Regagner du temps en automatisant

Céline Surcin

Citer cet article

Référence électronique

Surcin, C. (2025). Regagner du temps en automatisant. Évolution du métier de syndic avec la digitalisation et l’arrivée de l’intelligence artificielle. Mis en ligne le 21 juillet 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 01 août 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1814

Dans la troisième partie de notre étude, en mettant en lumière des exemples concrets d’utilisation de l’IA, nous proposons d’examiner comment cette innovation pourrait générer un gain de temps et de productivité pour les cabinets de syndic et quelles stratégies pourraient émerger pour tirer pleinement parti de ce potentiel de productivité accru.

Un des avantages les plus fréquemment mis en avant de l’utilisation des IA dans les différents secteurs de l’économie, dont celui de l’immobilier, est celui de la productivité et du gain de temps, générés principalement par des process d’automatisation grâce à ces nouveaux algorithmes. Les gestionnaires de copropriété pourraient-ils également être concernés, et comment ?

Sans être exhaustif, il nous est apparu pertinent de découvrir les possibilités d’amélioration de productivité grâce à l’usage de l’IA dans différents types de cabinet de syndic. Pour ce faire, nous avons mené un entretien1 avec Anna Naccache, COO de Homeland, qui se décrit comme un syndic de copropriété « augmenté » (Debray & Souty, 2023). Nous nous sommes également appuyés sur une enquête quantitative réalisée auprès d’une cinquantaine de gestionnaires aux profils divers ainsi que sur une formation des usages de l’IA en immobilier proposée par l’Union des syndicats de l’immobilier (Unis), à laquelle nous avons participé.

L’IA intégrée chez un syndic : l’exemple d’Homeland

Homeland est un syndic de copropriété créé en 2016 qui se positionne comme une alternative aux syndics traditionnels. Selon son cofondateur Frédéric Remeur, Homeland a été créé dans le but de former « un syndic différent, celui que je rêvais d’avoir en tant que propriétaire » (Cirre, 2022). Après plusieurs levées de fonds auprès d’investisseurs, ce cabinet de syndic continue à se développer en rachetant des cabinets indépendants en Île-de-France, et dernièrement, à Bruxelles. Il est identifié dans l’étude, très riche, de L’Institut Paris Région Les mutations contemporaines des syndics de copropriété. Point de vue sociologique sur le groupe professionnel comme faisant partie des « nouveaux acteurs » (Barnhusen et al., 2023, p. 49), ceux qui ne viennent pas de l’administration de biens, comme les cabinets traditionnels, mais de la Proptech. Il s’agit toutefois d’un syndic professionnel, « physique »  : « Nous faisons le travail d’un syndic traditionnel mais avec beaucoup d’outils pour optimiser et automatiser les tâches administratives», déclare Renaud Lerooy, l’autre cofondateur (Mundubeltz-Gendron, 2019).

À l’occasion d’une publication sur leur page LinkedIn en février 2024, annonçant « Homeland est ravie de vous présenter Homy notre dernière innovation en matière d’intelligence artificielle » (Homeland, 2024), il nous est paru opportun de comprendre comment l’IA était prise en compte et intégrée dans la gestion de copropriété. L’IA est ainsi utilisée dans son activité de numérisation pour la gestion numérique des données :

Lors de l’intégration d’une nouvelle copropriété dans son portefeuille, Homeland scanne l’intégralité de l’historique de chaque immeuble – soit “23 kg de papier en moyenne”, selon Renaud Lerooy, et les classe par catégorie. Pour cela, la start-up s’appuie sur un outil OCR (reconnaissance optique de caractères, ndlr) développé en interne. Un moyen aussi pour les gestionnaires d’avoir un accès rapide à toutes les informations.
(Mundubeltz-Gendron, 2019)

L’OCR automatise et optimise la gestion administrative des copropriétés en traitant les emails et en numérisant les archives papier. De plus, « factures, relevés bancaires, déclaration de sinistres, travaux… La solution remonte l’ensemble des documents dans un extranet » (Mundubeltz-Gendron, 2019).

L’intelligence artificielle est également utilisée dans la modélisation des copropriétés en 3D gérées par Homeland (voir la vidéo 1 ci-dessous).

Vidéo 1. Page « Visite virtuelle » - démo de l’extranet d’Homeland

Permalien: https://www.youtube.com/watch?v=UjwI-BvMSkE

Ces « visites virtuelles » sont accessibles directement sur l’extranet de chaque copropriété, qui offre une vision de la configuration des équipements.

L’IA est par ailleurs intégrée dans les principaux outils de gestion d’Homeland, et notamment dans leur Enterprise Resource Planning2 (ERP) développé en interne pour le back office, qui regroupe toutes les informations des copropriétés.

La grande avancée dans l’intégration de l’IA chez Homeland se situe dans l’automatisation de la gestion des demandes entrantes via Homy.

Homy révolutionne la manière dont nous gérons les communications avec nos prestataires en automatisant le traitement des emails liés aux factures, devis et rapports d’interventions.
• Grâce à ce nouvel outil, nous garantissons une gestion plus efficace des réponses grâce à des algorithmes avancés de traitement du langage naturel.
• Les délais de réponse sont considérablement réduits, permettant une communication plus fluide et des transactions plus rapides.
• Notre solution assure également un tri intelligent des données, en identifiant et en classant automatiquement les informations pertinentes, ce qui nous permet de prendre des décisions plus éclairées et de gagner un temps précieux.
(Homeland, 2014)

Cette intégration de l’IA permet à Homeland d’automatiser ce qui était jusqu’à maintenant considéré comme le « fléau » du gestionnaire de copropriété : la gestion des mails entrants. Ces nouveaux algorithmes avancés de traitement du langage naturel révolutionnent petit à petit la gestion de la communication dans le métier de gestionnaire de copropriété. Mais l’IA est intégrée aussi dans de nombreux process, en particulier l’automatisation de la gestion des factures.

Si chez Homeland, comme l’affirme son cofondateur Frédéric Remeur « l’IA devient une réalité terrain »3, qu’en est-il des autres syndics ? Cette intégration dans l’exercice du métier de syndic est-elle inéluctable ?

Je pense que tout le monde va s’y mettre avec ses moyens. Cela va faire comme l’extranet : ceux qui ne pourront pas s’y mettre vont être achetés. Cela va être un facteur clé du succès pour grandir, aussi parce que c’est un facteur de marge. Il s’agira bientôt d’un standard.4

Prise en main de l’IA par les gestionnaires

Comme nous l’avons vu chez Homeland, l’IA apparaît comme un nouvel outil qui permet une grande automatisation des tâches chronophages et répétitives. Dans son webinaire « ChatGPT et l’IA au service des gestionnaires », Martin Pavanello, cofondateur de Mister IA, fait la démonstration d’usages concrets de l’IA pour le métier de syndic. Voici quelques exemples marquants :

  • rédaction de comptes-rendus : dicter en vocal à ChatGPT toutes les informations, remarques et observations puis lui demander de rédiger un compte-rendu de visite synthétique. Après avoir visualisé et vérifié que le contenu était correct, il est possible, sur instruction vocale, de préparer un mail en intégrant ce compte-rendu et en l’adaptant à son destinataire. Exemples : « Pour M. X qui a peu de temps, mets “les formes” et fais quelque chose de plus concis, voire en tableau pour que cela soit plus visible… » ; « Pour Mme Y, mets plus de détails et de chaleur dans le mail... ». En quelques secondes, l’IA rédige et propose les mails correspondants ;

  • analyse de photographies dans le cadre de visites techniques : intégrer dans l’IA les photos prises lors de la visite, expliquer le contexte et demander un compte-rendu avec l’analyse des photos par l’IA. lL résultat obtenu très rapidement est un texte décrivant précisément les problèmes captés par l’IA à partir de la photo (fils électriques, tâches d’humidités, etc.). Ensuite, on applique le même process décrit ci-dessus pour les comptes-rendus. Temps estimé pour réaliser ces tâches : 3 à 5 mn au lieu de 30 mn à 1 h ! ;

  • comparaison de devis : l’IA Claude accepte en version gratuite les documents, comme des PDF5. Il suffit de télécharger dans l’IA plusieurs devis pour une même prestation et de lui demander de faire une synthèse comparative en expliquant les points forts et faibles pour chaque devis. L’IA est capable de lire les documents, les abréviations, puis de faire les rapprochements entre les devis, même si la prestation n’est pas identifiée de manière identique. Le rendu obtenu en six secondes se compose d’un texte avec un tableau tout à fait clair reprenant tous les items comparés entre les devis et d’une synthèse des caractéristiques différenciantes, avec une analyse du coût de la main d’œuvre et de la qualité des produits ;

  • recherche de prestataires spécifiques ou nouveaux : Perplexity propose, avec les bonnes instructions, d’identifier les prestataires (ceux visibles sur internet) selon les critères choisis ;

  • rédaction de l’ordre du jour d’une réunion ou d’une AG : la suggestion est d’identifier au préalable tous les mails des copropriétaires sur les sujets devant être abordés à l’AG. Après les avoir tous copiés-collés (avec en tête, etc.) dans ChatGPT, demander une synthèse des points, par texte ou dans un tableau, avec une granularité par exemple sur l’urgence de 1 à 5. La restitution est réalisée en quelques secondes sous forme d’un tableau synthétique avec la thématique, le sujet, la personne identifiée pour le traiter, le degré d’urgence ;

  • synthèse de réunions en présentiel ou en visioconférence : outre les logiciels d’IAg et généralistes, il existe des IA spécialisées, par exemple dans le traitement de l’image, dans la facturation, etc. Plusieurs d’entre elles sont comme des assistants de réunion : ce sont des solutions complètes intégrant l’IA pour enregistrer, transcrire l’intégralité de la réunion, en temps réel, identifier les thématiques abordées mais également générer des résumés avec les informations clés. Il est même possible d’obtenir une analyse du niveau émotionnel des participants réalisée selon le ton de la voix, le vocabulaire employé6. Pour la tenue d’AG, ce type d’outil peut être tout à fait associé à un outil de gestion d’AG (visioconférence ou en présentiel). Cette combinaison permet au gestionnaire de se focaliser principalement sur la tenue des échanges et non sur la comptabilisation de voix, d’une part, ni sur la prise de notes, d’autre part. Une fois l’AG terminée, selon la complexité et la richesse des interactions, la finalisation du PV d’AG avec les informations recueillies par l’IA assistant de réunion pourra être réalisée immédiatement pour une signature dans la foulée après l’AG par le président et le(s) scrutateur(s) ou dans les huit jours suivant la tenue de l’AG7.

L’intégration de l’IA dans les progiciels

Avec ce dernier exemple, l’intérêt de combiner puissance de l’IA dans la génération et l’automatisation avec les spécificités d’un logiciel déjà existant (tel que les suites de Microsoft ou de Google) ou de « progiciels » immobiliers prend tout son sens. Ainsi Copilot, l’IA de Microsoft, commence à être intégrée dans la messagerie Outlook : pour rédiger un mail, il est possible de demander à Copilot de le faire lui-même dans le corps de réponse ; reste à corriger si besoin. Il peut également synthétiser les chaînes de mails . Fini de lire l’intégralité des échanges qui filent sur des dizaines de questions/réponses. Une instruction, et Copilot synthétise les points essentiels en un seul mail. Les progiciels commencent également à l’intégrer à leurs services.

L’IA permet d’identifier automatiquement l’objet de l’email, de hiérarchiser les emails selon leur priorité et d’automatiser certaines réponses ». Mais aussi de « combler la rupture qui existe aujourd’hui entre les mails et le progiciel qui émet les ordres de services ».
(Barnhusen et al., 2023, p. 133)

C’est le choix qu’avait fait Bellman en 2023. Bellman, jeune pousse fondée en 2019, ancien syndic de copropriété (néosyndic digital) qui a changé de modèle d’affaires afin de devenir éditeur de logiciels8, a développé une solution « maison » de gestion de mails avec ChatGPT directement dans sa solution logicielle, le tout connecté à son progiciel.

La solution … permet de faire remonter automatiquement les informations et éléments de contexte sur la copropriété et le copropriétaire expéditeur du mail, facilitant ainsi le travail de recherche et de partage de documents et informations. … Cette intégration, sans surcoût pour les clients, permet de supprimer la fastidieuse tâche du copier-coller entre les différents programmes. Concrètement Bellman a intégré un bouton d’automatisation ChatGPT dans son logiciel et sa solution connectée de gestion de mails.
Il suffit de cliquer sur ce bouton pour que le programme génère automatiquement une réponse en fonction du contexte. En effet, grâce à cette implémentation, ChatGPT a instantanément accès à toutes les données et peut proposer les réponses les plus complètes et les plus pertinentes possibles.
(Inch, 2023)

« À condition de lui fournir des éléments de contextes très précis, ChatGPT est en mesure d’apporter des réponses adaptées très rapidement » (Inch, 2023) aux demandes envoyées aux gestionnaires qui concernent des sujets aussi divers que le suivi de dossiers en cours, les appels de fonds, la compréhension du solde ou l’imputation d’un virement… « Autres possibilités envisagées par Bellman [avant son rachat] : la création de chatbots pour répondre aux questions courantes des copropriétaires, l’identification de clauses d’un contrat ou la rédaction de résolutions » (Inch, 2023), ce que Homeland se refuse à mettre en place pour conserver une relation personnalisée.

En résumé, une IAg telle que ChatGPT peut aider les syndics de copropriété en leur facilitant les tâches quotidiennes, comme le traitement des mails, les prises de notes, les visites d’immeubles. Cela permet de réduire encore plus le temps passé sur des tâches administratives.

L’IA dans les logiciels de comptabilité

Mais il n’y a pas seulement l’IAg qui offre la possibilité d’être « plus efficace ». En matière d’automatisation, l’IA peut également analyser les métadonnées et réduire ainsi drastiquement la saisie humaine. Cette capacité s’applique tout particulièrement à toutes ces tâches nécessaires pour la bonne tenue d’une copropriété mais qui ne sont pas valorisables auprès des copropriétaires, comme celles relevant de la comptabilité. C’est pourquoi l’IA est de plus en plus utilisée par les logiciels de comptabilité, eux-mêmes intégrés dans les solutions métiers d’administration de biens telles que Even9, Powimo10 et MyCitya. Ces outils identifient les factures, avec la date, le montant, le fournisseur et inscrit toute ces informations dans les bonnes cases. Ainsi, pour Luigi Del Moral, directeur général de Cotoit, « l’outil de comptabilité avec reconnaissance des factures mis en place a permis de diviser par deux le temps de traitement pour un volume de 1 500 factures mensuelles » (Dahan, 2023a). Et pour Thomas Sayag, associé de la régie immobilière Pedrini (syndic de copropriété), qui a mis en place le système d’automatisation du traitement des factures dans son entreprise avec le logiciel Powimo de Seiitra : « Le gain de productivité est énorme : alors que dans le passé, huit collaborateurs traitaient les factures d’énergie pendant 15 jours par trimestre, aujourd’hui une seule personne traite ces factures en une journée » (Seiitra, 2023).

Cette automatisation de traitement va être encore plus facilitée avec la généralisation de la facture électronique11. Ce format, qui impose 24 champs obligatoires, accentuera la diminution du temps de traitement, constituant une « disruption » pour le travail comptable : « Elle permettra de traiter 200 factures en 10 min au lieu de 2 ou 3 h actuellement !  » (Yoann Zaouche dans Dahan, 2024).

Nous pouvons également citer d’autres exemples d’automatisation promettant, là aussi, de gagner du temps, et ce, grâce à l’IA, comme l’explique Emmanuel Elineau, président du groupe APL :

Gains réalisés
• Production de dossiers comptables (liasses fiscales) automatisés
• Rapprochements et vérification des pièces fournies par le client et génération de lettre au client avec les éléments à corriger ou les incohérences trouvées.
Production de dossiers en 10 secondes au lieu de 30 minutes
(BPI France, 2024, p. 30)

Ces différentes constatations dans les usages sont confirmées par les résultats de notre enquête (annexe 1, « IA utilisées par les professionnels en gestion de copropriété interrogés ») : sur une cinquantaine de professionnels en gestion de copropriété, une petite moitié utilise déjà de manière courante l’IAg dans leur activité professionnelle. ChatGPT est l’outil le plus largement adopté (à près de 50 %) mais l’IA intégrée dans les logiciels métiers est citée pour un tiers des répondants. Au contraire, l’IA de Microsoft et Perplexity AI sont peu nommées.

Des constats et pratiques observés via notre enquête

Pour aller au-delà des opinions sur les apports de l’IA, sans avoir réellement « pratiqué » ce nouvel outil, nous avons interrogé les professionnels qui utilisaient déjà concrètement ces algorithmes (annexe 1, « IA utilisées par les professionnels en gestion de copropriété interrogés »). L’aide à la rédaction arrive largement en tête des usages : rédaction complète, reformulation, correction des notes d’information, des rapports, des emailings, des courriers, et même des pré-états datés ; le soutien de l’IA semble indéniable. La faculté d’automatisation est également plébiscitée : traitement des factures, relances des fournisseurs, ordres de services, demandes de devis, création de budgets/marchés de travaux.

La capacité de recherche de l’IA est également déjà bien identifiée, que ce soit dans des documents ou pour des solutions techniques. Enfin ses possibilités en matière de création sont également mises à contribution, pour trouver des idées, par exemple (cité une fois).

Concernant les impacts de l’IA observés par les utilisateurs en gestion de copropriété, le constat est quasi unanime : il s’agit d’un gain de temps et de productivité, pour respectivement 78,3 % et 73,9 % des répondants (voir figure 8 ci-dessous).

Figure 8. Impacts de l’IA observés par ses utilisateurs professionnels en gestion de copropriété

Figure 8. Impacts de l’IA observés par ses utilisateurs professionnels en gestion de copropriété

Réalisation : Céline Surcin.

Toutefois, la perte de la relation client est relevée également par près de 40 % des répondants. En revanche, les autres impacts négatifs comme la perte de temps ou la perte de sens sont très peu admis par les professionnels.

Avec ces exemples, – syndic « phygital » Homeland ou ceux donnés par les gestionnaires interrogés ou dans le cadre de la formation de l’Unis –, nous pourrions en conclure que les différentes IA offrent aux syndics les conditions d’une plus grande productivité et un gain de temps. Est-ce aussi évident que cela ? Sur le terrain, ce gain de temps paraît indéniable. Ce constat a-t-il été validé de manière factuelle ou scientifique ? Nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse.

Un gain de temps à confirmer

L’arrivée de l’IAg étant récente, peu d’études universitaires ou scientifiques sont disponibles sur le sujet. Cependant, les résultats du working paper Navigating the jagged technological frontier: field experimental evidence of the effects of AI on knowledge worker productivity and quality (Dell’Acqua et al.) publiés en septembre 2023 (Harvard Business School) nous paraissent intéressants à observer. « Il s’agit du premier article de recherche sur les effets de l’utilisation de l’IAg dans un contexte professionnel » (BCG, 2023). Avec pour objectif de mesurer l’impact de l’IAg (ChatGPT4) sur la performance, cette recherche ne porte pas sur les ressentis ou les avis d’utilisateurs mais s’appuie sur une véritable expérience de terrain. Elle a été conduite par le Boston Consulting Group (BCG) Henderson Institute – le think tank de BCG – avec des chercheurs de la Harvard Business School, la MIT Sloan School of Management, de la Wharton School (université de Pennsylvanie) ainsi que de la Warwick Business School, auprès de 758 consultants BCG du monde entier12. Voici quelques résultats de cette étude (BCG, 2023).

Pour certaines tâches, l’humain augmenté de l’IA s’avère meilleur que l’humain seul. Les résultats sont significatifs : les groupes aidés des IA étaient nettement plus productifs. Ils ont accompli en moyenne 12,2 % de missions en plus comparé au groupe témoin. Ils complètent par ailleurs les tâches 25 % fois plus vite (Dell’Acqua et al., 2023, p. 28.).

Dans le domaine « créatif », les gains de performance dus à l’utilisation de l’IAg sont particulièrement marquants : « ~ 90 % des participants ont constaté une augmentation moyenne de leur performance de 40 % comparée à celle des participants réalisant la même tâche sans ChatGPT4 ». Ainsi, cette étude montre concrètement que l’IAg permet une plus grande performance et un gain de temps dans la réalisation de certaines tâches.

Toutefois, ce gain de temps est à mettre en balance avec le temps nécessaire pour l’implémentation de l’IA et son acquisition. En effet, comme l’indique l’étude de BPI France :

L’identification des besoins métier précis pour la création de cas d’usage [de l’IA] n’est pas non plus une opération claire et simple. Et une fois les cas d’usage identifiés, la mise en œuvre peut requérir du temps : « Nous manquons de temps pour sélectionner et contrôler les données d’entrée, puis pour analyser les réponses et adapter la demande jusqu’au résultat exploitable », confie un dirigeant ayant répondu à notre enquête.
(BPI France, 2023, p. 19)

Pour répondre à l’enjeu de la productivité avec l’IA, nous pouvons également nous appuyer sur les constats des précédentes innovations. Même si l’email et internet ont révolutionné la communication en permettant des échanges rapides et efficaces de données, de documents et d’informations, ce qui a conduit à une amélioration de la productivité, leur accès constant a aussi augmenté la possibilité de distractions : les collaborateurs sont tentés de naviguer sur des sites non liés au travail ou de passer trop de temps à répondre à des emails non urgents, ce qui peut réduire la productivité. Les gestionnaires de copropriété en sont les premiers témoins ! Là où l’email promettait une plus grande efficacité, il est devenu un facteur de charge de travail supplémentaire, avec la multiplication des messages. Gérer efficacement ces flux de courriers électroniques est devenue une tâche chronophage et entraîne une réduction de la productivité si cela n’est pas fait de manière efficace.

Enfin, sans formation, l’utilisation de nouvelles technologies n’est pas efficace et n’apporte pas de gain de temps, au contraire. Ainsi l’économiste américain Robert Solow remarquait, en 1987 (Solow, 1987), le « paradoxe suivant lequel les ordinateurs étaient partout, sauf dans les statistiques de la productivité. Pour l’expliquer, les plus optimistes ont évoqué le temps nécessaire à l’apprentissage des nouvelles technologies » (Gaffard, 2024).

La recherche menée sur l’IAg précédemment nommée apporte quelques éléments supplémentaires à cette réflexion :

Le constat invite à la prudence : sur certaines tâches, l’IA générative peut constituer un fort levier de performance à l’échelle de l’entreprise. Toutefois, sur d’autres tâches, la technologie pourrait entraîner une baisse de la performance et donc une destruction de valeur pour l’entreprise.
(BCG, 2023)

En effet, au-delà d’une productivité acquise, cette étude a abouti à des résultats plus contrastés sur les apports de l’IA dans le contexte professionnel. Par exemple, l’utilisation de l’IA a surtout bénéficié aux consultants évalués comme les moins performants, avec une hausse des performances de 43 % tandis que les autres ont augmenté en moyenne leurs scores de 17 %. Autrement dit, le recours à l’IA semble niveler les compétences : les participants dont les compétences de base sont préalablement plus faibles finissent par presque égaler ceux dont les compétences de base étaient plus élevées.

De plus :

Le recours à la technologie pour des tâches de résolution de problèmes business plus complexes n’améliore pas la performance professionnelle, au contraire : lorsque les participants utilisent l’IA générative pour ce type de tâches…, leur performance moyenne chute de 23 % comparée à ce qu’elle est sans le recours à la technologie. Ce résultat s’explique notamment par la confiance des participants dans les résultats de l’IA générative, y compris lorsque celle-ci commet des erreurs. … BCG estime que la diversité des idées des participants qui utilisent GPT-4 dans la réalisation de tâches créatives est 41 % plus faible que celle du groupe n’y ayant pas eu recours.
(BCG, 2023)

Enfin, sans que ce résultat implique que toute formation est inefficace, mais de manière contre-intuitive, il a été établi que les participants formés à utiliser l’IA ont obtenu une performance en moyenne moins élevée que celle des participants n’y ayant pas été formés ; comme si les participants plaçaient une confiance excessive dans leurs propres capacités à utiliser l’outil, sans remettre en question les résultats, parce que précisément ils avaient été formés à son usage. Ce dernier résultat suggère qu’il est nécessaire de prendre le temps de contrôler et d’analyser les résultats de l’IA, au risque de faire trop confiance à ses outils qui peuvent amener à des erreurs d’interprétation et de gestion.

Pour résumer, le gain de temps promis par l’automatisation des nouveaux algorithmes reste à moduler par rapport au temps nécessaire à son implémentation et à sa maîtrise. De plus, selon leurs usages, la productivité peut être au rendez-vous ou non. À contrario, selon les retours terrain, l’amélioration d’une certaine productivité ne semble pas pouvoir être remise en question. Cette constatation semble être même devenue une évidence, pour certains experts, tels que ceux de l’entreprise Gartner, spécialisée en en innovation technologique : « L’IA générative … a permis d’accroître la productivité des développeurs et des travailleurs du savoir de manière très concrète, grâce à des systèmes tels que ChatGPT » (Perri, 2023).

Cet atout d’une productivité accrue paraît très prometteur, voire disrupteur pour un grand nombre de secteurs, dont celui de l’administration de biens. Aussi pouvons-nous nous interroger sur les stratégies que les entreprises de syndic pourraient envisager pour s’approprier les bénéfices de ce « nouvel outil digital ». Comment peuvent-elles tirer le meilleur parti de cette opportunité de gain de temps et de productivité accrue et comment cela peut-il répondre à leurs besoins ? Plusieurs se profilent, entre densification de l’activité et réinvestissement du temps libéré, et pourraient transformer les pratiques actuelles des syndics.

1 Non retranscrit pour des raisons de confidentialité.

2 « Progiciel de gestion intégré ».

3 Post LinkedIn de février 2024.

4 Extrait d’un entretien mené avec un membre de la direction des opérations d’un « néo-syndic » en avril 2024 (Île-de-France).

5 Au moment de la publication de ce mémoire de recherche, soit un an après sa rédaction, c’est une action que désormais toutes les IAg acceptent.

6 Nous avons pu voir cette proposition d’analyse émotionnelle par l’IA Notta lors d’une démonstration mais elle n’est pas clairement explicitée dans

7 Article 17dudécretn° 67-223du17mars 1967 pris pour l’application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des

8 Mis en redressement judiciaire en novembre 2023 pour être racheté en mars 2024 par Inch, start-up qui a développé une plateforme de relation client

9 Logiciel dédié à la gestion immobilière d’Egide intégré à la marque Orisha Real Estate depuis octobre 2023.

10 Offre logicielle de Seiitra dédiée aux administrateurs de biens.

11 Prévue initialement en 2024, la généralisation de la facturation électronique est reportée au 1er septembre 2026.

12 En synthèse : « Environ la moitié des participants (385 consultants) ont effectué une série de tâches », qui « metta[ient] l’accent sur des aspects

Barnhusen, F., Brisepierre, G., Davy, A.-C., Juillard, C., & Le Garrec, S. (2023). Les mutations contemporaines des syndics de copropriété. Point de vue sociologique sur le groupe professionnel. L’Institut Paris Region.

Boston Consulting Group – BCP. (2023, 21 septembre). IA générative : quel impact sur la performance au travail ?

BPI France. (2024). IA Révolution.

Calvi, T. (2023, 04 octobre). Étude : quels sont les impacts de l’IA générative sur la productivité et la qualité des travailleurs du savoir ? ActuIA.

Candelon, F., Krayer, L., Rajendran, S., & Zuluaga Martínez, D. (2023, 21 September). How People Can Create— and Destroy — Value with Generative AI. BCG.

Cirre, M. (2022, 3 mars). Homeland, syndic de copropriété innovant et éco-responsable. ENGIE.

Dahan, I. (2023a, 20 juin). Le syndic de demain : un juste équilibre entre digital et humain [webinaire]. Dans RDV Copro. Monimmeuble.com

Dahan, I. (2024, 29 février). Digitalisation de la copropriété : stratégies et outils pour une gestion à distance efficace. [webinaire]. Dans RDV Copro. Monimmeuble.com.

Debray, P.-H., & Souty, F. (2023, 13 mars). Syndics de copropriété : un marché en pleine mutation qui replace la relation client au cœur de la création de valeur. Vertone.

Dell’Acqua, F., McFowland III, E., Mollick, E., Lifshitz-Assaf, H., Kellogg, K. C., Rajendran, S., Krayer, L., Candelon, F. & Lakhani, K. R. (2023). Navigating the jagged technological frontier: field experimental evidence of the effects of AI on knowledge worker productivity and quality. Working Paper 24-013. Harvard Business School.

Gaffard, J.-L. (2024, 5 janvier). « S’arrêter au seul apport des technologies pour mesurer la productivité du travail est une erreur d’appréciation ». Le Monde.

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Pavanello, M. (2024, 5 avril). ChatGPT et l’IA au service des gestionnaires de l’immobilier. [Webinaire de formation]. Unis.

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Solow, R. (2024, July 12). You can see the computer age everywhere, but in the productivity statistics. New York Times Book Review.

1 Non retranscrit pour des raisons de confidentialité.

2 « Progiciel de gestion intégré ».

3 Post LinkedIn de février 2024.

4 Extrait d’un entretien mené avec un membre de la direction des opérations d’un « néo-syndic » en avril 2024 (Île-de-France).

5 Au moment de la publication de ce mémoire de recherche, soit un an après sa rédaction, c’est une action que désormais toutes les IAg acceptent.

6 Nous avons pu voir cette proposition d’analyse émotionnelle par l’IA Notta lors d’une démonstration mais elle n’est pas clairement explicitée dans les documents publiés par Notta.

7 Article 17 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 pris pour l’application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

8 Mis en redressement judiciaire en novembre 2023 pour être racheté en mars 2024 par Inch, start-up qui a développé une plateforme de relation client et fournisseur pour les gestionnaires immobiliers.

9 Logiciel dédié à la gestion immobilière d’Egide intégré à la marque Orisha Real Estate depuis octobre 2023.

10 Offre logicielle de Seiitra dédiée aux administrateurs de biens.

11 Prévue initialement en 2024, la généralisation de la facturation électronique est reportée au 1er septembre 2026.

12 En synthèse : « Environ la moitié des participants (385 consultants) ont effectué une série de tâches », qui « metta[ient] l’accent sur des aspects tels que la créativité, les compétences analytiques, la capacité de persuasion et les compétences en écriture », en exploitant le potentiel technologique de ChatGPT4. « L’autre moitié s’est engagée dans des tâches de résolution de problèmes commerciaux en utilisant des données quantitatives, des entretiens avec des clients et des entreprises, et comprenant également une composante de rédaction persuasive », travaux pour lesquels ChatGPT4 a plus de possibilités de commettre une erreur lors de l’analyse. « Les participants ont d’abord effectué une tâche sans l’aide de l’IA pour établir une référence de performance. Ensuite, ils ont été répartis au hasard en trois groupes. Le premier groupe n’a eu aucune assistance de l’IA, le second a utilisé GPT-4, le troisième l’a également utilisé mais a bénéficié en plus d’un aperçu d’ingénierie, comprenant des vidéos et des documents pour le familiariser avec l’IA » (Calvi, 2023).

Figure 8. Impacts de l’IA observés par ses utilisateurs professionnels en gestion de copropriété

Figure 8. Impacts de l’IA observés par ses utilisateurs professionnels en gestion de copropriété

Réalisation : Céline Surcin.

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