Le marché du viager immobilier

Clara Roulière

Citer cet article

Référence électronique

Roulière, C. (2025). Le marché du viager immobilier. Améliorer l’attractivité du viager : une nécessité, des solutions. Mis en ligne le 01 octobre 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 03 octobre 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1871

Un produit de niche

« Aujourd’hui, le marché immobilier du viager représente moins de 1 % des ventes totales immobilières en France. » Les transactions viagères se concentrent essentiellement à Paris et ses alentours, ainsi que dans les régions méridionales de la France, bordant le bassin méditerranéen, phénomène parfois qualifié d’effet Sunbelt (Coulomb, 2020, p. 33). Aussi, cette répartition géographique est surprenante, car opposée à la logique spatiale du vieillissement de la population française. En effet, « alors que le vieillissement est maximal dans certains territoires ruraux en déprise (Observatoire des territoires, 2017), le marché du viager est surtout concentré dans quelques grandes métropoles (Friggit, 2008) » (Coulomb et al., 2021, p. 423) où les dynamiques immobilières résidentielles apparaissent comme à la fois les plus haussières et les moins risquées.

Par ailleurs, si le marché du viager éprouve tant de difficultés à se développer, c’est notamment en raison de sa mauvaise presse. Les nombreuses œuvres littéraires ou cinématographiques mentionnées en préambule ont notamment participé à ternir l’image de ce produit, favorisant ainsi l’émergence de freins psychologiques et émotionnels qui constituent aujourd’hui de véritables entraves à un recours plus massif au viager (Griffond, 2008, p. 60). Parmi ceux-ci, la rapporteuse Corinne Griffond met l’accent sur l’idée de dépossession des héritiers que représenterait le viager. L’opprobre est en effet souvent jeté sur le vendeur qui, en ayant recours à ce type de transaction, serait accusé de déshériter ses descendants puisque le bien est définitivement aliéné et que la rente est consommée au fil du temps. Une telle pratique apparaît d’autant plus choquante en France où l’héritage demeure une norme protégée et où la propriété a été placée au rang de bien sacré et inviolable par l’article 17 de la DDHC avant d’être reprise dans la Constitution de 1958. Aussi :

« Un intérêt certain pour ces produits [viagers] a été identifié très tôt (Higgins & Folts, 1992), en étant parfois présenté comme un moyen de réduire la pauvreté parmi les personnes âgées (Kutty, 1998). Les obstacles au développement de ces produits ont été discutés par Leviton (2002), par Weber & Chang (2006) dans le contexte de préoccupations éthiques, et par Tsay et al. (2014) dans le contexte de problèmes de prix. »1
(Coulomb, 2020, p. 68)

Il est effectivement à noter que certains experts estiment que, compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, le montant des rentes viagères est désormais excessif pour atteindre un taux de rentabilité interne (TRI) ex-post satisfaisant, entre 3 % et 5 % (Coulomb, 2020, p. 10). Pour rappel, ce dernier peut se définir comme un « indicateur financier permettant de mesurer la rentabilité annualisée moyenne d’un investissement constatée suite à l’analyse des faits économiques effectuée après qu’ils se sont produits pour vérifier les prévisions ex-ante » (Forvis Mazars, s. d.). De nombreux écrits soulignent alors l’importance du choix de la table de mortalité (Le Fur & Tarnaud, 2016). Enfin, un autre obstacle à la généralisation du viager peut résider dans sa fiscalité. Comme évoqué précédemment, celle-ci est souvent perçue comme assez peu incitative, notamment pour les investisseurs. En effet, pour rappel, « la rente n’est que partiellement déductible pour le vendeur et pas du tout pour l’acheteur (Le Guidec & Portais, 2015 ; Artaz (2016) » (Coulomb et al., 2021, p. 424).

Toutefois, le développement du viager s’est tout de même intensifié au cours des dernières années. D’après le baromètre Renée Costes, expert du viager et de la nue-propriété, le marché a en effet cru de 6 % en 2021, une progression qui s’accentue annuellement depuis maintenant une dizaine d’années (Renée Costes Viager, 2022). Du côté des retraités, l’enquête nationale Silver Économie Attente de consommation des seniors et leurs aidants conduite par l’Association française de normalisation (AFNOR) en 2014 révélait déjà que 53,8 % des retraités souhaitaient « connaître les nouvelles modalités liées au viager » et que 76,9 % des seniors désiraient avoir « plus d’informations sur ce service » (AFNOR, 2014, p. 26). Malgré son utilisation encore très limitée, les seniors sont donc intéressés par le viager, ce qui laisse entrevoir le potentiel de ce dispositif pour faire face à des enjeux sociétaux que nous allons analyser par la suite.

Ce type de mécanisme de « monétisation du patrimoine immobilier » (Vergnaud, 2018, p. 19) fait ainsi l’objet d’un examen de plus en plus attentif, et diverses initiatives se déploient tant de la part des autorités publiques que d’acteurs institutionnels ou de jeunes entreprises innovantes. Du côté de l’État, de nombreuses études et rapports ont été réalisés, démontrant l’intérêt des pouvoirs publics pour ce qui pourrait constituer une réponse au défi majeur de la baisse du pouvoir d’achat des retraités. Citons évidemment l’étude du Conseil économique et social sur les viagers immobiliers en France en 2008 (Griffond), un rapport sur le prêt viager hypothécaire (PVH) et la mobilisation de l’actif résidentiel des personnes âgées commandé par le ministère de l’Équipement et des Transports en 2004 qui a conduit à la création de ce produit en France (Jachiet et al., 2004), ainsi qu’une note de 2007 suivant la mise sur le marché du PVH en 2006, accompagnée de pistes d’amélioration. En outre, certains acteurs institutionnels ont décidé de s’impliquer activement sur ce marché, notamment avec la création du fonds Certivia en 2014 avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations associée au Conseil supérieur du notariat. Ce fonds de 150 millions d’euros, dédié à l’acquisition de biens immobiliers en viager occupé, vise une rentabilité annuelle espérée de 6 % à 6,5 % (Vergnaud, 2018, p. 19). Par ailleurs, « d’autres fonds viagers se sont lancés sous différentes formes, pour mutualiser les risques et anonymiser l’acte d’achat » (Vergnaud, 2018, p. 19). Par exemple, la société d’investissement à capital variable (SICAV) 123Viager (viagers occupés), créée en 2012 par 123Venture, vise des hommes âgés de plus de 80 ans et des femmes de plus de 85 ans, avec des biens situés dans certaines zones géographiques spécifiques et des modalités de souscription particulières. Des entreprises innovantes telles que Monetivia (2016) ont également fait leur entrée sur le marché, proposant des produits novateurs comme le démembrement de propriété temporaire avec contrat de rente future, en partenariat avec Allianz. Cette solution offre une alternative intéressante en permettant au vendeur de bénéficier d’un usufruit tout en procurant à l’investisseur une décote sur le prix d’acquisition. En outre, des start-up comme Virage-Viager ont pris l’initiative de créer et gérer des fonds spécialisés en viager, attirant ainsi les investisseurs institutionnels pour soutenir « le développement et la stabilité du marché » (Vergnaud, 2018, p. 20). Leur approche se distingue par un paiement immédiat et total du prix de vente plutôt que par des rentes viagères traditionnelles (Vergnaud, 2018, p. 20). Ainsi, il convient de s’interroger sur la véritable portée du viager et son potentiel dans un contexte de vieillissement de la population française.

Un mécanisme d’une pertinence sociétale criante

Le vieillissement de la population apparaît comme une réalité mondiale touchant un grand nombre de pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) (Fougère & Mérette, 1999 ; Lutz et al., 20082). En Europe, ce phénomène est observable à travers une diversité d’espaces, qu’ils soient ruraux, urbains (Chapon, 2009), ou métropolitains (ARUP, 2015)3. Son ampleur est telle que certains chercheurs évoquent une « seconde transition démographique (Van de Kaa, 1987) » (Coulomb, 2020, p. 84). En France, le processus de vieillissement des territoires se caractérise par une forte disparité spatiale, comme en témoignent les travaux de Dumont (2006) et de Blanchet (2020). Ce phénomène s’explique principalement par « l’arrivée en fin de vie de la cohorte des anciens baby-boomers, entrés massivement en retraite à partir du milieu des années 2000 (Blanchet & Le Gallo, 2013) » (Coulomb, 2020, p. 84). À cela s’ajoutent deux tendances structurelles : d’une part, l’allongement de l’espérance de vie, qui contribue à un vieillissement de la population ; d’autre part, la baisse des taux de natalité, qui exacerbe ce phénomène d’accroissement de la longévité (Calot & Sardon, 20004 ; Coulomb, 2020, p. 84). Ces dynamiques sont de surcroît accentuées par des mouvements migratoires, incluant à la fois le départ de populations jeunes, notamment des régions rurales ou ayant subi des restructurations économiques, et l’installation de populations de seniors, principalement des jeunes retraités, dans des « espaces de villégiature » reconnues pour leur qualité de vie et leurs installations sanitaires (Coulomb, 2020, p. 84), comme le littoral Ouest ou la Côte d’Azur (Observatoire des territoires, 2018)5. En parallèle, un débat d’importance majeure a vu le jour dans les années 1990 sur l’impact potentiel du baby-boom, puis par extension, de l’accroissement démographique des personnes âgées, sur les prix de l’immobilier (Mankiw & Weil, 1989 ; Holland, 1991)6. Les hypothèses avancées suggéraient que l’importante population issue du baby-boom initierait une hausse des prix en raison d’une demande accrue, puis, en atteignant l’âge de la retraite, contribuerait à une baisse des prix en raison d’une offre plus importante. Ce débat a suscité un regain d’intérêt actuel en France, dans un contexte de prix immobiliers élevés et de vieillissement démographique, notamment à travers les travaux de Simon et Essafi (2017)7, qui cherchent à appréhender l’impact des changements démographiques et plus particulièrement, l’impact du papy-boom sur le marché immobilier résidentiel français (Coulomb, 2020, p. 68).

Aussi, il apparaît que la France ne fait pas exception au modèle « House-Rich, Cash-Poor » avancé par Shan en 2011 (Coulomb, 2020, p. 36). La génération des baby-boomers a en effet engendré une importante vague de personnes résidant dans des logements dont elles sont propriétaires (Simon & Essafi, 2017). En effet, si 75 % de la population française retraitée est aujourd’hui propriétaire de son logement contre 58 % pour la moyenne nationale (Insee ; Coulomb, 2020, p. 86), une part significative d’entre elle ne dispose que de faibles revenus. Ainsi, en 2013, la pension moyenne s’élevait à 1 492 euros (Conseil d’orientation des retraites, 2015)8, alors même que « 10 % des femmes âgées de plus de 75 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, soit avec un niveau de vie inférieur à 1 008 euros par mois (Insee, 2017) » (Coulomb, 2020, p. 28). Parallèlement, la valeur illiquide du parc immobilier représente une richesse importante, dont une partie significative appartient à la population retraitée : en France, le parc immobilier résidentiel est estimé à 5 660 milliards d’euros dont 1 060 milliards sont détenus par les retraités (Lefebvre & Simon, 2018 ; Coulomb, 2020, p. 9 et p. 28). La valeur moyenne du patrimoine net des « ménages âgés de 60 à 69 ans atteint 340 600 euros, dont plus de 60 % sont constitués d’actifs immobiliers » (Ferrante et al., 2016 ; Coulomb, 2020, p. 3). En 2010, seuls 0,8 % des ménages retraités se situaient « à la fois dans le dernier décile en termes de niveau de vie et dans le dernier décile en termes de patrimoine (Conseil d’orientation des retraites, 2015) » (Coulomb, 2020, p. 28). Ainsi, ces personnes « riches en biens immobiliers mais pauvres en espèces » (Coulomb, 2020, p. 6) suivent une logique similaire : bien que leurs revenus soient modestes, elles détiennent fréquemment un patrimoine immobilier de valeur, un actif financier difficile à liquider sans procéder à la vente. Cependant, il faut noter que la plupart des retraités aspirent à vieillir chez eux (Costa-Font et al., 2009)9, mais que l’entretien de leur logement peut entraîner des préoccupations et des difficultés financières (Coleman et al., 201610 ; Coulomb, 2020, p. 83). De plus, il convient de prendre en considération les questionnements liés à la pertinence ou à l’inadéquation des lieux (Severinsen et al., 2016)11. Enfin, les travaux de Lee et Painter (2014) et de Bonnet et al. (2010)12 se penchent également sur l’importance de la proximité des enfants et les conséquences du veuvage dans la prise de décision des personnes âgées concernant leur habitation (Coulomb, 2020, p. 68). À l’autre extrémité du spectre démographique, de nombreux jeunes adultes éprouvent des difficultés à accéder au marché immobilier en raison de l’augmentation des prix des logements (Partington, 2018 ; Coulomb, 2020, p. 53). Dans ce contexte, le marché immobilier souffre d’une faible liquidité dans les zones où la demande est moins soutenue, et « l’allocation des logements est loin d’être optimale (Barkham & Geltner, 1996) » (Coulomb, 2020, p. 53). Face à ces enjeux multiples, le viager apparaît comme une solution judicieuse, offrant des réponses tant sur le plan résidentiel que financier. Ce mécanisme pourrait offrir à cette génération de propriétaires retraités la possibilité de mobiliser leur capital immobilier pour compléter leurs revenus de retraite et ainsi participer au financement d’un niveau de vie plus digne avec le maintien à domicile des personnes âgées (Drosso, 1993, p. 243 ; Coulomb, 2020, p. 83). Cela peut donc constituer une solution pertinente face aux problématiques de « bien-vieillir » (Costa-Font et al., 2009) et, par ricochet, à la problématique du financement de la dépendance.

S’agissant de la profitabilité du viager, les travaux menés par Jean-Baptiste Coulomb (2020) montrent que « les rendements potentiels du viager sont positifs dans presque tous les départements, et sont mêmes très élevés – TRI ex-ante de plus de 15 % – dans près de la moitié d’entre eux » (Coulomb, 2020, p. 99). Un constat qui vient donc contraster avec la vision de nombre d’experts évoquée précédemment selon laquelle le niveau de la rente est aujourd’hui trop élevé pour pouvoir bénéficier d’un TRI intéressant. En outre, il appert que la richesse immobilière des retraités potentiellement viagérisable est largement supérieure à la richesse effectivement viagérisée (Coulomb, 2020, p. 99), ce qui met en exergue la sous-exploitation du produit viager.

Alors que la richesse immobilière des retraités potentiellement viagérisable représente un peu moins d’un cinquième de la richesse immobilière totale de la France, soit 1 059 milliards d’euros, la base Renée Costes [avec une part de marché évaluée à environ 25 %] n’en exploite que 600 millions, soit 0,05 %.
(Coulomb, 2020, p. 99)

Le potentiel général du marché viager est largement sous-exploité. Enfin, le marché effectif du viager est géographiquement très concentré, essentiellement à Paris et aux départements de la petite couronne pour plus du tiers de la valeur contractualisée alors même qu’il présente une rentabilité intéressante dans de nombreux territoires ruraux délaissés. À titre d’exemple, la situation observée dans les départements de la côte Atlantique, que ce soit en ce qui concerne les chiffres absolus ou les proportions, offre un exemple frappant et révélateur du sous-développement, voire de l’atrophie, du marché viager en dehors des zones métropolitaines. Dans l’Ain et le Tarn-et-Garonne, avec pourtant des TRI aux 5e et 6e places, le marché du viager est nul (Coulomb et al., 2021, p. 434-435). Par conséquent, le potentiel économique du viager est non seulement plus substantiel et réparti de manière plus homogène sur le plan géographique que le marché actuel, mais également sa concentration excessive constitue un obstacle à la réalisation de son plein potentiel (Coulomb, 2020, p. 99).

Il s’avère par ailleurs que le viager pourrait influer sur « les politiques de développement régional et rural et dans les politiques vieillesse », agissant alors comme un véritable moyen de coordination (Coulomb, 2020, p. 98). En France, la politique vieillesse est particulièrement déterritorialisée. Elle a été officiellement mise en place via « le rapport Laroque de 1962, qui a posé les bases d’une politique capable d’englober tous les aspects de la vie des personnes âgées, afin de mieux les intégrer dans la société et prendre en charge leur dépendance (Argoud, 2017) » (Coulomb, 2020, p. 98). L’objectif initial était de coordonner au niveau national les initiatives locales disparates (Guillemard, 1986)13 avant de procéder progressivement à la déterritorialisation de la politique vieillesse pour des raisons de coûts et de rentabilité. Ce phénomène a de surcroît été accentué par l’adoption de la loi du 28 décembre 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement14, qui met l’accent sur « une approche médico-sociale de la dépendance dans une perspective de plus en plus centralisée, descendante et normée : la politique vieillesse se resserre alors sur les soins et les aspects sanitaires du vieillissement (Argoud, 2017) » (Coulomb, 2020, p. 98). Des initiatives locales, souvent municipales, mettent toutefois en œuvre des mesures qui vont au-delà des seuls enjeux médicaux et sont plus transversales en favorisant le maintien à domicile par rapport à l’hébergement en établissement médicalisé (Argoud, 2013 ; Coulomb, 2020, p. 98). Le viager constitue quant à lui une solution en faveur d’un habitat et d’un niveau de vie dignes, pouvant être déployée sur la quasi-totalité du territoire national, encourageant ainsi une politique vieillesse en prise directe avec la réalité territoriale, sociale et humaine (Coulomb, 2020, p. 98). À ce titre, l’outil viager pourrait favoriser l’émergence d’une dynamique positive, garantissant aux vendeurs une meilleure qualité de vie dans des régions où les ressources allouées à la politique envers les personnes âgées ou à l’aménagement du territoire sont parfois limitées. Il s’agit là d’une réelle opportunité de financer un meilleur niveau de vie pour des propriétaires âgés (Nowik & Thalineau, 2014)15 tout en encourageant l’investissement immobilier non seulement dans les zones urbaines, mais aussi dans les régions rurales et en contribuant à mobiliser des richesses déjà présentes dans ces zones (Coulomb, 2020, p. 98). En effet, le viager se trouve confronté aux mêmes défis que ceux liés à « la circulation invisible des richesses entre les territoires productifs et les territoires déclassés (Davezies, 2008) ou ceux sur la destruction invisible de richesses dus aux impacts contraires du vieillissement sur les prix immobiliers dans les métropoles et dans les territoires ruraux » (Coulomb, 2020, p. 98). La richesse métropolitaine pourrait servir de levier pour mobiliser localement la richesse immobilière d’un territoire donné en la rendant liquide. Les liquidités générées par les bouquets ou les rentes conduiront ainsi à un surplus de pouvoir d’achat pour les retraités, des sommes qui pourront ensuite être réinjectées dans l’économie locale de régions en déprise (Coulomb, 2020, p. 98). De ce fait, la généralisation du viager pourrait s’inscrire dans une politique « de développement régional et rural des territoires déclassés ou délaissés, fortement touchées par les enjeux du vieillissement » (Coulomb, 2020, p. 98).

La nécessaire amélioration de l’attractivité du viager

En résumé, le viager apparaît comme un outil au potentiel largement sous-exploité et sous-estimé alors même que celui-ci offre des possibilités de rentabilité intéressantes. Au-delà de cet aspect économique, il revêt de surcroît une dimension politique et sociale importante. Dans un premier temps, il pourrait permettre de reterritorialiser la politique vieillesse menée en France en favorisant une approche plus humaine et respectueuse de la fin de vie des personnes âgées, axée sur le maintien à domicile et les interactions sociales ordinaires du bassin de vie, plutôt que sur « l’hébergement médicalisé et l’enfermement sanitaire » (Coulomb, 2020, p. 99). Dans un second temps, il pourrait encourager le développement des zones rurales et délaissées en injectant des liquidités issues des « 1 059 milliards d’euros du patrimoine immobilier dormant des retraités, qui viendraient alors alimenter un regain de dépenses et de consommation, pour grande part au sein même des bassins de vie des crédirentiers » (Coulomb, 2020, p. 99). Pour les personnes âgées disposant d’un patrimoine mais ayant de faibles retraites, le bouquet et surtout la rente offriraient une amélioration certaine de leur niveau de vie, susceptible de bénéficier à l’économie locale au quotidien (Coulomb, 2020, p. 99).

En outre, alors que « l’allocation des logements en France est loin d’être optimale (Barkham & Geltner, 1996) »16 (Coulomb, 2020, p. 53), le viager pourrait contribuer à rééquilibrer la politique immobilière à moindre coût en produisant des effets au niveau régional, au-delà des seuls contextes urbains ou métropolitains, en intégrant divers types d’espaces, y compris de nombreuses zones rurales où ce type de produit s’avère rentable (Coulomb, 2020, p. 85). Contrairement aux politiques immobilières existantes reposant sur des transferts de fonds ou des aides financières onéreuses pour l’État (Bozio et al., 2015), le viager mobiliserait une richesse déjà présente dans des territoires en déclin mais dormante (Coulomb, 2020, p. 99). Ainsi, il apparaît aujourd’hui essentiel d’améliorer l’attractivité du viager pour en faciliter sa généralisation d’une part, en tant que « dispositif économiquement et socialement vertueux » (Coulomb, 2020, p. 100) et d’autre part, comme levier de développement régional et rural au bénéfice de la création d’une solidarité intergénérationnelle et « ne nécessitant aucun transfert de fonds ni aucune injection d’aide » (Coulomb, 2020, p. 100) financière gouvernementale.

Dans cette perspective de développement de l’outil viager, il convient alors de se demander si l’une des pistes envisageables ne serait pas la mise en place d’« une politique fiscale d’encouragement à la fois du produit en soi (le viager) et au type d’arbitrage bouquet/rente sur lequel il repose » (Coulomb, 2020, p. 99), notamment « en baiss[ant] le taux d’imposition et/ou rend[ant] la rente libre de taxe » (Coulomb, 2020, p. 99) ou encore en ajustant les droits de mutation. Dans quelle mesure la création d’un cadre fiscal plus incitatif pourrait-elle donc contribuer à « développer le marché du viager et donc, par voie de conséquence, d’en libérer le plein potentiel » (Coulomb, 2020, p. 99) ? En parallèle, eu égard à l’absence de législation en matière de calcul du niveau de la rente ainsi qu’aux multiples revirements de jurisprudence, il apparaît légitime de se demander si la modification du cadre juridique existant pourrait constituer une condition de l’attractivité du viager. Quid également du rôle des notaires, des avocats, des gestionnaires de patrimoine ou encore des agents immobiliers spécialisés dans le processus de généralisation du viager ? Mais le point névralgique de ce vaste défi semble reposer sur un tout autre enjeu. Comment encourager la population française, qu’il s’agisse des retraités ou des plus jeunes générations, à recourir au viager alors même que celui-ci est aujourd’hui décrié ? C’est là le nœud gordien du processus. Et c’est ici que la mise en place d’une large politique d’information et de sensibilisation sur le viager, et les avantages qu’il présente, mettrait en exergue son développement continu et son adaptabilité pour une meilleure adéquation aux besoins, contraintes et objectifs des parties. Parmi les exemples les plus récents et porteurs d’avenir, citons notamment le viager avec occupation limitée dans le temps, ou encore le viager mutualisé pour atténuer le risque de tomber sur une « nouvelle Jeanne Calment ». Sans oublier l’utilisation du viager en tant qu’outil de diversification ou de transmission patrimoniale. L’ensemble des acteurs du secteur (avocats, notaires, gestionnaires de patrimoine, agents spécialisés…) ne devraient-il pas être étroitement associés pour devenir de véritables conseils et facilitateurs des transactions viagères en France ? Cela contribuerait à une vaste entreprise de popularisation et de vulgarisation, vertueuse à de nombreux égards.

L’analyse de la littérature existante montre que cette dernière aborde clairement, au travers de nombreux écrits et conceptualisations sur le sujet, l’intérêt certain du viager. Elle met aussi en lumière la frappante sous-utilisation du viager en raison d’un manque d’attrait criant. Toutefois, il appert qu’aucune publication à notre connaissance ne s’est attachée à développer des pistes et des solutions susceptibles de pallier ce déficit d’attractivité du viager, et partant, d’en améliorer et d’en encourager significativement le recours. Le reste de l’étude sera ainsi consacré à l’élaboration d’une stratégie visant à favoriser la généralisation du viager immobilier en France.

1 Traduction par l’auteur du présent mémoire de recherche.

2 Cités par Coulomb, 2020, p. 84.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

5 Ibidem.

6 Ibidem.

7 Ibidem.

8 Cité par Coulomb, 2020, p. 28.

9 Cités par Coulomb, 2020, p. 83.

10 Ibidem.

11 Cités par Coulomb, 2020, p. 68.

12 Cités par Coulomb, 2020, p. 68.

13 Cité par Coulomb, 2020, p. 98.

14 Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

15 Cités par Coulomb, 2020, p. 98.

16 Traduction de l’auteur du présent mémoire.

Argoud, D. (2013). La prise en compte des nouveaux lieux du vieillir par les politiques publiques françaises. Dans M. Membrado & A. Rouyer (dir.), Habiter et vieillir. Vers de nouvelles demeures (p. 213-224). Érès.

Argoud, D. (2017). Territoires et vieillissement : vers la fin de la politique vieillesse ? Lien social et Politiques, 79, 17-34.

Artaz, M. (2016). Viagers : aspects juridiques, économiques et fiscaux (12e édition). Delmas.

Arup, Help Age International, Intel & Systematica. (2015). Shaping Ageing Cities: 10 European Case Studies.

Association française de normalisation – AFNOR. (2014). Attente de consommation des seniors et leurs aidants.

Barkham, R. J., & Geltner, D. M. (1996). Price Discovery and Efficiency in the UK Housing Market. Journal of Housing Economics, 5(1), 41-63.

Blanchet, D., & Le Gallo, F. (2013). Baby-boom et allongement de la durée de vie : quelles contributions au vieillissement ? Insee Analyses, 12.

Blanchet, M. (2020). Les personnes âgées en France : où et dans quel logement vivent-elles ? Population & Avenir, 747, 4-7.

Bonnet, C., Gobillon, L., & Laferrère, A. (2010). The effect of widowhood on housing and location choices. Journal of Housing Economics, 19(2), 94-108.

Bozio, A., Fack, G., & Grenet, J. (2015). Les allocations logement, comment les réformer ? Édition ENS.

Calot, G., & Sardon, J.-P. (2000). La mesure du vieillissement démographique. Espace Populations Sociétés, 3, 475-481.

Chapon, P.-M. (2009). Planification urbaine et vieillissement. Retraite et société, 59(3), 206-216.

Coleman, T., Kearns, R. A., & Wiles, J. (2016). Older adults’ experiences of home maintenance issues and opportunities to maintain ageing in place. Housing Studies, 31(8), 964-983.

Conseil d’orientation des retraites. (2015). Les retraités : un état des lieux de leur situation en France - Treizième rapport du Conseil d’orientation des retraites. Vie-publique.fr.

Coulomb, J.-B. (2020). Enjeux financiers du viager, comportement des acteurs du viager, et contribution actuarielle aux modèles de longévité. [Thèse de doctorat, université Paris Dauphine-PSL]. Theses.hal.science.

Coulomb, J.-B., Languillon-Aussel, R., & Simon, A. (2021). Le viager en France : un dispositif au service du développement des territoires vieillissants ? Revue d’économie régionale & urbaine, 3, 421-449.

Costa-Font, J., & Elvira, D., Mascarilla-Miró, O. (2009). Ageing in Place’? Exploring Elderly People’s Housing Preferences in Spain. Urban Studies, 46(2), 295-316.

Davezies, L. (2008). La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses. Éditions du Seuil.

Drosso, F. (1993). Le viager, essai de définition. Revue française de sociologie, 34(2), 223-246.

Dumont, G.-F. (dir.). (2006). Les territoires face au vieillissement en France et en Europe, Géographie – Politique – Prospective. Ellipses.

Ferrante, A., Guillas, D., & Solotareff, R. (2016). Entre 2010 et 2015, les inégalités de patrimoine se réduisent légèrement. Insee Première, 1621.

Forvis Mazars. (s. d.). TRI (Taux de Rentabilité Interne).

Fougère, M., & Mérette, M. (1999). Population ageing and economic growth in seven OECD countries. Economic Modelling, 16(3), 411-427.

Friggit, J. (2008) Les ventes de logements anciens en viager, 2000-2006. Conseil général de l’environnement et du développement durable.

Griffond, C. (2008). Les viagers immobiliers en France. Conseil économique et social.

Guillemard, A.-M. (1986). Le déclin du social. Formation et crise des politiques de la vieillesse. Presses universitaires de France.

Higgins, D. P., & Folts, W. E. (1992). Principles and Cash Flow Expectations of Reverse Mortgages. Journal of Applied Gerontology, 11(2), 187-199.

Holland, A. S. (1991). The baby boom and the housing market: Another look at the evidence. Regional Science and Urban Economics, 21(4), 565-571.

Jachiet, N., Friggit, J., Vorms, B., & Taffin, C. (2004). Rapport sur le prête viager hypothécaire et la mobilisation de l’actif résidentiel des personnes âgées. Inspection générale des finances, Conseil général des ponts et chaussées, Agence nationale pour l’information sur le logement.

Kutty, N. K. (1998). The Scope for Poverty Alleviation among Elderly Home-owners in the United States through Reverse Mortgages. Urban Studies, 35(1), 113-129.

Lee, K. O., & Painter, G. (2014). Housing Tenure Transitions of Older Households: What is the Role of Child Proximity? Real Estate Economics, 42(1), 109-152.

Lefebvre, T., & Simon, A. (2018). Richesse immobilière et encours des prêts immobiliers : quelles divergences territoriales aujourd’hui ? Revue d’économie financière, 132 , 233-248.

Le Fur, É., & Tarnaud, N. (2016). Impact du choix d’une table de mortalité sur le taux interne de rentabilité des rentes viagères immobilières. Bulletin français d’actuariat, 16(32), 129-142.

Le Guidec, R., & Portais, J. (2015). Le viager. Ellipses.

Leviton, R. (2002). Reverse Mortgage Decision-Making. Journal of Aging & Social Policy, 13(4), 1-16.

Lutz, W., Sanderson, W., and Scherbov, S. (2008). The coming acceleration of global population ageing. Nature, 451, 716-719.

Mankiw, N. G., & Weil, D. N. (1989). The baby boom, the baby bust, and the housing market. Regional Science and Urban Economics, 19(2), 235-258.

Nowik, L., & Thalineau, A. (dir.). (2014). Vieillir chez soi. Les nouvelles formes du maintien à domicile. Presses universitaires de Rennes.

Observatoire des territoires. (2017). Le vieillissement de la population et ses enjeux. Fiche analytique.

Observatoire des territoires. (2018). Les mobilités résidentielles en France. Tendances et impacts territoriaux.

Partington, R. (2018). Home ownership among young adults has ‘collapsed’, study finds. The Guardian.

Renée Costes Viager. (2022, 17 octobre). Viager et Nue-Propriété : les chiffres à retenir sur un marché en plein boom. Blog Renée Costes.

Severinsen, C., Breheny, M., & Stephens, C. (2016). Ageing in Unsuitable Places. Housing Studies, 31(6), 714-728.

Shan, H. (2011). Reversing the Trend: The Recent Expansion of the Reverse Mortgage Market. Real Estate Economics, 39(4), 743-768.

Simon, A. & Essafi, Y. (2017). Concurrence générationnelle et prix immobiliers. Revue d’économie régionale et urbaine, 1, 109-140.

Van de Kaa, D. J. (1987). Europe’s Second Demographic Transition. Population Bulletin, 42(1), 1-59.

Vergnaud, C. (2018). Le viager immobilier est-il une opportunité de développement pour un assureur ? [Mémoire d’actuariat, Centre d’études actuarielles]. Institut des actuaires.com

Weber, J. A., & Chang, E. (2006). The Reverse Mortgage and its Ethical Concerns. Journal of Personal Finance, 5(1), 37-52.

1 Traduction par l’auteur du présent mémoire de recherche.

2 Cités par Coulomb, 2020, p. 84.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

5 Ibidem.

6 Ibidem.

7 Ibidem.

8 Cité par Coulomb, 2020, p. 28.

9 Cités par Coulomb, 2020, p. 83.

10 Ibidem.

11 Cités par Coulomb, 2020, p. 68.

12 Cités par Coulomb, 2020, p. 68.

13 Cité par Coulomb, 2020, p. 98.

14 Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

15 Cités par Coulomb, 2020, p. 98.

16 Traduction de l’auteur du présent mémoire.

CC BY-NC-ND 4.0 sauf pour les figures et les visuels, pour lesquels il est nécessaire d'obtenir une autorisation auprès des détenteurs des droits.