Le risque d’une évaluation significativement erronée de la quote-part terrain : la rectification fiscale

Lolita Gillet

Citer cet article

Référence électronique

Gillet, L. (2021). Le risque d’une évaluation significativement erronée de la quote-part terrain : la rectification fiscale. La ventilation terrain/ construction dans le cadre de l’expertise immobilière. État des lieux et perspectives. Mis en ligne le 01 septembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/274

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En matière d’IR et d’IS, la prescription fiscale est de trois ans. Néanmoins, l’administration fiscale peut exercer son droit de vérification sur les périodes prescrites dès lors que les actions ont des conséquences sur celles non prescrites1. Cela vaut en particulier pour la question liée à la ventilation terrain/construction d’un ensemble immobilier bâti2. Les services fiscaux peuvent donc exercer leur pouvoir de rectification, dit aussi de redressement, à tout moment dès lors que l’immeuble figure toujours à l’actif du bilan et opérer des reprises d’imposition. La quote-part affectée au terrain peut ainsi être revue à la hausse au titre du premier exercice non prescrit, et les dotations aux amortissements réintégrées, quelle que soit, sauf exception, la date d’achat de l’édifice, en fonction de la fraction attribuée à la construction considérée comme exagérée. Il est donc fondamental de revenir sur cette procédure contradictoire, ainsi que de l’illustrer.

Déroulement résumé de la procédure de rectification contradictoire

La procédure de rectification contradictoire, appelée auparavant « notification de redressement », est appliquée à la suite de l’observation par les services fiscaux d’une « insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dus en vertu du CGI »3. Cela s’applique en particulier aux rehaussements des termes utilisés pour déterminer la base imposable, ce qui concerne la ventilation terrain/construction à travers les amortissements pratiqués. L’administration fiscale la remet en cause à partir des documents et renseignements auxquels elle a accès (contrôle fiscal interne, sur pièces, à savoir les déclarations fiscales principalement) ou dans le cadre d’une vérification de comptabilité effectuée sur place (après réception d’un avis de vérification, contrôle fiscal externe). La loi de finances rectificative pour 2016 a introduit l’examen de comptabilité, rendu possible par sa dématérialisation. Le contribuable reçoit également un avis, qui lui somme de transmettre électroniquement les fichiers des écritures comptables. Il y a tout à penser, pour ce qui a trait précisément à notre propos, que cela facilitera les rectifications fiscales en la matière qui sont susceptibles de voir leur nombre à la hausse, comme le prédit le rapporteur public Frédéric Aladjidi s’exprimant sur les arrêts du CE de février 2016.

La notification au contribuable de la proposition ‒ écrite et normalement transmise par lettre recommandée avec avis de réception ‒ doit être motivée, c’est-à-dire suffisamment et clairement justifiée avec motifs de droit ou de fait, de telle sorte qu’il puisse accepter ou refuser en ayant connaissance de tous les éléments nécessaires4. Ce « dialogue » fait la différence avec la procédure d’imposition d’office. À noter que la proposition doit impérativement indiquer que le contribuable a la possibilité de se faire assister. La proposition de rectification a pour effet d’interrompre la prescription fiscale du droit de reprise et d’ouvrir le délai de 30 jours pour répondre, délai prorogé de 30 autres jours sur demande. La motivation vaut aussi lorsque l’administration fiscale rejette les observations du contribuable (réponse dans un délai de 60 jours ; dans le cas contraire, il est considéré que les services fiscaux les acceptent). Si la rectification convient au contribuable, il répond en acceptant le rehaussement, et les modifications ainsi que la nouvelle imposition qui en découlent lui sont transmis. Quand ce dernier ne répond pas, cela vaut acceptation tacite.

En cas de désaccord persistant, dans notre cas, l’avis de la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le CA5 peut être sollicité sur la question de fait sous 30 jours à compter de la réception de la réponse des services fiscaux. Cela peut aussi être à l’initiative de l’administration fiscale. En cas de désaccord sur la ventilation terrain/construction à la cession de l’ensemble immobilier, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le CA peut intervenir6. Si le montant des rehaussements est validé en tout ou partie, les services fiscaux adressent au contribuable un avis de mise en recouvrement : il paie, sous réserve de bénéficier du sursis au paiement. S’il s’oppose de nouveau à la décision, un contentieux juridictionnel est alors engagé, relevant de la juridiction administrative. Dès lors peuvent intervenir successivement le tribunal administratif (TA), la cour administrative d’appel (CAA) et le CE, juge de cassation de leurs décisions.

Illustrations de rectifications fiscales en la matière

Les arrêts du CE de 2016 ont été assez commentés dans la presse professionnelle, car ils sont à l’origine de la méthodologie ; nous évoquerons deux autres exemples, de 2017. À noter qu’aucun rescrit fiscal d’ordre général sur le sujet n’est disponible sur le site du BOFIP.

Appartement, avenue de l’Opéra, Paris : 10 % vs 40 %

Arrêt du CE n° 380400, Société LG Services, février 2016.

En 1994, LG Services, une société de holding, acquiert un appartement de 178 m² au 24 avenue de l’Opéra, pour 640 285 €. Il est loué à un cabinet d’avocats. Elle estime la quote-part terrain à 10 % ; en 2004, les services fiscaux l’évaluent à 40 %. Les amortissements effectués sont remis en cause. Il en résulte des cotisations supplémentaires et une contribution additionnelle d’IS au titre des exercices clos en 2004 et 2005, et la réduction de son déficit de l’année 2006. En 2013, le TA de Paris refuse la demande d’annulation de ces deux éléments, et la CAA de Paris confirme ce jugement un an après. La société revient vers le CE pour annuler cet arrêt de la CAA. D’abord, le CE écarte la prescription évoquée par LG Services, en référence à la décision de Plénière du 4 novembre 1970 Min. c. Sté X, n° 77759, qui a trait précisément à la ventilation terrain/construction. Par ailleurs, les 10 % fournis par la requérante, visiblement en utilisant la méthode du bilan promoteur, ne sont aucunement justifiés. Les conclusions du rapporteur public précisent que, même si la ventilation est indiquée dans l’acte de cession, cela n’empêche pas sa contestation. En revanche, le CE considère que l’arrêt de la CAA est « entaché d’erreurs de droit et d’insuffisance de motivation » car celle-ci n’a pas vérifié la validité des termes de comparaison utilisés par l’administration fiscale qui en l’occurrence sont très contestables non seulement en qualité : ils portent sur six arrondissements, pour des dates de mutation entre 1988 et 2003 ; ils présentent des dissemblances de construction, mais aussi en quantité (19). Ainsi, l’arrêt de la CAA est annulé, et l’affaire lui est renvoyée. En février 2018, la CAA accorde finalement à la société requérante, en raison des motifs précédemment évoqués, la décharge des cotisations supplémentaires et de la contribution additionnelle d’IS. La base imposable et le déficit sont rétablis.

Ensemble à usage de bureaux, place des États-Unis, Paris : 30 % vs 40 %

Arrêt du CE n° 367467, SARL Daves Place des États-Unis, février 2016.

La société Daves Place des États-Unis acquiert en 1999, sur la place du même nom dans le xvie arrondissement, et pour plus de 19 millions d’euros, un ensemble à usage de bureaux qu’elle devait revendre après l’avoir démoli partiellement et reconstruit. L’édifice est donc d’abord comptabilisé en stock. Le montant des travaux est de 15 millions d’euros. Il est finalement mis en location en 2002, et des amortissements ont été pratiqués sur la construction. Pour cela, la société a estimé la quote-part terrain à 30 % à partir de l’étude de l’Afrexim de 2003 (cf. Annexe 2). Or, l’administration fiscale ramène cette fraction à 49 % en l’appliquant au prix d’acquisition majoré des coûts des travaux, ce taux ayant été établi par comparaison. La CAA de Paris considère également que ces travaux ont été réalisés à destination d’un projet unique et donc qu’ils font partie intégrante de la mise en état d’utilisation dans l’objectif de le louer, mais elle ramène cette quote-part à 40 % sur la base de la valeur de l’immeuble en 2002. La faiblesse dans la prise en compte, via les termes de comparaisons utilisés par les services fiscaux, des facteurs physiques et des caractéristiques propres aux constructions, justifie la réduction de ce pourcentage. Néanmoins, le CE invalide cette décision et affirme que la CAA a commis une erreur de droit : le taux de 40 % doit s’appliquer au prix d’acquisition initial, sans travaux, en 1999, année d’entrée du bien au patrimoine de la société. Ainsi, le CE annule l’arrêt de la CAA, d’autant que l’échantillon de comparables retenus par les services fiscaux ne vaut que pour 2002 et non 1999. Retenons que dans ce cas particulier où un actif en stock devient une immobilisation corporelle, celle-ci n’est pas comptabilisée à sa VNC au moment de ce changement, mais bien à sa valeur d’acquisition initiale, sur laquelle est ensuite basée le plan d’amortissement.

Ensemble à usage d’habitation, rue de Siam, Paris : 0 % vs 40 %

Arrêt du CE n° 395457, Société Cidinvest, juillet 2017.

En 2003, la société de promotion immobilière Cidinvest achète quatre lots d’un ensemble immobilier à usage d’habitation dans le xvie arrondissement (rue de Siam), destinés à en faire leur siège social. À partir de cette date, des amortissements sont pratiqués sur la globalité du prix d’acquisition, sans procéder à aucune répartition. En 2007 et 2008, les exercices clos font l’objet d’une vérification de comptabilité par l’administration fiscale, qui conteste les amortissements effectués. Elle considère d’abord que la quote-part terrain est de 50 %, établie par comparaison dont les termes ont été fournis à Cidinvest dans la proposition de rectification, puis à 40 % sur intervention de la commission départementale des impôts, en s’appuyant sur la grille de l’Afrexim de 2003 (cf. Annexe 2). L’indemnité dite de droit de commercialité, versée au titre de la compensation liée au changement d’usage, a également été réintégrée dans son résultat imposable, considérée comme un coût nécessaire à la mise en utilisation du bien et non comme une charge déductible. Et ce d’autant plus que l’autorisation est attachée à l’immeuble, venant ainsi accroître sa valeur. Dans ce secteur, il est considéré qu’un local commercial a une valeur supérieure à celui affecté à l’habitation. Ni le tribunal administratif ni la CAA de Paris n’ont accordé la décharge des cotisations supplémentaires d’IS, de la contribution additionnelle sur cet impôt et des pénalités. La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt du CAA d’octobre 2015. Le CE n’annule pas cet arrêt.

Immeubles avenue d’Eylau et avenue R. Poincaré, Paris : 30 % vs 45 %

Arrêt n° 17PA00411 de la CAA de Paris, Société Eylau-Raymond Poincaré, juin 2017.

En 2005, la société de droit luxembourgeois « Eylau-Raymond Poincaré Paris 75016 SARL » acquiert les 8 avenue d’Eylau (6 256 500 €) et les 7 et 11 avenue Raymond Poincaré (2 500 000 € et 7 000 000 €) dans le xvie arrondissement. Ces biens font l’objet d’un apport à la société de droit danois « 8 av. d’Eylau - 7/11 av. Raymond Poincaré Paris 16e APS », dans le cadre d’une fusion en 2008, pour des valeurs respectives de 5 774 103 €, 2 403 330 € et 6 782 280 €. À l’occasion d’une réévaluation libre cette année-là, avant que cette société ne les attribue à sa succursale française créée en 2009, ils entrent dans le patrimoine de cette dernière pour 14 399 880 €, 5 365 410 € et 14 154 900 €, suivant les rapports d’expertise. En 2010, elle vend les deux premiers immeubles cités. La vérification de comptabilité porte sur les exercices clos en 2009, 2010, 2011 et 2012. Les services fiscaux contestent les montants de la réévaluation, jugés trop élevés, et la quote-part terrain, qui passe de 30 % à 45 % (pour chaque immeuble). Les dotations aux amortissements des exercices vérifiés sont allégées en conséquence, et l’administration fiscale annule une MV et augmente une PV de cession. La rectification porte en outre sur la réintégration de charges non motivées et sur des travaux que la société a immédiatement déduits alors qu’ils sont à considérer comme des immobilisations. Par ces biais, l’exercice clos de juin 2011 est bénéficiaire, de près de 580 000 €, alors que les résultats déclarés sont déficitaires. La société conteste la cotisation supplémentaire d’IS qui résulte du différend lié à la réévaluation des immeubles. Le TA de Paris remet en cause les comparables utilisés par les services fiscaux pour estimer la valeur des biens réévalués. De ce fait est prononcée en 2016 la décharge totale du supplément d’IS. Le ministre de l’Économie et des Finances requiert que la CAA de Paris annule cela, dans le sens où la société n’a pas remis en cause la nouvelle ventilation terrain/construction. La CAA rejette en juin 2017 ce recours, car si seul le rehaussement lié au litige sur la réévaluation n’avait pas été pris en compte, les résultats de la société seraient restés déficitaires pour chaque exercice.

Ces cas récents ont deux dénominateurs communs : la contestation des termes de comparaison (c’est dire les difficultés rencontrées par les services fiscaux eux-mêmes), et la localisation. Il ne faut pas en déduire que seuls des immeubles parisiens sont susceptibles de voir leur quote-part foncière remise en cause. Mais il est vrai qu’à Paris, étant donné les prix pratiqués, les montants amortissables en jeu représentent un amoindrissement potentiellement conséquent des recettes fiscales. Et parce qu’il est considéré que les constructions de qualité, bien entretenues et donc à fortes valeurs inhérentes, se situent dans de tels milieux extrêmement urbanisés et courtisés.

1 I-D-§180 du BOI-CF-PGR-10-20.

2 Décision de Plénière du 4 novembre 1970 du CE Min. c. Sté X, n° 77759, rappelée dans les conclusions du rapporteur public ayant trait aux arrêts du

3 Article L. 55 du livre des procédures fiscales (LPF).

4 I et II du BOI-CF-IOR-10-40.

5 Article L. 59 du LPF.

6 I-B-§70 du BOI-BIC-PVMV-10-20-30-10.

1 I-D-§180 du BOI-CF-PGR-10-20.

2 Décision de Plénière du 4 novembre 1970 du CE Min. c. Sté X, n° 77759, rappelée dans les conclusions du rapporteur public ayant trait aux arrêts du CE de février 2016.

3 Article L. 55 du livre des procédures fiscales (LPF).

4 I et II du BOI-CF-IOR-10-40.

5 Article L. 59 du LPF.

6 I-B-§70 du BOI-BIC-PVMV-10-20-30-10.

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