Avoir plus de temps… Le rêve de tout professionnel en gestion de copropriété ! Ce temps si précieux, derrière lequel il court comme nous avons pu le voir, pour répondre aux multiples missions assignées ainsi qu’à l’exigence de réactivité engendrée en partie par la digitalisation de notre société, qui évalue la qualité de service à l’aune de l’immédiateté ! Que pourra faire le gestionnaire de copropriété face à cet espace nouvellement créé par l’utilisation de l’IA ? Quelle stratégie les cabinets vont-ils privilégier ? Nous allons tenter d’identifier les opportunités à saisir par les professionnels du secteur.
Densifier son activité
Le gain de productivité dessiné par l’arrivée de l’IA est intrinsèquement lié à celui du temps gagné par les process d’automatisation. Et le temps constitue un facteur clé de rentabilité. En effet, un gestionnaire, parce qu’il est soutenu par un « assistant artificiel », pourrait factuellement répondre à plus de missions. Or justement la recherche de rentabilité constitue également un fort enjeu pour la profession de syndic. Celle-ci n’est pas considérée comme particulièrement rentable même si elle présente l’atout d’être stable face aux aléas des crises immobilières que subissent les activités de transaction et de promotion. Quelles sont les possibilités pour les cabinets d’augmenter leur rentabilité ? Augmenter leurs honoraires, avec toute la rigidité du « contrat ALUR », proposer des missions annexes ou de l’activité connexe comme la gestion locative, voire de la transaction ?
Il est admis qu’en deçà de 50 immeubles une activité de syndic n’est pas rentable et passé une certaine taille, les cabinets sont tentés de céder leur portefeuille et l’on assiste depuis quelques années à une véritable concentration entre les mains des 3 majors Nexity, Foncia et Citya.
(Revy, 2022) s
Le rachat de cabinets de syndic
L’une des solutions est d’augmenter le nombre d’immeubles en gestion, que ce soit en baissant le niveau de ses honoraires, même si le prix fait partie des critères les moins pertinents pour les copropriétaires1, ou via le rachat d’autres cabinets, c’est-à-dire par une croissance externe. Depuis plusieurs années se déroule un fort phénomène de concentration dans le milieu du syndic professionnel, avec une multiplication des opérations d’acquisition ou de fusion qui ont permis l’apparition d’acteurs majeurs. « Le marché des syndics de copropriété est très éclaté entre majors de l’immobilier, TPE-PME et jeunes pousses. Estimé à 1,4 milliard d’euros, il connaît actuellement un mouvement de concentration qui ne faiblit pas » (Armand, 2022). Concernant la taille du marché français, d’après les dernières données publiées par le PUCA, « les copropriétés représentent près de 10 millions de logements (Insee, 2017)2 et 30 % des résidences principales (Anah, 2019) ». Par ailleurs, « les syndics professionnels assurent la gestion de neuf copropriétés sur dix (Insee, 2017) » (Barnhusen et al., 2023, p. 12). « En dehors des principaux opérateurs (Foncia, Nexity, Cytia, Procivis), qui gèrent près de 3 millions de lots, ce sont environ 10 000 syndics indépendants qui se partagent les 5 autres millions de lots gérés » (Mon immeuble, 2016). Cela rejoint les chiffres proposés par Robin Rivaton en 2020 pour lequel « les trois grands acteurs ne concentrent que 30 % du marché. Foncia est le leader avec 12 % du marché, Nexity est à égalité avec CityA avec 7 % » (Rivaton & Pavanello, 2020, p. 158). Ce mouvement de rachat par les groupes ne faiblit pas, il est même considéré « comme une lame de fond » (Barnhusen et al., 2023, p. 41) par les professionnels. L’ambition de Philippe Salle, président du groupe Emeria (Foncia) était même en 2022 :
« Nous visons 100 000 immeubles, 30 % de part de marché d’ici 2025-2026. Nous continuerons à racheter des cabinets de syndic ou d’administration de biens au gré des opportunités. Nous n’avons pas de profil type. Nous achetons des cabinets qui font 300 000 euros de chiffres d’affaires [CA] et le plus gros cabinet qu’on a acheté cette année fait 35 millions de CA. »
(Artinian, 2022)
Les Groupes sont réputés pour leur stratégie de rachat de cabinets indépendants. En réalité, tous ne suivent pas la voie de la croissance externe, faute de moyens, et ceux qui l’empruntent développent des stratégies et modèles d’intégration en partie différents. … La bataille des rachats se gagne de deux manières : par rachats progressifs et systématiques, dans l’objectif de monopoles localisés ; par opportunité.
(Barnhusen et al., 2023, p. 46-47)
Toutefois, pour les groupes qui rachètent, c’est également un « pari sur l’avenir ». En effet, il existe des risques de faible rentabilité au démarrage parce qu’il est nécessaire d’investir aussi du temps et de l’argent.
Son succès tient à la méthode employée : « en rachetant un confrère et en le passant dans leur moulinette, ils savent qu’ils vont gagner en productivité sur plein de domaines et c’est cette transformation qui leur fait espérer des gains » (Groupe).
(Barnhusen et al., 2023, p. 47)
Cette tendance à la concentration pointée du doigt par les politiques3 comme par les autres acteurs du marché a été aussi accentuée par plusieurs évolutions récentes. « Tout d’abord, d’ordre législatif. Les différentes lois relatives au marché immobilier (Loi Alur, Loi Elan…) ont eu des effets collatéraux sur les plus petits syndics qui se sont vus dépassés par le nombre exponentiel de nouvelles règles » (J. L. D., 2020).
Ensuite, les petits cabinets de syndic de copropriété qui ne se sont pas tournés vers la transition digitale ont vu leurs activités fortement diminuer pendant la crise sanitaire.
L’arrivée du coronavirus a mis en exergue le retard digital de nombreux syndics, que ce soit en matière d’assemblées générales à distance, d’extranet ou de gestion de la copropriété à distance. Or, de nombreux petits syndics familiaux et locaux n’ont pas réussi à prendre le virage de la digitalisation et doivent désormais rejoindre de plus gros groupes.
(J. L. D., 2020))
Dans cet environnement concurrentiel et difficile, où la « profitabilité de l’activité de syndic est trop faible et sans l’apport de la gestion locative dans la plupart des cabinets l’équilibre économique serait fragile » (Buzy-Cazaux, 2021), la possibilité d’augmenter son portefeuille grâce à une productivité boostée par l’IA représente une belle tentation. Dans ce contexte, la promesse de l’automatisation apparaît comme une solution face à l’« alourdissement » des portefeuilles des gestionnaires, conséquence inévitable des stratégies des groupes qui grossissent et donc chargent leurs employés ou celle des cabinets pour résister et gagner en rentabilité.
Prendre son indépendance
Cependant, la digitalisation et l’apport de l’IA dans la productivité des activités du syndic pourraient aussi appuyer le mouvement des « jeunes » syndics à se lancer « en solo ». « Les gros rachètent beaucoup, surtout depuis 5 ans, mais les petits continuent d’éclore, notamment à la suite d’un rachat. D’ailleurs 14 % des Gestionnaires envisagent la création de leur cabinet à terme » (ANGC, 2022, p. 4). L’IA permettrait de restituer de la marge en automatisant tout ce qui peut être systématisé, tous les process, en les rendant plus faciles et plus souples. Avec l’automatisation des algorithmes, un entrepreneur aurait la capacité à gérer seul un portefeuille d’immeubles suffisant pour devenir rentable. Ainsi si, d’un côté, on assiste à des rachats de cabinets, nombreuses sont aussi la création de petites structures, « principale variable d’ajustement de cette situation d’équilibre [i. e. entre 50 et 60 % des copropriétés en France sont gérées par des acteurs indépendants]. Elle contribue au maintien de l’atomisation du groupe professionnel, contre la tendance à la concentration portée par les Groupes » (Barnhusen et al., 2023, p. 41).
En résumé, l’IA, grâce à sa potentialité d’automatisation, pourrait soutenir les cabinets dans leur stratégie de croissance externe, car elle accorderait aux gestionnaires la possibilité de gérer encore davantage d’immeubles. En permettant une densification du portefeuille, ces nouveaux algorithmes participeraient alors au mouvement de concentration du secteur, justement engendré, pour partie, par les exigences d’évolution digitale ces dernières années. L’IA offrirait aussi des opportunités de création de « mini-syndics » : des gestionnaires, parce que soutenus par des logiciels encore plus performants avec l’IA, pourraient se lancer plus facilement dans une activité de syndic « en solo ». Si la stratégie de densification d’activité paraît la plus évidente, d’autres seraient également envisageables avec le gain de temps dégagé par ces automatisations.
Se recentrer sur les missions à valeur ajoutée
La relation client
Que faire de ce temps, nouvellement acquis, nouvellement conquis ? Nous l’avons vu, il est possible de choisir la voie d’une densification d’activité en augmentant son portefeuille d’immeubles à gérer, par exemple. Une autre possibilité serait que le temps dégagé, au vu de la surcharge de travail qui pèse sur le métier, soit mis à contribution pour exercer son activité dans des conditions optimum. En particulier, la relation humaine est indiscutablement un des piliers de l’activité de syndic.
Ce qu’aiment le plus les Gestionnaires dans leur métier ? 35 % le relationnel, 34 % les travaux, 17 % le juridique. Les Gestionnaires aiment avant tout le terrain, et le contact humain. C’est ce qui fait du métier de syndic toute sa complexité, son attrait et son intérêt : la gestion de l’humain. C’est ce qui le rend difficile aussi.
(ANGC, 2022, p. 5)
Ce goût du terrain rejoint également les demandes des copropriétaires. Nous avions rappelé que leurs attentes vis-à-vis de leur syndic se portaient en priorité sur la réactivité et la transparence. Mais l’autre grande qualité attendue d’un syndic est un « bon relationnel ».
Si, dans tous les cas, les connaissances techniques, le prix et les capacités de négociation commerciale figurent en bas du classement, il en va différemment pour celles en tête. Sur ce point, la réactivité, le relationnel et la rigueur ont des résultats très proches avec respectivement 28 %, 27 % et 26 %.
(clcv & Notre Temps, 2021, p. 20)
Ce qui est également difficile pour le syndic, c’est la multiplicité des profils de personnes avec lequel il est amené à relationner.
Le syndic a la particularité d’avoir pour client : un groupe, le syndicat des copropriétaires, ce qui induit des difficultés inhérentes à la gestion d’un groupe, par nature divisé : intérêts particuliers, niveaux d’engagement dans la copropriété... Cette particularité conduit souvent le syndic à se retrouver en position de « bouc émissaire » du groupe. En outre, chaque copropriétaire réclame une attention particulière pour les problèmes qui le concernent, et manifeste parfois une certaine impatience, alors que le syndic se doit de donner la priorité aux problématiques collectives de la copropriété. « Vous êtes copropriétaire, vous n’êtes pas mon client. Mais par contre le syndicat n’existe que parce que vous êtes copropriétaire. Et ça c’est assez difficile à faire comprendre » (Groupe).
(Barnhusen et al., 2023, p. 124)
Ce qui amène le syndic à s’interroger sur le sens qu’il donne à la relation client. « En tant que point de contact principal pour répondre aux préoccupations, besoins et demandes liées à la copropriété, il doit pouvoir entretenir une relation de confiance avec les occupants » (Seiitra, 2023). Tout l’enjeu est d’arriver à obtenir la « satisfaction client » sans répondre obligatoirement aux préoccupations personnelles du copropriétaire.
Vertone, expert en relation client, a identifié cinq attentes clés chez les copropriétaires pour obtenir leur satisfaction (2023, p. 6) :
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l’accessibilité : le fait de pouvoir contacter simplement et rapidement le syndic, avoir de la visibilité sur ce qu’il se passe dans la copropriété ;
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la cohérence : avoir des interactions homogènes et « sans couture », indépendamment du canal et de l’interlocuteur ;
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la réclamation : voir son problème résolu rapidement et efficacement ;
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le renseignement : avoir une réponse et des conseils rapidement et efficacement ;
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la considération : être reconnu et considéré comme client et bénéficier d’une approche personnalisée.
Ces différentes attentes peuvent être comblées en grande partie avec l’aide de la digitalisation et de l’IA. Sur certaines questions, le processus peut être automatisé, répondant à l’exigence de réactivité. Pour d’autres, comme la réclamation, elles peuvent être solutionnées avec des logiciels de suivi. En revanche, pour la demande de considération, il est nécessaire que le gestionnaire ait le temps de construire la relation de proximité qu’on lui demande. C’est probablement sur cet aspect que l’IA et les nouveaux algorithmes pourraient apporter une réelle valeur ajoutée : en offrant le temps pour une meilleure relation humaine, comme l’explique Csongor Csukás, , lors d’une intervention à l’IP2I : « La technologie et l’intelligence artificielle vont sans doute nous aider à automatiser des tâches répétitives à faible valeur ajoutée pour gagner du temps et nous permettre de favoriser et entretenir davantage les relations humaines ! »
Étonnant paradoxe puisque la digitalisation peut également entraîner une absence de contact humain au quotidien. Toujours selon l’enquête CLCV-Notre Temps de 2021 (p. 40), 66 % des copropriétaires se déclareraient réfractaires à un syndic totalement digitalisé, ce qui prouve que la proximité et la force du lien, de la relation humaine, restent capitales.
L’IA pourrait ainsi favoriser l’humain : cette vision est partagée par un grand nombre de professionnels dans la gestion de copropriété et répétée dans des entretiens publiés ou lors de webinaires. Bertrand Perroud, alors président-directeur général de Drieux-Combaluzier, déclare ainsi en février 2024 :
« On oppose toujours la digitalisation aux rapports humains. Et c’est une erreur. La digitalisation joue un rôle dans le rapprochement et la facilitation des rapports humains, de vrais outils et piliers qui vont permettre notamment de mieux communiquer, de manière plus agile et fluidifier les rapports humains. »
(Dahan, 2024)
C’est également la conviction du syndic « phygital » Homeland, qui souhaite « renforcer la relation humaine » (Mundubeltz-Gendron, 2019) grâce à l’automatisation des tâches.
Ainsi, une relation client optimale pour le syndic de copropriété pourrait être une relation client digitalisée afin de laisser plus de place à l’humain. Grâce à des outils adaptés, personnalisables, automatisables, les tâches les plus répétitives, administratives pourraient être allégées, ce qui offriraient aux gestionnaires le temps d’être davantage à l’écoute des copropriétaires, de leurs besoins et d’instaurer une relation humaine plus étoffée.
Le conseil et l’accompagnement sur les enjeux d’actualité
Parmi ces tâches à forte valeur ajoutée sur lesquelles le gestionnaire pourrait se recentrer, nous pouvons citer le conseil et l’accompagnement : les copropriétaires sont très en demande, en particulier sur des sujets impulsés par les pouvoirs publics.
La règlementation pousse ainsi à avoir des collaborateurs tout terrain mais également de vrais experts sur, notamment, la rénovation énergétique, la densification urbaine (en particulier sur la surélévation), ou sur les copropriétés en difficulté voire dégradées, enjeux actuels de la politique des copropriétés.
Face à ces défis climatiques, les syndics professionnels ont donc un rôle crucial à jouer pour favoriser la transition écologique et énergétique des bâtiments qu’ils gèrent. Ils doivent non seulement répondre aux exigences réglementaires, mais aussi être force de proposition et d’accompagnement pour les copropriétaires dans cette démarche de transformation durable.
(Biguet, 2023)
D’ailleurs, sur la rénovation énergétique, au-delà des incitations législatives, comme le souligne un gestionnaire interrogé dans le cadre de l’étude de L’Institut Paris Region (2023) :
Au-delà des honoraires travaux, il y a un enjeu commercial fort aujourd’hui car de plus en plus de copropriétaires sont demandeurs. « Si les syndics ne se spécialisent pas un peu sur ce sujet ils vont perdre une partie de leur portefeuille. Aujourd’hui j’ai la sensation que les clients recherchent de la compétence et de l’accompagnement sur ce sujet » (Institution).
(Barnhusen et al., 2023, p. 139)
Proposer un accompagnement et un soutien plus importants sur de telles thématiques pose toutefois de réels problèmes pour l’organisation des cabinets.
En phase de conception, et encore plus en phase travaux, les projets de rénovation énergétique mobilisent de manière très intense le gestionnaire, ce qui lui pose des difficultés vis-à-vis de la continuité du suivi des autres immeubles de son portefeuille (surtout quand les projets se multiplient).
(Barnhusen et al., 2023, p. 138)
Certaines structures ont fait le choix de modifier leur organisation en mettant en place des pôles d’expertises, comme chez Homeland : « Nous sommes convaincus que le métier de syndic est un métier difficile. Là où on se différencie, c’est qu’on arrive vraiment à s’organiser par pôle de compétence », explique Renaud Lerooy, cofondateur de Homeland (Mundubeltz-Gendron, 2019). D’autres pistes sont envisagées par des cabinets pour répartir au mieux la charge de travail liée à ces missions d’accompagnement et de conseil : transférer la gestion de quelques immeubles auprès d’un collègue le temps du projet, trouver du soutien auprès d’un collaborateur spécifiquement pour la gestion de projet… stratégies qui risquent de porter atteinte à la relation de confiance entre le gestionnaire et la copropriété, avec les problèmes inhérents à cela, comme nous l’avons abordé en première partie (changer de gestionnaire peut entraîner le remplacement du syndic).
Là aussi l’IA pourrait apporter un réel avantage tactique aux syndics. Des outils plus performants « boostées à l’IA » sur les tâches plus basiques du métier, tels que nous l’avons précédemment décrits, offriraient la possibilité aux différents collaborateurs d’être plus disponibles pour proposer un accompagnement. L’IA constituerait également un dispositif très intéressant dans la formation et le coaching. Or le gestionnaire de copropriété n’est pas obligatoirement formé à faire du pilotage de projet, d’autant plus lorsqu’ils sont complexes, comme ceux en rénovation énergétique.
Ainsi, avec le gain de temps généré par l’IA, les cabinets de syndic – sans choisir pour autant une unique stratégie – auraient probablement intérêt à impulser dans une direction ou une autre selon leurs besoins mais aussi les attentes de leurs clients : densifier l’activité en prenant plus de portefeuilles parce qu’on a racheté ou pour éviter d’être racheté, offrir une présence plus importante, davantage sur le terrain, répondant ainsi aux attentes relationnelles des copropriétaires, ou proposer un accompagnement plus expert sur des enjeux primordiaux tels que la rénovation énergétique à laquelle quasi toutes les copropriétés font face… Toutes ces possibilités semblent permises grâce aux IA et à leur potentiel qui commence à peine à être exploré. Elles offrent d’ores et déjà l’opportunité au syndic de s’interroger sur l’évolution de son métier. Du gestionnaire « en bon père de famille » au prestataire de services, quel métier le syndic pourrait-il exercer demain grâce à l’IA ?
Réinvestir… le mandataire
« La loi française de la copropriété est l’une des plus complexes au monde, parce qu’elle cherche avant tout à être protectrice de leur [des copropriétaires] patrimoine » (Perrissel, 2024). Par ses compétences juridiques, techniques et financières, le syndic occupe une place centrale dans la gestion et la valorisation de ce patrimoine constitué par les immeubles collectifs. De plus, comme nous l’avons abordé, le syndic est un acteur essentiel pour répondre aux enjeux sociétaux actuels tels que la lutte contre le réchauffement climatiques : il peut guider et accompagner les copropriétaires dans la mise en œuvre de travaux de performance énergétique, contribuant ainsi à la transition écologique du parc immobilier. Et pourtant, l’image du syndic n’est pas bonne, voire mauvaise. « Il n’aura échappé à personne que le syndic bashing est à la mode » (Revy, 2022).
Cette perception déformée a pour origine, entre autres, la méconnaissance pour « nombre de copropriétaires [des] véritables responsabilités du syndic. De même, ils n’identifient qu’avec difficultés ses différentes missions » (Dahan, 2023c). En effet, le syndic est souvent perçu comme un simple prestataire de services, chargé de gérer les aspects techniques et administratifs de la copropriété. Dans cette optique, le syndic est avant tout un gestionnaire, un commercial, qui cherche à maximiser ses honoraires et à prolonger son contrat. Cette vision « réduit leur rôle à la résolution de problèmes techniques ou administratifs quotidiens plutôt que comme un véritable représentant des copropriétaires » (Dahan, 2023c). Cette perception est accentuée avec le glissement de la « relation client » vers la « satisfaction du client » qu’opèrent les groupes et les nouveaux syndics, dans une démarche plus commerciale. « La qualité de service s’objective à travers la labellisation et son corollaire, la notation … ou les « avis clients » (Barnhusen et al., 2023, p. 48-49). Par ailleurs :
La position du syndic vis-à-vis des copropriétaires est ambiguë, voire comporterait une part de « conflit d’intérêts », selon certaines associations de consommateurs. D’un côté il est leur mandataire, ou représentant légal et se doit de défendre leurs intérêts, de l’autre il est leur prestataire puisqu’il leur facture des honoraires et prestations complémentaires.
(Barnhusen et al., 2023, p. 123)
Prestataire d’un côté, mandataire de l’autre : le métier de syndic de copropriété est caractérisé par cette dualité de rôles. « Le mandataire a une mission à accomplir mais l’exerce dans une liberté conséquente tandis que le prestataire devra remplir un certain nombre de tâches définies en amont par le commanditaire » expliquent Anne-Claire Davy et Franziska Barnhusen pour News Tank Cities (Immomatin, 2023). Cette dualité a des implications importantes sur la manière dont le métier est perçu et exercé. Le mandataire a tendance à disparaître au profit de celui de prestataire. Les raisons en sont multiples : changement d’échelle avec une notion de rentabilité exacerbée, évolution des profils des copropriétaires, entre autres (Barnhusen et al., 2023, p. 31).
La notion de mandat, issue du droit civil, est centrale dans la définition du rôle du syndic. En effet, la loi du 10 juillet 1965 qualifie expressément le contrat du syndic de « contrat de mandat ».
Le contrat de mandat – appelé aussi procuration – est très différent du contrat de prestation de service. Il consiste à donner à une personne « le pouvoir de faire quelque chose » pour soi « et en son nom »4. Le contrat de mandat ne confie donc pas des tâches spécifiques au mandataire, il lui donne plus largement un pouvoir de représentation et lui confère une certaine indépendance dans l’accomplissement de sa mission ».
(Barnhusen et al., 2023, p. 31)
Cette position de mandataire confère au syndic une responsabilité particulière envers les copropriétaires. Il n’est pas seulement un gestionnaire technique, mais un véritable homme de confiance, investi d’une mission de protection du patrimoine des copropriétaires.
Le contrat de mandat s’appuie sur une relation particulière entre le mandant et le mandataire, une relation fondée sur la confiance. Il est consenti intuitu personae, c’est-à-dire « en fonction d’une personne » et en principe non transposable à une autre personne. La qualité de la relation entre les personnes qui le signent et les qualités de la personne à qui est confié le mandat sont des éléments essentiels du contrat. Le contrat de mandat ne s’inscrit pas dans le registre d’une relation commerciale. Il est régi uniquement par le code civil et non pas par le code du commerce, à la différence du contrat de prestation.
(Barnhusen et al., 2023, p. 31)
Cette relation de confiance se construit sur plusieurs éléments clés :
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la compétence et le professionnalisme du syndic, qui doit maîtriser les aspects juridiques, comptables et techniques de la gestion immobilière ;
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la transparence et la communication ouverte du syndic envers les copropriétaires, qui doit les tenir régulièrement informés de la situation de la copropriété ;
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l’intégrité et l’impartialité du syndic, qui doit prendre des décisions éclairées et équitables, dans l’intérêt de l’ensemble des copropriétaires.
La relation intuitu personae est considérée par les cabinets indépendants comme une attente forte des copropriétaires. « Pour les cabinets indépendants, la personnalisation est constitutive du métier et cela ne tient pas seulement à la nature du contrat de mandat. Le logement est affaire d’intimité. La gestion de copropriété doit l’assumer » (Barnhusen et al., 2023, p. 43). Relation de confiance et sens du service sont érigés en « valeurs cardinales » par ces professionnels mais ils sont bien mis à mal avec l’accroissement de la charge de travail vécue par les syndics : les exigences de réactivité et de transparence sont exacerbées par la digitalisation actuelle des syndics et l’attitude des copropriétaires-clients accentue la demande d’expertise dans les réponses apportées. Par ailleurs, la législation oblige les syndics à prendre une part active dans les grands enjeux sociétaux actuels tout en les restreignant dans leur liberté de gestion et de facturation.
L’IA pourrait représenter une grande opportunité pour les différents syndics de réinvestir ce rôle du mandataire. En effet, l’utilisation d’outils avec l’IA permettrait au syndic d’être plus « productif » sur les tâches administratives et techniques, libérant ainsi des ressources pour se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée, comme nous l’avons vu précédemment. Avec l’automatisation offerte par les nouveaux algorithmes, le syndic aurait l’opportunité de consacrer davantage de temps à la communication et à la relation de proximité, celle qui vient de l’interaction personnelle et du terrain, cette relation de confiance avec les copropriétaires. Grâce à ce gain de temps, de rentabilité et d’évolutivité, le syndic pourrait assumer son rôle de mandataire, qui d’un côté représente les intérêts des copropriétaires et gère leurs biens immobiliers, et de l’autre sait également expliquer et accompagner ses copropriétés dans ses projets de plus ou moins grande ampleur.
Ainsi, là où la digitalisation pouvait remettre en cause le rôle du mandataire, l’IA pourrait lui offrir la possibilité de l’investir ou de le réinvestir.
En résumé, dans cette troisième partie, nous avons tenté de montrer comment l’IA et les outils numériques qui l’utilisent pourraient transformer le métier de syndic. L’IA émerge comme un outil essentiel permettant une automatisation efficace des tâches chronophages et répétitives dans le domaine de la gestion de copropriété. Outre l’automatisation, elle offre également des avantages en matière de communication, ce qui fait évoluer la relation que les syndics entretiennent avec leurs clientèles. Les exemples concrets présentés chez Homeland, ainsi que ceux issus des témoignages des gestionnaires interrogés et de la formation de l’Unis, soulignent ces différentes possibilités. Cependant, malgré ces résultats prometteurs, il est également nécessaire de modérer les attentes quant au gain de temps généré. Une étude scientifique du BCG et de la Harvard Business School, la première du genre, souligne la nécessité d’adapter l’implémentation et la maîtrise de ces technologies, ainsi que de prendre en compte les différents usages pour garantir une réelle productivité. Néanmoins, l’amélioration de la productivité grâce à l’IA est devenue une évidence dans de nombreux secteurs.
Dans cette perspective, nous avons proposé plusieurs possibilités en termes de stratégies envisageables pour les cabinets de syndic. L’une pourrait être de densifier leur activité, ce qui consiste à utiliser le gain de temps et de productivité offert par l’IA pour élargir le portefeuille de biens gérés, lui offrant ainsi une plus grande rentabilité. Ou, à contrario, cela permettrait à des gestionnaires de s’affranchir pour créer leur propre structure. Une deuxième serait de se recentrer sur des missions de plus grande valeur ajoutée où le syndic peut répondre davantage aux attentes de ses clients, avec une relation personnalisée, plus proche, davantage ancrée sur le terrain et une meilleure qualité de l’accompagnement sur des projets de grande ampleur. Finalement, l’IA pourrait permettre aux syndics de réinvestir leur rôle de mandataire, basé sur l’intuitu personae, et dans lequel il incarne les valeurs de confiance, d’intégrité et de transparence.