Introduction
À partir des années 1960, les communes périurbaines1, notamment en Île-de-France, se sont développées autour du triptyque maison individuelle, centre commercial, zone d’activité (Berger, 2004), rompant ainsi tant avec l’aménagement sur rue (pensons aux villages yvelinois, classiquement organisés autour de la rue, comme Houdan ou Montfort-l’Amaury) qu’avec la mixité fonctionnelle (Fouchier, 2001) qui y prévalait dans le passé. L’espace périurbain est dès lors souvent associé à l’étalement urbain, et concentre des critiques nombreuses, notamment dans les médias (Billard & Brennetot, 2009). Il s’agirait désormais de construire autrement en périurbain, et la densification est souvent vue comme une solution à l’étalement urbain et aux maux qu’il génère : automobilité, allongement des temps de transport, consommation de terres agricoles, même si ces critiques sont discutées et ne font pas l’unanimité dans le monde de la recherche (Reux, 2015).
Ainsi, dans le périurbain francilien, la densification s’impose de plus en plus comme mode d’urbanisation (Fonticelli & Moquay, 2019), poussé par les évolutions législatives et règlementaires. Cette densification se traduit par la construction de logements collectifs, qui représente en périurbain francilien 40 % des opérations de construction de logements entre 2009 et 2013 (base de données Sit@del), et permet une diversification du parc de logements périurbains, assez homogène (75 % de maisons et 71 % de logements de plus de 4 pièces, 70 % de propriétaires occupants en 2014, d’après l’Insee), en proposant de plus petits logements ainsi qu’une offre locative. Cette tendance permettrait alors de répondre aux besoins des jeunes ménages, des familles monoparentales ou des personnes âgées qui n’ont pas nécessairement les moyens ou l’envie d’habiter dans du logement individuel. Ce serait un moyen de favoriser la maturation périurbaine2, que connaît déjà l’Ouest francilien (Berger, Aragau & Rougé, 2014), tout en dynamisant la commune et en favorisant la transition démographique, souvent souhaitée par leurs élus. Dès lors, la densification par le logement collectif est encouragée tant par les politiques publiques que par l’ingénierie périurbaine et, si elle suscite des réactions contrastées de la part des élus locaux, certains s’en saisissent pour renouveler leur parc de logements. Pourtant, elle demeure compliquée à réaliser dans le périurbain francilien. Marché du logement jugé atone, surcoûts liés à la complexité des terrains et des opérations, problèmes pour mobiliser des promoteurs ou des bailleurs sociaux sur ces communes, délicate acceptabilité pour les administrés… les freins sont nombreux.
Dans cette équation difficile, quelles sont les politiques d’aménagement mises en place pour y parvenir, et leurs obstacles opérationnels ? Comment se recompose la gouvernance pour venir porter ces projets ? Et, in fine, comment habite-t-on dans les logements construits et réalisés en densification ?
Pour répondre à ces questions, nous montrerons que les politiques publiques poussent à la densification dans le périurbain, avant d’analyser comment les acteurs repensent et adaptent leurs pratiques à l’aune des différentes contraintes. Enfin, dans un dernier temps, nous porterons un regard critique sur cette densification périurbaine qui peine à répondre aux attentes de ceux pour qui elle a pourtant été réalisée : les habitants.
Des communes sur lesquelles s’appliquent des politiques pensées pour la métropole dense
Pour les penseurs de la ville, la limitation de l’artificialisation des sols et de l’étalement urbain passe par la densification. L’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), inscrit dans le plan Biodiversité de juillet 2018, ainsi que le rapport France Stratégie (Fosse, 2019) consacré à ce sujet en attestent : il n’est pas envisageable qu’il soit possible d’atteindre le ZAN sans densifier.
Mais ce n’est pas nouveau. Depuis le « tournant des années 2000 » (Touati, 2010), la densification est devenue un objectif des politiques publiques, parallèlement à la mise en place de dispositifs pour lutter contre l’étalement urbain. La législation a tenté de le limiter sur l’ensemble des communes françaises, et notamment sur les communes du périurbain francilien. Ces différentes lois – loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU, 20003), loi Engagement national pour l’environnement (ENE, 20104) et loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR, 20145) – restreignent les possibilités qu’avaient jusque-là les communes d’ouvrir de nouvelles zones à l’extension urbaine, mais sans parvenir à enrayer l’étalement urbain. Et cela principalement parce que les plans locaux d’urbanisme (PLU) n’ont pas tous joué le jeu des limitations de l’étalement urbain imposées dans un premier temps. En Île-de-France, c’est surtout le schéma directeur de la région (SDRIF, 2013) qui fixe des objectifs importants de limitation de l’étalement urbain dans cette zone géographique : les bourgs, villages et hameaux franciliens disposent d’une possibilité d’extension urbaine maximale de 5 % au regard de la surface urbanisée existante6. Mais même sans utiliser ces 5 %, avec ces lois et ce règlement, les communes périurbaines avaient alors encore le choix : opter pour des politiques « malthusiennes » (Charmes, 2007) et arrêter de construire des logements, ou construire ceux-ci en densification.
Mais ces lois vont se cumuler avec d’autres, qui retirent à ces communes cette alternative en Île-de-France : ces dernières font face à des objectifs de construction, fixés par la territorialisation de l’offre de logements (TOL) ou par l’application de l’article 55 de la loi SRU. En effet, initialement, cet article, qui vise à développer le logement social au sein des villes-centres et des communes de l’agglomération7 (20 %, puis 25 % dès le 1er août 2014) sous peine de pénalités importantes, va imposer la densification sur certaines communes périurbaines de par les conséquences indirectes de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM, 20148) et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe, 20159). Par effet de seuils, beaucoup de communes franciliennes, qui n’étaient jusqu’alors pas concernées par l’article 55 de la loi SRU, ont été rattachées à des intercommunalités où cet article s’impose ; or, il n’a pas été pensé pour le périurbain, où la réalisation de logements sociaux est pour le moins complexe10. Et ce d’autant plus que les communes périurbaines n’ont, pour la plupart, pas anticipé ces objectifs auxquels elles doivent répondre à toute vitesse, sans parfois disposer des ressources – spatiales, financières, techniques – nécessaires.
Quelle adaptation des pratiques des professionnels pour construire en périurbain ?
Penser la densification en périurbain est bien différent que de l’envisager à Paris ou en banlieue proche. Au-delà de l’agglomération, la densification est compliquée à équilibrer économiquement, car densifier coûte plus cher que construire en extension (Castel, 2011) : le foncier sur lequel se réalisent les opérations est souvent onéreux, et il nécessite généralement des opérations de démolition voire de dépollution. De même, construire des immeubles est plus coûteux que de construire des maisons : « Plus elle [la densité] est forte plus le coût de construction au m² de plancher est élevé du fait des contraintes techniques qu’elle impose » (Castel & Jardinier, 2011). Or, à localisation identique, le prix de vente au mètre carré d’un appartement est moindre que celui d’une maison (Castel & Jardinier, 2011). En conséquence, dans le périurbain, sans une intervention volontaire des collectivités territoriales, cela n’aboutirait le plus souvent qu’à la construction de maisons individuelles en extension. Si les opérations de densification de type BIMBY11 peuvent être équilibrées financièrement et attractives pour des particuliers (Le Foll & Miet, 2013), la densification sous la forme d’immeubles est peu rentable pour les acteurs de la construction en périurbain.
Cela est particulièrement évident pour les bailleurs sociaux. Le financement du logement social est étroitement lié au zonage géographique des communes (Fauconnier, 2019). Or, celui-ci favorise certains territoires aux dépens d’autres. Le zonage dit « 1, 2, 3 », par exemple, permet de fixer les montants maximums des loyers, qui dépendent de la zone à laquelle appartient la commune concernée. Ces effets de secteurs peuvent ainsi décourager certains bailleurs d’intervenir en zone 2, où se trouve une grande partie du périurbain en Île-de-France12.
De même, ce marché est logiquement peu attractif pour les acteurs de la construction, notamment en comparaison des grands chantiers ouverts au sein de la métropole parisienne. Il est peu rentable, souvent complexe à mener, les oppositions des habitants aux projets étant légion. En outre, le nombre d’appartements réalisés par projet, en densification périurbaine, est bien inférieur à celui produit lors d’opérations en densification métropolitaine ou sur des chantiers du même ordre d’importance. Si de plus en plus d’élus périurbains acceptent de réaliser des logements sociaux, ils n’admettent qu’un nombre limité de logements et préfèrent multiplier les petites opérations. Cela s’oppose à la réalité économique des bailleurs sociaux13. En conséquence, les bailleurs sociaux ou les promoteurs immobiliers d’envergure nationale privilégient les projets en banlieue parisienne. Beaucoup d’élus, même volontaires pour produire du logement, peine à trouver des acteurs qui acceptent de construire.
Ce sont davantage des promoteurs ou des bailleurs sociaux « secondaires » qui interviennent (Fonticelli, 2018)14. Certains bailleurs sociaux implantés dans les départements limitrophes, hors Île-de-France, se positionnent parfois pour travailler au sein du périurbain francilien, territoire toujours plus rentable que le leur. C’est le cas de l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) de l’Oise, qui opère aussi dans le Val d’Oise. Ainsi, la plus grande partie des logements réalisés dans les bourgs périurbains est produite par des petits promoteurs locaux, bien implantés qui, grâce à une bonne connaissance du terrain, parviennent à équilibrer leurs programmes neufs, voire à réaliser des projets en densification. Le manque d’acteurs d’envergure sur ces secteurs est alors un atout pour eux, qui se positionnent comme la seule option possible pour réaliser du logement social dans les bourgs et profitent de l’absence de concurrence. Enfin, du fait du contrôle renforcé pour limiter l’étalement urbain, certains lotisseurs deviennent promoteurs et réalisent des immeubles, faute de trouver des terrains à lotir dans les communes où ils disposent de leurs réseaux. C’est le cas du groupe Arbey, pour qui le passage de lotisseur à promoteur s’explique par l’évolution du marché, qui ne permet plus autant de réaliser des opérations de lotissement.
« On a commencé par faire de l’aménagement, par avoir une fonction d’aménageurs, et ensuite on a eu une casquette de promoteur. […] Là où si à l’époque il faisait 100 terrains à bâtir, aujourd’hui, il ferait 1 000 logements. Le rapport il est de cet ordre. »
(entretien, promoteur immobilier Citic et Arbey, 2016)
Devant cet état de fait, la société a été contrainte de trouver de nouveaux produits à réaliser :
« — D’où un repositionnement de votre société ?
— Ouais, et de tous les acteurs du marché, il n’y a plus personne pour faire de l’aménagement pavillonnaire. … Mais vous voyez, les conditions ont complètement évolué. »
(entretien, promoteur immobilier Citic et Arbey, 2016).
Ainsi, faute de pouvoir réaliser du lotissement, l’entreprise s’est mise à réaliser des opérations de promotion immobilière et à intervenir en densification.
Les maires des communes périurbaines se confrontent donc à une double difficulté : apporter des capitaux pour équilibrer les opérations de densification et trouver des acteurs qui acceptent de construire sur leur commune. Le tout alors que la densification et le logement social demeurent mal acceptés par les populations périurbaines. Les élus qui voulent construire doivent alors se faire chefs d’orchestre de ces opérations en démarchant bailleurs sociaux et promoteurs, en subventionnant les constructions ou en allant solliciter des financements ou des porteurs de foncier auprès d’autres intervenants (établissements publics fonciers, conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, parcs naturels régionaux…).
Une densification qui ne répond pas aux attentes des habitants ?
Dans la plupart des communes périurbaines, la densification s’opère donc sous contrainte des politiques publiques nationales et territoriales, et peu de maires sont enclins à la réaliser. Le travail de thèse a mis en avant quatre types de réaction de la part des élus confrontés à la densification. Premièrement, les communes « malthusiennes », selon l’expression de Charmes (2007), qui ne sont pas soumises à l’obligation de réaliser du logement social et qui choisissent de ne pas densifier leur commune, notamment par un contrôle renforcé du PLU. Citons l’exemple d’Orgerus, commune des Yvelines de 2 300 habitants où le maire sortant et son adversaire aux élections municipales de 2014 se sont opposés autour de la question de la construction d’un programme de 17 logements sociaux souhaité par le maire, voyant finalement la victoire de l’opposant hostile au programme de construction.
Deuxième type, les communes qui ne se saisissent pas de la densification pour en faire une politique municipale affirmée. Dans ces localités, des opérations de densification peuvent avoir lieu parce que la commune a un marché dynamique. C’est le cas de Bois-le-Roi, en Seine-et-Marne, où un promoteur immobilier a réalisé successivement trois opérations de construction d’immeubles sans aucune intervention des élus15. Mais elles se font sans grande cohérence, sans que les élus réussissent à concevoir un projet urbain à l’échelle de la commune. La qualité des projets pose alors question.
Troisième type, les communes soumises à l’obligation de produire du logement social et qui doivent le faire rapidement. Mais qu’en est-il de l’atteignabilité de ces objectifs et, là aussi, de la qualité des opérations réalisées, certaines proposant des densités très – trop ? – importantes en regard de leur environnement urbain ? Itteville, dans l’Essonne, en est caractéristique. Pour rattraper le retard en logements sociaux de la commune, le maire souhaitait initialement la construction d’une opération de quatre étages, dans un quartier pavillonnaire, ce qui a suscité l’hostilité des riverains.
Enfin, tout n’est pas si négatif ; certaines communes se saisissent réellement des objectifs de densification et en font un projet municipal, notamment appuyé par de l’ingénierie publique. C’est le cas de Bouray-sur-Juine, en Essonne, où une démarche de reconversion d’un presbytère en sept logements, dont les loyers seront plafonnés, vient d’être couronnée par le label EcoQuartier, ce qui est exceptionnel pour une commune de 2 200 habitants.
Quelle que soit la commune périurbaine, il demeure toutefois un invariant dans les constructions réalisées : l’architecture des opérations en densification revêt un caractère standardisé. Elle imite l’architecture traditionnelle des villages franciliens : hauteurs modérées (rarement plus de deux étages), toits en pente couverts de tuile, façades à l’alignement sur la rue et recouvertes d’enduit aux couleurs crème, fenêtres plus hautes que larges... Cette architecture domine pour plusieurs raisons, en particulier parce que beaucoup de maires l’imposent dans leurs PLU, notamment dans l’article 11 sur l’aspect des constructions extérieures. Les architectes des bâtiments de France (ABF) viennent souvent renforcer ces obligations. Dès lors, les promoteurs et les bailleurs sociaux périurbains proposent une architecture « pastichante » lorsqu’ils interviennent sur ces communes.
Le problème de cette architecture que nous qualifions de « néo-village » (Fonticelli, 2018) n’est pas tellement esthétique : bien que le pastiche soit largement vilipendé par les professionnels de l’architecture, il a le mérite de susciter l’adhésion du plus grand nombre (Ferrari, 2015).
La critique que nous y portons se trouve dans un autre registre, celui de la satisfaction des habitants des logements en eux-mêmes. Nous avons enquêté auprès de 80 résidents de logements fraîchement construits en densification portant sur cinq opérations de logements16, et les propos rapportés sont unanimes : les logements sont jugés peu satisfaisants s’ils ne permettent pas d’accéder à un espace extérieur (terrasse, jardin). Or, du fait de cette architecture « néo-village », peu d’appartements bénéficient de cette « cinquième pièce », simplement parce qu’elle se doit d’avoir des façades lisses sur rue et ne compte donc jamais de balcon. Seules les façades sur cour peuvent alors en bénéficier, mais ceux-ci s’avèrent, au dire des personnes interrogées, trop petits.
De ce fait, les opérations de logement collectif récemment réalisées peinent à convaincre leurs habitants. Si le périurbain est un choix pour la plupart des ménages interrogés, habiter en appartement est une contrainte. Ils « votent alors avec leurs pieds », selon l’expression de l’économiste Charles Tiebout (Charmes, 2012), et déménagent. Certains logements neufs demeurent vacants ou peinent à trouver des locataires ou des propriétaires. Ceux qui y habitent continuent de rêver d’accéder à une maison individuelle, rêve qu’ils ne pourront bien souvent exaucer qu’au-delà des limites de l’Île-de-France, contribuant ainsi à l’accentuation de l’étalement urbain.
Conclusion
Faute de trouver une offre de logements en adéquation avec leur budget et leurs envies au sein du périurbain francilien, les ménages vont habiter en maison dans les départements limitrophes, où la densification est moins encadrée et où les constructeurs de maisons individuelles se repositionnent.
L’espace périurbain est spécifique et dispose de dynamiques très différentes de celles de la ville et de la banlieue. À trop y intégrer des solutions urbaines faisant fi des particularités territoriales, on produit un logement sous contrainte, qui ne répond pas aux aspirations de ses habitants. Cela nous invite à repenser l’adéquation des politiques de densification à cet espace périurbain francilien.