Introduction
Depuis les années 2000, les politiques urbaines de nombreuses métropoles européennes se sont orientées vers la densification verticale, appliquée dans certains cas aux centres-villes, cherchant ainsi à « densifier le déjà dense ».
La surélévation de bâtiments existants a déjà fait ses preuves à l’échelle du bâtiment, et les différentes problématiques auxquelles elle répond sont alors envisagées à l’échelle urbaine à travers le concept de « ville sur la ville ». Elle est perçue, et présentée, comme une solution multifonction qui répond simultanément à différents enjeux de la ville du xxie siècle :
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le potentiel de foncier aérien1 des métropoles, souvent considérable, est régulièrement opposé aux chiffres de l’étalement urbain et laisse à penser que la création de surfaces neuves en toiture des immeubles suffira à répondre aux besoins de construction et à réduire, voire endiguer, l’étalement urbain ;
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l’augmentation de l’offre de biens immobiliers neufs et bénéficiant d’une bonne localisation, dans des secteurs tendus, est estimée suffisante pour équilibrer la demande et donc détendre mécaniquement la pression immobilière, rendant ainsi la ville plus accessible ;
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la vente des droits à bâtir en surélévation d’un immeuble permet le financement de tout ou partie de sa rénovation thermique. Dans le cadre du logement social, l’apport de nouveaux logements au sein du parc immobilier du bailleur ainsi que l’absence d’achat de foncier permettent un auto-financement d’une partie des travaux ;
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la surélévation contemporaine et son traitement architectural ont le potentiel de créer un dialogue architectural avec l’édifice ancien et ainsi mettre en valeur son patrimoine, en plus de financer sa rénovation et sa mise aux normes ;
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la construction de logements sociaux et leur « égrainage » sur les toits des immeubles en copropriété et, à l’inverse, la création de logements privés en toiture des immeubles de logement social sont envisagées comme des solutions pour générer plus de « mixité » sociale.
Pour toutes ces problématiques, la densification verticale est une option prise en considération par de nombreuses métropoles européennes, toutes confrontées à des défis similaires. Dans chaque situation, c’est la systématisation de la surélévation à l’échelle urbaine qui est appelée à résoudre ces maux urbains, sans toutefois que des contre-effets puissent être envisagés. Plusieurs métropoles ont envisagé une modification réglementaire pour favoriser la surélévation, et Genève l’a fait. Mais les études de cas ont montré que les résultats de ces politiques ne sont pas à la hauteur des attentes ; un certain nombre de facteurs contraignants sont perçus par les acteurs de la surélévation comme des freins aux projets : l’acceptabilité par les instances patrimoniales, la capacité physique du bâti à être rehaussé, l’occupation des combles, l’acceptabilité sociale des opérations par des voisins ou par des copropriétaires eux-mêmes, l’exiguïté des parcelles et de leurs toitures, ainsi que des aspects des règlements urbains empêchant les bâtiments de pouvoir être rehaussés, tels que les fuseaux, l’angle ou le recul par rapport à la façade, la préservation de l’harmonie du cadre urbain, etc.
Ces différences entre les projections des politiques publiques en matière de développement urbain et la réalité construite soulèvent différentes questions : à partir de quel gain de surface une politique urbaine de densification verticale peut-elle être considérée comme pertinente ? Dans quelle mesure peut-on s’attendre à ce que la surélévation contribue à la lutte contre l’étalement urbain, à la rénovation du parc bâti, à l’accessibilité de la ville ? Quel est l’usage optimal de la surélévation ?
Genève, une loi pour surélever
La Ville de Genève, en 2008, modifie son règlement urbain et rehausse de deux niveaux les hauteurs constructibles dans deux des trois secteurs de la ville, le secteur exclu étant le cœur historique. La loi L10088, dite « des surélévations », est initiée par le Canton de Genève dans un contexte de pénurie de logements avec pour ambition de répondre aux objectifs d’accueil de 100 000 nouveaux résidents prévus dans ce canton d’ici 20302. Genève subissant déjà les effets retors de son attractivité et de sa lutte contre l’étalement urbain – augmentation de la pression immobilière et foncière, ralentissement de la construction et taux de vacance extrêmement bas –, la possibilité de « faire la ville sur la ville » par la rehausse des gabarits lui promettait de sortir de la crise.
La Municipalité, soumise à la loi cantonale et soucieuse de la préservation de son patrimoine bâti ainsi « mis en danger » et des conséquences de la spéculation, s’est régulièrement opposée à la loi par crainte d’une « systématisation » des surélévations. Mais le Canton a autorisé certains projets qui n’ont pas mis en valeur le patrimoine et respecté l’harmonie urbaine (Veuthey, 2017). Ces réalisations3 ont créé une polémique extrêmement forte, largement médiatisée, et la mise en œuvre de la loi s’est rapidement politisée (Bouchet-Blancou, 2020b).
Par ailleurs, la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR), loi de 1996 limitant la spéculation immobilière par plafonnement des loyers et des prix de vente, a découragé l’exécution de nombreux projets pourtant autorisés, de fait devenus peu rentables4. Ce ne sont que 400 à 500 logements5, répartis dans moins de 70 opérations, qui ont été construits à Genève au cours des dix premières années d’application de cette loi. Malgré la forte augmentation du nombre de permis délivrés, il n’y a pas eu plus de surélévations construites dans les dix ans après le passage de la LDTR que dans les dix l’ayant précédée. Et là où une carte indicative désignait les surélévations possibles, paradoxalement, celles qui ont été réalisées l’ont été majoritairement sur d’autres immeubles.
Finalement, le Canton et la Ville ont trouvé un terrain d’entente grâce à la mise en place d’une méthode d’analyse des projets de surélévation (méthode dite « A, B, C, D »)6, instaurée huit ans après la loi des surélévations.
L’exemple de Genève est instructif à deux points de vue. Premièrement, il est primordial d’assurer, au sein d’une politique urbaine volontariste, la qualité architecturale des opérations et la cohésion des différentes instances urbaines et patrimoniales afin de garantir l’acceptabilité sociale des opérations futures et de la loi tout entière.
Deuxièmement, sans régulation des loyers et des prix de vente, la spéculation immobilière autour de la création de surfaces neuves en surélévation et en plein centre-ville mènerait à une surenchère des prix – en raison des qualités intrinsèques de ce type de bien, ajoutée à leur rareté, devenue extrême en contexte de pénurie de logements – avec un effet de hausse du marché existant local, qui réduit la capacité des habitants à y accéder. Genève avait compris ce phénomène spéculatif dès les années 1990 et avait créé une loi pour s’en prémunir. Cependant, la volonté politique de densifier verticalement la ville est venue ajouter une nouvelle couche juridique au fameux « millefeuille genevois »7, où la régulation a été dans ce cas contre-productive, les projets émergeant trop lentement pour avoir un quelconque effet sur l’enrayement de la pénurie. L’accessibilité du logement en secteur tendu d’une ville est donc une affaire de régulation, mais il s’agit de trouver le bon équilibre pour ne pas entraver la faisabilité financière des opérations.
Ailleurs, cet effet de surenchère se vérifie partout où le marché est libre et où une pression foncière et immobilière s’exerce : à Lyon, les appartements créés dans une dent creuse sont vendus dans certains arrondissements à environ 9 000 €/m² là où le marché se situe à 5 000 €/m² en moyenne8. À Barcelone, des appartements créés en toiture se sont vendus, en 2017, à 26 000 €/m², soit sept fois le prix moyen des appartements de l’Eixample (Gosselin, 2018), qui la même année s’élevait à environ 3 800 €/m²9. Pourtant, on trouve aussi des opérations réalisées pour un coût bien plus accessible aux futurs habitants : cela est possible lorsque le projet est mené entièrement par l’architecte et sans promoteur. Dans ce cas, l’architecte prend le rôle d’assistant à maîtrise d’ouvrage pour les deux parties, les copropriétaires et les nouveaux acquéreurs. À Paris, par exemple, des projets ont été menés par un architecte dans le ixe arrondissement pour un coût total inférieur de plus de moitié au marché immobilier local : 5 200 €/m2 là où les prix moyens sont à 11 000 €/m210.
Paris, potentiel et marché libérés
La place de la surélévation dans la formation progressive de la ville de Paris telle qu’on la connaît aujourd’hui nous renseigne sur l’aubaine qu’a depuis toujours constitué un potentiel de surélévation pour le propriétaire qui s’en est saisi. Les immeubles rehaussés constitueraient environ 1/5e du bâti, une partie de l’histoire de l’urbanisme de la Capitale souvent comparée à son emploi actuel. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) votée en 2014, loi nationale mais dont l’écho à Paris est particulier (en raison de la pression immobilière et du dynamisme du marché), a ouvert un potentiel de foncier aérien considérable. L’Atelier parisien d’urbanisme (APUR, 2014) estimait ce potentiel à 8 850 bâtiments sur rue « surélevables », soit 12 % du parc bâti (donc un peu plus si l’on inclut les bâtiments en fond de parcelle, que l’étude ne prend pas en compte dans ses calculs). Un marché dédié s’est rapidement constitué, mais cinq ans après la loi ALUR, la plupart des promoteurs spécialisés ont arrêté leur activité.11 Seul un bureau d’études (BE) spécialisé, UpFactor, a percé le marché en trouvant comment l’adresser en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage. Cette entreprise a en effet conçu un outil informatique qui croise de nombreuses données afin de déterminer avec précision le potentiel de surélévation de chaque bâtiment d’une ville. Ces données sont celles du cadastre, du plan local d’urbanisme (PLU), de la hauteur existante (comme toutes les cartes d’un potentiel de surélévation), mais bien plus ; elles comprennent aussi, notamment, l’âge du bâti qui informe de sa capacité à supporter le poids d’une surélévation, les tutelles patrimoniales12 en place et leur niveau d’acceptabilité de ce type de projet, ou encore les prix de l’immobilier local, qui indiquent la capacité du projet de surélévation à financer la rénovation thermique de l’immeuble rehaussé. Le croisement de toutes ces informations renseigne les investisseurs ou les bailleurs sur le potentiel de leur parc immobilier en la matière.
Pourtant, à Paris, les demandes de permis de construire (PC) sont loin d’affluer. En 2016, 165 demandes ont été déposées, environ autant en 2017, à 95 % pour le compte de promoteurs ou de bailleurs sociaux13. C’est deux fois moins que pendant la première moitié du xxe siècle (334 demandes par an en moyenne), mais deux fois plus que dans l’entre-deux-guerres (60 demandes/an en moyenne ; APUR, 2014). En cause, entre autres : les parcelles exiguës, les fortes tutelles patrimoniales, les recours de voisinage et les règles de la copropriété. Le potentiel de foncier aérien identifié par l’APUR après le passage de la loi ALUR est grand, mais très théorique. Il faut le relativiser en prenant en compte un ensemble de caractéristiques14 qui le restreignent. La très prochaine révision du PLU sera l’occasion de revoir certains aspects au prisme des potentiels de la surélévation, comme moyen d’action en faveur de la rénovation thermique et de la revitalisation du parc bâti.
Avec les autres métropoles européennes, la Ville de Paris partage le sujet de préoccupation que représente l’accès à la ville. En fonction des orientations politiques de sa Municipalité, mais surtout de celles du Gouvernement, cela s’incarne par des actions et des lois qui encouragent plus ou moins la mixité sociale et la lutte anti-spéculation. La mixité sociale était inscrite depuis 2000 comme un objectif à atteindre, par la création de 25 % de logements sociaux, à travers la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) puis, plus récemment, à travers l’ordonnance Duflot de 2013. Cette dernière autorise en effet la dérogation sur les hauteurs et sur la contiguïté aux édifices voisins à la condition que l’opération de surélévation soit affectée à du logement « dans un objectif de mixité sociale ». En France, la lutte anti-spéculation ne s’exerce pas par contrainte, avec une intervention étatique régulatrice du marché comme à Genève, mais par des outils supposés permettre l’accès à la ville aux ménages plus modestes : la surélévation s’envisage pour la création de nouveaux logements sociaux sur les toits de la ville, et une part de ces logements est proposée en dissociation du foncier et du bâti (système de propriété partielle copié sur le modèle anglo-saxon du Community Land Trust, où l’habitant est propriétaire des murs et locataire du terrain). Cependant, le nombre de logements sociaux croît au même rythme que le logement privé, ce qui n’empêche donc pas la spéculation, et la dissociation foncier/bâti n’entrave pas l’inflation des prix de la location foncière15.
Enfin, la mixité entre logement privé et logement social au sein d’un même immeuble, par surélévation, est un modèle théorique intéressant mais impossible à concrétiser : d’une part, la gestion d’un parc de logements sociaux émiettés sur de nombreux immeubles serait coûteuse et très complexe pour les bailleurs ; d’autre part, les propriétaires et/ou habitants du secteur privé sont plutôt réfractaires à l’idée de vivre sur le toit d’un immeuble de logements sociaux et à en partager les communs et les accès. Ils craignent aussi de voir les meilleurs atouts d’une surélévation de leur immeuble être exploités par des locataires du social qui n’auront pas autant investi qu’eux dans leur logement. Outre cette difficile mixité sociale verticale16, la mixité sociale à l’échelle des quartiers et l’accès aux villes attractives telles que Paris demeurent problématiques. Pour détendre la pression immobilière, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) de 2018 suggère un choc de l’offre supposé faire mécaniquement baisser la demande et donc la pression. Mais un contre-effet se constate, a fortiori en surélévation, car la rareté et la qualité des biens créés ont plutôt tendance à pousser le marché à la hausse. Face à cette épineuse question de la mixité sociale, plusieurs chercheurs soutiennent que l’intervention partielle de l’État dans le marché renforce plus ses effets spéculatifs qu’elle ne les apaise (Belmessous, 2015).
Barcelone et la quête d’une densité optimale
À Barcelone, l’étalement urbain17, la pression immobilière et la réflexion sur la densité bâtie déjà forte de l’Eixample18 sont au cœur de la préoccupation au sujet de la densité optimale19, que soulève la question de la surélévation. Malgré l’enjeu important de la densification comme moyen de lutter contre l’étalement urbain et la présence de nombreuses dents creuses et de pignons aveugles due à la succession des réglementations20, plusieurs freins s’opposent, là aussi, à un plus grand usage de la surélévation. Malgré un avis favorable sur le sujet de la surélévation, la Municipalité barcelonaise ne peut pas soutenir ouvertement une telle politique en raison de l’histoire urbaine de la ville et de la réticence du grand public à la surélévation. D’une part, la dernière ordonnance, datant de 1988 et modifiant les gabarits constructifs de l’Eixample, a revu la densité à la baisse et tenté de revenir aux paramètres originaux du plan de Cerdà, constatant l’effet délétère de la spéculation immobilière sur l’environnement urbain. La Municipalité actuelle, si elle n’entrave pas les projets en comblement des dents creuses, ne peut soutenir une politique de densification active au regard de l’évolution règlementaire que la Ville a connue et de la forte densité bâtie qui en a résulté. D’autre part, la Municipalité fasciste de Porcioles (1957-1973) a été marquée à la fois par une forte spéculation et par la corruption foncière (Négrier & Mariona, 2003). Le Maire avait autorisé des projets purement spéculatifs, dont l’aspect dénué de qualité architecturale avait porté préjudice à des immeubles à forte valeur patrimoniale. Nous pouvons citer, par exemple, la surélévation construite à l’angle du Calle de Aragón et du Carrer de Bailèn, à Barcelone, autorisée sous la municipalité de Porcioles. Elle est représentative des critiques faites à l’encontre de ces projets : étant bâtie en surplomb de l’édifice ancien, en n’en faisant aucune référence dans la modénature, la surélévation en détériore notablement le patrimoine. Bien plus vigilante, l’actuelle tutelle patrimoniale de l’Eixample impose notamment aux projets de surélévation de financer la réfection des façades. Contrainte forte qui affaiblit la faisabilité financière des projets.
Un autre frein aux projets est lié aux délais d’obtention des droits administratifs à surélever, qui dépassent généralement deux ans. Ces obstacles n’empêchent pas la réalisation de projets contemporains, même en faible quantité. La Casa por el Tejado, agence de conception-construction-gestion (comme la loi locale le permet), est leader dans la surélévation barcelonaise et mène des projets de grande qualité architecturale et de mise en valeur du patrimoine. La vente des penthouses sert souvent à financer la rénovation à l’ancienne des façades des immeubles, dont le caractère historique rend ces travaux coûteux.
La densité optimale préserve la qualité de vie au sein des logements (circulation de l’air, gestion des vis-à-vis, lumière naturelle, etc.) et au sein de la ville (parcs, espaces « vides », etc.) mais aussi l’harmonie architecturale et paysagère. C’est en particulier sur ce dernier point que les débats portent à Barcelone. La question de l’alignement des hauteurs par le comblement des dents creuses se pose, d’un côté, comme une opportunité de faire disparaître les pignons en escaliers disgracieux, hérités des ordonnances successives, tout en supprimant leurs déperditions thermiques. D’un autre côté, la congestion de l’Eixample est déjà forte, et c’est plutôt dans les secteurs périphériques de la ville qu’une densification verticale se justifierait. Il semble même qu’une dé-densification de l’Eixample permettrait de lui faire regagner une densité plus optimale, qu’elle a dépassée depuis le siècle dernier. À l’échelle du projet, les arguments des défenseurs de la surélévation sont légitimes, bien qu’à l’échelle urbaine, la densification de l’Eixample ne soit pas souhaitable. L’argument urbain peut être cependant opposé au fait que la surélévation représente une densification quantitativement marginale. Or, elle joue tout de même un rôle sur le marché immobilier, qu’elle impacte par un effet d’attraction vers le haut, a fortiori à Barcelone qui attire un tiers des investissements étrangers de l’Espagne (Conférence des Nation Unies sur le commerce et le développement, 2019), dont les nombreux partenariats au sein de grands projets urbains ont déjà contribué à l’éviction des populations les moins aisées et au renforcement des disparités socio-spatiales (Ter Minassian, 2009). La question de la densité optimale ne peut être résolue qu’en travaillant à une politique territoriale prenant en compte l’ensemble des enjeux locaux, tout en laissant la possibilité de voir émerger des solutions nouvelles, à l’échelle du projet.
Conclusion
Les exemples de Genève, Paris et Barcelone permettent de comprendre pourquoi il n’est pas si évident, si intéressant – d’un point de vue urbanistique, architectural ou financier –, ou même si écologique de considérer la surélévation à l’échelle urbaine. Bien que leurs contextes urbains, politiques, démographiques et architecturaux soient différents, les enjeux de leurs politiques urbaines sont similaires, ainsi que l’effet de ces derniers sur leurs marchés immobiliers, leur patrimoine, leurs demandes en logements ou encore l’état de leur bâti. On peut donc en extraire des conclusions qui s’appliquent à toutes les politiques urbaines envisageant l’augmentation des droits à bâtir en surélévation.
D’une part, la situation urbaine privilégiée des surélévations et leur état neuf entraînent des prix de vente élevés bien au-dessus du marché immobilier existant, à emplacement égal. Si Genève n’a pas laissé le marché immobilier s’autoréguler, comme à Paris, ou à Barcelone, c’est pour lutter contre un effet spéculatif dont la tendance est de repousser les habitants en dehors de la ville et d’accroître les problèmes d’étalement plutôt que de les résoudre. Mais cette régulation limite la rentabilité et donc la faisabilité de nombreux projets. Faut-il alors déréguler totalement le marché ou bien le réguler de manière plus adaptée au cas de la surélévation ?
D’autre part, il semble que la surélévation ne soit pas un moyen quantitatif suffisant pour endiguer les besoins en construction, qu’il y ait régulation des prix ou non. De nombreuses cartes, telles que celle publiée par l’APUR (2014), mesurent un « potentiel » de foncier aérien. Certaines municipalités se basent sur ces cartes pour établir des attentes quantitatives substantielles et gérer les demandes de permis, les recours et le patrimoine en fonction. Mais il y a une grande différence entre un potentiel brut établi en comparant les hauteurs constructibles et celles construites, et un potentiel plus réaliste21, qui intègre des données plus précises.
En outre, une cartographie « réaliste », relativisée par le taux de transformation entre les PC délivrés et les projets réellement construits, révèle un potentiel bien plus ténu et démontre que la surélévation doit être ciblée plutôt qu’envisagée à échelle urbaine. Les projets de surélévation restent des opérations rares, dépendantes du marché et de l’initiative privée.
Dès lors, la notion de « ville sur la ville » est une théorie intéressante, mais déconnectée de la réalité. L’intérêt de la surélévation, à l’échelle du projet, est grand, mais ne peut être considéré à l’échelle urbaine comme une solution à tous les maux de la ville :
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elle peut contribuer à la sobriété énergétique par le financement de la rénovation thermique de certains bâtiments existants, idéalement en ciblant prioritairement les édifices les plus déperditifs ;
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elle peut contribuer à apaiser un marché immobilier tendu par l’apport de nouveaux logements, si ces derniers ne sont pas vendus bien au-dessus du marché à des investisseurs, notamment comme placements financiers, et pour n’être occupés que quelques jours à l’année ;
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en théorie, la surélévation peut servir à créer de la mixité sociale verticale, mais les copropriétaires acceptent rarement de vendre leurs droits à bâtir aux bailleurs sociaux, et ces derniers peuvent difficilement gérer un parc émietté ;
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la surélévation peut redonner vie à une ruine ou mettre en valeur un édifice à caractère patrimonial, à condition d’un projet réussi au regard du dialogue architectural et de la mise en valeur de la partie ancienne de l’édifice par l’ajout. Mais il est inenvisageable de surélever l’entièreté du patrimoine ! ;
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elle peut créer des mètres carrés supplémentaires sans consommer de foncier et, à ce titre, participer de la lutte contre l’étalement urbain. Mais elle ne peut pas endiguer les besoins en logements dus à une croissance démographique constante, et son action reste quantitativement marginale.