Introduction

Céline Surcin

Citer cet article

Référence électronique

Surcin, C. (2025). Introduction. Évolution du métier de syndic avec la digitalisation et l’arrivée de l’intelligence artificielle. Mis en ligne le 21 juillet 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 01 août 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1806

« Le digital ne repense pas le métier de gestionnaire, il le protège. »
Fabrice Rebut1, 2023

« Donner une dimension plus humaine au métier de syndic. »
Fabiola Barreira2, 2022

Ce mémoire a été rédigé par une intelligence artificielle (IA)… En réalité, ce n’est pas le cas, mais cela aurait pu être possible ! C’eût été même inimaginable il y a encore deux ans. Et maintenant, effectivement, la génération de textes complexes, d’images qui n’existent pas, de rapports, de résolutions de problèmes, d’analyses de données est à la portée de tous. La période actuelle est marquée par l’omniprésence des technologies numériques.

L’avènement fulgurant de l’IA se positionne au cœur des débats suscitant espoirs, interrogations et peurs, tout particulièrement en France : 50 % des Français sont préoccupés au sujet de l’IA et 31 % des employés français expriment une inquiétude pour leur emploi (contre 15 % selon la moyenne internationale) d’après la dernière étude du Boston Consulting Group (BCG ; Balaji et al., 2024).

L’IA n’est pourtant pas si nouvelle pour les informaticiens. La notion est même ancienne, et de nombreux algorithmes sont mis à contribution et évoluent depuis les années 1950 :

L’expression « intelligence artificielle » a été introduite en 1956, en référence aux travaux du philosophe positiviste français Hippolyte Taine. En 1870, dans De l’intelligence, celui-ci comparait l’intelligence humaine à une « machine », dont les pionniers de l’IA espéraient modéliser et reproduire le mécanisme.
(Audureau, 2024)

Le bouleversement s’est produit avec la mise à disposition d’une « nouvelle » IA, l’IA générative (IAg).

Il ne s’agit pas en soi d’une révolution technologique, car ce type d’IA existe depuis une dizaine d’années dans les laboratoires des géants de la tech, mais ces derniers ont préféré ne pas rendre publiques leurs recherches, le temps de perfectionner ces outils.
(Audureau, 2024)

Ce que n’a pas fait la start-up OpenAI qui, avec ChatGPT, a proposé à tout un chacun un accès généralisé à ses algorithmes d’IA grâce à une interface de type chat, c’est-à-dire par une boîte de dialogue en langage naturel. Désormais, « depuis que ces IA [génératives] sont en accès public, n’importe quel internaute peut générer grâce à un logiciel des poèmes, des chansons de rap, des affiches de film, etc., sorties d’une imagination algorithmique » (Audureau, 2024).

Il serait facile de concevoir que cette technologie n’est que la suite logique du développement des technologies numériques à l’œuvre, que ce soit dans l’exercice professionnel ou dans les loisirs. En effet, la digitalisation grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est devenue une réalité incontournable dans tous les secteurs de l’économie mondiale. Des entreprises traditionnelles aux start-up innovantes, la transformation digitale imprègne chaque aspect de nos vies professionnelles et personnelles. Elle révolutionne nos méthodes de travail, nos modes de communication et nos interactions sociales à une vitesse sans précédent. Cependant, portée par les progrès incessants de l’informatique et de l’apprentissage automatique, l’IA offre des perspectives difficilement imaginables d’automatisation, d’optimisation et de prise de décision basée sur des algorithmes sophistiqués. Ainsi, selon une étude de Goldman Sachs (Hatzius et al., 2023 ; Fassinou, 2023), les outils d’IAg pourraient automatiser 25 % de l’ensemble des activités du marché du travail. Aux États-Unis, l’IA pourrait même remplacer les humains dans 46 % des tâches administratives, 44 % des emplois juridiques et 37 % des professions de l’architecture et de l’ingénierie. Pour l’Europe, les résultats en 2023 sont à peu près similaires, avec des fonctions de soutien dans l’administratif qui seraient particulièrement touchées puisque 45 % de leur travail pourrait être automatisé !

Dans ce contexte de mutations technologiques accélérées, aucun secteur n’est épargné. L’immobilier n’échappe pas à la règle. La digitalisation y est à l’œuvre depuis la généralisation d’Internet il y a deux décennies.

Il n’est pas un domaine qui ne soit touché par l’avènement des nouvelles technologies. D’un côté la machine nous relie avec une rapidité et une puissance toujours plus grandes (Internet et la désintermédiation), de l’autre la machine, dotée d’une forme d’intelligence, commence à se substituer à l’être humain (blockchain, contrats intelligents et immeubles connectés).
(Grosclaude, 2020, p. 32)

C’est la constatation de Laurent Grosclaude, maître de conférences à l’université Toulouse Capitole, qui s’interrogeait alors sur les conséquences de cette digitalisation des activités professionnelles immobilières :

Cette nouvelle donne pose à chacun d’entre nous plusieurs questions importantes : faut-il craindre ce changement et le refuser en bloc ou bien au contraire en embrasser naïvement et sans recul toutes les facettes ? Quelle est la part du changement profond (ce que l’on nomme aujourd’hui une disruption) et celle du cosmétique ? Quelles vont être les conséquences à moyen et long terme de ces mutations ?
(Grosclaude, 2020, p. 32)

La gestion de copropriété est particulièrement concernée car le métier de syndic se compose pour une large part d’activités administratives, juridiques et comptables : il apparaît que l’IA pourrait bouleverser sa manière de l’exercer. Inscrite dans la branche de l’administration de biens, l’activité de syndic se focalise sur la gestion des immeubles en copropriété. Contrairement à la gestion locative qui concerne les biens en location, le syndic est axé sur la gestion collective des parties communes et des équipements communs au sein d’une copropriété. Il se positionne donc comme un maillon essentiel assurant la gestion administrative, financière et technique des copropriétés.

La France compte 574 663 copropriétés immatriculées – 9,7 millions de logements – gérées à 90 % par des syndics. Ce sont 5 131 titulaires de la carte professionnelle en France qui emploient plus de 70 000 collaboratrices et collaborateurs, des comptables, des gestionnaires, des techniciens, des juristes, des assistantes et assistants.
(Perrissel, 2024)

Avoir un syndic de copropriété est obligatoire en France pour toutes les copropriétés, et cela depuis la loi du 10 juillet 1965 qui a fixé les règles du régime de copropriété3. Le rôle d’un syndic de copropriété est central pour la vie en copropriété. Mandaté par l’assemblée générale (AG) des copropriétaires pour veiller à la bonne tenue de l’immeuble et à la préservation de ses intérêts collectifs, il a pour missions principales de mettre en œuvre les décisions prises lors des assemblées, d’assurer le suivi des travaux, de veiller au respect du règlement et de gérer les finances de la copropriété. En somme, il agit en tant que gestionnaire délégué, qui garantit le bon fonctionnement de l’immeuble tout en tentant d’obtenir la satisfaction des copropriétaires. Le syndic peut être professionnel ou bénévole. Près de 90 % des copropriétés sont gérées par des syndics professionnels.

52 839 syndics bénévoles en France au 1er janvier 2024 [gèrent] près de 550 529 lots principaux. … Le syndic non professionnel, appelé également « syndic bénévole », est un copropriétaire qui gère la copropriété. Il est soumis aux mêmes obligations qu’un syndic professionnel (administration de l’immeuble par exemple) mais son statut ne relève pas de la loi Hoguet du 2 janvier 1970. Il n’est ainsi pas obligé de détenir une carte professionnelle ou d’être assuré (même si cela peut être conseillé). Le syndic bénévole intervient à titre gratuit.
(Huynh et al., 2024, p. 1 et p. 10)

Comme les syndics bénévoles représentent un tout petit effectif dans la gestion de copropriété, nous l’avons écarté de notre recherche sur l’impact de la digitalisation et de l’IA sur l’exercice du métier de syndic. Nous étudierons les syndics professionnels, sans pour autant exclure que nos constatations et réflexions pourraient également s’appliquer à ce groupe spécifique.

Les syndics professionnels sont quant à eux confrontés à des défis majeurs dans un environnement en constante évolution, non seulement technologique mais également législative et sociétale. Historiquement ancré dans des pratiques empreintes de la tradition de l’administrateur de biens, le métier de syndic a dû s’adapter aux exigences d’un monde en perpétuel changement. Autrefois défini par des tâches manuelles, une omniprésence du papier et une communication essentiellement verbale, il a progressivement cédé la place à une réalité plus numérique, marquée par l’utilisation généralisée des outils informatiques et la dématérialisation des processus administratifs. De plus, soumise à divers facteurs tels que la réglementation croissante, les impératifs sociétaux et les attentes accrues des copropriétaires en matière de relation client, l’activité du syndic continue de se transformer. Ainsi, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 20144 a notamment introduit des mesures visant à renforcer la transparence et la responsabilisation des syndics, tout en accordant plus de pouvoir aux copropriétaires. Parallèlement, l’émergence de solutions numériques et de logiciels dédiés facilite la gestion administrative et la communication au sein des copropriétés.

Le secteur de la copropriété est en pleine transformation avec des défis à relever et des opportunités. Les changements s’articulent autour de trois axes clés : l’accélération des outils numériques, la pression des impératifs écologiques et les attentes grandissantes des copropriétaires. … L’accélération de la digitalisation dans le secteur immobilier entraîne une transformation profonde du métier de syndic professionnel, offrant de nouvelles opportunités et outils pour améliorer l’efficacité et la qualité des services.
(Biguet, 2023)

Or, depuis un an, ce nouvel « outil » qu’est l’IAg s’est introduit dans les pratiques professionnelles, de façon admise ou non : « 55 % des Français salariés ont déjà utilisé un logiciel d’IA dans le cadre du travail sans en informer leur hiérarchie » (Campenon, 2024).

D’après les impacts énoncés de ces algorithmes sur les métiers administratifs et juridiques, entre autres, nous ne pouvons que nous interroger sur la façon dont les syndics vont absorber ce nouveau changement technologique. Déjà en cours de transformation avec la digitalisation, initiée plus particulièrement depuis la loi ALUR et accentuée depuis la crise de la Covid-19, comment le métier de gestionnaire de copropriété peut-il évoluer avec cette « révolution » ? Quelles stratégies les cabinets de syndic pourraient-ils mettre en place face à cette « disruption » technologique qu’est l’IA ? Devant la promesse, à confirmer, de productivité accrue dessinée par l’IA, nous pouvons poser comme hypothèses que les professionnels pourraient accroître leur portefeuille d’immeubles, ce qui contribuerait ainsi à accentuer le phénomène de concentration que vit le secteur aujourd’hui. Ils auraient également la possibilité de recentrer leur activité sur des missions à haute valeur ajoutée et, pourquoi pas, de réinvestir leur rôle de mandataire quelque peu mis à mal par les contraintes actuelles de rentabilité.

Nous focaliserons notre analyse sur la relation client, constitutive du métier de syndic, dans ce contexte de disruption par l’IA. Nous n’aborderons pas l’impact de la digitalisation sur les ressources humaines, le recrutement, l’emploi, l’évolution des compétences ou encore sous l’angle économique et financier. Par ailleurs, comme l’IA est un sujet ancré dans l’actualité mais aussi encore en devenir et soumis à des évolutions très rapides, les réflexions pour répondre aux hypothèses posées pourront paraître limitées par manque de recul significatif sur l’utilisation de l’IA. Cela n’empêche cependant pas d’explorer dès à présent l’opportunité pour les syndics de copropriété de s’approprier cette technologie émergente et les implications potentielles pour l’exercice de leur profession.

Dans un premier temps, il nous paraît pertinent de faire le point sur la digitalisation des syndics et les conséquences sur leur métier, tout particulièrement sur la relation client qu’ils entretiennent avec les copropriétaires. Ainsi, dans une première partie, nous aborderons le métier du syndic, la complexité de ses activités et de ses missions, la digitalisation « forcée » de son activité depuis une dizaine d’années qui a engendré une nouvelle concurrence dotée d’une autre vision et de nouveaux process d’organisation. Suivra ensuite un rapide état des lieux des usages des outils digitaux par les professionnels de la gestion de copropriété. Cette synthèse nous permettra d’identifier les évolutions induites quant aux attentes et à la relation entre gestionnaires et copropriétaires.

Parce que l’IA est une technologie encore nouvelle et peu maîtrisée, nous la présenterons, dans une deuxième partie, en expliquant ses concepts fondamentaux et quelques-unes de ses applications dans la Proptech5. Cette approche nous donnera un aperçu des bases de l’IA, de son potentiel et de son intégration déjà en cours dans le secteur immobilier, en particulier dans la construction, la transaction et la gestion locative.

La troisième partie abordera la capacité de l’IA et des outils numériques, évaluée à l’heure actuelle, à transformer le domaine de la gestion de copropriété. Nous montrerons que l’automatisation des tâches répétitives et chronophages par le biais de l’IA pourrait se révéler un levier essentiel pour accroître l’efficacité opérationnelle des syndics, illustré entre autres par des exemples concrets d’usages et chez le syndic « nouvelle génération » Homeland. Toutefois, malgré ces avancées prometteuses, il conviendra de tempérer les attentes quant aux gains de temps générés par l’automatisation, limités par l’implémentation des technologies, la maîtrise et l’encadrement nécessaires pour garantir une réelle productivité. À la lumière de ces éléments, nous proposerons ensuite différentes stratégies potentielles pour les cabinets de syndic, allant de la densification du portefeuille de biens gérés à un recentrage sur une relation de proximité, plus personnalisée où le syndic pourrait répondre davantage aux attentes de ses clients –  identifiées dans la première partie. Cela lui offre ainsi la possibilité de réendosser le rôle du mandataire et de la personne de confiance.

Pour mener à bien cette étude, nous nous sommes appuyés sur une approche méthodologique combinant analyses d’études, d’ouvrages académiques et d’articles de presse car l’IA est un sujet d’actualité particulièrement « brûlant », mais également formations en ligne, entretiens qualitatifs et enquête quantitative. Nous avons ainsi mené des entretiens qualitatifs auprès d’acteurs œuvrant au sein de deux types de syndic : un gérant d’un petit cabinet traditionnel fort d’une expérience de plus de 30 ans, et la directrice des opérations d’Homeland, une entreprise se positionnant comme un syndic de copropriété augmenté issu de la Proptech. Parallèlement, une enquête quantitative, afin de mieux comprendre les réalités et les attentes du terrain en matière de digitalisation et d’IA, a été réalisée auprès de 52 professionnels de la gestion de copropriété, travaillant dans des cabinets de syndic de diverses typologies. Enfin, l’observation participante dans le cabinet, peu digitalisé, dans lequel un stage est effectué a fait partie intégrante du processus d’analyse. Les réflexions auraient été probablement très différentes sans la découverte et l’application, sur le terrain, du travail de gestionnaire de copropriété.

1 Directeur des partenariats, Orisha Real Estate. Dahan, I. (2023a, 20 juin). Lesyndicdedemain :unjusteéquilibreentredigital et humain [

2 Directrice générale de Faciliciti, néosyndic racheté en 2023 par Hello Syndic. Hello Syndic est devenu Manda. Capitaine, C. (2022, 16 mars). « 

3 Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

4 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

5 Contraction de property (« propriété ») et technology (« technologie ») que l’on pourrait traduire par « nouvelles technologies de l’immobilier ».

Audureau, W. (2024, 24 avril). Tout comprendre à l’intelligence artificielle, cette technologie source de nombreux malentendus. Le Monde.

Balaji, N., Bharadwaj, A., Apotheker, J., & Moore, M. (2024, 24 avril). Consumers Know More About AI Yhan Business Leaders Think. BCG Global.

Biguet, C. (2023, 31 mai). Les tendances 2023 des gestionnaires de copropriété. Accélération numérique, impératifs écologiques et pression accrue. Quadient.

Campenon, R. (2024, 15 janvier). Intelligence artificielle : les salariés inquiets et méfiants. Learnthings.

Capitaine, C. (2022, 16 mars). « Donner une dimension plus humaine au métier de syndic » (Fabiola Barreira, Faciliciti). Immo Matin.

Dahan, I. (2023a, 20 juin). Le syndic de demain : un juste équilibre entre digital et humain [webinaire]. Dans RDV Copro. Monimmeuble.com

Fassinou, B. (2023, 4 avril). Une étude de Goldman Sachs affirme que l’IA pourrait automatiser 25 % des emplois actuels dans le monde. Les économistes, les employés administratifs et les avocats devraient être les plus touchés. Developpez.com.

Grosclaude, L. (2020). L’immobilier à l’heure du numérique. 25 millions de Propriétaires, 542, 32-34.

Hatzius, J., Briggs, J., Kodnani, D., & Pierdomenico, G. (2023, 26 mars). The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic Growth (Briggs/ Kodnani). Goldman Sachs.

Huynh, J., Can, C., Rodrigues, D., Gomez, B., Boufferou, S., CattéWagner, S., Faure, L., & Sérot, A. (2024). Guide du syndic bénévole. Les clés pour bien gérer sa copropriété. Agence nationale de l’habitat – Anah.

Perrissel, A. (2024, 8 mars). Syndic : anatomie d’une profession mal-aimée. Entreprendre.

1 Directeur des partenariats, Orisha Real Estate. Dahan, I. (2023a, 20 juin). Le syndic de demain : un juste équilibre entre digital et humain [webinaire]. Dans RDV Copro. Monimmeuble.com

2 Directrice générale de Faciliciti, néosyndic racheté en 2023 par Hello Syndic. Hello Syndic est devenu Manda. Capitaine, C. (2022, 16 mars). « Donner une dimension plus humaine au métier de syndic » (Fabiola Barreira, Faciliciti). Immo Matin.

3 Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

4 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

5 Contraction de property (« propriété ») et technology (« technologie ») que l’on pourrait traduire par « nouvelles technologies de l’immobilier ».

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