Un cadre juridique lacunaire et obsolète
Un vide juridique en matière d’évaluation
En matière de détermination de la rente viagère, la seule disposition légale existante est inscrite à l’article 1976 du Code civil, qui dispose qu’elle « peut être constituée au taux qu’il plaît aux parties contractantes de fixer ». Cette formulation semble ainsi conférer une grande liberté aux contractants, à savoir le crédirentier et le débirentier, pour fixer le montant de la rente viagère (Drosso, 1993, p. 228) selon les conditions et les spécificités de la vente. Toutefois, comme souligné précédemment, cette liberté n’est pas absolue, car la rente doit être suffisamment élevée pour conférer au contrat un caractère aléatoire, conformément aux exigences légales (Panvert, 2018, p. 39). La jurisprudence frappant en effet de nullité tout contrat viager présentant un prix lésionnaire, cette difficulté aurait pu amener à la création d’un cadre juridique clair et précis, « préconisant des règles de calcul garantissant le respect de l’aléa » (Panvert, 2018, p. 53). Mais face à ce vide juridique, une multitude de méthodes de calcul s’est développée, chaque expert du viager proposant ainsi sa propre approche (Griffond, 2008, p. 28 ; Panvert, 2018, p. 53). Dans ce contexte où « chacun tente de créer la formule la plus adéquate et la plus proche des intérêts des parties » (Panvert, 2018, p. 55), il est nécessaire d’étudier les conséquences d’un tel vide juridique.
Si les professionnels du viager utilisent une grande diversité de méthodes de calcul, elles reposent toutefois sur des notions fondamentales communes. Concrètement, dans le cas d’un viager libre, le calcul consiste à « déterminer la valeur de marché du bien immobilier, à laquelle est soustrait le montant du bouquet désiré afin d’obtenir le capital de la rente, qui est alors transformé en rente viagère à l’aide d’un coefficient (taux de rente) en fonction de l’espérance de vie » (Ouhibi, 2021). En revanche, concernant le viager occupé, le calcul apparaît plus complexe, et « une décote locative est souvent appliquée par rapport à un bien immobilier standard lors de l’estimation de la valeur vénale (Le Guidec & Portais, 2015), cette décote s’élevant généralement de 5 % à 20 % par rapport à un bien libre selon les régions » (Coulomb, 2020, p. 30). Il faut ensuite retrancher à la valeur vénale du bien la valeur du droit d’usage et d’habitation ou la valeur de l’usufruit, à savoir le montant que représente l’occupation du bien en rapport à l’espérance de vie. Dans l’hypothèse d’un viager occupé avec réserve de droit d’usage et d’habitation, la nouvelle valeur est nommée « valeur économique » du bien (Coulomb, 2020, p. 30) alors répartie en bouquet et en rente à la manière d’un viager libre. Il faut par ailleurs noter que la détermination de la rente viagère prend toujours en considération les éléments suivants : « la valeur vénale du bien, l’existence ou non d’un bouquet et son montant, l’âge et le sexe du crédirentier, la rentabilité présumée du bien, l’existence d’une réserve d’usage et d’habitation [ou d’usufruit affectant la valeur économique] (elle implique un manque à gagner pour l’acquéreur qui doit être calculé) ; la réversibilité ou non de la rente » (Griffond, 2008, p. 28). En outre, les professionnels s’aident de tables de mortalité, dont le choix apparaît comme un élément crucial à considérer (Le Fur & Tarnaud, 2016). En effet, face au vide juridique en matière de détermination de la rente viagère, de nombreux barèmes ont émergé à mesure que le nombre de professionnels du viager s’est accru. Si ces différentes méthodologies reposent sur les bases communes énoncées précédemment, celles-ci peuvent parfois aboutir à des résultats très disparates. Il apparaît donc nécessaire d’analyser cet éventail de méthodes de calcul.
La méthodologie la plus couramment utilisée pour déterminer les arrérages dans le cadre d’une vente en viager s’appuie sur le barème Daubry, du nom du viagériste Jacques Daubry qui l’a créé en 1995. Elle est régulièrement admise par la jurisprudence (Panvert, 2018, p. 64), comme, en 2016 par la cour d’appel de Lyon :
Ce barème reflète les statistiques calculées sur l’espérance de vie d’une population donnée à une date donnée, à partir d’un panel où sont représentées toutes les professions, autant celles qui garantissent a priori une espérance de vie supérieure à celle d’un paysagiste que celles qui sont de nature à diminuer l’espérance de vie1.
Cette approche prend en compte le caractère aléatoire de l’espérance de vie individuelle, quel que soit le passé professionnel de la personne concernée. Concrètement, elle fournit un tableau détaillant tous les « éléments nécessaires au calcul de la rente viagère pour chaque tranche d’âge et pour chaque sexe » (Pauvert, 2018, p. 64). Ce tableau comprend des données telles que « l’espérance de vie, le taux de rente, le coefficient de capitalisation et le taux de la nue-propriété, tant en présence d’une réserve d’usufruit ou de droit d’usage et d’habitation, à appliquer selon l’âge et le sexe du crédirentier intéressé (Pauvert, 2018, p. 64-65 ; Abitbol, 2016, p. 18). Le barème Daubry se distingue ainsi par sa simplicité et la possibilité d’envisager la situation courante où une rente est versée à un couple de crédirentiers, hypothèse exclue d’autres barèmes. Toutefois, si cette méthode se présente comme le fruit de l’étude de milliers d’actes de vente en viager, celle-ci demeure assez floue quant aux modes de calcul sous-jacents permettant d’aboutir à chacune des valeurs fournies (Pauvert, 2018, p. 65).
Face à cette impossibilité de connaître les éléments précis sur lesquels reposent les données fournies par le barème Daubry, de nombreux experts du viager décident de se référer au barème fiscal (Pauvert, 2018, p. 65). Pour déterminer la valeur économique, ce barème2 suppose l’application des dispositions de l’article 669 du Code général des impôts (CGI) pour déterminer le montant de la nue-propriété. La conversion en rente viagère se fait par l’intermédiaire d’un coefficient diviseur, déterminé à partir d’un barème utilisé par l’administration fiscale dans le cadre, initialement, de l’imposition sur la fortune. Les défenseurs de cette méthode avancent un avantage fiscal dans la mesure où, en cas de contrôle, l’administration fiscale aura davantage de difficulté à sanctionner des barèmes qu’elle a elle-même établis (Panvert, 2018, p. 65). Elle pourrait ainsi s’avérer moins risquée pour le crédirentier. Mais le barème fiscal présente également des limites dans le cadre d’une vente en viager car il s’écarte de certaines « considérations économiques » propres à la rente (Panvert, 2018, p. 65).
Ainsi, d’autres méthodes ont émergé de la pratique des divers professionnels du viager3. Et ce sont ces professionnels eux-mêmes, de plus en plus nombreux sur le marché, qui ont élaboré leurs propres méthodes de fixation de la rente viagère, espérant combler les lacunes des barèmes précités en mettant à profit leur expérience et leurs données tirées d’un large éventail de situations et ainsi, déterminer les taux applicables (Panvert, 2018, p. 66 ; Le Court, 2022). Il apparaît toutefois extrêmement complexe d’obtenir les détails des méthodologies utilisées pour élaborer tous ces barèmes, ce qui soulève des questionnements sur leur fiabilité et leur précision. Il est de surcroît à noter que certains viagéristes s’appuient sur les tables établies par les assureurs (Panvert, 2018, p. 66). « Si les tables TGH et TGF 05 utilisées par [ces derniers] présentent l’avantage de se baser sur l’espérance de vie d’individus bénéficiaires de rente, celles-ci sont toutefois quelque peu dépassées, les données étant identifiées sur l’intervalle 1900-2005 » (Panvert, 2018, p. 75). Les notaires, chargés d’établir l’acte authentique concluant la vente, disposent également de leur propre logiciel de calcul de la rente viagère, basé sur les transactions effectuées (Panvert, 2018, p. 66).
Enfin, parallèlement aux professionnels de l’immobilier, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a également élaboré un barème4 pour le calcul des rentes viagères à partir des données statistiques relatives à l’espérance de vie des individus (Panvert, 2018, p. 66-67 ; Ouhibi, 2021). Au regard du caractère national de ces recensements, ce barème est à même de fournir des chiffres représentatifs de la réalité grâce à une espérance de vie évaluée à grande échelle, et donc correctement appréciée. Cependant, cette méthode présente certaines limites. En effet, elle se cantonne aux coefficients, sans aborder la question de la réservation d’un droit de jouissance par le crédirentier. Cette absence de prise en compte de la valorisation de la nue-propriété, nécessaire pour déterminer la valeur économique conduisant au calcul de la rente viagère, rend cette méthode incomplète (Panvert, 2018, p. 67 ; Le Guidec & Portais, 2015).
Il appert cependant que les différentes tables de longévité utilisées par les notaires et les agents immobiliers « n’ont pas été actualisées depuis longtemps. Elles ne rendent donc plus compte de l’espérance de vie de nos contemporains, qu’elles sous-évaluent » (Griffond, 2008, p. 20). Le barème Daubry est un bon exemple de ce manque d’actualisation : ce barème n’a subi aucune modification entre 2012 et 2017. Ce problème se pose également pour le barème fiscal, l’article 669, I du CGI n’ayant été révisé qu’en 2003 (il a été codifié en 1982) (Pauvert, 2018, p. 69-70). Il en va de même pour la table fiscale des coefficients de conversion en rente viagère. Ces barèmes ont donc pour traits communs leur opacité et la prédiction d’une espérance de vie déjà en décalage avec l’espérance vérifiée, plus longue grâce aux progrès attendus de la prévention et des soins (Pauvert, 2018, p. 70 ; Coulomb, 2020). En négligeant cette réalité démographique, la précision des calculs de la rente viagère est inévitablement altérée, puisque celle-ci constitue un facteur crucial dans sa détermination (Pauvert, 2018, p. 70 ; Abitbol, 2016, p. 18). Il pourrait donc être judicieux de mettre à jour les barèmes plus fréquemment afin de refléter adéquatement ce phénomène.
Ces différents modes de calcul ne prennent de surcroît pas en compte la situation spécifique du crédirentier (Pauvert, 2018, p. 70). À titre d’exemple, le barème fiscal ignore complètement les particularités liées au sexe du crédirentier dans l’évaluation du droit d’usage et d’habitation ou d’usufruit, alors même que l’espérance de vie des femmes demeure significativement supérieure à celle des hommes (Raynaud et al., 2022, p. 9). Une observation similaire peut être faite en ce qui concerne l’espérance de vie selon les régions. Bien que la prise en compte de ces distinctions puisse sembler matériellement complexe, leur omission, notamment lorsque les particularités se cumulent, conduit à des différences significatives dans les résultats obtenus selon les méthodes utilisées.
Ainsi, l’absence d’un cadre juridique clair et stable en matière de détermination de la rente viagère constitue une véritable source d’insécurité juridique pour les parties contractantes. Une réforme de ce régime légal et la mise en place d’une méthode de calcul unique, reconnue par le législateur, permettraient d’augmenter la fiabilité et la stabilité des ventes en viager, notamment en cas de contentieux.
Une jurisprudence à géométrie variable
Conformément aux dispositions de l’article 1975 du Code civil précédemment évoquées, trois conditions sont requises pour que le contrat de vente en viager soit considéré comme nul « lorsque le crédirentier est mourant » (Panvert, 2018, p. 31). Ce dernier doit tout d’abord être atteint d’une maladie dont il souffrait déjà lors de la conclusion du contrat. Cette maladie doit de surcroît être la cause de son décès, qui doit avoir lieu dans un délai de vingt jours après la conclusion du contrat. À travers la précision de ces règles, le Code civil semble ainsi offrir une certaine sécurité juridique aux parties quant à la condition du crédirentier, la jurisprudence toutefois les « interprète… de manière très extensive » (Panvert, 2018, p. 35). Les décisions rendues sur le sujet apparaissent en effet très variables, introduisant de fait une forme d’instabilité sur ce type de transaction.
C’est ainsi que la Cour de cassation a, à maintes reprises, déclaré la nullité de contrats à la suite du décès d’un crédirentier malade, survenu plus de vingt jours après la signature du contrat. Il s’agit là d’une interprétation bien éloignée de la lecture littérale de l’article 1975 du Code civil, appelant pourtant à « une appréciation purement objective de l’atteinte à l’aléa, basée sur des critères précis et bien définis » (Panvert, 2018, p. 35 ; Griffond, 2008, p. 32). La Cour va même plus loin : pour annuler le contrat pour défaut d’aléa, il n’est pas nécessaire que le bénéficiaire de la rente souffre de la maladie à l’origine de son décès au moment de la conclusion du contrat5. Contrairement à l’interprétation stricte de l’article, la haute juridiction opte pour une lecture subjective, se fondant sur la connaissance par le débirentier de l’état de santé précaire du bénéficiaire de la rente. Deux critères sont ainsi requis : « d’une part, la fragilité de la santé du crédirentier, rendant son décès imminent et, d’autre part, la connaissance de cette fragilité par le débirentier » (Pauvert, 2018, p. 36). L’un des principaux arguments avancés par les partisans de cette analyse réside dans l’obsolescence supposée du cadre législatif existant. En effet, les règles relatives au viager ont été consacrées dans le Code civil en 1804, entraînant ainsi des décalages avec la réalité contemporaine. À titre d’exemple, lorsque l’article 1975 a été édicté, une maladie menait rapidement au décès, faute de traitements efficaces. Aujourd’hui, « une personne atteinte d’une maladie grave peut survivre plusieurs mois, justifiant ainsi l’évolution de la jurisprudence en accord avec le progrès médical » (Pauvert, 2018, p. 36).
Cependant, malgré la prédominance de cette orientation jurisprudentielle, plusieurs arrêts marquent des revirements dans cette interprétation. Dans certaines de ses décisions, la Cour demeure prudemment ancrée dans l’ancienne lecture et applique strictement la règle de l’article 1975 du Code civil. Cette instabilité résultant de décisions contradictoires souligne donc la grande insécurité juridique lorsque surviennent des contentieux en matière de viager (Panvert, 2018, p. 37). Alors que ce schéma de vente souffre déjà d’une image négative, les failles de ce système juridique obsolète et trouble ne font qu’exacerber une telle désaffection des Français pour le viager, notamment en rendant le maintien du contrat dans le temps encore plus aléatoire. Dans ce contexte d’incertitudes, il peut s’avérer complexe pour les professionnels du viager responsables de l’acte de vente et du calcul de la rente viagère de garantir la sécurité de l’opération.
Une fiscalité peu attractive
Une légère incitation pour les crédirentiers
Un autre frein fondamental du viager réside dans sa fiscalité, perçue par beaucoup comme relativement peu intéressante. Corinne Griffond estime ainsi que ce produit « ne bénéficie d’aucune disposition fiscale incitative » (Griffond, 2008, p. 20). Ce constat est partagé par de nombreux auteurs à l’instar de Férial Drosso (1993) ou encore Jean-Baptiste Coulomb (2020), qui souligne que « la fiscalité du viager est… très peu incitative, notamment pour les investisseurs » (Coulomb, 2020, p. 83). Il s’agit alors de cerner les différents enjeux et spécificités du régime fiscal applicable à ce type de transaction immobilière.
S’agissant de la fiscalité à laquelle est soumise le crédirentier, il est à noter que la vente en viager constituant une cession d’immeuble à titre onéreux à l’instar d’une vente classique, celle-ci se voit appliquer la fiscalité ordinaire des plus-values immobilières des particuliers, « dont le calcul déjà délicat face à une opération de cession “classique” est complexifié par la nature particulière de la vente en viager » (Le Guidec & Natan, 2023). La vente portant sur la résidence principale du crédirentier sera donc exonérée d’impôt sur les plus-values conformément aux dispositions de l’article 150 U II 1° du CGI. Si la vente en viager concerne un autre bien que la résidence principale, alors la fiscalité des plus-values immobilières s’applique avec, en fonction de la durée de détention, des abattements sur l’impôt sur le revenu (exonération après 22 ans) et sur les prélèvements sociaux en fonction de la durée de détention (exonération après 30 ans ; cf. annexe 1). Enfin, si le crédirentier ou son conjoint bénéfice d’une pension de retraite ou d’une carte d’invalidité de deuxième ou de troisième catégorie, celui-ci sera également exonéré d’impôt sur les plus-values des particuliers. Il est cependant nécessaire de s’assurer que les conditions relatives aux ressources du vendeur soient remplies. En effet, cette exemption ne sera accordée que si le revenu fiscal de référence pour l’avant-dernière année avant celle de la cession est inférieur à 11 885 euros pour la première part du quotient familial, avec un ajout de 3 174 euros pour chaque demi-part additionnelle (CGI, article 1417)6. De plus, pour prétendre à cette exonération, le vendeur ne doit pas être assujetti à l’impôt sur la fortune immobilière.
La seule difficulté pour « le viager réside [toutefois] dans la définition du prix de cession » (Gicquiaud, 2019). « Lorsqu’un bien est cédé contre une rente viagère, le prix de cession retenu pour ce bien est la valeur en capital de la rente, à l’exclusion des intérêts » (CGI, article 150 VA, I). En d’autres termes, il convient d’ajouter à la part du prix payé comptant, le « bouquet », la fraction du prix de cession transformée en rente viagère. Le vendeur peut ôter de cette somme les charges engagées lors de la transaction, incluant les frais des diagnostics obligatoires ou les honoraires d’agence (Le Guidec & Natan, 2019, p. 130). Il est important de souligner que si le montant total du prix de vente est converti en rente, cela pourrait « exposer le crédirentier à une imposition sur les plus-values, tout en le privant des liquidités nécessaires pour s’acquitter de cet impôt » (Ouhibi, 2021). Il est donc judicieux de prévoir un bouquet suffisamment conséquent (Le Guidec & Natan, 2019, p. 130).
S’agissant de l’imposition de la rente viagère perçue par le crédirentier à la suite de la vente de son bien immobilier en viager, il convient de noter que ces arrérages sont considérés fiscalement comme des revenus imposables au titre de l’impôt sur le revenu (Le Court, 2022). Ces rentes viagères à titre onéreux (RVTO) « ne sont considérées comme un revenu, pour l’application de l’impôt sur le revenu dû par le crédirentier, que pour une fraction de leur montant » (CGI, article 158-6), et le vendeur bénéfice donc d’un abattement en fonction de son âge au jour du premier versement de la rente (cf. tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1. Taux d’imposition et abattement fiscal d’une rente viagère à titre onéreux en fonction de l’âge du bénéficiaire
Votre âge au 1er versement de la rente |
Part imposable |
Abattement fiscal |
Moins de 50 ans |
70 % |
30 % |
De 50 à 59 ans |
50 % |
50 % |
De 60 à 69 ans |
40 % |
60 % |
Plus de 69 ans |
30 % |
70 % |
Source : Service-public.fr
Dans le cadre d’une rente constituée sur plusieurs têtes où le montant des arrérages revenant aux bénéficiaires est individualisé, il faut prendre en compte l’âge atteint par chacun d’entre eux au moment où la rente est fixée afin de déterminer la fraction imposable (Le Court, 2022 ; BOI-RSA-PENS-30-20 §607, 2017). S’agissant des rentes viagères constituées au profit d’un ménage avec réversibilité sur la tête du survivant, il est d’usage de retenir, aussi bien pendant la vie des deux époux qu’après le décès de l’un d’eux, l’âge de l’aîné au moment de l’entrée en jouissance de la rente réversible (BOI-RSA-PENS-30-20 §70, 2017). Cela revient à « utiliser l’option la plus avantageuse pour les crédirentiers » (Ouhibi, 2021). Il apparaît de surcroît opportun d’ajouter que dans le cas d’une rente qui doit être perçue successivement par plusieurs personnes autres que le mari et la femme, c’est l’âge atteint par le nouveau bénéficiaire au moment où il perçoit sa première rente qu’il faut considérer (BOI-RSA-PENS-30-20 §70, 2017). Il est également fait application de cette solution aux rentes réversibles entre époux lorsqu’elle est plus favorable (Gicquiaud, 2019, p. 136). À noter par ailleurs que toutes les rentes viagères ainsi que les réversions de rentes viagères sont taxées au titre des droits de succession. Mais une exonération des droits de mutation à titre gratuit est prévue par l’article 793 du CGI en faveur des réversions de rentes perçues par les proches (entre époux ou entre parents en ligne directe – enfants/parents, petits-enfants/grands-parents par exemple). Dans tous les autres cas, le régime de droit commun s’applique, et l’impôt est calculé sur la valeur en capital de la rente. En outre, les rentes versées dans le cadre d’une vente en viager sont également soumises aux prélèvements sociaux au taux de 17,2 %, sur la part imposable de la rente (cf. tableau 1 ci-dessus).
La cession d’un bien immobilier a, par ailleurs, une « incidence sur le calcul de l’assiette permettant d’établir l’impôt sur la fortune immobilière dont est redevable le crédirentier » (Gicquiaud, 2019, p. 139). Ce schéma n’exonère donc pas le vendeur de cet impôt, et il convient de procéder à la capitalisation de la rente qui lui est versée chaque année (Gicquiaud, 2019, p. 139). Rappelons à cet égard que l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) concerne toutes les personnes physiques, résidant ou non en France, possédant un patrimoine immobilier dont la valeur totale atteint au moins 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année d’imposition. En l’espèce, les notions de viager occupé ou libre apparaissent particulièrement importantes. En effet, dans le cas d’un viager libre, la rente viagère est exclue de l’assiette de l’IFI pour sa valeur en capital tandis que pour un viager occupé, le crédirentier doit déclarer la valeur de son usufruit, déterminée suivant le barème fixé par l’article 669, I, du CGI (cf. tableau 2 ci-dessous ; Le Guidec & Natan, 2023).
Tableau 2.. Barème fiscal de l’usufruit (et de la nue-propriété) (article 669, I du CGI)
Âge de l’usufruitier |
Valeur de l’usufruit |
Valeur de la nue-propriété |
Moins de : |
||
21 ans révolus |
90 % |
10 % |
31 ans révolus |
80 % |
20 % |
41 ans révolus |
70 % |
30 % |
51 ans révolus |
60 % |
40 % |
61 ans révolus |
50 % |
50 % |
71 ans révolus |
40 % |
60 % |
81 ans révolus |
30 % |
70 % |
91 ans révolus |
20 % |
80 % |
Plus de 91 ans révolus |
10 % |
90 % |
Par ailleurs, « au titre de l’IFI, la loi traite le droit d’usage ou d’habitation comme l’usufruit » (BOI-PAT-IFI-20-20-30-10 §2408, 2018). Aussi, les mêmes règles s’appliquent, mais le droit d’usage et d’habitation ayant une valeur moindre, celui-ci devra être pondéré à 60 % de la valeur de l’usufruit (CGI, article 762 bis ; Gicquiaud, 2019, p. 140 ; Le Court, 2022).
Enfin, il est à noter que le crédirentier n’est plus redevable de la taxe foncière, que le viager soit libre ou occupé, sauf dans l’hypothèse de conservation de l’usufruit. Celui-ci devra toutefois toujours s’acquitter de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, ainsi que de la taxe d’habitation s’il s’agit d’un viager occupé.
En résumé, « le crédirentier bénéficie d’un régime fiscal de faveur, puisque la rente annuelle perçue n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu dans son intégralité (Gicquiaud, 2019, p. 135). La vente de son bien en viager peut également constituer un moyen intéressant d’alléger son assiette imposable à l’IFI, tout en conservant la jouissance de son appartement ou de sa maison. Cela lui permettra de surcroît d’échapper au paiement d’un certain nombre d’impôts locaux. Il faut cependant s’interroger sur la double imposition que subit le crédirentier. En effet, concernant l’imposition de la plus-value immobilière, les rentes destinées à être perçues ultérieurement sont prises en compte dans la détermination du prix de cession, puisque l’on ajoute au bouquet la valeur en capital de la rente. Cette somme augmente donc le montant de la plus-value brute taxable, alors même que ces rentes sont à nouveau imposées à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux lorsqu’elles sont versées au crédirentier (Gicquiaud, 2019, p. 138).
Il est donc permis ici de s’interroger sur la validité de ce dispositif fiscal au regard de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) dont découle le principe à valeur constitutionnelle d’égalité des contribuables devant l’impôt.
(Gicquiaud, 2019, p. 138)
Un même revenu ne peut en principe être déclaré dans deux catégories distinctes de l’impôt sur le revenu, situation qui semble pourtant se matérialiser pour les rentes viagères perçues par un crédirentier. Ce cadre fiscal qui apparaît donc manifestement désavantageux est encore exacerbé lorsque le crédirentier est également assujetti à l’IFI (Gicquiaud, 2019, p. 139).
Un manque criant d’attractivité pour les débirentiers
Si le régime fiscal applicable au vendeur dans le cadre d’une vente en viager apparaît relativement peu attractif, nombre d’auteurs mettent en avant l’absence totale de dispositifs incitatifs pour les débirentiers (Coulomb, 2020, p. 83 ; Griffond, 2008, p. 20 ; Drosso, 1993, p. 239). L’acquéreur d’un bien immobilier en viager devra dans un premier temps s’acquitter de ce que l’on appelle communément les frais de notaire, c’est-à-dire la rémunération du notaire, les débours et les droits de mutation. Il faut cependant distinguer l’achat en viager libre ou en viager occupé. Dans le cadre d’un viager libre, les droits de mutation sont évalués « sur le prix de vente constitué par le bouquet auquel il faut ajouter la valeur de capitalisation de la rente. Autrement dit, l’assiette de l’impôt correspondra à la valeur indiquée dans l’acte de vente » (Gicquiaud, 2019, p. 143). En revanche, dans le cas d’un viager occupé, les frais de notaire seront calculés sur l’addition du bouquet et de la valeur de capitalisation annuelle de la rente (Gicquiaud, 2019, p. 143). Concrètement, le prix exprimé sur l’acte de vente prendra en compte la réduction de prix liée à la durée prévisionnelle d’occupation du bien par le vendeur. Il est ainsi à noter que dans le cadre d’un achat en viager occupé, l’acheteur peut bénéficier d’une réduction des frais de notaire non négligeable (Ouhibi, 2021).
Il faut par ailleurs souligner que « la conclusion d’une vente immobilière en viager n’offre aucun avantage fiscal au débirentier au regard de l’impôt sur le revenu puisqu’il ne peut déduire de ses revenus imposables les arrérages versés (Gicquiaud, 2019, p. 145 ; Artaz, 2016). L’acquéreur peut en outre décider de revendre le bien immobilier acquis sous la forme d’un viager avant le décès du crédirentier. Dans cette hypothèse, il est admis que :
[Le prix d’acquisition à considérer pour le calcul de la plus-value brute soumise à l’impôt sur les plus-values immobilières des particuliers] correspond en principe à la valeur du capital représentatif de la rente établi au moment de l’acquisition du bien majorée, le cas échéant, de la fraction du prix d’acquisition payée comptant. Toutefois, afin de tenir compte… du caractère aléatoire du contrat de vente immobilière en viager, le contribuable peut substituer au capital représentatif de la rente établi au moment de l’acquisition, le total formé par les arrérages effectivement versés au crédirentier, auquel il faudra ajouter le capital représentatif de la rente restant à verser à la date de la cession.
(Gicquiaud, 2019, p. 145-146)
L’acquéreur peut par ailleurs décider de revendre le bien acquis en viager après le décès du crédirentier. Il est à noter que dans le cas d’une réserve d’usufruit, la date d’acquisition retenue correspond à la date d’entrée de la nue-propriété dans le patrimoine du cédant (Gicquiaud, 2019, p. 147 ; BOI-RFPU-PVI-20-20-20180824 n° 40). La principale difficulté réside alors dans le calcul du prix d’acquisition du bien par le débirentier (Griffond, 2008). « Il est alors admis la possibilité pour le cédant de retenir la valeur vénale en pleine propriété du bien à la date d’entrée de la nue-propriété dans le patrimoine du cédant, c’est-à-dire la date de l’acquisition en viager » (Gicquiaud, 2019, p. 147 ; BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10-20120912 n°220). En l’absence de réserve d’usufruit, deux situations peuvent se présenter pour calculer la plus-value brute imposable, et en particulier le prix d’acquisition : « soit le débirentier a versé une somme inférieure à la valeur de capitalisation estimée au moment de la cession ; soit le débirentier a versé une somme supérieure à la valeur estimée » (Gicquiaud, 2019, p. 147). Dans la première hypothèse, le débirentier a tout intérêt à retenir la valeur estimative indiquée dans l’acte comme prix d’acquisition pour le calcul de l’impôt sur les plus-values immobilières à verser lors de la revente du bien. Dans le second cas de figure où le débirentier a payé une somme excédant l’évaluation initiale, « il souhaitera retenir comme prix d’acquisition le montant véritablement versé » (Gicquiaud, 2019, p. 147-148).
Enfin, le débirentier, assujetti à l’IFI, est autorisé à « déduire la valeur de capitalisation de la rente viagère de son assiette imposable » (Gicquiaud, 2019, p. 149). Néanmoins, le bien immobilier acquis en viager faisant partie intégrante de son patrimoine taxable, l’acheteur est tenu de déclarer la valeur en pleine propriété de ce bien si le viager est libre tandis que la valeur retenue dans le cadre d’un viager occupé est celle de la nue-propriété. Le débirentier doit alors se référer au barème précédemment évoqué (CGI, article 669, I), permettant de déterminer la valeur de l’usufruit ou de la nue-propriété d’un bien en fonction de l’âge de l’usufruitier, ici assimilé au crédirentier (Gicquiaud, 2019, p. 149).
En résumé, « il n’existe pas en France de fiscalité encourageant au viager immobilier pour les acheteurs » (Coulomb, 2020, p. 32). Ce déficit patent d’incitation fiscale à procéder à une transaction en viager peut ainsi constituer un véritable obstacle à un recours plus massif à ce schéma de vente et partant, en freiner considérablement le développement.