Estimation de la valeur du terrain selon les méthodes du CE : évaluation directe, par déduction ou donnée statistique comptable

Lolita Gillet

Citer cet article

Référence électronique

Gillet, L. (2021). Estimation de la valeur du terrain selon les méthodes du CE : évaluation directe, par déduction ou donnée statistique comptable. La ventilation terrain/ construction dans le cadre de l’expertise immobilière. État des lieux et perspectives. Mis en ligne le 01 septembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/276

Face à ces incohérences et à l’utilisation à mauvais escient de ces grilles, il semble justifié que les experts immobiliers n’y aient plus recours. Elles ne sont pas reconnues par le CE, qui recommande alors l’emploi de trois méthodes, l’une succédant à l’autre lorsque la précédente se révèle non applicable : par la comparaison de transactions de terrains nus, par le coût de remplacement net ou par la comparaison des ratios comptables, qui reste néanmoins statistique. Dans les deux premiers cas, le postulat suivant, issu des méthodes par sol et construction et d’une certaine façon de la vision comptable, sert de base : la valeur vénale ou le prix est la somme de la valeur/prix du terrain et de celle/celui de la construction. À la grande différence près que les deux éléments ne sont pas estimés indépendamment l’un de l’autre mais par déduction, conformément aux deux premières méthodes évoquées par les normes TEGoVA. Les arrêts du CE quant à eux ne l’expriment pas clairement.

La valeur du terrain par comparaison, adaptée à des actifs standardisés

Rappel de la jurisprudence fiscale

Se fonder prioritairement sur des comparaisons reposant sur des transactions réalisées sur des terrains nus et à des dates proches de celle de l’entrée du bien au bilan du contribuable. Ces terrains doivent être situés dans la même zone géographique que ce bien et présenter des droits à construire similaires.
(
CE, 15 février 2016, n° 380400, Société LG Services)

Formule à utiliser, corollaire du postulat initial

valeur vénale (ou prix) HD

prix de terrain comparable en € /m²
X
surface du terrain bâti
= valeur de la construction

Étape 1 : détermination de la surface de la parcelle concernée

Elle est fournie soit par le client, soit grâce au site Cadastre.gouv.fr. Mais l’intervention d’un géomètre-expert serait préférable pour pallier le décalage éventuel des différentes sources. Dans le cas d’une division en volume ou d’une copropriété, cela peut être plus complexe. Dans le premier cas, l’expert peut délimiter la surface affectée à l’actif concerné, mais tout dépend de la manière dont la division a été réalisée ; dans le second, la valeur des tantièmes en proportion de celle de l’assiette totale du terrain retenue peut être utilisée, à condition d’avoir été informé du nombre total de tantièmes, et par usage, et d’avoir reçu un descriptif précis.

Étape 2 : recherche de transactions comparables de terrains

Et ce au moment où l’actif a été acquis par le client. Les terrains doivent être constructibles, nus et non aménagés. S’ils sont viabilisés, il conviendrait d’ôter 15 à 20 % de la valeur vénale, représentés par ces coûts de viabilisation. Les principales sources, qui sont celles des notaires, sont les bases de données BIEN (Île-de-France) et PERVAL1 (autres régions).

Points d’attention

Il peut s’avérer complexe de trouver des références adaptées. Dans des secteurs urbains denses, tendus, où le foncier disponible est rare, cela peut être quasi impossible, d’autant qu’il faudrait comparer avec des terrains nus alors que la plupart de ceux transactés y sont encombrés. Dans notre cas, ces terrains doivent avoir reçu une autorisation d’urbanisme correspondant à l’usage actuel du bâtiment existant (PC, autorisation d’exploitation des commerces par la Commission départementale d’aménagement commerciale…). Or, les principales sources nous renseignent de mutations de terrains principalement destinés à l’immobilier résidentiel collectif, et sans savoir avec exactitude de prime abord si le PC a été obtenu, s’il est purgé de tout recours. À noter qu’il est admis que ces autorisations sont rattachées au terrain, bien que des travaux sur le bâtiment peuvent requérir l’obtention d’un nouveau PC. Sont considérées comme des transactions de terrains, dans les bases de données évoquées, des ventes d’immeubles à restructurer telles des constructions si vétustes et obsolètes que leur valeur se limite à celle du foncier. En effet, un immeuble situé au sein d’une zone où les constructions sont autorisées par les documents d’urbanisme mais dont l’état ne permet aucun usage est fiscalement un TAB2.

Le choix des terrains comparables se fait en analysant leurs caractéristiques au regard de celles de la parcelle étudiée, dont on ne connaît pas les éléments d’aménagements éventuels compris dans le prix, alors qu’ils sont pour certains considérés comme des immobilisations amortissables­ : ce sont notamment la viabilisation, le terrassement, les tuyauteries, les réservoirs, les routes, les clôtures, les zones pavées3, que l’expert peut difficilement dissocier du terrain sauf s’il s’agit de bâtiments récents pour lesquels des chiffres sont accessibles (Afrexim, 2016). Les terrains doivent être évidemment comparables non seulement en termes d’emplacement (tout particulièrement pour le commerce), mais aussi de surface, de longueur de façade, de topographie (forme de la parcelle, déclivité, profondeur, nature du sol...), d’exposition, de composition, de nuisances (sonores, travaux de démolition…), de servitudes, mais surtout de droits à construire (nombre de logements ou surface de plancher que l’on peut construire), en particulier pour les immeubles collectifs d’habitation et d’entreprise.

Sans compter la considération à l’égard des conditions d’achat du terrain, qui dépendent étroitement des acteurs de la transaction (le vendeur est-il une personne privée physique ou morale, un aménageur, la collectivité ?) : conditions suspensives, prise en charge de la dépollution éventuelle, possible contribution de l’acheteur-promoteur au financement d’équipements publics, clause de complément de prix (earn-out) au profit du vendeur si le CA réel dépasse les prévisions, péréquation pour les programmes de logements sociaux.

Pour que les références soient réellement exploitables, l’expert doit alors mener un long travail d’investigations, de consultation des documents d’urbanisme, et ce n’est pas certain de trouver les réponses. Le facteur temps fait aussi son œuvre et contribue au caractère spéculatif des prix, car il y a toujours un décalage plus ou moins grand entre le moment d’achat du terrain et celui où le programme est commercialisé. Il faut envisager également que, parfois, il existe des négociations postérieures à l’achat qui permettent au promoteur de disposer de droits à construire supplémentaires. L’expert peut effectuer une moyenne du prix au m² des terrains comparables, si l’écart maximal de ces prix est de 10 %.

Pour quels immeubles ?

Elle est plus adaptée aux terrains comportant un certain degré de standardisation et pouvant être considérés comme interchangeables (Comby, 2008) : soit pour des lotissements d’habitation, des zones d’activités et des parcs logistiques où des transactions récentes de terrains, aux propriétés et aux droits afférents relativement homogènes, sont référencées. En outre, elle peut plus facilement être employée dans les secteurs où ce sont des charges foncières (m² de surface de plancher constructible ou construit plutôt que m² au sol) par typologie d’actif qui sont cédées (Afrexim, 2016) par des aménageurs, des autorités locales ou des sociétés d’économie mixte (SEM). Néanmoins, le prix des charges foncières inclut généralement la viabilisation et l’aménagement, qui sont donc à soustraire. Par ailleurs, elle convient davantage aux immeubles qui ne présentent pas de survaleur importante.

Conséquences sur la valorisation du foncier

Avec cette méthode, la valeur du foncier nu, qui est celle du marché, est considérée comme similaire à celle du terrain déjà bâti. Or, les droits à construire du terrain, suivant l’usage, au moment de l’élévation du bâtiment et ceux autorisés à la date d’acquisition de l’immeuble diffèrent probablement sous l’effet des politiques d’urbanisme. Par ailleurs, le terrain n’est ainsi pas apprécié comme un composant de l’ensemble, alors que le bâtiment peut contribuer à baisser ou au contraire à augmenter sa valeur (exercice d’une activité polluante, fondations particulières, mais aussi exploitation ou non de l’ensemble des droits à bâtir, présence d’un terrain non bâti valorisable…). De plus, la construction représente un résidu : la simple soustraction peut conduire à en établir une part erronée, à la surestimer car tout le bénéfice d’une situation locative favorable, par exemple, lui serait accordée. Mais la méthode peut amener à majorer aussi la valeur du terrain bâti, car aucun abattement pour occupation n’est pratiqué : en écartant une partie des acquéreurs potentiels du fait de sa non-disponibilité immédiate pour d’autres projets, son prix devrait pourtant diminuer. C’est le principe général du fonctionnement des marchés qui est, il est vrai, appliqué à une situation finalement très théorique et comptable. Cet abattement pourrait être fonction de l’adéquation de la construction supportée avec les besoins des utilisateurs et des attentes des investisseurs, ou des droits à bâtir restants ou non à exploiter. Resterait à établir précisément cette grille d’abattements et de pouvoir la justifier avec précision.

La valeur du terrain soumise à l’appréciation du coût de remplacement net d’amortissement du bâtiment

Rappel de la jurisprudence fiscale

Évaluer la valeur de la construction à partir de son coût de reconstruction à la date de son entrée au bilan, en lui appliquant, le cas échéant, les abattements nécessaires pour prendre en compte sa vétusté et son état d’entretien.
(CE, 15 février 2016, n° 380400, Société LG Services)

Formule à utiliser, corollaire du postulat initial

valeur vénale (ou prix) HD

valeur à neuf HT de la construction imputée du cœfficient de vétusté et d’obsolescence
= valeur du terrain

Étape 1 : détermination de la valeur à neuf du bâtiment, à l’identique ou à l’équivalent

Le coût de construction HT par m² de surface de plancher (SdP) nette4, à la date d’entrée du bâtiment dans le patrimoine, est établi selon l’usage des bâtiments, le type de construction, de parking, de fondation, le label environnemental éventuel, le niveau de prestations (éléments de confort) et l’emplacement. L’expert travaille avec des données, les plus précises possible, issues d’études d’organismes, telle la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), le CSTB ou l’Union nationale des économistes de la construction (Untec), dont on trouvera ci-dessous à titre indicatif les principaux résultats de la dernière étude publique, qui date déjà de 2015.

Tableau n° 5. Ratios médians de coûts de construction en € HT/m² de SdP, Untec, 1er juillet 20155.

Bâtiment d’habitation

Bâtiment à usage de bureaux

Ratio global € HT/m² de SdP

Minimum

695 €

740 €

Médiane

1 100 €

1 400 €

Maximum

2 300 €

1 785 €

Ratio hors adaptation au sol € HT/m² de SdP

Minimum

550 €

740 €

Médiane

1 015 €

1 225 €

Maximum

1 625 €

1 600 €

Les coûts relatifs à l’adaptation au sol d’un bâtiment regroupent les travaux de démolition, dépollution, fondations profondes, terrassements généraux, aménagements extérieurs, VRD.

Les parkings, extérieurs et intérieurs, sont pris en compte. Si le client lui fournit de telles données ou s’il a des liens étroits avec des sociétés de construction, l’expert peut additionner les prix de revient à neuf des éléments de la construction, suivant une décomposition plus ou moins détaillée qui peut lui être fournie, ou il part des coûts de réalisation réels du bâtiment au moment de son élévation et les actualise à l’aide d’un indice tel que l’indice national du bâtiment (Thion, 2013)6.

Étape 2 : détermination des coûts liés à la construction

Il s’agit d’honoraires et de frais techniques (architecte, décorateur, bureau d’études, etc.) qui sont à ajouter à la somme des coûts de construction HT. Ne sont pas intégrés les coûts de démolition de l’existant. L’expert les estime en fonction de l’usage et du standing du bâti ; il peut ajouter un poste de coûts divers, incluant l’examen du PC et les aléas. Ils sont en général autour de 25 %. La Charte précise en outre que cette valeur exclut la non-perception de flux (loyers) ainsi que les frais liés à une implantation annexe durant la restructuration.

Étape 3 : détermination du cœfficient d’abattement

Le coût de remplacement brut est corrigé pour prendre en considération la vétusté, l’état d’entretien, mais aussi, dans une logique d’amortissement, l’obsolescence du bâti en fonction de sa typologie (Afrexim, 2016). À l’instar des compagnies d’assurance, cela s’exprime en pourcentage. Si la valeur à neuf a été réalisée en fonction de la somme des coûts des composants principaux, l’expert estime leur abattement indépendamment puisqu’ils ont des durées de vie différentes, et selon leur poids dans la construction. Il en retire un cœfficient en conséquence. Mais, généralement, ce cœfficient est calculé de manière globale, en prenant en compte la durée de vie de l’édifice en lui-même :

(âge du bâtiment à la date d’acquisition / durée d’amortissement globale)
X 100
= cœfficient d’abattement

L’âge est escompté à partir de la date de construction de l’actif ou de sa dernière restructuration. L’expert dispose du tableau ci-dessous pour l’aider : ce sont les durées globales d’amortissement, effectivement usuellement admises avant l’entrée en vigueur en 2005 de la méthode par composants, et les durées normales d’utilisation que l’on pourrait appliquer aujourd’hui étant donné les avancées en matière d’architecture et de construction.

Tableau n° 6. Durées globales d’amortissement couramment appliquées selon la typologie de bâtiment d’après l’administration fiscale avant 2005 et durées normales d’utilisation d’un bâtiment dans la pratique aujourd’hui.

Type de bâtiment

Durée d’amortissement indiquée par le BOFIP (avant 2005)

Durée normale d’utilisation applicable aujourd’hui

Maisons d’habitation ordinaires

50 à 100 ans

Idem

Maisons ouvrières

25 à 35 ans

-

Immeubles d’habitation

-

40 à 100 ans

Bâtiments commerciaux

20 à 50 ans

Id.

Bâtiments industriels

20 ans

Id.

Entrepôts/locaux d’activités

-

20 à 25 ans

Immeubles à usage de bureaux

25 ans

30 à 60 ans

Ces données sont à utiliser à titre indicatif et à adapter aux spécificités de l’actif, à ses prestations et à la qualité de sa construction qu’il aura jaugées lors de la visite.

Points d’attention

Outre l’estimation des coûts de reconstruction qui demande un accès actualisé aux chiffres, il n’est pas évident de les appréhender pour un bâtiment ancien et/ou de grande qualité, présentant des caractéristiques architecturales ou patrimoniales particulières (architecte de renom, monuments historiques…) : si les hypothèses d’un coût de construction et d’un cœfficient d’abattement peuvent paraître limitatifs pour les actifs aux prestations singulières, cela l’est en particulier pour les cas suscités. Il reste la subjectivité attachée à l’histoire d’un bâtiment, et la cotation psychologique, esthétique liée à des qualités intrinsèques qui ne se retrouvent pas forcément dans de « simples » coûts de construction. Pour les bâtiments anciens, la valeur de reconstruction est davantage une valeur de remplacement à l’équivalent au regard de l’usage qu’il en est fait au moment de l’expertise, c’est-à-dire qu’on le reconstruit avec des normes et des matériaux contemporains. De la même manière que l’on ne bâtit généralement pas une maison d’habitation de la même manière qu’il y a 100 ans, pour des raisons esthétiques ou économiques. C’est pourquoi l’établissement d’un coût de reconstruction précis par composant ne serait pas forcément profitable. Un immeuble haussmannien aujourd’hui à usage de bureaux, bien entretenu, possède d’ailleurs une durée d’utilisation supérieure à celle d’un bâtiment d’un tel usage construit à ce jour.

En outre, la détermination d’un cœfficient d’abattement à partir d’un âge  que l’on ne connaît pas toujours avec exactitude7  et d’une durée d’utilisation globale comporte une part de subjectivité en l’absence de grilles vraiment établies. Cela mériterait un audit complet, car la vétusté est en réalité une notion très technique. C’est pour cela qu’il serait souhaitable d’appréhender d’une part la vétusté et d’autre part l’obsolescence, mot d’ailleurs qui ne figure pas parmi les termes de cette jurisprudence alors que l’amortissement comptable et fiscal, comme nous l’avons vu, en tient compte. Mais de quelle obsolescence parle-t-on ? Physique, fonctionnelle, économique ? De plus, elle peut également être liée… à la localisation. Une vacance importante peut être un signe d’une obsolescence importante. Pourtant, l’impact de l’approximation sur la valeur des constructions est important, et cela mathématiquement de façon croissante en fonction de cette valeur.

En outre, cela peut paraître évident, mais il faut que l’expert connaisse exactement les surfaces du bâti (SdP), leur répartition suivant les usages le cas échéant, les surfaces annexes, le nombre de places de parking ; ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier quand il s’agit d’un lot de copropriété qui est soumis à ventilation.

Pour quels immeubles ?

D’abord, dans la logique de l’administration fiscale, cette méthode est à utiliser lorsque celle par comparaison n’est pas applicable. Théoriquement, tous types d’actifs immobiliers peuvent se prêter à cette méthode ; celle-ci prend peu en considération le marché dans lequel s’insère l’actif, hormis les coûts de construction (les méthodes par sol et construction sont utilisées généralement pour des biens spécifiques aux comparables quasi introuvables). Dans l’esprit, elle serait néanmoins plus aisée à mettre en œuvre pour des constructions récentes, dont les caractéristiques de bâti sont standards. Il est également préférable qu’elles répondent à la demande des utilisateurs actuels. Comme pour la méthode par comparaison, elle est plus adaptée aux immeubles sans survaleur majeure.

  • Conséquences sur la valorisation du foncier

Avec cette approche physique, le bâtiment est évalué selon une notion de coûts et de prix de revient et non de valeur, en ignorant ainsi l’influence du marché local. Cette valeur est donc minorée, et seul l’usage est globalement pris en compte. Par ailleurs, la soustraction conduit potentiellement à majorer celle du terrain, qui apparaît comme l’élément résiduel absorbant presque l’ensemble des valeurs immatérielles (éventuel bail ferme, loyer supérieur à celui de marché...), d’autant qu’aucun abattement pour encombrement ne peut être alors pratiqué puisqu’il n’est pas pris en compte individuellement. Les aménagements bâtis extérieurs éventuels, évoqués dans la méthode par comparaison, y sont rattachés alors que certains sont amortissables. La méthode ne prend pas en compte la marge du promoteur, dont on ne sait pas si comptablement elle doit être affectée au terrain, à la construction ou répartie entre les deux dans une même proportion ou non, de même que le portage et certaines taxes. Le plan d’amortissement est alors établi sur une base moins élevée.

La quote-part terrain : un taux moyen de répartition

Rappel de la jurisprudence fiscale

S’appuyer sur des données comptables issues du bilan d’autres contribuables pour déterminer des taux moyens relatifs aux parts respectives du terrain et de la construction et les appliquer ensuite à la valeur globale de l’immeuble en litige à sa date d’entrée au bilan.
(
CE, 15 février 2016, n° 380400, Société LG Services)

Formule à utiliser

 % moyen de terrain observé dans d’autres bilans
X
valeur vénale (ou prix) HD
= valeur du terrain
(puis par déduction celle de la construction)

Un accès difficile aux données

Cette méthode, dite aussi des rations comptables, fait référence aux pratiques et est justifiée par le fait que les amortissements déductibles sont également établis par rapport aux usages généralement admis. Elle est basée sur des statistiques non de professionnels de l’immobilier, mais de bilans comptables. Mais l’expert n’a pas accès aux mêmes sources que l’administration fiscale. Cela entraîne des inégalités et une asymétrie d’informations, sources de différends. Les services fiscaux exploitent en effet des bases de données désormais conséquentes, grâce à la numérisation et à la télédéclaration : les fichiers ŒIL (Observatoire des évaluations immobilières locales)8 et BNDP9 (Base nationale des données patrimoniales). Ils consultent ainsi aisément les informations issues des services de la publicité foncière : les actes de mutation, à titre onéreux ou à titre gratuit, sont portés à leur connaissance ; l’acte de vente est censé indiquer la répartition du prix entre le terrain et la construction. Toute personne peut faire la demande de recevoir une copie de cet acte de vente, à condition de verser 15 € par acte et d’en connaître le volume et le numéro (disponibles sur l’état hypothécaire, payant lui aussi). Cela est donc coûteux et la démarche lourde, alors que l’expert n’est pas certain que ladite ventilation figure dans l’acte consulté. Il ne peut non plus travailler sur un secteur dans sa globalité, comme le font les services fiscaux, mais sur des immeubles un par un. Pour ce qui est des liasses fiscales des entreprises, et donc des répartitions terrain/construction communiquées et validées par les commissaires aux comptes (CAC), elles paraissent compliquées d’accès à l’expert. Cela entraîne des problèmes de confidentialité qui justifient d’ailleurs qu’il ne puisse utiliser ŒIL et BNDP. Se pose ainsi la question, évoquée d’ailleurs par les requérants, du respect même du principe du contradictoire, dit aussi d’égalité des armes ou du respect des droits de la défense. Sans directive particulière, dans le cas où l’administration fiscale effectue une ventilation terrain/construction pour reconsidérer les amortissements, celle-ci n’est pas contrainte de fournir l’accès à ces fichiers ni d’indiquer les données écartées. Le contribuable peut se demander si la sélection des termes de comparaison ne lui est pas défavorable, puisqu’il n’a pas le même accès à l’information, de même que l’expert.

Autres difficultés

L’administration fiscale doit donc établir un large échantillon… ce qui est difficile à plusieurs égards, et encore plus pour l’expert. La décision Société LG Services précise que les immeubles doivent avoir « des caractéristiques comparables s’agissant [...] du type de construction, de l’état d’entretien » et qu’ils doivent être entrés dans le bilan de l’entreprise au même moment. Encore faut-il pouvoir apprécier les différences liées à la vétusté ; l’obsolescence est de nouveau laissée de côté. À noter que la surface de la construction n’apparaît pas comme un critère de comparaison. Par ailleurs, si l’usage de l’actif est pris en compte bien que cela ne soit pas clairement indiqué en tant qu’élément caractéristique, il n’en va pas de même pour ses conditions d’exploitation éventuelles. Il faudrait pour cela ajouter un critère, non évoqué par le CE, et qui demanderait des recherches complémentaires pour chaque mutation à priori comparable. Un autre ne serait pas non plus inutile, celui de la similarité de la forme juridique de la société détentrice. Enfin, l’absence de note concernant la manière dont les entreprises auxquelles on emprunte les liasses fiscales ont effectué leur ventilation représente une source de confusion dans la mesure où jusqu’à maintenant aucune méthode n’était prescrite et que la ventilation n’était pas estimée comme un enjeu à risque fiscalement. On ne sait pas non plus si une survaleur a été affectée ou non, et comment.

Étant donné les obstacles, l’expert immobilier ne fait généralement pas mention de cette méthode dans ses rapports et l’exclut presque systématiquement de sa réflexion. Rappelons que, pour justifier de l’utiliser, il faut prouver que les deux méthodes précédemment évoquées ne sont pas envisageables. Pourtant, dans les trois premiers arrêts décrits précédemment, l’administration fiscale l’a choisie, sans pour autant prouver son bien-fondé, suscitant des contestations par les sociétés concernées par le redressement.

Conséquences sur la valorisation du foncier

La jurisprudence évoque que la localisation et les « possibilités éventuelles d’agrandissement » doivent être comparables. Ce n’est que via ces deux caractéristiques que le foncier est envisagé. Ni la surface du terrain, ni la présence éventuelle d’un foncier résiduel valorisable indépendamment ne sont mentionnées. La méthode statistique, dérivée en fait de la comparaison de transactions d’immeubles, amène nécessairement à écarter certains critères, en particulier ayant trait au terrain, par facilité sinon les services fiscaux ne pourraient pas la mettre en œuvre. Même la localisation ne peut être que grossièrement prise en compte, faute de comparables de nouveau. Finalement, le bien-fondé même d’un taux moyen reposant sur des usages, vu l’enjeu, est très contestable.

Avec les deux premières méthodes, l’expert part d’une équation extrêmement simplifiée ; nécessite de quote-part oblige, la part de l’un n’est estimée qu’au regard de la part de l’autre, alors qu’il est impossible de séparer avec exactitude les caractéristiques et éléments de chacun qui seraient responsables du prix d’acquisition. Or, il est peu probable que la valeur d’un actif soit égale à celle du terrain ajoutée à celle des constructions. Les méthodes préconisées par le CE reflètent des écueils indéniables pour l’expert en évaluation immobilière. Néanmoins, cette méthodologie offre l’avantage de revêtir une certaine souplesse et d’organiser le débat : à condition que cela soit étayé, il peut procéder autrement.

1 Le renseignement des mutations dans ces bases n’est pas systématique ni obligatoire.

2 I-B du BOI-TVA-IMM-10-10-10-20.

3 TEGoVA, Normes européennes d’évaluation, 2016, p. 366.

4 Si l’expert ne dispose pas de surfaces de plancher mais de surfaces utiles, par exemple, il faut utiliser un cœfficient de rendement de plan pour

5 Étude complète : www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/cscee-gt_couts-rapport.pdf

6 Cet indice est utilisé par l’Observatoire des prix constatés d’opérations de construction, en lien avec l’Untec et les Entreprises générale de

7 Pour Paris, l’expert peut utiliser, pour l’aider à estimer cette date, la cartographie en ligne des périodes de construction du bâti parisien

8 ŒIL a été mis en place par la direction générale des impôts dans le cadre de l’évaluation de valeurs vénales ou locatives. Les informations sont

9 BNDP contient des informations sur le patrimoine des entreprises recueillies lors du dépôt de documents aux services des impôts ou à ceux en charge

1 Le renseignement des mutations dans ces bases n’est pas systématique ni obligatoire.

2 I-B du BOI-TVA-IMM-10-10-10-20.

3 TEGoVA, Normes européennes d’évaluation, 2016, p. 366.

4 Si l’expert ne dispose pas de surfaces de plancher mais de surfaces utiles, par exemple, il faut utiliser un cœfficient de rendement de plan pour les obtenir. Mais cela ajoute une imprécision, alors que les conséquences sur le prix du foncier peuvent être importantes.

5 Étude complète : www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/cscee-gt_couts-rapport.pdf

6 Cet indice est utilisé par l’Observatoire des prix constatés d’opérations de construction, en lien avec l’Untec et les Entreprises générale de France - BTP (EGF.BTP) : www.prix-constates-construction.fr

7 Pour Paris, l’expert peut utiliser, pour l’aider à estimer cette date, la cartographie en ligne des périodes de construction du bâti parisien réalisée à partir des données de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) : www.comeetie.fr/galerie/BatiParis/#12/48.8589/2.3491.

8 ŒIL a été mis en place par la direction générale des impôts dans le cadre de l’évaluation de valeurs vénales ou locatives. Les informations sont issues de la documentation du cadastre et des services de la publicité foncière, des déclarations de cession de fonds de commerce voire de visites. Le fichier est en principe accessible mais en réalité le refus est presque systématique (problèmes de confidentialité).

9 BNDP contient des informations sur le patrimoine des entreprises recueillies lors du dépôt de documents aux services des impôts ou à ceux en charge de la publicité foncière. Ils sont accessibles en particulier aux agents habilités de la direction générale des finances publiques chargés de l’élaboration des statistiques.

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