésion familiale est définie comme « le lien affectif que les membres de la famille entretiennent les uns avec les autres », et la flexibilité de la famille fait référence « à l’ampleur des changements dans le leadership familial, les relations de rôle et les règles de fonctionnement ».
La combinaison des deux dimensions permet de construire une matrice des familles qui aboutit à 16 types de relation en fonction du croisement des cinq niveaux de chaque dimension. Selon Olson, le type de système entreprise/famille considéré joue un rôle déterminant dans le stock émotionnel partagé. Il influence sa nature, son intensité et le signe de sa valence ; il représente donc un élément décisif de la définition de l’identité émotionnelle de l’entreprise familiale.
Les changements stratégiques impactent la surface et la nature du stock émotionnel partagé et affectent donc, d’une part, la carte d’identité émotionnelle de l’entreprise familiale et, d’autre part, la stabilité cognitive et émotionnelle des membres de l’entreprise familiale selon le type de système entreprise/famille considéré. Ils s’accompagnent souvent d’un changement dans la philosophie de l’entreprise familiale (diversification, internationalisation, ouverture du capital, recrutement d’un dirigeant extérieur à la famille).

Rigar, S. M., & El Majhed, H. (2021). Essai de compréhension de l’effet de la richesse socio-émotionnelle au sein des entreprises familiales sur les décisions des dirigeants en temps de crise. Revue Management & Innovation, 2(4), 13-29.

1 Les coûts d’agence sont liés à l’altruisme, à l’enracinement, aux conflits d’intérêts entre les actionnaires minoritaires et majoritaires.

2 La valence émotionnelle est la différence entre les émotions positives (telles que la joie, la satisfaction) et les émotions négatives (la peur, la

1 Les coûts d’agence sont liés à l’altruisme, à l’enracinement, aux conflits d’intérêts entre les actionnaires minoritaires et majoritaires.

2 La valence émotionnelle est la différence entre les émotions positives (telles que la joie, la satisfaction) et les émotions négatives (la peur, la colère, la tristesse…).

Modar Ajeeb

Enseignant-chercheur, département Gestion, laboratoire ESPI2R

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