Introduction
Oran est une ville millénaire à héritage multiple. Elle a connu plusieurs périodes d’urbanisation, notamment sous les pouvoirs : espagnol (1509-1708, 1732-1792), ottoman (1708-1732, 1792-1831), français (1831-1962) et, finalement, algérien (après 1962). L’organisation de la ville faite de ces strates successives fut fortement influencée à la fois par le relief tourmenté du site, par les traces de la ville existante, par les modèles urbains inhérents à chaque période et par des considérations politico-administratives et économiques (Kettaf, 2017 ; 2019). Elle fut également impactée par les mesures sanitaires adoptées pour lutter contre les épidémies qui ont jalonné l’histoire de la ville. Oran a connu des épidémies à répétition, mais deux grands fléaux surtout ont sévi, marquant ainsi la mémoire collective : la peste et le choléra.
Dans une perspective historique, ce travail tente, d’abord, de retrouver la conjonction entre salubrité publique et urbanisme en examinant différents documents historiques :
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le rapport manuscrit établi par le commandant général espagnol Vallejo en mars 1738, qui décrit toutes les modifications et améliorations urbaines apportées conformément aux instructions du maintien de la Cour de Madrid de la « Place d’Oran »2 ;
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l’ouvrage scientifique de René Lespès (1938/2003), Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines, qui présente l’histoire urbaine d’Oran dès les origines jusqu’aux années 1930 ;
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des articles de la revue mensuelle Chantiers nord-africains (1936, 1937) qui présentent « les travaux d’hygiènes et d’urbanisme » et « l’historique des embellissements » d’Oran.
Ces écrits relatent, au fil des pages et des périodes, le rôle joué par les épidémies – que Lespès nomme « calamités publiques » tant elles exercent des ravages récurrents au sein de la population – dans la transformation et la construction de la ville. Il s’agit d’analyser les règles d’hygiène et de salubrité mobilisées par les édiles qui fixent des principes généraux d’organisation urbaine tels que la ligne droite, la régularité, l’aération, les « travaux d’édilité »… et la manière dont ces hommes ont dessiné ou redessiné les espaces urbains oranais.
Cette contribution présente, ensuite, la rupture entre urbanisme et salubrité publique dans la fabrique de la ville d’Oran contemporaine. Dans une première étape de recherche en cours, elle examine les nouvelles formes urbaines, dont le principal élément est l’immeuble-tour. Elle étudie comment celui-ci occupe sa parcelle et quelle relation il tisse avec le non-bâti, l’espace public et les bâtiments environnants. Les modes d’insertion semblent escamoter les principes les plus élémentaires en matière de prospect3, d’aération et de pénétration optimale de la lumière.
Oran du xvie au xxe siècle : quand urbanisme rime avec hygiène collective
Il est largement admis que les épidémies ont fortement contribué à dessiner les villes. L’hygiénisme, qui s’impose au xviiie et se développe au xixe siècle dans les grandes villes européennes, a mis en évidence le rôle important joué par l’environnement urbain dans la prolifération des épidémies. C’est dans ce contexte que des règles d’hygiène en matière d’assainissement et de circulation de l’air fixèrent les principes généraux d’organisation urbaine : la ligne droite et la régularité (Kettaf, 2019). Lesquels principes s’amplifient dans les grands travaux du XIXe siècle qui transformèrent certaines villes européennes : Londres, Vienne, Paris, Barcelone, Bruxelles. Les mesures hygiénistes se durcissent au xxe siècle et aboutissent à l’établissement, hors les villes existantes décrétées insalubres et dépassées, de quartiers ou de villes nouvelles, dont la principale expression est représentée par les grands ensembles. Depuis les années 1970, la question de la relation santé-ville s’est peu à peu éclipsée, dès lors que l’hygiénisme « n’avait plus cours, grâce aux traitements médicaux et à l’idéologie médicale triomphante », déplore Thierry Paquot (2020).
Oran, comme toutes les villes européennes, a connu le même processus d’organisation urbaine fondée sur l’hygiénisme tout le long de son développement jusqu’au tournant du xxie siècle. Les documents historiques examinés montrent que les préoccupations de salubrité publique et les transformations urbaines inhérentes remontent au xvie siècle, au temps où Oran était sous domination espagnole.
La ville espagnole et ottomane : Oran durement touchée par la peste
Les matériaux historiques étudiés rapportent que la ville espagnole fortifiée et aux traits urbains médiévaux fut frappée plusieurs fois par la peste. Lespès écrit que tout au long des deux périodes d’occupation espagnoles « la salubrité de la place fut parfois bien compromise… La peste a fait de fréquentes apparitions et exercé des ravages » : 1542 et tant d’autres après… (Lespès, 1938/2003, p. 75). Des récits de voyageurs nous informent que la peste du xvie siècle a décimé plus de la moitié de la population (Oulebsir, 2020). D’ailleurs, c’est celle qui, jusqu’à aujourd’hui, marque fortement les esprits, le « cimetière des pestiférés » étant son emblème4. De la première période d’occupation de deux siècles (1509-1708), l’histoire retient l’installation du « conduit royal » pour l’écoulement des eaux pluviales venues de la montagne, qui stagnaient dans les rues boueuses non pavées, afin, probablement, de chasser la maladie. La deuxième période d’occupation, de 1732 à 1792, est en revanche marquée par une plus importante préoccupation d’amélioration urbaine, sans doute en raison de l’état de délabrement de la ville et du spectre du retour de la peste. La reconquête de la ville par l’Espagne s’illustre par la volonté du maintien d’une place forte pour son prestige. Le commandant général Vallejo, instruit pour la gouverner, établit deux rapports : celui de 1734 décrit l’état du délabrement de la ville tandis que celui de 1738 indique toutes les modifications et améliorations urbaines apportées, à savoir le conduit royal réparé, les rues et places pavées, les sentiers élargis, les places régularisées ou créées, les conduits d’égout et d’alimentation en eau percés, ponts, portes, fontaines rétablies… (Vallejo, 1738/1926, p. 4-8).
La résurgence de la peste est récurrente. Lespès écrit que la peste a encore frappé, celle de 1738 « ne dura pas moins de trois ans. En 1752, elle paraît avoir sévi gravement […]. De 1784 jusqu’à la fin du siècle, elle fut véritablement à l’état endémique dans la Régence » ottomane (Lespès, 1938/2003, p. 75).
Le tremblement de terre de 1790 vit le départ définitif des Espagnols et le retour, en 1792, des Ottomans aux commandes d’Oran. Dans le cadre d’une importante politique de repeuplement pour redonner vie à une ville détruite et vidée de sa population espagnole, l’action incitative du bey5 Mohamed el-Kébir à l’égard des aspirants à l’installation – musulmans et juifs –consistait à leur octroyer à titre onéreux ou gracieux des parcelles de terrain pour pouvoir s’y établir. Bien que nous ne disposons pas d’une description suffisante des faits urbains de cette période, tout laisse à penser que le bey préféra entreprendre une action d’urbanisation hors la vieille ville, déjà ruinée par le séisme et ébranlée par l’épidémie de peste à répétition (Kettaf, 2019). Lespès rapporte ainsi :
En 1793, une horrible famine désola toute l’Oranie ; en 1794, la peste reparut, plus meurtrière que jamais (le bey dut sortir d’Oran. Cette peste fut appelée « peste d’Osman », en souvenir du fils du bey qui fut une des victimes), et puis celle de 1797, la « peste de la Mecque » ne fit pas moins de ravages. En 1817, apportée par des pèlerins, elle sévissait de nouveau ; selon les rapports du consul britannique, les habitants mourraient en masse dans les rues.
(Lespès, 1938/2003, p. 85)
C’est certainement dans ce contexte que le bey céda aux prétendants des terrains extra-muros pour y construire un nouveau quartier hors la ville des « pestiférés ». Cet octroi est accompagné d’une obligation de bâtir sur des alignements imposés, les rues se coupant en angle droit. Le développement urbain que prend Oran à la fin du xviiie siècle illustre la volonté du bey de mieux l’organiser. Il souhaite mettre à profit les éléments topographiques de la ville, mais aussi répondre aux problématiques d’’hygiène collective en édifiant de longues voies parallèles qui structurent les lots, ce qui préfigure en quelque sorte un plan de « lotissements » avant l’heure (Kettaf, 2019). La ville est remise à l’autorité française en 1831.
La ville française à l’épreuve des épidémies, le choléra en tête
L’expédition française en Algérie marque la transformation et le développement les plus significatifs. Elle s’illustre par l’introduction des modèles occidentaux d’aménagement urbain, dont l’outil principal est le plan d’alignement, de nivellement et des réserves. La ville française s’installa sur l’essentiel de la ville hispano-turque. Lespès écrit que dès l’arrivée des Français :
Deux graves questions absorbèrent… une bonne part, sinon la principale, des ressources financières : celle de l’alimentation en eau, qui exigeait une réfection à peu près complète des canalisations et celle des égouts, que les ravages du choléra de 1834 mirent à l’ordre du jour.
(Lespès, 1938/2003, p. 137).
C’est à la suite de cette grave épidémie, qu’une commission d’assainissement fut instituée qui attira l’attention sur l’insalubrité de la ville (Lespès, 1938/2003, p. 282), impliquant un ensemble de travaux de voirie et d’assainissement à entreprendre.
Cependant, compte tenu de la disette financière et la priorité donnée aux objectifs militaires, l’occupation s’est contentée dans les dix premières années de réparer les anciens égouts. C’est à partir de 1840 – sans doute le choléra et la réapparition de la peste en 1837 ont-ils joué un rôle – que les premiers rapports techniques sur l’urbanisme d’Oran sont rédigés. Ainsi, un plan de rectification, d’alignement et de nivellement des rues de la ville fut levé et publié le 8 octobre 1840. Il montre clairement l’importance accordée à la régularité de l’espace urbain, alors particulièrement dense et tortueux. L’espace urbain est construit sur des alignements de rues et de places pour rectifier et limiter les saillies, pour aérer et renforcer la salubrité (figure 1). Cette période militaire est aussi marquée par des travaux importants pour améliorer les communications dans la ville grâce à la réalisation de nouvelles voies et à l’assainissement en matière d’égouts et d’hygiène publique. Mais, faute de crédits suffisants, beaucoup de ces travaux traînaient en longueur (Kettaf, 2019).
Il fallut attendre l’annexion d’un plateau nu extra-muros à la commune d’Oran, le 31 décembre 1856, mais aussi le desserrement en 1861 d’une zone de servitude militaire sur ce territoire et la construction d’une nouvelle enceinte en 1866 pour que la ville française puisse se développer. Il ne restait en effet plus de place dans l’unique enceinte pour créer un nouveau quartier. Or, le plan de 1863, tel qu’il avait été approuvé en 1865, prévoyait l’aménagement de la voirie dans la ville intra-muros : alignements, redressements, élargissements, percements (Kettaf, 2019). Selon Lespès, « dans tous les quartiers, sans exception, il y avait des places et des rues à régulariser, ou même à percer complètement pour supprimer les culs-de-sac, cause d’insalubrité » (Lespès, 1938/2003, p. 161).
Les priorités de la salubrité publique se sont imposées, et le développement de la ville nouvelle s’est appuyé sur une organisation en réseaux de grands axes rectilignes, alignés, sans saillie, qui favorisent la circulation de l’air dans les nouveaux quartiers constitués de larges lotissements structurés de places (Kettaf, 2019). Toutefois, dans la ville intra-muros, des problèmes de salubrité persistaient encore. Le quartier israélite, plus régulièrement percé, était loin de donner satisfaction à ses habitants, qui se plaignaient de l’insalubrité manifeste : « les ravages du choléra en 1849 et en 1851, et ceux du typhus en 1867 et 1868 y avaient été vraiment terribles » (Lespès, 1938/2003, p. 162-163).
C’est l’avènement du régime républicain en 1870-71, renforçant le pouvoir civil dans les colonies, qui marque une étape importante dans la transformation d’Oran. Dans ce contexte, les priorités hygiénistes se systématisent, et la ville s’est vue dotée d’un urbanisme basé sur le grand dessin et la monumentalité. Les travaux de construction, qui s’étaient ralentis depuis 1866 en raison de la crise économique qui affectait l’Algérie depuis près de cinq ans et de l’épidémie du typhus (1867 et 1868), avaient repris depuis 1877. Et c’est à partir de là que la ville commença à connaître ses plus importantes réalisations urbaines, en raison des conditions économiques et politiques désormais favorables (Kettaf, 2019). Mais aussi grâce à l’acheminement des eaux de Brédéah, dont la ville manquait cruellement (Cayla, 1937). Le plan de 1880 montre clairement un dessin selon le principe de grands tracés rectilignes qui tissent et aèrent l’ensemble des espaces de la ville. Les larges boulevards jalonnés de places et alignés d’arbres se généralisent et se parent d’architecture ordonnancée (figure 2).
Figure 2. Plan d’Oran de 1880 : urbanisme des tracés de boulevards ornés de places majeures et d’alignements d’arbres
Source : Association française pour l’avancement des sciences (1888).
Traitement : Fadila Kettaf, 2019. Traitement et mise en forme : Fadila Kettaf, 2019. Reproduit de La fabrique des espaces publics en Algérie : les places dans la ville d’Oran (conceptions, formes et usages) par F. Kettaf, 2019. © L’Harmattan.
À la fin du xixe siècle, les priorités hygiénistes se sont renforcées. Conformément aux instruments d’urbanisme appliqués en France, la Municipalité a élaboré successivement plusieurs projets dits « des embellissements d’Oran » afin d’améliorer la salubrité publique et l’organisation urbaine : projection de boulevards, d’avenues, de places et de squares, de jardins publics... Mais il fallut attendre la période de l’entre-deux-guerres pour que les opérations reprennent de nouveau, et c’est la loi Cornudet de 1919, rendue applicable en Algérie en 1922, qui va permettre cette organisation systématique dans le cadre des plans d’ensemble d’aménagement, d’embellissement et d’extension (PAEE) indispensables à la salubrité de la ville. Ainsi est établi le plan Wolff en 1927, révisé et complété en 1934 par le plan des frères Danger avec le concours du service des travaux communaux (Kettaf, 2019). Les travaux d’urbanisme, entrepris entre 1922 et 1940, concernaient en effet la poursuite des projets des embellissements, comme celui dit des « Quartiers neufs » mené sur un vaste territoire militaire désaffecté au sein de la ville. Laquelle opération est portée par le syndicat d’initiative des habitants des quartiers neufs de la ville d’Oran, créé en 1933, qui propose à la mairie un large programme de travaux d’hygiène et d’urbanisme (Cayla, 1936 ; 1937).
Après la Deuxième Guerre mondiale, les priorités hygiénistes deviennent obsédantes, rappelant la survenue de la peste meurtrière d’Alger en 1944, mais aussi de la peste bubonique à Oran durant l’été 1945, toutefois très légère6 (Oulebsir, 2020). Rejetant le système rue-îlot-parcellaire jugé pathogène, la logique « fonctionnaliste » supplante la logique classique, d’abord avec ses hauts immeubles résidentiels greffés dans les tissus existants et, ensuite, avec ses grands ensembles d’habitats construits en périphérie (zones à urbaniser en priorité, ZUP). Entre 1962 et 2000, cet urbanisme fonctionnaliste s’est poursuivi après l’indépendance avec la production de zones d’habitat urbain nouvelles (ZHUN, équivalent de la ZUP) où un même modèle avec ses larges espaces ouverts est adopté sur tout le pays (Kettaf, 2019).
Oran au xxie siècle : rupture entre environnement bâti et salubrité publique
À partir des années 2000, dans une période marquée par une nouvelle politique libérale, les actions privées prennent le pas sur les actions publiques et la ville, aussi bien dans son centre qu’en périphérie, connaît des transformations essentiellement d’origine spéculative. En conséquence, les quartiers sont livrés à des mutations qui évoluent au gré des opportunités foncières et financières (Mouaziz-Bouchentouf, 2017). Ce processus d’urbanisation ne se basant ni sur le règlement des plans d’occupation des sols (POS), ni sur des dispositions morphologiques réglementaires, ni sur des prescriptions architecturales, ni même sur une consultation publique, a induit un urbanisme vertical et des formes d’îlots extrêmement denses marqués par l’absence patente d’espaces extérieurs aérés, mais aussi gérés et organisés collectivement.
L’étude que nous avons menée en 2018 sur les modes d’insertion de deux immeubles-tours au centre-ville, construits respectivement en 2000 et 2010, montre que les caractéristiques du bâti sont en complète opposition avec celles inhérentes au tissu existant dans lequel ils s’insèrent. Si l’un occupe une petite parcelle et l’autre, tout un îlot, les deux – s’élevant respectivement de 10 et 14 étages répétitifs – se présentent en une seule pièce avec le même gabarit du sol à la toiture. Ils sont collés directement aux trottoirs et n’opèrent aucun retrait ni fragmentation : quelles que soient les largeurs des rues adjacentes, leurs hauteurs ne changent pas d’une rue à l’autre. Ils ont un ratio (hauteur du bâti/largeur du non bâti) supérieur à 4 sur les rues principales et supérieur à 7 sur les rues secondaires, ce qui dépasse largement le ratio moyen du centre-ville (de 1,6 à 3). En outre, en l’absence d’une bande de constructibilité7, l’emprise au sol est presque totale, occupant 90 % à 100 % de la surface de la parcelle. L’implantation ainsi faite exacerbe les vis-à-vis et prive les rues, la majorité des logements et les immeubles voisins, d’aération et d’ensoleillement suffisants. Elle ne prend pas en considération les règles optimales de prospect, ni l’évolution potentielle des parcelles alentour, sachant que les constructions évoluent plus vite que le tracé du parcellaire (figure 3). Ces formes denses impactent aussi le ressenti du piéton dans l’appréciation de l’environnement et peuvent même entraîner un sentiment d’oppression, voire de claustrophobie (Rezk-kallah & Kettaf, 2019). Par ailleurs, les habitants vivent dès lors dans une proximité intense, les rendant certainement plus vulnérables à la transmission des virus.
Au terme de cette étude sur la fabrique d’Oran, la question se pose : les principes inhérents à l’urbanisme plus sain sont-ils oubliés ou méconnus ? Des maladies disparues depuis un demi-siècle reviennent régulièrement : peste bubonique en 2003, tuberculose (2006, 2007, 2008), choléra pendant l’été 2018… Elles ne semblent pas alerter les autorités sur les questions liées à la circulation de l’air, à l’ensoleillement, à la promiscuité, à la capacité des réseaux d’assainissement qui souvent s’engorgent, sautent et débordent tant ils sont insuffisants pour absorber les débits importants associés à cette densité.
Conclusion
Le contexte sanitaire lié à la pandémie de Covid-19, qui bouleverse la vie en ville, ouvre un large champ de recherches à entreprendre. Il est essentiel d’examiner ces nouvelles formes urbaines et d’évaluer les retombées sur les espaces de vie des habitants – espaces des logements, espaces communs extérieurs, intermédiaires et des seuils… – et sur leurs perceptions et leurs ressentis. Il s’agit aussi d’estimer leur degré de vulnérabilité en matière à la fois de santé et de transmission des virus et ainsi de proposer des prescriptions formelles « adaptées » aux spécificités urbanistiques et écologiques de la ville d’Oran, mais aussi aux modes de vie de la société qui l’habite.
En Algérie, des débats sont menés sur la pandémie de Covid-19 et ses conséquences sur la société algérienne, à travers des conférences, journées d’étude et séminaires, à la suite desquels rapports et autres essais sont rédigés par des universitaires et chercheurs, souvent à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur. Dans le domaine de l’urbanisme, on peut noter les manifestations scientifiques du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran qui, dès le début du confinement, a fait un appel à contribution et a ensuite organisé un colloque international, tenu les 3 et 4 juin 2020. Les réflexions développées par une centaine de chercheurs de différents centres de recherche nationaux ont été publiées en septembre 2020 dans un rapport de synthèse intitulé : Covid-19 en Algérie : enseignements et regards croisés (premiers éléments de réflexion). Dans les deux chapitres « Covid-19 et configuration géographique et urbaine » et « Covid et mobilité », les contributeurs de diverses disciplines mettent en exergue : le mode de vie et de consommation de l’habitat, la mobilité, le mouvement et le contact des individus, la distance sociale sur l’espace logement et sur l’espace public, le système de transport collectif et individuel... Ils s’interrogent si « les logements en immeubles moyens ou de grande hauteur sont appropriés pour les circonstances et les risques de contacts physiques et de propagation du virus ». Ils pointent du doigt « le cadre urbain et les politiques de la ville et du développement durable » et la nécessité à la fois « de réfléchir et d’analyser la façon de concevoir la ville et ses aménagements avec plus de considération pour “l’humain” » et « de remettre la nature au cœur du développement urbain », ainsi que les dysfonctionnements du système de transport mis à rude épreuve par la crise sanitaire (El Mestari, 2020, p. 8-9).
Ces réflexions ne sont, cependant, que très rarement issues d’analyses appuyées par des travaux de recherche suffisamment approfondis, et il est prématuré pour que l’on dispose de résultats crédibles. À ce propos, un projet de recherche vient d’être proposé par le CRASC, intitulé « Territoires et Pandémie » dans sa division « Villes et territoires » pour examiner la relation entre construction de la ville et la Covid-19. Cette relation, par ailleurs, n’étant pas encore questionnée par les collectivités locales et leurs services techniques (urbanisme, environnement, transport...).
À ce stade de cette recherche, nous pouvons toutefois avancer l’hypothèse que les savoir-faire hérités des époques hygiénistes peuvent être exploités et revisités de sorte que de meilleurs espaces puissent être créés. Dès lors que la structure des lieux importe, les configurations de forme urbaine et d’aménagement des espaces publics doivent être repensées à la lumière des exigences du bien-être des habitants et de la ville saine, résiliente et « vivable » (liveable city).