Contexte de l’étude
Dès les premiers cas de Covid-19 signalés en Europe, début 2020, certaines études ont souligné que les régions européennes n’étaient pas également touchées par l’épidémie. La cartographie des taux de mortalité cumulés liée à la Covid-19 à la fin des mois de mars, avril et mai 2020 révèle de fortes différences entre les territoires périphériques, où le taux d’infection reste limité, et les régions centrales où les taux atteignent plus souvent des niveaux élevés. Les cas de la France, de l’Italie et de l’Espagne sont emblématiques de ces disparités.
Des facteurs territoriaux et le rôle du capital social
L’importance des facteurs socio-économiques locaux pour expliquer la santé des populations et les taux de mortalité a été largement démontrée dans la littérature (Chuang, Huang, Tseng, Yen, & Yang, 2015 ; Link & Phelan, 1995).
Le contexte institutionnel, notamment en matière d’institutions sociales, est associé aux comportements et aux décisions prises contre la propagation de la Covid-19. Dans une revue des résultats des enquêtes sociales et comportementales pour soutenir la réponse à la pandémie, Van Bavel, Baicker, Boggio et al. (2020) soulignent comment la plupart des mesures nécessaires pour contenir une épidémie sont, de par leur nature même, difficiles à appliquer directement : cela rend, à son tour, la confiance dans les pouvoirs publics et parmi les citoyens d’autant plus pertinente pour comprendre les réactions à ces nouvelles contraintes.
Ainsi, l’impact négatif de la pandémie de Covid-19 peut être atténué par la confiance dans les institutions et entre les citoyens, qui est une composante de base du capital social défini par Putnam comme « les caractéristiques des organisations sociales, telles que les réseaux, les normes et la confiance sociale qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel » (Putman, 1995, p. 66).
Méthodologie
Cette étude couvre 125 régions de 12 pays européens1. Les données sur les décès liés à la Covid-19 par région ont été collectées à partir de l’ensemble des données fournies par les ministères de la Santé et les instituts nationaux de statistiques des États inclus dans cette recherche. L’indicateur de diffusion pandémique est le taux de mortalité à la Covid-19, défini comme le nombre de décès dus à la Covid-19 enregistrés dans une région pour 10 000 habitants.
Nous avons cherché à identifier les facteurs socio-économiques locaux susceptibles d’expliquer la mortalité liée à la maladie. Pour ce faire, nous avons mobilisé des techniques d’analyse spatiale qui permettent de repérer les groupes de territoire particulièrement touchés ou épargnés et d’isoler les facteurs explicatifs pertinents une fois pris en compte ces effets de contagion liés à la proximité spatiale. Nous avons ainsi repéré les clusters ou les groupes de région dans lesquels les taux de mortalité mesurés sont soit significativement supérieurs, soit significativement inférieurs à ce qui serait observé si la répartition des taux était le seul fruit du hasard.
Principaux résultats
L’âge, un facteur de risque très pertinent
Du fait d’une plus grande vulnérabilité des plus âgés et des hommes face à la Covid-19, les différences notables dans les structures des populations d’un pays à l’autre jouent sur le nombre de décès. Nos résultats montrent qu’une proportion plus élevée de personnes âgées dans une région est corrélée à une prévalence plus importante de la Covid-19. Cet aboutissement confirme l’âge comme facteur de risque, en accord avec la littérature. Il montre aussi le rôle essentiel de la démographie, en particulier la façon dont la structure d’âge d’une population peut contribuer à expliquer les divergences de taux de mortalité entre les régions. L’Italie et l’Espagne ont été les pays les plus touchés par la première vague de la pandémie ; il s’agit des États qui enregistrent, selon les statistiques d’Eurostat, l’espérance de vie la plus haute en Europe (83,5 ans en Espagne et 83,4 ans en Italie).
L’influence des variables économiques régionales
Les régions les plus riches et les plus avancées, en termes de réalisation des grands objectifs déterminés dans la stratégie Europe 20202, sont plus à risque de transmission virale en raison des liens sociaux importants entre les individus, résultant d’une plus grande activité économique. Dans un monde globalisé, connecté et intégré, les territoires favorisés sont plus ouverts au commerce international et à la circulation des personnes.
Cependant, la variable de richesse (PIB par habitant) utilisée dans cette étude ne prend pas en compte les inégalités socio-économiques dans un pays. Elle est complétée par le taux de chômage, qui met l’accent sur l’exclusion sociale et l’accès limité aux ressources économiques en raison de la perte d’emploi (Pohlan, 2019).
La qualité du système de santé
La qualité du système de santé exerce une influence significative négative sur la baisse de la mortalité associée à la Covid-19, montrant ainsi qu’une bonne prise en charge médicale permet de réduire le risque d’évolution dangereuse de la maladie. Avec un besoin conséquent d’hospitaliser les patients infectés en unités de soins intensifs, le nombre de lits disponibles a été un problème critique dans la gestion de la Covid-19 (Vinci, Polidori & Polidori, 2020). C’est pourquoi les tensions dans le secteur hospitalier ont été surveillées de près, et la volonté de les éviter a expliqué nombre de choix en matière de restrictions. Par exemple, depuis 2009, l’Italie a connu une réduction de 37 milliards d’euros dans les investissements en politique de santé et une diminution substantielle de son nombre de lits d’hôpitaux, qui est passé à 3,2 pour 1 000 habitants, contre une moyenne européenne de 5 pour 1 000 habitants (De Leverano, 2020). Le nombre de lits d’hôpitaux a tendance à être sensiblement plus élevé dans les régions allemandes, avec 8 lits pour 1 000 habitants en moyenne. Des taux inférieurs sont observés dans le sud de l’Italie, le sud de l’Espagne, certaines régions grecques et au Royaume-Uni. Nos résultats confirment ceux de la littérature, qui soulignent également des écarts entre régions (Krentz & Strulik, 2021).
Confiance et respect des règles sanitaires
Les résultats obtenus montrent que plus la confiance envers les institutions et entre les citoyens est faible, plus les taux de mortalité dus à la Covid-19 sont élevés. Cela s’explique par le fait que les personnes ayant une faible confiance ont tendance à identifier les aspects négatifs des situations ambiguës, à considérer que les autres ne respectent pas les règles, et donc à essayer de les contourner, ce qui amplifie la gravité de l’épidémie. Au contraire, dans les endroits où une grande majorité de citoyens font preuve d’un niveau élevé de confiance, les règles sont censées être respectées par les autres et finissent par l’être par tous, engendrant ainsi une baisse du taux de mortalité. Cela confirme qu’un aspect essentiel des causes de la propagation de l’épidémie est la confiance de citoyen à citoyen, un actif intangible capable de façonner les conséquences du phénomène Covid-19. Dans ce contexte, plusieurs types de confiance sont en jeu. D’abord, celle des citoyens à l’égard des gouvernements comme le signale l’Organisation de coopération et de développement économiques (OECD, 2020), qui s’inquiète du déclin de la confiance dans les institutions publiques et souligne qu’à tous les stades de la pandémie de Covid-19, elle est pourtant cruciale. Mais les relations sociales locales comptent également. Nos résultats confirment ceux de Putnam, Leonardi et Nanetti (1993), qui concluent que l’information et les décisions politiques ne suffisent pas à assurer le succès des politiques sanitaires. La mobilisation du capital social d’une communauté devient, par conséquence, un moyen d’action contre l’épidémie.
Pistes de réflexion et difficultés
Notre étude suggère que la disponibilité des services de soins (nombre de praticiens et de lits d’hôpitaux) ainsi que des facteurs intangibles, comme la confiance, devraient être pris en compte dans les politiques publiques menées pour limiter la gravité et la propagation de l’épidémie et ce, en plus des caractéristiques individuelles.
La nature des données
La nature contingente des données utilisées et l’impact potentiel retardé de la Covid-19 (augmentation des décès due à l’absence de traitement d’autres pathologies et/ou une diminution des décès par accident de la route et à cause de la pollution) appellent à des recherches plus poussées sur les causes et les conséquences de cette pandémie. En particulier, la combinaison des données individuelles et par secteur d’activité pourrait permettre une meilleure compréhension de la part des malades et des décès causés par des facteurs liés à des caractéristiques individuelles et à l’exposition de certaines catégories professionnelles.
Le choix du niveau d’analyse
En économétrie spatiale, le choix de l’unité territoriale considérée influence de manière importante les résultats obtenus. Plus précisément, les niveaux administratifs, que sont les régions, pourraient ne pas refléter la réalité des distributions spatiales étudiées.