Connaissances et perception générale sur le viager

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Clara Roulière

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Roulière, C. (2025). Connaissances et perception générale sur le viager. Améliorer l’attractivité du viager : une nécessité, des solutions. Mis en ligne le 01 octobre 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 03 octobre 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1873

Niveau de connaissances sur le viager

Les particuliers

Les entretiens réalisés dans le cadre de cette étude visent tout d’abord à évaluer le niveau de connaissances des particuliers sur le mécanisme du viager. Ceux-ci avaient en effet comme consigne de noter leur degré de connaissances en la matière sur une échelle allant de 0 à 5, selon le barème suivant : 0, aucune connaissance ; 1, notions faibles ; 2, assez bonnes notions ; 3, bonnes connaissances ; 4, très bonnes connaissances ; 5, expert. Sur les 12 personnes interrogées, 5 d’entre elles déclarent avoir des notions faibles (niveau 1), et 4 autres estiment disposer d’assez bonnes notions (niveau 2). Ces résultats concernent uniquement les acquéreurs et les vendeurs potentiels, ne disposant donc pas d’expérience concrète du viager. Seuls les répondants ayant effectivement eu recours au viager, aussi bien du côté des débirentiers que des crédirentiers, présentent un niveau de connaissances supérieur (2 interviewés pensent avoir de bonnes connaissances et 1 interviewé de très bonnes connaissances), mais aucun d’entre eux ne se perçoit pour autant comme un expert du viager. Les personnes peu initiées au viager, à savoir les vendeurs et acheteurs potentiels interviewés, présentent toutes une définition assez simpliste de ce mécanisme.

« Un contrat de vente immobilière par lequel un acheteur acquiert un bien immobilier en maintenant le vendeur dans les lieux jusqu’à son décès en échange du versement d’une somme dite bouquet et/ou d’une rente régulière. »
(C1, acquéresse potentielle, Oppède-le-Vieux)

« Une structure d’achat/vente d’un bien immobilier qui s’adresse à des vendeurs seniors souhaitant rester vivre chez eux et qui consiste à vendre un bien à un prix fixe en-dessous du prix de marché (bouquet), accompagné d’une rente mensuelle. »
(C2, acquéreur potentiel, Montrouge)

« Vendre un bien occupé ou inoccupé en échange d’un bouquet payé à la signature et d’une rente viagère jusqu’au décès du ou des vendeurs. »
(C3, acquéresse potentielle, Paris)

« La vente d’un bien en nue-propriété en échange d’un revenu mensuel. »
(C10, vendeur potentiel, Romorantin-Lanthenay)

« Une forme de vente immobilière où un vendeur cède la propriété de son bien tout en recevant une rente viagère régulière jusqu’à son décès, [permettant au] vendeur de conserver le droit de rester chez soi jusqu’à sa mort. »
(C11, venderesse potentielle, Paris)

Tous les répondants font donc référence au viager occupé, sans mention des autres variantes existantes de ce type de transaction. À titre d’exemple, aucune référence n’a été faite à la possibilité de procéder à une vente en viager sans rente.

Les professionnels

S’agissant des professionnels du secteur questionnés sur le sujet, seuls 3 d’entre eux se présentent comme des experts du viager, sur les 10 entretiens réalisés, soit moins du tiers. Ces 3 « experts » sont tous des conseillers immobiliers spécialisés dans ce type de transaction (P6, Montpellier ; P7, Paris ; P9, Bordeaux). Du côté des conseillers juridiques, il appert que le produit viager est bien moins familier. En effet, les 3 avocats au barreau de Paris interrogés dans le cadre de cette étude estiment ne disposer que d’ « assez bonnes notions » (niveau 2). Néanmoins la notaire (P4, Lille) et la juriste spécialisée en viager (P5, Paris) déclarent toutes deux disposer de « bonnes connaissances » (niveau 3). Enfin, le directeur de service spécialisé d’un réseau immobilier (P8) et le chercheur Arnaud Simon (P10) évaluent leur niveau de connaissances à 4 soit de « très bonnes connaissances ». Il est également intéressant de noter que, lors de la prise de contact avec des professionnels , nombre d’entre eux – tels que des agents immobiliers proposant ce schéma de transaction – n’ont pas souhaité répondre, estimant ne pas disposer d’assez bonnes notions pour apporter leur contribution à cette enquête. Il en est de même pour les conseillers en gestion de patrimoine : aucun n’a souhaité participer à cette enquête, déclarant pour bon nombre d’entre eux ne pas être assez familiers avec ce produit, eu égard au fait qu’ils ne le proposent que très rarement à leur clientèle.

Sentiment global et appréciation du viager

Les professionnels

L’appréciation générale des répondants sur le viager est très hétéroclite, reflétant une complexité de perceptions qui pourrait influencer la popularité et l’utilisation du viager. Les personnes interrogées ont donné une note allant de 0 à 5 pour exprimer leur sentiment sur le viager selon le barème suivant : 0, très négatif ; 1, négatif ; 2, plutôt négatif ; 3, neutre ; 4, positif ; 5, très positif. S’agissant du premier échantillon composé de professionnels du secteur du viager, 5 personnes sur les 10 interrogées expriment un sentiment très positif sur ce mécanisme : 4 agents immobiliers spécialisés en viager (P6, Montpellier ; P7, Paris ; P8, Paris ; P9, Bordeaux) et le chercheur Arnaud Simon (P10, Paris).

Le mandataire indépendant expert en viager (P6, Montpellier) est fermement convaincu du potentiel du viager, le considérant comme une réponse adaptée aux évolutions démographiques et aux besoins de la population âgée :

« Le viager est non seulement une transaction ancestrale, mais il est un investissement d’avenir avec le vieillissement de la population (les plus de 65 ans représentent la tranche démographique la plus importante), avec la nécessité pour les seniors de bien vivre leur retraite, avec la croissance du marché immobilier qui reste une valeur refuge (résilience de la pierre), avec la volonté des seniors de rester vivre chez eux et non de se retrouver dans un établissement impersonnel dans lequel ils ne seront pas considérés. »
(P6, mandataire indépendant expert en viager, Montpellier)

Sa vision est clairement optimiste ; il envisage le viager comme une solution durable et respectueuse des besoins des personnes âgées. Deux autres agents partagent cette opinion :

  « Le vieillissement de la population et la crise économique développent naturellement le marché du viager. »
(P8, directeur de service spécialisé d’un réseau immobilier, Paris)

« [Le développement du viager] n’est qu’une question de temps, au vu du vieillissement de la population, de l’augmentation de l’espérance de vie et des retraites par répartition qui n’augmentent pas suffisamment pas rapport au coût de la vie. »
(P9, conseillère en viager, Bordeaux)

Si le chercheur Arnaud Simon (P10, Paris) assimile également le viager à un produit d’avenir, il adopte toutefois une vision plus nuancée et souligne le manque d’intérêt patent des politiques publiques pour les personnes âgées ainsi que pour les villes moyennes où ce schéma de vente présenterait un intérêt certain.

Les conseillers juridiques interviewés apparaissent, quant à eux, plus réservés et mesurés sur le sujet. Les avocates P2 (Tours) et P3 (Paris) se déclarent neutres (niveau 3), ce qui souligne la nécessité de mieux comprendre et utiliser cette structure financière. Elles reconnaissent les avantages du viager, mais manifestent aussi une prudence face à la complexité de sa mise en œuvre et à l’incertitude sur son acceptation publique. L’avocate P2 (Tours) exprime notamment des réserves quant à la viabilité future du viager, particulièrement du point de vue de l’équilibre des avantages entre crédirentiers et débirentiers :

« Si l’on se place du côté des crédirentiers, compte tenu des inquiétudes actuelles sur les retraites à venir, ce contrat présente des avantages dans la limite du bon calcul de son taux d’imposition. Cependant, encore faut-il avoir le bon produit, au bon endroit et au bon moment pour trouver l’investisseur intéressé. Par ailleurs, l’allongement de l’espérance de vie déséquilibre ce contrat en faveur du crédirentier. Si ce mécanisme ne s’est pas davantage développé, c’est qu’il existe d’autres schémas financiers et procédés juridiques plus attractifs. »
(P2, avocate, Tours)

Elle souligne ainsi la nécessité de conférer des avantages spécifiques et significatifs pour stimuler le développement du viager. Malgré ses réserves, l’avocate P3 (Paris) estime :

« À court terme, avec le vieillissement de la population et le recul du pouvoir d’achat, le recours au viager va certainement prospérer. »
(P3, avocate, Paris)

Par ailleurs, l’avocat P1 (Paris), à l’instar de la notaire (P4, Lille) et de la juriste spécialisée en viager (P5, Paris), exprime un sentiment positif (niveau 4) à l’égard de ce type de transaction. Ils estiment tous trois qu’il s’agit là d’un marché d’avenir notamment au regard de l’évolution des mœurs.

« Les seniors n’ont plus uniquement comme volonté de transmettre, mais souhaitent également profiter. »
(P4, notaire, Lille)

Dans cette optique, la juriste spécialisée en viager (P5, Paris) déclare :

« Le coût de la vie ne fait qu’augmenter, comme on peut le voir en suivant les indices Insee, et cela ne va sûrement pas s’arrêter maintenant au vu du contexte. Le viager est donc une solution de plus en plus adaptée, qui va continuer de séduire des seniors et des investisseurs. »
(P5, juriste spécialisée en viager, Paris)

Les particuliers

Concernant le second échantillon composé de particuliers, les résultats apparaissent bien plus variés. Les propos de l’acquéresse potentielle C1 (Oppède-le-Vieux), de l’acquéreur effectif C9 (Clermont-Ferrand) et du vendeur potentiel C10 (Romorantin-Lanthenay) reflètent des sentiments positifs (note de 4), même s’ils sentent tous trois la perception publique généralement négative du viager. L’acquéresse potentielle C1 (Oppède-le-Vieux) met en avant la stigmatisation du viager dans les médias et les films comme Le Viager, « qui a marqué les esprits ». En outre, 3 acquéreurs potentiels (C4, Corse ; C6, Limoges ; C7, Strasbourg) se déclarent neutres (note de 3), et deux autres (C3, Paris ; C5, Kremlin-Bicêtre) font part d’un sentiment plutôt négatif (note de 2) à l’égard de ce produit. Enfin, 3 personnes sur les 12 interrogées expriment des sentiments très positifs (note de 5). L’une d’elle, l’acquéreur potentiel C2 (Montrouge), tout en ayant une perception très positive du dispositif, reconnaît également que le viager est peu connu et souvent mal compris par le grand public. L’acquéreur effectif C8 (Paris) et la venderesse effective C12 (Paris) témoignent d’un enthousiasme fort pour le viager, dont ils ont pu tous deux faire l’expérience, l’un ayant acheté et l’autre ayant vendu par à ce mécanisme.

Les réponses expriment également une forte influence des biais psychologiques et émotionnels dans la perception du viager. L’acquéresse potentielle C1 (Oppède-le-Vieux) aborde l’histoire de Jeanne Calment comme un exemple frappant des risques et de l’aléa liés au viager :

« L’histoire de Jeanne Calment a elle-même contribué à cette vision négative du viager. »
(C1, acquéresse potentielle, Oppède-le-Vieux)

Elle considère que bien que cette histoire ait renforcé certains stéréotypes, elle a aussi clarifié la nature aléatoire du viager, qui est un aspect central mais souvent mal compris de ce dispositif.

Quelques autres propos sur « le cas Jeanne Calment » :

« Le cas Jeanne Calment est l’exemple parfait en défaveur de ce processus d’achat/vente. »
(C3, acquéresse potentielle, Paris)

« Pour moi, c’est une histoire cocasse qui prouve bien que l’acheteur peut faire face à de nombreux risques ! »
(C6, acquéresse potentielle, Limoges)

« C’est le risque avec le viager. On ne sait pas comment et quand cela se termine. »
(C5, acquéresse potentielle, Kremlin-Bicêtre)

Le vendeur potentiel C10 (Romorantin-Lanthenay), s’il déclare ne pas avoir été influencé personnellement dans sa perception du viager par la mauvaise presse de ce produit, reconnaît cependant que l’histoire de Jeanne Calment a contribué à ce que les Français s’en détournent.

« Pour moi, l’histoire de Jeanne Calment est avant tout une histoire belle et drôle ! Elle a certainement desservi l’image du viager auprès de nombreux Français. Quant à moi, elle n’a pas du tout influencé mon opinion. »
(C10, vendeur potentiel, Romorantin-Lanthenay)

L’acquéreur potentiel C2 (Montrouge) développe de son côté une approche plus détachée et moins émotionnelle. Il reconnaît les risques associés à la longévité du vendeur, mais voit le viager comme une opportunité d’investissement qui pourrait être rentable à long terme.

En outre, 7 personnes parmi les particuliers interviewés, soit un peu plus de la moitié de l’échantillon, assimilent le viager à un produit qui pourrait s’imposer dans l’avenir malgré la mauvaise réputation qui le précède.

« Je pense que le viager peut être un produit d’avenir, mais à condition d’en clarifier les règles pour donner plus confiance dans le contrat lui-même, et dans les professionnels intervenant sur ce marché. Le viager semble offrir une solution aux problématiques posées par le vieillissement de la population française... Il doit être débarrassé des clichés et des a priori négatifs qui l’entourent... »
(C1, acquéresse potentielle, Oppède-le-Vieux)

L’acquéreur potentiel C2 (Montrouge) partage également un avis positif concernant l’avenir du viager, motivé par les tendances démographiques et des incertitudes économiques :

« Oui, c’est un produit d’avenir étant donné l’évolution démographique de la France et l’incertitude quant à la viabilité du système de retraite par répartition, ce qui va stimuler l’offre de viagers. »
(C2, acquéreur potentiel, Montrouge)

Un constat également partagé par deux autres répondants :

« Le viager est un produit d’avenir et une solution immobilière viable, surtout dans le contexte d’une population vieillissante et des besoins en matière de logement évolutifs. »
(C9, acquéreur effectif, Clermont-Ferrand)

« Le viager est un produit d’avenir car les pensions de retraite vont continuer à baisser. De plus, les jeunes générations sont de moins en moins enclines à travailler dur pour avoir des revenus suffisants leur permettant d’aider leurs aînés. Ce recul de la solidarité entre générations est une évolution majeure qui accentue le problème de financement du grand âge et le vieillissement général de la population française. »
(C12, venderesse effective, Paris)

En résumé, les opinions exprimées montrent que le viager est perçu à la fois comme une opportunité d’avenir pour répondre aux défis démographiques et économiques actuels et un produit nécessitant des ajustements significatifs pour réaliser son plein potentiel. Professionnels et particuliers énoncent des récits convergents sur la nécessité de moderniser le viager à travers une série de mesures qui viendrait en faciliter son adoption et en améliorer sa perception publique.

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