Impacts de la répartition terrain/construction sur le profil d’imposition de l’immeuble le long de son cycle de vie

Lolita Gillet

Citer cet article

Référence électronique

Gillet, L. (2021). Impacts de la répartition terrain/construction sur le profil d’imposition de l’immeuble le long de son cycle de vie. La ventilation terrain/ construction dans le cadre de l’expertise immobilière. État des lieux et perspectives. Mis en ligne le 01 septembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/273

Toujours à travers le fil conducteur qu’est l’amortissement, la ventilation impacte la fiscalité de l’immeuble tout au long des principales étapes de son cycle de vie, de détention : à l’acquisition, lors de ses réévaluations éventuelles et lorsqu’elle sort du patrimoine de l’entreprise. À chacune de ces étapes essentielles, l’intervention de l’expert en évaluation immobilière est analysée. Certaines des remarques restent des projections quant à l’impact potentiel sur cette mission, étant donné le manque de recul actuel.

À l’acquisition d’un immeuble bâti

À l’entrée de l’actif au bilan, le prix d’acquisition de l’ensemble immobilier doit être ainsi réparti entre la part allouée au terrain, non amortissable, et celle à la construction, amortissable. En théorie, à l’achat, l’acte notarié est censé indiquer cette ventilation. En pratique, cela est très rare. Lorsque le bien est acquis à titre gratuit, par voie d’échange ou d’apport, la ventilation est réalisée à partir de la valeur vénale déterminée par l’expert. Comptablement, selon les règles françaises des comptes individuels1, l’évaluation des immeubles d’exploitation et de placement, comme d’ailleurs les stocks, se fait à leur coût d’acquisition (coût dit historique). Cela comprend bien sûr le prix d’achat mais aussi, dans notre cas, les frais d’acquisition que sont les droits de mutation (taxes de publicité foncière et taxes annexes), les frais d’actes, les honoraires du notaire, les honoraires de commercialisation, les commissions, les honoraires des architecte, géomètre, expert, les dépenses nécessaires à une utilisation conforme à ce qui est prévu (travaux entraînant une augmentation de la valeur...) ainsi que les coûts d’emprunt de manière optionnelle et sous conditions (immeubles clef en main)2. Ces frais peuvent être sur option comptabilisés en charges et donc non amortis : fiscalement, ils sont alors entièrement et aussitôt déduits. Il est important de noter le parallélisme sur ces points entre la comptabilité et la fiscalité, pour les biens acquis à titre onéreux3. Ainsi, le CGI impose également que l’inscription au bilan des immobilisations se fasse à leur valeur d’origine, qui comprend le prix d’achat « minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d’utilisation du bien »4. Ce dernier aspect, comme nous allons le voir à travers les illustrations de rectification fiscale, a déjà fait l’objet de contentieux avec l’administration.

Si l’on choisit d’amortir ces frais, qui sont normalement communs, ils devraient en théorie être répartis entre le terrain et le bâtiment, et pour ce dernier en fonction de ses composants et au prorata des valeurs de chacun d’entre eux. Étant donné que les effets d’une distribution imprécise de ses frais sont considérés comme limités, il est convenu de les ventiler uniquement entre le terrain et la structure de l’immeuble5. Les frais attachés à un composant suivant le régime de l’immobilisation à laquelle ils sont rattachés, il est donc préférable de les comptabiliser en charges immédiatement car ceux rattachés au terrain ne seraient donc pas amortissables6. Quoiqu’il en soit, l’expert effectue la ventilation à partir du prix hors droits (HD) ou hors frais (HF) ; pour les immeubles d’entreprise neufs soumis à la TVA, il s’agit du prix hors TVA et HF, et pour ceux de logements neufs, TVA incluse et HF.

Il est à supposer, étant donné les récents redressements fiscaux, que l’expert pourrait être amené à effectuer des missions de ventilation terrain/construction en considérant la date d’entrée dans le patrimoine pour des actifs dont l’acquisition n’est pas récente, lorsque le propriétaire ou la société détentrice l’a réalisée avec insuffisamment de précisions, voire pas faite. La rectification par la comptabilité est ensuite réalisée par le mécanisme de corrections d’erreur21-7. Cela amène à se questionner quant aux références de transactions de terrains et à la connaissance du marché d’origine que cela suppose pour l’expert.

À l’occasion d’une réévaluation libre

En principe, selon les règles françaises applicables aux comptes individuels, un immeuble n’est pas réévalué. Son coût n’est pas modifié, et les amortissements sont appliqués selon le plan établi et sur la même base qu’au moment de l’acquisition. Néanmoins, une dérogation, la réévaluation libre des immobilisations corporelles, est permise par le PCG8, si elle est bien justifiée. Une entité peut la mettre en œuvre en référence au principe de l’image fidèle : si la différence entre la VNC et la valeur actuelle réévaluée est suffisamment importante, cela ne reflète pas la réalité de son patrimoine (cycle immobilier haussier, réalisation de travaux...). Cela peut lui porter préjudice dans l’optique de l’obtention d’un financement, car les garanties en vue d’un emprunt sont amenuisées. Les dotations aux amortissements étant calculées à partir d’une base sous-évaluée, les charges déductibles seront également réduites et le résultat fiscal supérieur à ce qu’il devrait être. Par ailleurs, réévaluer un immeuble permet de reconstituer les capitaux propres, car l’écart d’évaluation ‒ qui ne prend pas en compte les amortissement dérogatoires ‒, reflet de la plus-value latente, est inscrit au passif en contrepartie de la hausse de la VNC à l’actif. Cet écart étant fiscalement considéré comme un produit, même s’il n’est pas un élément du résultat comptable, il vient augmenter le résultat soumis à l’impôt9 ou réduire l’éventuel déficit reportable. Mais les dotations aux amortissements sont recalculées à partir de la nouvelle base amortissable réévaluée sans changer la durée du plan d’amortissement, à moins que les conditions d’exploitation aient changé, d’où l’impact potentiel des nouvelles valeurs et quotes-parts du terrain lors de la réévaluation. À noter que quand une décision de réévaluation est prise, elle l’est nécessairement sur l’ensemble des immobilisations corporelles et financières.

Si la répartition entre le terrain et la construction a déjà été réalisée au moment de l’acquisition, il est une pratique selon laquelle, lors d’une réévaluation, l’expert-comptable prend comme base la quote-part affectée au terrain issue du rapport d’expertise précédent et l’applique à la valeur réévaluée. Et ce essentiellement pour des raisons de budget, mais aussi parce qu’il est généralement admis, à tort, que la valeur et la quote-part d’un terrain bâti ne fluctuent pas. Cela est une considération comptable qui peut être discordante par rapport à l’approche immobilière, en raison de la grande volatilité du foncier par rapport aux constructions au cours des cycles immobiliers. Mais vu la sensibilité actuelle de l’administration fiscale sur la question et l’interdiction d’utiliser les grilles statistiques, il est fort probable que le client prenne de moins en moins de risque sur ce point ; l’expert peut ainsi être amené à effectuer une ventilation à la suite d’une réévaluation de l’actif, dite encore actualisation, à partir de la valeur vénale qu’il aura lui-même déterminée.

Lors de la cession de l’immeuble bâti

La ventilation terrain/construction a également un impact non négligeable sur l’imposition des plus-values (PV) ou sur les moins-values (MV) de cession d’immeubles inscrits à l’actif. Nous nous centrons sur les PV professionnelles, dans la mesure où les PV des particuliers concernent des régimes fiscaux où l’amortissement comptable, s’il existe, n’a pas de conséquences fiscales dans ce cas. La PV professionnelle est ainsi calculée :

PV immobilière
=
prix de cession net de frais et taxes inhérents à l’opération  VNC
(valeur brute10  amortissements cumulés le cas échéant  provisions totales le cas échéant)

Dès lors, les amortissements augmentent le résultat imposable au titre de la PV. Ne sont pas pris en compte les amortissements dérogatoires.

Pour les entités soumises à l’IR dans la catégorie des BIC, BNC ou bénéfices agricoles (BA), les PV à court terme concernent les immeubles détenus depuis moins de deux ans et ceux depuis deux ans et plus à hauteur des amortissements cumulés, pour les éléments amortissables, déduits de l’assiette imposable11. Constitue une MV à court terme celle effectuée sur des biens non amortissables acquis depuis moins de deux ans et sur des biens amortissables sans tenir compte de la durée de détention. Dans le cas de PV à long terme, pour la cession d’un immeuble bâti, une attention particulière doit être portée, car cela revient au final à effectuer une ventilation terrain/construction à partir du prix de vente. Pour preuve cette remarque issue du Bulletin officiel des Finances publiques-Impôt (BOFIP)12 :

Lorsqu’une entreprise cède, moyennant un prix global, un immeuble bâti inscrit à l’actif immobilisé de son bilan depuis deux ans au moins, la PV réalisée ou la MV subie à raison de la cession du terrain (élément non amortissable) et la PV réalisée ou la MV subie résultant de la cession de la construction (élément amortissable) doivent être déterminées distinctement à partir d’une estimation de la fraction du prix de vente total afférente au terrain proprement dit et de celle se rapportant à la construction.
(BOI-BIC-PVMV-10-20-30-10, I-B-§50-60-70)

Effectivement sont dans ce cas imposables les éléments non amortissables pour la totalité de la PV, et pour ceux qui le sont la seule part qui dépasse les amortissements pratiqués. Il est également précisé que l’entreprise « doit tenir compte des circonstances de la cession et notamment de l’intention manifestée par l’acquéreur quant à la destination qu’il entend réserver aux constructions existantes ». Sur ce point, un arrêt du CE de 1981 fait toujours référence13 : une entreprise cède un ensemble immobilier composé de locaux industriels, d’habitation, avec cours et jardins. L’acte de cession informe que les constructions vont être démolies pour y édifier un autre ensemble à usage d’habitation et de bureaux. Les services fiscaux n’étant pas parvenu à prouver que le prix de cession était supérieur à celui que la société aurait pu dégager de la seule vente du terrain nu, il a été considéré que celle-ci a réalisé une PV à long terme calculée à partir de la différence entre la part du prix de vente allouée au terrain et la valeur comptable de ce dernier, ainsi qu’une MV à court terme représentée par la valeur résiduelle des constructions. En prenant en considération ce cas et étant donné, de nouveau, l’intérêt récent des services fiscaux pour cette ventilation, faut-il y voir des perspectives d’interventions de l’expert dans le cadre de la fiscalité de la revente ? Une PV sur la cession du terrain bâti est tout à fait envisageable, par exemple à la suite de l’urbanisation d’un quartier ou de la plus forte attractivité d’une commune par rapport à la date d’acquisition. Pour rappel, en termes d’imposition, les PV et MV à court terme se compensent pour parvenir à une PV nette à court terme qui est ajoutée aux bénéfices et imposée selon le barème progressif de l’IR. Les PV et MV à long terme se compensent également, après abattements éventuels, et la PV nette à long terme est imposée à 12,8 % (30 % avec les prélèvements sociaux).

La question ne se pose pas pour les sociétés soumises à l’IS, pour lesquelles toutes les PV sur des biens amortissables, même au-delà des amortissements, relèvent du court terme quelle que soit la durée de détention. Elles sont imposées tel un résultat ordinaire, à 33,33 % ou à 28 %, ou à un taux réduit de 15 % pour les PME.

1 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 213-1.

2 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 213-9 ; I-B-§30 du BOI-BIC-CHG-20-20-10.

3 Il y a des exceptions pour les biens acquis à titre gratuit, par voie d’apport ou d’échange.

4 Article 38 quinquies, annexe III.

5 Modalités d’application à certaines catégories d’immeubles de la norme IAS 16 et du règlement du CRC n° 2002-10 relatif à l’amortissement et la

6 Instruction fiscale n° 213 du 30 décembre 2005 concernant la décomposition des immobilisations (convergences entres les normes françaises et les

7 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 122-5.

8 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 214-27 ; article L. 128-18 du Code de commerce.

9 Article 38-2 du CGI ; BOFIP-BIC-PVMV-40-10-60-20. Pour les sociétés soumises au régime des bénéfices non commerciaux (BNC), la réévaluation n’a

10 La valeur d’origine, c’est-à-dire le coût d’acquisition qui sert au calcul de la base amortissable, ou bien la valeur réévaluée. Sont ajoutés sous

11 BOI-BIC-PVMV-20-10.

12 I-B-§50-60-70 du BOI-BIC-PVMV-10-20-30-10.

13 Arrêt du CE n° 13832 du 10 juin 1981.

1 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 213-1.

2 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 213-9 ; I-B-§30 du BOI-BIC-CHG-20-20-10.

3 Il y a des exceptions pour les biens acquis à titre gratuit, par voie d’apport ou d’échange.

4 Article 38 quinquies, annexe III.

5 Modalités d’application à certaines catégories d’immeubles de la norme IAS 16 et du règlement du CRC n° 2002-10 relatif à l’amortissement et la dépréciation des actifs.

6 Instruction fiscale n° 213 du 30 décembre 2005 concernant la décomposition des immobilisations (convergences entres les normes françaises et les normes IFRS).

7 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 122-5.

8 Règlement de l’ANC n° 2014-03 relatif au PCG, article 214-27 ; article L. 128-18 du Code de commerce.

9 Article 38-2 du CGI ; BOFIP-BIC-PVMV-40-10-60-20. Pour les sociétés soumises au régime des bénéfices non commerciaux (BNC), la réévaluation n’a normalement pas d’impact sur l’imposition (principe de neutralité).

10 La valeur d’origine, c’est-à-dire le coût d’acquisition qui sert au calcul de la base amortissable, ou bien la valeur réévaluée. Sont ajoutés sous conditions les travaux réalisés depuis l’acquisition.

11 BOI-BIC-PVMV-20-10.

12 I-B-§50-60-70 du BOI-BIC-PVMV-10-20-30-10.

13 Arrêt du CE n° 13832 du 10 juin 1981.

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