Élever le niveau de connaissances : vers une campagne aux échelles locale et nationale
Grâce à la réalisation de ces divers entretiens, l’étude qualitative met significativement en lumière le faible niveau de connaissances du grand public sur le viager. Force est de constater que les particuliers interrogés n’ayant jamais eu recours à ce type de vente ont tous attribué à leur savoir en la matière la note de 1 ou 2 sur une échelle de 5. À l’inverse, il est apparu clairement au travers de nos résultats que les individus ayant déjà acheté ou vendu en viager présentent des connaissances plus approfondies que les autres. Il est également intéressant de relever que les répondants non initiés ont quasi-systématiquement une vision plutôt négative ou neutre du viager alors qu’a contrario, ceux disposant déjà d’une expérience de ce mécanisme se déclarent toujours positifs, voire très positifs quant à ce schéma de transaction. Si toutes les personnes présentant un niveau de connaissances limité n’ont pas toujours une mauvaise appréciation du viager, il appert cependant que les individus faisant part d’un sentiment négatif disposent systématiquement de faibles connaissances. Une corrélation peut de fait être établie entre le niveau de connaissances dont dispose une personne et son sentiment global sur le viager. Ainsi, cette méconnaissance générale des spécificités du viager met en évidence un déficit de compréhension profonde de ce produit, y compris chez ceux qui pourraient être en position de conseiller sur de telles transactions. Les professionnels du secteur interviewés dans le cadre de cette enquête n’échappent effectivement pas à cette logique. Les répondants s’étant qualifiés d’« experts », à savoir les agents immobiliers spécialisés, partagent tous une appréciation très positive du viager tandis que les conseillers juridiques dont le niveau de connaissances apparaît plus faible (note de 2 à 3) s’avouent globalement plus mesurés (note de 3). En outre, dans le cadre de cette recherche, certains agents immobiliers proposant ce type de service ainsi que des gestionnaires de patrimoine contactés ont refusé de témoigner au motif qu’ils estimaient ne pas disposer d’un savoir assez approfondi sur le viager : cela révèle un manque de formation extrêmement dommageable. Ainsi les entretiens réalisés, s’ils dévoilent une connaissance très hétérogène et souvent superficielle de ce mécanisme immobilier, ont surtout montré l’impact de la méconnaissance générale du viager sur la vision qu’en ont les Français et permettent ainsi d’apporter un premier élément de réponse à cette mauvaise réputation dont il souffre. Cette conclusion soulève évidemment des questions sur l’accès à l’information en matière de transaction viagère ainsi que des interrogations relatives à la qualité de cette dernière. Il est à noter en revanche qu’aucune corrélation n’a pu être établie, au travers de la présente étude, entre l’âge et les professions des particuliers interrogés et leur niveau de connaissances ainsi que leur appréciation globale sur le dispositif viager.
Dans ce contexte, il apparaît donc crucial d’imaginer des solutions pour pallier ce manque patent d’information sur le viager. Rares sont en effet les études ou les analyses statistiques menées sur le sujet. Le viager est un marché de niche pour lequel il est extrêmement difficile de se procurer des données, notamment chiffrées, et l’on peut (et doit) s’interroger sur la fiabilité et la précision des ressources disponibles. Même le volume de transactions viagères est impossible à évaluer précisément puisqu’aucune donnée chiffrée vérifiable n’est fournie par les chambres des notaires de France. Les seules statistiques disponibles émanent des grandes agences spécialisées, à l’instar de Renée Costes Viager ou encore Viager Legasse : des chiffres basés sur leur seule banque de données, posant ainsi de véritables difficultés d’objectivité. Or, dans cet environnement de flou statistique, les résultats obtenus dans cette étude ont justement mis en relief l’importance d’informer davantage le public, mais également celle de mieux communiquer. On mesure à cet égard tout l’enjeu de la mise en œuvre d’une vaste campagne de communication et de sensibilisation au viager, destinée à démystifier ses aspects complexes et souvent mal interprétés. Le viager présentant une telle variété de spécificités délicates et de modalités subtiles, celui-ci peut être véritablement difficile à cerner pour un public novice. Ces blocages ont été largement évoqués au cours des différents entretiens réalisés. Nous avons en effet constaté que tous les particuliers n’ayant jamais eu recours à ce type de vente ont fait référence au viager occupé et parfois au viager libre, en omettant toujours d’autres formes moins connues telles que le viager sans rente, ou encore le viager avec occupation limitée dans le temps, deux formules pourtant très utiles pour s’adapter aux divers besoins des débirentiers et crédirentiers.
Si une telle stratégie de communication peut paraître difficile à mettre en place à l’échelle nationale, le rôle des communes pourrait en revanche s’avérer décisif à cet égard. En effet, le viager, aujourd’hui essentiellement concentré à Paris et ses alentours ainsi que dans les régions méridionales de la France bordant le bassin méditerranéen, offre pourtant de bons potentiels de rentabilité dans des territoires plus ruraux qui présentent un fort vieillissement de leur population. Aussi, dans une perspective de redynamisation des territoires délaissés, parfois même plongés dans des situations critiques de déprise économique, les communes concernées pourraient trouver tout leur intérêt à engager des programmes d’information et de promotion du viager. Ces derniers pourraient notamment se développer à travers l’organisation de séminaires ou d’ateliers visant à éduquer la population locale sur les spécificités de cette forme de transaction. Ces événements exploreraient des thèmes tels que les avantages financiers pour les seniors, les modalités contractuelles et les protections légales pour les acheteurs et les vendeurs. Des guides pratiques pourraient de surcroît être distribués dans les mairies, bibliothèques, et autres lieux publics ainsi que sur des plateformes en ligne.
Une campagne d’information sur le viager à plus grande échelle pourrait s’appuyer sur les médias traditionnels et numériques pour toucher un public plus large, notamment en publiant des études de cas et des témoignages de personnes ayant eu recours à ce dispositif. De plus, dans cette vaste politique de démystification, changer le nom du viager pourrait constituer un geste fort et un tournant significatif dans ce processus de réconciliation avec les Français.
Des formations spécialisées et un programme de certification pour rétablir la confiance
Un autre enjeu essentiel mis en évidence par nos entretiens porte sur la nécessité de regagner la confiance du public quant au mécanisme du viager, un objectif étroitement lié à l’obligation de garantir l’intégrité et la compétence des professionnels intervenant dans ce type de transaction. Or, la présente enquête démontre un déficit patent de connaissances, y compris de la part de certains spécialistes susceptibles d’intervenir dans un processus de vente en viager. Ces derniers travaillent de façon directe ou indirecte sur le viager, donc en bénéficient, sans pour autant parfois avoir reçu toute la formation et la pédagogie indispensables à la maîtrise d’un sujet complexe et bien différent des schémas de vente plus traditionnels. Pourtant, l’efficacité et la réussite de ces opérations, tant pour les crédirentiers que les débirentiers, dépendent largement de la qualité des conseils prodigués par les acteurs impliqués.
Les résultats de l’enquête révèlent ainsi la pertinence, voire l’urgence, de la mise en place de formations spécialisées pour les agents immobiliers proposant ce type de produit. Leur professionnalisation s’impose comme une évidence pour réconcilier les Français avec le viager. Il apparaît également opportun d’étendre ces formations aux conseillers juridiques, avocats ou notaires ; ces derniers interviennent régulièrement dans le déroulement de la vente en viager alors même qu’ils présentent aujourd’hui des connaissances limitées dans ce domaine, comme le démontrent les résultats de l’enquête. Il est d’ailleurs à noter que depuis la loi ALUR1 de 2014, tous les professionnels de l’immobilier sont dans l’obligation de suivre une formation continue d’une durée minimale de 14 heures par an ou de 42 heures durant trois années consécutives d’exercice, sous peine de ne pas pouvoir renouveler leur carte professionnelle. Ils doivent donc se former sur des sujets tels que la déontologie, la non-discrimination dans l’accès au logement, les dernières innovations techniques en matière d’urbanisme ou encore la transition énergétique. Nos entretiens auprès des professionnels ont ainsi soulevé la possibilité d’inclure dans ce programme obligatoire des formations relatives au viager et d’ajouter des enseignements spécifiques au sein des cursus universitaires en lien avec le secteur immobilier. Des partenariats avec des universités, des écoles d’immobilier ou des institutions professionnelles pourraient de fait voir le jour afin d’intégrer ces cours dans les programmes existants et assurer dès lors une meilleure préparation des professionnels.
En outre, conformément aux recommandations évoquées par les spécialistes interrogés dans le cadre de cette étude, la création d’un programme de certification pourrait encourager les professionnels opérant dans ce domaine à se former. Cela leur permettrait non seulement de mieux promouvoir le produit viager, mais accroîtrait également la confiance du public. Ainsi ils deviendraient des interlocuteurs solides et pertinents en capacité de mieux vendre le viager. Ce programme rigoureux de certification offrirait une garantie quant aux connaissances des professionnels et leur adhésion aux normes de déontologie et d’éthique liées à la pratique de ce type de transaction. Des modules de formation continue pourraient également être requis pour maintenir la certification. Il serait même possible d’aller encore plus loin en imaginant l’instauration d’une carte V comme viager sur le modèle des cartes professionnelles obligatoires (telles que la carte S pour les syndicats de copropriété, la carte G pour les activités de gestion locative immobilière, ou encore la carte T pour les activités de transactions immobilières…). De facto, le viager représente un mécanisme si spécifique et si complexe qu’il ne serait pas étonnant qu’une telle obligation voie le jour. Enfin, il pourrait être efficace de mettre en place un organisme indépendant chargé de surveiller les pratiques dans le secteur du viager, en assurant le respect des normes éthiques et légales et en offrant des recours simplifiés et accélérés en cas de pratiques abusives. Un tel organisme pourrait également prendre en charge la résolution préalable des litiges sous forme de médiation pour éviter le recours à des procédures judiciaires souvent longues, lentes, fastidieuses et onéreuses. De plus, cette instance indépendante pourrait constituer une réponse efficace au manque d’accès à une information fiable et objective sur le viager, en ayant pour mission la collecte d’informations et la publication régulière de rapports sur les tendances du marché ainsi que de statistiques détaillées.
Garanties supplémentaires, évaluation du bouquet et de la rente, incitations fiscales : l’indispensable réforme juridique et réglementaire
Les différents récits ont souligné l’urgence d’une réforme massive du viager afin de libérer le plein potentiel d’un mécanisme pouvant apporter des réponses clés aux défis économiques, sociétaux et immobiliers actuels. Force est de constater que particuliers et professionnels attribuent en grande partie la sous-utilisation de ce schéma de vente à des lacunes dans le cadre juridique actuel. De nombreux interviewés en proposent une révision, voire une réforme. Il appert ainsi que l’introduction de garanties supplémentaires au sein des contrats de vente permettrait de pallier l’incertitude de cette transaction et de renforcer la sécurité juridique des parties contractantes. Il s’agit, pour les crédirentiers potentiels ou effectifs, d’endiguer les risques de défaillance des paiements de rente ou ceux liés à la prématurité du décès du débirentier.
Un autre enjeu abordé consiste à combler le vide juridique existant en matière d’évaluation du bouquet et du niveau de la rente. En effet, comme énoncé en préambule, mis à part une disposition du Code civil semblant accorder une grande liberté contractuelle aux parties, il n’existe pour l’heure aucun cadre légal ou règlementaire concernant la fixation de la rente viagère : cela a laissé place à une multiplication des modes de calcul qui a entraîné des écarts parfois conséquents selon les méthodes utilisées. L’instauration de règles spécifiques permettrait d’offrir une meilleure sécurité juridique aux parties et ainsi de favoriser le recours au viager. Cette réforme du cadre légal aurait également vocation à limiter les contentieux relatifs au viager puisque les litiges recensés aujourd’hui concernent principalement le montant de cette rente, et plus précisément son caractère réel et sérieux ainsi que l’aléa garanti supposément par ce contrat. Et si toutefois un contentieux survenait, l’existence d’un texte en la matière laisserait moins de latitude dans l’appréciation du juge, souvent source d’insécurité pour les contractants. En résumé, si l’absence de réglementations claires et structurées demeure un frein notable à l’essor du viager, la mise en place d’une réforme approfondie de son cadre juridique contribuerait efficacement à la sécurisation de cette pratique. De fait, les personnes interviewées lors de cette étude ont souvent argué que l’introduction de dispositions juridiques précises et stables accompagnées de l’instauration d’un barème standardisé stimulerait incontestablement le développement de ce schéma de transaction.
Au-delà de de cette indispensable réforme juridique, les propos recueillis convergent vers la nécessité d’une réforme fiscale. En effet, particuliers comme professionnels ont pointé du doigt le manque d’attractivité du viager en matière d’imposition. Des règles fiscales rigides et complexes apparaissent ainsi comme une réelle entrave à l’essor du viager. L’introduction d’incitations fiscales pour ce type de transaction pourrait de facto bonifier radicalement ce dispositif. Pour les crédirentiers, la défiscalisation totale ou partielle des rentes viagères pourrait augmenter substantiellement leur revenu net, ce qui rendrait la vente en viager beaucoup plus attrayante. Cette augmentation des liquidités des seniors s’inscrit également dans l’objectif évoqué précédemment de faire du viager un outil stratégique des politiques de développement régional et rural en France. L’augmentation du revenu net des crédirentiers générée par la baisse de la taxation conduirait à un surplus de pouvoir d’achat ; ce dernier pourrait alors être réinjecté dans l’économie locale, notamment des régions en déprise, où le viager offre des opportunités de rentabilité intéressantes alors même que le vieillissement de la population y est souvent maximal. Du côté des débirentiers, des déductions fiscales sur les rentes versées pourraient réduire le coût net de l’investissement, alignant ainsi le viager avec d’autres options d’investissement moins risquées et fiscalement avantageuses (par exemple l’assurance-vie). Pour tous les répondants, cette réforme visant à créer un régime d’imposition plus favorable s’impose comme une dimension essentielle pour encourager un recours plus massif au viager.
Ainsi, la nécessité de réformer le cadre juridique et réglementaire vise à créer un environnement où les transactions seront plus sécurisées et plus transparentes, améliorant par là même l’image véhiculée par un mécanisme souvent qualifié d’opaque. En bonifiant la perception du viager et en diminuant les risques associés, ces mesures pourraient significativement en renforcer l’attrait pour les seniors qui cherchent à sécuriser leur retraite et pour les investisseurs en quête de nouvelles opportunités.
Finances, politique des communes, marketing : des secteurs où innover
« Dispositif ancestral », « mécanisme d’un autre temps » ou encore « relique juridique », les expressions stigmatisantes ne manquent pas pour condamner l’aspect « vieillot » du viager. Dépoussiérage et modernisation doivent donc impérativement être au programme d’une vaste réforme ayant vocation à rendre les transactions viagères plus attractives, avancent plusieurs répondants. Aussi, dans cette optique de revitalisation, les divers récits s’accordent sur un autre défi pour les acteurs du viager : celui d’innover. Quelles formes pourrait prendre cette innovation ? Les agents immobiliers interrogés estiment que cette innovation doit être prioritairement financière, évoquant d’ailleurs plusieurs exemples de ce qui pourrait être les prémices d’une telle modernisation. La création du fonds d’investissement Certivia en 2014, avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations associée au Conseil supérieur du notariat, illustre ainsi une réelle volonté de développer des produits financiers innovants autour du viager. En outre, d’autres fonds viagers ont été lancés sous différentes formes pour mutualiser les risques et anonymiser l’acte d’achat à l’instar de la Sicav 123Viager. Notons également l’émergence d’entreprises telles que Virage-Viager qui se sont lancées dans la création et la gestion de fonds dédiés au viager, attirant des investisseurs institutionnels pour favoriser le développement et la stabilité du marché. L’émergence du viager mutualisé constitue bel et bien une innovation majeure autour de ce produit. En effet, il est non seulement susceptible de convaincre de potentiels acheteurs plutôt risk averse de franchir le pas, mais encore permet-il à des acquéreurs ayant une assise financière moins importante d’avoir accès au viager via un ticket d’entrée moins élevé. L’une des principales explications avancées par les répondants à la faiblesse du marché du viager est en effet la nécessité pour le débirentier de disposer de liquidités conséquentes (sans possibilité d’accès à un crédit), ce qui limite par conséquent la cible potentielle. Par ailleurs, des sociétés novatrices, comme Monetivia, ont récemment fait leur apparition sur le marché en proposant des concepts originaux tels que le démembrement de propriété temporaire accompagné d’un contrat prévoyant une rente future, en collaboration avec Allianz. Si le viager semble aller dans le bon sens en termes d’innovation financière, il appert cependant que ces avancées sont complètement passées sous le radar du grand public. À titre d’exemple, le viager mutualisé n’a été évoqué dans aucun des récits des particuliers interrogés dans le cadre de notre enquête et demeure encore un phénomène très mystérieux pour de nombreux agents immobiliers. L’enjeu est donc de sensibiliser et de communiquer davantage sur ces innovations. Les entretiens s’accordent en outre sur la nécessité de développer de nouveaux produits financiers ou produits d’assurance associés visant à séduire un public plus large.
Une autre piste innovante évoquée dans ces témoignages consisterait à impliquer les communes dans l’investissement en viager. Le constat est le suivant : les villes petites et moyennes, souvent rurales, sont souvent sujettes à une perte de population et, partant, d’activité économique qui les pousse à tenter de redynamiser et redévelopper leurs centres-villes. L’enjeu est donc d’encourager les municipalités ou des organismes tels que des EPF à se porter acquéreurs de logements en viager. Une fois le crédirentier décédé, la commune ou l’EPF récupère le bien et peut ainsi décider de la manière de l’affecter à sa stratégie de transformation urbaine. Il s’agirait de coordonner le viager avec les politiques urbaines menées dans ces territoires. Cette entreprise novatrice permettrait de surcroît d’apporter un soutien local à la politique vieillesse et d’augmenter la consommation et, de fait, de soutenir l’économie des communes par le biais de l’injection de liquidités supplémentaires grâce au versement de la rente.
Dernière évolution appelée de leurs vœux par certains de nos répondants : l’innovation sur le plan du marketing. Pour les experts consultés, les agences spécialisées et autres intervenants sur la marché ne doivent pas hésiter à souligner la dimension éthique du viager en mettant en place des campagnes de communication disruptives, décomplexées voire provocatrices, propres à inverser l’image négative du viager. L’enjeu est bel et bien celui d’un changement de paradigme : ériger le viager en un contrat gagnant-gagnant et un mode d’acquisition utile et éthique, en ce qu’il répond à une problématique sociétale urgente, et ainsi lui donner la place qu’il mérite.