Contexte de l’étude
En ce xxie siècle, et plus particulièrement après 2010, l’utilisation généralisée des smartphones par une large partie de la population a conduit à un développement massif des applications mobiles. Une partie d’entre elles concerne les villes et les maisons intelligentes ; elles peuvent non seulement aider les citoyens connectés à améliorer la sécurité de leurs logements mais aussi à mieux en gérer les consommations énergétiques, et donc les orienter vers une consommation d’énergie durable et responsable.
Cependant, malgré le nombre croissant de ces applications pour maison intelligente, les observations montrent que leur taux d’adoption par les usagers de smartphones reste assez faible. Sur 35 millions d’utilisateurs de mobiles en France en 2022, seul un tiers aurait téléchargé une de ces applications et, sur ce tiers, 25 % témoignent de ne jamais l’avoir utilisée et 59 % l’ont utilisée une seule fois (source : Statista).
La littérature existante illustre une relation importante entre le faible taux d’adoption de ces applications et les problèmes de confidentialité liés à la protection des données, au manque de confiance ainsi qu’à la protection de la vie privée (Desimpelaere et al., 2020 ; Doub et al., 2015 ; Hubert et al., 2018). L’objet de la présente étude est de comprendre comment la possibilité, le pouvoir conféré aux utilisateurs de contrôler leurs données privées (privacy empowerment) peut mener à l’adoption et à l’utilisation des applications pour maison intelligente. Il s’agit ici de montrer l’importance de ne pas se focaliser uniquement sur le développement technologique et les avancées de ces applications, mais de prendre en compte les préoccupations liées à la confidentialité et à la vie privée des utilisateurs.
En d’autres termes, ce travail entend découvrir les éléments sous-jacents qui impactent les attitudes des utilisateurs et révéler les contraintes ainsi que les barrières qui conduisent à abandonner ces applications mobiles.
Méthodologie
Pour cela, nous utilisons un modèle de recherche complet qui intègre le privacy empowerment dans la Technology Acceptance Model (TAM, « modèle d’acceptation de la technologie ») mis en avant par Davis et al. en 1989. Son modèle explique comment les utilisateurs sont encouragés à recourir aux objets de la technologie, quels éléments impactent l’intention de l’adoption et éventuellement son utilisation continue dans le temps. Le construct (« construit, « facteur ») perceived ease of use (« facilité d’utilisation ») et la perceived usefulness (« utilité perçue ») impactent l’intention to use (« intention d’utiliser ») et donc l’actual use de ces objets (« utilisation en continu » ; voir la figure 1 ci-dessous).
Cependant, ce modèle ne reflète pas les freins des utilisateurs liés à la confidentialité de leurs données privées. Afin de l’adapter au contexte des applications pour maison intelligente, nous devons intégrer des éléments concernant cette confidentialité. Ainsi, à partir des travaux de Midha & Nemati (2004), de Van Dyke, Midha, & Nemati (2007) ainsi que ceux de Dhagarra, Goswami, & Kumar (2020) et de Lwin, Wirtz, & Stanaland, (2016), nous introduisons dans le modèle le privacy empowerment comme influenceur (antécédent) de la trust (« confiance ») des utilisateurs envers les objets.
Le privacy empowerment est censé avoir un impact sur les privacy concerns (« préoccupations sur la vie privée »), la perceived ease of use et la perceived usefulness. Cela permet de comprendre comment le privacy empowerment peut déterminer la décision des utilisateurs finaux d’adopter les applications pour maison intelligente.
Hypothèses
Voici les hypothèses retenues :
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les privacy concerns ont un impact sur l’intention to use (H1a), sur la perceived ease of use (H1b) et sur la perceived usefulness (H1c) ;
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la perceived ease of use (H2) et la perceived usefulness (H3) affectent positivement l’intention to use ;
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le privacy empowerment est un antécédent de la perceived ease of use (H4a), des privacy concerns (H4b) et de la perceived usefulness (H4c) ;
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la trust est un antécédent de la perceived ease of use (H5a), des privacy concerns (H5b) et de la perceived usefulness (H5c). En particulier, elle pourrait influencer les préoccupations des utilisateurs en matière de confidentialité des utilisateurs d’applications mobiles pour maison intelligente.
Collecte de données
Nous avons conçu un questionnaire pour les utilisateurs de cinq applications mobiles d’assistance à domicile pour maison intelligente : Samsung Smart Things, Apple Home, Amazon, Alexa et Google Home. Les questionnaires mesurent les six constructs évoqués précédemment : privacy empowerment, trust, perveived ease of use, perceived usefulness, privacy concerns et intention to use. Ils ont été distribués en ligne aux utilisateurs des applications mobiles.
Dans cette recherche, la méthode statistique Partial Least Squares Regression (PLS, « régression des moindres carrés partiels ») est mobilisée pour tester le modèle proposé et l’analyse des données recueillies (Ong & Puteh, 2017). Son grand avantage réside dans la clarté et la transparence de l’explication des relations complexes (Ringle, Da Silva, & Bido, 2014). Nous avons choisi PLS pour notre analyse de données parce que l’outil est adapté pour expliquer la variance entre les différents constructs de notre modèle.
Avant de tester les hypothèses de cette étude, nous avons surveillé et vérifié les cohérences des réponses de notre questionnaire ainsi que la fiabilité de chaque construct par des mesures statistiques.
Premiers résultats
Grâce au TAM et à une approche quantitative, en utilisant le logiciel smart PLS, il a été étudié comment le privacy empowerment et la trust en matière de confidentialité peuvent avoir un impact sur les privacy concerns des utilisateurs d’applications pour maison intelligente, et donc sur l’adoption de ces applications.
Les résultats du PLS ont indiqué que le privacy empowerment augmente positivement la perceived ease of use et la perceived usefulness des applications pour maison intelligente et réduit les privacy concerns. D’une part, la trust a un impact positif sur la perceived ease of use, et les privacy concerns ont un impact négatif sur la perceived usefulness. D’autre part, le construct privacy concerns a un impact négatif à la fois sur la perceived ease of use et sur la perceived usefulness. Les résultats montrent que les ratios plus élevés de trust et de privacy empowerment entraînent des privacy concerns moindres et, par conséquent, un ratio plus élevé d’intention of use. Ainsi, les résultats des deux méthodes d’analyse se complètent pour vérifier les relations proposées.
La conclusion majeure de cette étude est le rôle médiateur joué par les privacy concerns entre la trust, le privacy empowerment et l’intention of use. En d’autres termes, lorsque les utilisateurs d’applications mobiles pour maison intelligente sentent qu’ils contrôlent leurs données privées, les privacy concerns diminuent et donc l’actual use des applications augmente.
Apports
Implications pratiques
Les résultats de l’étude sont certainement utiles aux développeurs des applications mobiles pour maison intelligente, qui trouvent que le taux d’adoption de leurs applications est assez faible et cherchent ainsi les moyens de réduire les barrières à cette adoption. Cela permettra d’avoir une consommation plus responsable en contrôlant et en réduisant la consommation d’énergie. Comme la question de la confidentialité en est l’un des grands obstacles, ils essaient de minimiser les privacy concerns et d’accroître la confiance des consommateurs dans leurs applications mobiles. Ces travaux suggèrent dès lors qu’une stratégie utile est d’augmenter le privacy empowerment afin de créer le sentiment que leur vie privée est respectée.
Implications théoriques
Cette étude propose un modèle complet qui intègre de nouveaux antécédents adaptés au contexte de l’utilisation des applications mobiles pour maison intelligente. Par conséquent, elle offre un nouvel éclairage sur la littérature existante en approfondissant la question des problèmes de sécurité des données privées en tant qu’antécédent vital de l’adoption des applications. De plus, nous avons comblé une lacune en obtenant une compréhension globale de la relation entre la trust, le privacy empowerment, les privacy concerns et l’intention to use. Nous avons étudié de manière détaillée le privacy empowerment dans le cadre des applications numériques pour maison intelligente, ces dernières poussant à modifier le comportement des utilisateurs vers un modèle de consommation des ressources plus durable.
Ce travail tend à contribuer à la Technology Acceptance Model (TAM), en intégrant le construct privacy empowerment et en analysant son impact sur les privacy concerns et, par conséquent, sur l’intention to use.