Agriculture urbaine et promoteurs : vers de nouvelles modalités de l’aménagement des espaces verts des résidences ?

Pascale Scheromm et Louis Cretin

p. 78-89

Citer cet article

Référence électronique

Scheromm, P., & Cretin, L. (2021). Agriculture urbaine et promoteurs : vers de nouvelles modalités de l’aménagement des espaces verts des résidences ? Dans I. Maleyre, C. Veil, C. Cantuarias-Villessuzanne & A.-C. Chardon (dir.), Immobilier durable. De la ville d’aujourd’hui à la cité de demain (p. 78-89). Mis en ligne le 01 septembre 2021, Cahiers ESPI2R, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/168

Le concept d’agriculture urbaine est un modèle en circulation dans la plupart des métropoles des pays du Nord. Un grand nombre d’acteurs, publics et privés, s’y intéresse ; parmi eux, ceux de l’aménagement urbain. Les jardins partagés se multiplient, en particulier dans les villes, sous l’impulsion des municipalités qui les promeuvent. Mais le développement des jardins partagés dans les projets d’aménagement urbain issus d’acteurs privés a été moins étudié. Dans cet article, nous nous concentrerons sur leur insertion dans les programmes résidentiels de promoteurs immobiliers, pour définir de quels enjeux ils font l’objet.

© Maria Orlova, Pexels.

Introduction

« Pourquoi les promoteurs devraient-ils planter des choux ? » (Chevalier, 2017). Ce titre de la presse belge interpelle en mettant en relation deux mondes à priori sans lien, celui de la ville et de son habitat, et celui de l’agriculture. Le concept d’agriculture urbaine, recouvrant ici la diversité des formes d’agriculture qui se développent à l’intérieur de la ville (Scheromm & Soulard, 2018), est cependant en vogue ; il est devenu un modèle en circulation dans la plupart des métropoles des pays du Nord (Schwab, Caputo & Hernández-García, 2018).

Un grand nombre d’acteurs publics et privés s’intéresse à cette dynamique de retour de l’agriculture dans la ville. Elle s’y redéveloppe en effet sous des formes diverses selon les pays, les régions, les communes. Considérée comme une activité aux fonctions multiples – productives, sociales, alimentaires, paysagères, écologiques –, l’agriculture urbaine est porteuse d’enjeux variés (Duchemin, Wegmuller & Legault, 2010). Elle regroupe un ensemble d’initiatives top-down, portées par les institutions locales, et bottom-up, issues de la société civile (Mundler, Consalès, Melin, Pouvesle & Vandenbroucke, 2014 ; Scheromm & Mousselin, 2017). Les jardins collectifs des métropoles sont parmi les espaces agricoles urbains qui ont été le plus étudiés au cours de ces dernières années. Ils sont dans la littérature souvent séparés en deux grandes catégories, les jardins familiaux et les jardins partagés (Scheromm, 2015).

Héritiers des jardins ouvriers, les jardins familiaux sont constitués d’un ensemble de parcelles clôturées affectées à des particuliers souhaitant jardiner. Les jardins partagés se présentent, eux, sous la forme de parcelles uniques, cependant quelquefois subdivisées, cultivées collectivement par les habitants d’un quartier ; ils sont identifiés par les municipalités en tant qu’espaces permettant de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives. Plébiscités par les citadins pour lesquels ils comblent, parmi d’autres besoins, celui de contact avec la terre et la nature (Scheromm, 2015), les jardins collectifs, et en particulier partagés, séduisent aussi urbanistes, paysagistes et aménageurs de la ville par leur contribution à l’embellissement et à la gestion du paysage urbain. Espaces d’interface entre nature et agriculture, ces jardins sont devenus des éléments de la nature urbaine et contemporaine à part entière. Ils révèlent que l’agriculture peut avoir sa place dans des aires récréatives fréquentées par des citadins, et ils donnent lieu à de nouvelles formes de nature urbaine. La ville intègre ainsi peu à peu l’agriculture urbaine dans sa fabrique au nom du développement durable ; les acteurs de l’aménagement urbain y portent un intérêt grandissant (Tozzi & D’Andrea, 2014). L’agriculture commence à être perçue comme une composante de la ville contemporaine, partie prenante d’un Food Urbanism permettant « de dépasser les contradictions pour offrir une vision plus large et intégrée » des relations entre ville et agriculture (Verzone & Dind, 2011, p. 140) ; elle peut participer à son aménagement, en particulier à celui d’espaces de nature urbaine, puisqu’une des spécificités de l’agriculture urbaine est bien de donner une place au végétal – comestible – dans la ville.

Dans cet article, nous nous intéressons à l’implication des promoteurs immobiliers dans l’agriculture urbaine. Quelles sont leurs motivations ? Quelles agricultures souhaitent-ils promouvoir, autour de quels enjeux, avec quelles compétences ?

Méthode

Notre travail a porté sur le territoire de la ville de Montpellier et de ses communes avoisinantes. Bien que s’étant atténuée au cours de ces dernières années, la croissance de l’agglomération montpelliéraine demeure toujours importante1. Le programme local de l’habitat (PLH) 2013-2018 prévoit la construction de 5 000 logements neufs par an, dont 2 500 sur la commune de Montpellier. Actuellement, la construction de logements neufs est répartie environ à moitié entre des opérations au sein de zones d’aménagement concertées (ZAC) gérées par des sociétés d’aménagement, et d’autres « dans le diffus », c’est-à-dire sur des terrains appartenant à des particuliers.

La recherche de projets immobiliers comportant de l’agriculture urbaine a été réalisée selon deux approches : sur internet et via des prospections sur le terrain, à savoir au salon de l’immobilier Méditerranée-Occitanie 2018 qui s’est tenu à Montpellier, dans les agences immobilières et par repérages directs dans les quartiers. Cette recherche a permis de recenser 17 promoteurs ayant des projets de résidences intégrant de l’agriculture urbaine. Ces programmes se situent principalement dans des ZAC (cf. figure 1) et sont le fait de promoteurs régionaux et nationaux.

Nous avons conduit des entretiens semi-directifs de 40 minutes et une heure quinze auprès de représentants de sociétés de promotion immobilière. Ces entretiens ont été enregistrés et retranscrits, et des monographies ont été réalisées pour chacun des projets immobiliers. L’objectif était de comprendre les motivations des promoteurs pour intégrer de l’agriculture urbaine dans leurs programmes, les enjeux qu’ils lui attribuent et les pratiques mises en œuvre pour élaborer leurs projets. Une attention particulière a également été portée aux facteurs de réussite des projets et aux éventuels points de blocage rencontrés. Afin de compléter ces données, les plaquettes commerciales des projets de résidences proposant de l’agriculture urbaine ont été étudiées.

Des entretiens complémentaires ont été menés avec la société d’aménagement de la Montpellier Méditerranée Métropole et avec des associations ou des structures spécialisées en agriculture urbaine avec lesquelles peuvent travailler les promoteurs.

Figure 1. Les résidences avec jardins partagés situées au sein de ZAC.

Figure 1. Les résidences avec jardins partagés situées au sein de ZAC.

© Louis Cretin.

Les documents d’urbanisme – schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Montpellier Méditerranée Métropole et plans locaux d’urbanisme (PLU) des municipalités dans lesquelles se trouvent les résidences de promoteurs avec agriculture urbaine – ont par ailleurs été étudiés afin de déterminer si ces documents promeuvent l’agriculture urbaine et de définir les prescriptions et les recommandations qui lui sont relatives. Concernant le SCoT, nous avons analysé le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) et le document d’orientation et d’objectifs (DOO). Pour ce qui est des PLU, ce sont les règlements des zones à urbaniser qui ont été observés.

Intégrer de l’agriculture urbaine dans les résidences : une démarche guidée par des motivations plurielles

L’intégration de l’agriculture urbaine se traduit dans les résidences par la création de jardins partagés ; il s’agit, dans la majorité des cas (14 sur 17), d’une première expérience pour les promoteurs enquêtés. Plusieurs types de motivations, non exclusives les unes des autres, les incitent à répondre aux consultations par des projets incluant de l’agriculture urbaine.

Concevoir un projet pour remporter la consultation

Les collectivités locales ou territoriales à l’origine de l’aménagement d’un nouveau quartier ou de la restauration d’un quartier existant délèguent cette tâche à une société d’aménagement qui met en place une consultation sur les lots à construire. Le programme du promoteur doit correspondre à un cahier des charges imposant des contraintes en lien avec le projet de la zone à aménager et avec celui de la résidence. Les promoteurs sont ainsi mis en concurrence dans le cadre d’un concours les obligeant à développer des projets qui se démarquent de ceux de leurs concurrents. L’agriculture urbaine est considérée par la plupart des promoteurs interviewés comme un élément innovant, qui séduit et qui répond à la demande des aménageurs, même si cette dernière n’est pas toujours explicite.

« On a proposé un jardin partagé potager, et on a une salle commune aussi que les gens vont pouvoir réserver. Et concrètement là-dessus on a été retenus sur l’ensemble de notre projet car je pense que c’est deux thèmes du projet qui ont bien plu. »
(responsable développement d’une société de promotion immobilière)

L’aménageur de la Ville de Montpellier et de la Métropole incite les promoteurs à intégrer de l’agriculture urbaine dans les réponses aux consultations. Si cette requête n’est pas mentionnée précisément dans les cahiers des charges (ce qui nous a été confirmé par la société d’aménagement elle-même), les aménageurs demandent cependant aux promoteurs d’avoir une réflexion paysagère approfondie sur les cœurs d’îlot, de créer de la vie et du lien social dans la résidence, ou encore de conserver un certain pourcentage d’espaces de pleine terre.

« C’était pas écrit mais à plusieurs reprises, verbalement, ou de temps en temps par l’intermédiaire d’un mail ils vous laissent entendre que effectivement y’avait un engouement pour cette formule de jardins partagés et qu’ils verraient d’un œil bienveillant… »
(gérant d’une société de promotion immobilière)

Dans son SCoT, document de planification qui définit les grandes orientations stratégiques pour un équilibre entre renouvellement urbain, développement urbain et protection des espaces naturels et agricoles, Montpellier Méditerranée Métropole affiche sa volonté de « conserver et accroître le réseau végétal des villes » (défi 1 du DOO). À cet effet, le DOO propose en son point 1.4.3 de « jardiner la ville et le territoire ». Après avoir rappelé l’importance et le rôle des jardins urbains dans la construction de la ville durable, le DOO présente plusieurs prescriptions et recommandations relatives à cette question :

  • identifier et préserver les espaces de « jardinage urbains » (reliquat cultivé, champs urbains, alignements d’arbres…) ;

  • permettre des pratiques adaptées au sein des espaces de nature en ville ;

  • encourager le développement de plantations « nourricières », comme les plantations de végétaux nourriciers et d’arbres fruitiers ;

  • promouvoir la réalisation de toitures végétalisées pouvant être cultivées sur les bâtiments importants ;

  • intégrer l’agriculture en ville dans les opérations d’aménagement, quand elles le permettent ;

  • soutenir et développer les initiatives citoyennes de développement d’espaces de jardins urbains dans un cadre maîtrisé par les collectivités concernées, en lien avec les dispositifs de quartier et de la politique de la ville.

Si ces dispositions ne sont pas contraignantes, elles traduisent la volonté politique de la Métropole d’intégrer les jardins urbains dans la réflexion sur l’aménagement du territoire montpelliérain.

Les PLU sont, eux, opposables dans un rapport de conformité et peuvent intégrer des obligations vis-à-vis des espaces verts en application de l’article L. 151-22 du Code de l’urbanisme. L’article 13 du règlement des PLU fixe en particulier le pourcentage minimum d’espaces libres par rapport à la surface d’unité foncière pour chaque zonage. À chaque zonage correspond son propre règlement. Dans les PLU étudiés, aucune disposition contraignante relative à l’agriculture urbaine dans ces espaces libres n’a été relevée.

Il est cependant à noter que la Ville de Montpellier développe depuis 2004, dans l’ensemble de ses quartiers, une politique active de création de jardins familiaux et partagés (Scheromm & Mousselin, 2017). La Métropole s’est par ailleurs engagée depuis 2015 dans une politique agroécologique et alimentaire promouvant en particulier le développement de fermes nourricières.

L’agriculture urbaine, porteuse d’image ?

L’agriculture urbaine représente un enjeu important pour l’image des promoteurs, l’un deux allant même jusqu’à en faire sa marque de fabrique. Les promoteurs l’associent à une image positive de leur savoir-faire.

« J’avais invité des élus à voir ; ... quand il est arrivé là les bras lui en sont tombés, il y avait 5 ou 6 personnes dans les jardins, il y avait donc Colette qui n’a pas loin de 60 ans, un papy plus âgé et trois ou quatre autres entre 25 et 30. Il regardait le jardin, les tomates qui avaient poussé. Il a dit : “Ben c’est formidable, c’est extraordinaire”, et voilà c’est parti ! »
(directeur général d’une société de promotion immobilière)

« Le promoteur a une sale image, l’image qu’il a c’est d’enlever les espaces verts pour bétonner, donc on essaye aussi de lutter contre ça mais bon c’est pas toujours évident. »
(gérant de société)

Bien que les plaquettes commerciales des résidences mettent plus ou moins en avant les espaces d’agriculture urbaine (cf. figure 2), ces derniers sont cependant un élément important de la démarche marketing. La présence d’agriculture urbaine participe dans quasiment toutes les résidences étudiées à leur donner une identité. Leurs noms sont évocateurs (Les Jardins d’Ambrosia, Parkview, Les Physalis, Green Village, Le Jardin de Flore…). Ils peuvent également rappeler l’historique agricole du site, pour faire « un clin d’œil au terrain où on se trouve » (responsable commercial d’une société).

Figure 2. De la mise en scène des jardins partagés à des stratégies de communication plus discrètes.

Figure 2. De la mise en scène des jardins partagés à des stratégies de communication plus discrètes.

Cependant, l’agriculture urbaine n’est pas associée par les promoteurs à un facteur de vente décisif. Bien que le concept plaise, les éléments essentiels pour la vente seraient davantage l’emplacement de la résidence, son esthétique et l’ensemble des prestations proposées. Le jardin partagé est néanmoins « un petit plus qui confirme la vente ».

« L’investisseur a beaucoup aimé l’idée de jardin partagé et de créer du lien avec les bureaux en face sachant qu’ils vont héberger les jeunes actifs. »
(responsable programme)

La présence d’agriculture urbaine pourrait ainsi attirer une clientèle de futurs propriétaires à la recherche de leur résidence principale, mais aussi d’investisseurs souhaitant louer leurs logements, le jardin partagé représentant un moyen de fixer les locataires sur du plus long terme.

L’intégration de l’agriculture urbaine dans les résidences ne semble pas non plus être associée à une tarification plus élevée des logements au regard de celle pratiquée pour les programmes comprenant des espaces verts. La plupart des résidences étudiées se situent dans une gamme de prix (entre 3 200 et 3 400 €/m²) correspondant à la moyenne des prix pour une résidence de type libre dans une opération de ZAC (propos recueilli auprès d’une élue de la Métropole). Comparés au prix médian des logements neufs sur l’année 2017 à Montpellier (de 3 430 à 4 950 €/m² selon les quartiers2), ces prix sont même plus bas.

« Non, on répercutera pas ces coûts dans le montant de l’achat parce qu’à un moment donné il faut aussi vendre le prix du m² au m². Pour nous c’est vraiment un plus, ça sera juste un argument commercial, un argument de mieux-vivre. »
(responsable programme)

Un seul cas de figure où l’agriculture urbaine participe à défendre un prix de vente plus élevé s’est présenté : une des motivations principales du promoteur était de distinguer des bâtiments de gammes différentes au sein d’une même résidence. Le jardin potager, accessible seulement aux habitants des immeubles comprenant des logements de type libre, a alors été utilisé comme justification des écarts de prix (de l’ordre de 1 300 à 1 400 €/m² entre les logements sociaux et ceux en accession libre).

L’agriculture urbaine comme réponse aux enjeux de durabilité

L’obtention d’un marché n’est pas la seule ambition forte exprimée par les promoteurs. L’agriculture urbaine apparaît comme donnant « du sens » à leurs projets.

« Demain est-ce que on le refait ? Ouais, demain on continue, on trouve que ça donne un sens à nos projets, que l’argent investi en vaut vraiment la peine. »
(responsable RSE d’une société)

L’agriculture urbaine et la végétalisation des bâtiments répondent en effet aux enjeux de la ville de demain : il s’agit de réduire les îlots de chaleur urbains, de capter du CO₂, de lutter contre l’imperméabilisation des sols, de créer du lien social… L’enjeu social est le plus cité par les promoteurs. Les jardins partagés sont avant tout, pour eux, des lieux d’échanges et de vie à l’échelle de la résidence associés à une volonté de sensibiliser jeunes et moins jeunes aux thématiques alimentaires.

« On habite des bâtiments où on se lève tôt le matin, on rentre tard, on connaît pas ses voisins, c’est une demande de créer du lien social. »
(responsable développement)

« C’est le plaisir de rencontrer les autres, voilà, y a le plaisir. Les jardins, c’est une chose, mais il faut pas que les gens viennent là que pour jardiner, il faut qu’ils puissent échanger, discuter, venir avec les enfants, mixer les générations. »
(responsable programme)

L’objectif de production de fruits et légumes est lui le moins cité, en relation avec les petites surfaces dédiées aux cultures.

« Le but c’est vraiment de donner le goût de l’agriculture aux salariés et aux jeunes actifs, mais pas de faire une production réelle. »
(responsable projet d’une société de promotion immobilière)

Des enjeux environnementaux et d’intégration de la nature dans la ville, de maintien de la biodiversité, sont liés à la création de ces espaces d’agriculture urbaine. Pour un des promoteurs, l’idée est apparue lors d’un repas de famille où l’un de ses fils – en master environnement – le sensibilisait aux problématiques alimentaires, d’accaparement et d’appauvrissement des terres agricoles.

« Et j’ai dit : “Ouais tu veux qu’on fasse comment [face à tous ces problèmes] ?” Il me dit : “Il faut rentrer en résilience…” »
(directeur général d’une société)

Des projets innovants impliquant des compétences spécifiques

Tous les promoteurs immobiliers enquêtés, à l’exception d’un, reconnaissent l’importance de faire appel à une expertise technique pour la conception, la réalisation et l’accompagnement des résidents dans la création d’un jardin potager. Ils travaillent avec des structures spécialisées, associations ou bureaux d’étude, pour les conseiller. Beaucoup considèrent cette expertise technique et l’accompagnement des résidents comme un des facteurs principaux de réussite de leurs projets.

« Et j’ai un confrère promoteur qui me dit : “Comment tu fais, moi ça a jamais marché”, Ben oui ça marche pas parce qu’il n’accompagne pas ! »
(directeur d’une société de promotion immobilière)

« Déjà dans la conception des espaces extérieurs c’est très important, et après justement tout ce qui est animation. Parce que si on donne pas l’impulsion en disant voilà il va y avoir des animations au minimum au début, on n’est pas sûr que ça marche. La conception des espaces et l’animation pour moi, c’est les deux facteurs-clés. »
(responsable projet)

La place donnée à l’agriculture urbaine est variable selon les projets immobiliers. Peu de promoteurs lui attribuent une position centrale, à savoir conçoivent le plan de masse en fonction des espaces de jardinage (les cahiers des charges des lots ou le PLU pouvant imposer des contraintes spécifiques) ; ils sont cependant conscients de l’importance de l’orientation des parcelles, en particulier par rapport à l’ensoleillement.

« Donc si on veut éviter toutes les difficultés l’idée c’est de faire les choses vraiment très en amont… »
(responsable RSE)

La qualité de l’aménagement des jardins témoigne également de l’importance que le promoteur immobilier accorde à l’agriculture urbaine dans son projet. Certains se démarquent en effet par la création d’aménagements rendant ces espaces plus fonctionnels, agréables et conviviaux : abris de jardin, pergolas, tables de jardin, bacs à compost, à semis… (cf. figure 3).

Après livraison, les promoteurs prévoient le plus souvent une phase d’accompagnement et d’animation du jardin, d’un an ou plus, qu’ils délèguent à des sociétés ou des organisations dédiées ; ceux qui ne l’ont pas fait en identifient la nécessité, car les jardiniers manquent souvent de compétences en matière de bonnes pratiques, que les promoteurs souhaitent respectueuses de l’environnement. Le syndicat de copropriété est ensuite amené à prendre en charge le fonctionnement du jardin, pouvant, s’il le veut, continuer à faire appel à la structure de soutien.

Figure 3. Jardin partagé avec pergolas, bacs à compost, arbres fruitiers, cabanons de jardin.

Figure 3. Jardin partagé avec pergolas, bacs à compost, arbres fruitiers, cabanons de jardin.

© Bastien Ivars.

Deux des promoteurs interrogés, d’envergure nationale, ont mandaté des experts en agriculture urbaine pour former leurs salariés et l’ont intégrée, ou envisagent de l’intégrer, dans leurs propres locaux.

« Dans le cadre de ce démonstrateur, on va tester l’hydroponie, l’aquaponie, des poulaillers, des zones exploitées en permaculture, voilà. On va essayer un certain nombre de solutions pour voir celles qui, avec toujours ce souci, intéressent les gens, celles qui sont durables. Notre idée c’est pas on installe, on vend, on se barre. Il faut que ça serve à quelque chose. »
(responsable RSE)

Certains envisagent même l’installation d’agriculteurs professionnels sur leurs programmes afin de développer une réelle activité de production (fruitiers, maraîchage, cultures d’endives ou de champignons en sous-sol), conscients qu’il s’agit cependant là d’un autre projet, incluant des dimensions agronomiques et économiques.

Discussion

Ces résultats montrent que les enjeux liés à l’agriculture urbaine dans le secteur de la promotion immobilière sont multiples : volonté de remporter les concours, stratégie marketing, contribution à la construction d’une culture de la durabilité (création de lien social entre les résidents, restauration de la nature en ville, sensibilisation à de nouvelles pratiques agricoles et alimentaires). Les propos recueillis témoignent de l’engouement croissant pour cette thématique. Notons à ce sujet que le concours des Pyramides d’Or de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), « destiné à promouvoir la qualité, l’innovation et le savoir–faire dans les programmes de construction », ont en 2017 et 2018 récompensé, entre autres, des projets incluant de l’agriculture urbaine.

Lors de la phase de repérage des projets immobiliers présentant de l’agriculture urbaine, même les promoteurs ne l’intégrant pas dans leurs programmes se sont montrés intéressés. Ceux l’utilisant se positionnent sur un gradient d’innovation, certains allant jusqu’à créer des espaces tests au sein de leurs propres entreprises pour construire progressivement leurs compétences en la matière, acquérir une expérience qu’ils pourront ensuite déployer dans des projets « agricoles » à une plus grande échelle. L’agriculture urbaine devient ainsi un des volets d’une politique d’entreprise fondant une partie de son identité et de son image autour de ce concept et d’autres qui lui sont associés : « mieux-vivre », « nature en ville » ou encore « tiers-lieu ». Face à la banalisation de la performance énergétique comme caractéristique de différenciation, les promoteurs souhaitent « [élargir] le spectre de leur durabilité » (Taburet, 2012, p. 237) et cherchent des composantes innovantes à intégrer dans leurs réalisations. De nouvelles stratégies, de nouveaux concepts sont développés et testés, comme l’agriculture urbaine qui pourrait représenter un autre moyen de se démarquer. Les promoteurs s’affirment bien ici comme des parties prenantes du développement des politiques locales de développement durable (Emelianoff, 2007).

Toujours en écho à la thèse d’Aurélien Taburet, il apparaît que l’intégration des problématiques de durabilité dans l’activité des promoteurs immobiliers est marquée par le passage d’une adhésion forcée, au travers des contraintes réglementaires et des demandes des politiques locales d’aménagement, à une adhésion aujourd’hui choisie. Ils fortifient leur culture de la durabilité dans le cadre d’un « processus d’adhésion... oscillant entre la contrainte, la mise en place d’un nouveau marché économique et un effet d’entraînement » (Taburet, 2012, p. 237). Ils incluent des jardins partagés dans les ensembles résidentiels de manière volontaire. Il semblerait d’ailleurs, en toute première approche, que cette dynamique d’intégration échappe au processus d’écogentrification caractéristique de la production d’espaces urbains où l’environnement est enrôlé (Béal, Charvolin & Morel Journel, 2011).

L’intégration de l’agriculture urbaine dans les résidences est-elle un effet de mode ou une réelle volonté d’incorporer durablement l’agriculture au sein des villes et des bâtiments ? Cette nouvelle pratique en est à ses balbutiements. Seul son suivi permettra d’identifier quelles en sont les modalités et si cette tendance est en voie d’affirmation.

Béal, V., Charvolin, F., & Morel Journel, C. (2011). La ville durable au risque des écoquartiers. Réflexions autour du projet New Islington à Manchester. Espaces et sociétés, 147(4), 77-97.

Chevalier, A.-S. (2017, 30 mars). Pourquoi les promoteurs immobiliers devraient planter des choux ? Trends Tendances, 48-52.

Duchemin, E., Wegmuller, F., & Legault, A.-M. (2010, septembre). Agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des quartiers. VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 10(2).

Emelianoff, C. (2007). La ville durable : l’hypothèse d’un tournant urbanistique en Europe. L’Information géographique, 71(3), 48-65.

Mundler, P., Consalès, J. N., Melin, G., Pouvesle, C., & Vandenbroucke, P. (2014), Tous agriculteurs ? L’agriculture urbaine et ses frontières. Géocarrefour, 89(1-2), 53-63.

Scheromm, P. (2015). Motivations and practices of gardeners in urban collective gardens: The case of Montpellier. Urban Forestry & Urban Greening, 14(3), 735-742.

Scheromm, P., & Mousselin, G. (2017). The Proliferation of Collective Gardens in Lisbon (Portugal) and Montpellier (France): Urban Residents Demand and Municipal Support. Dans C.-T. Soulard., C. Perrin. & E. Valette (dirs.), Toward Sustainable Relations Between Agriculture and the City (p. 201-217). Springer Publishing.

Scheromm, P., & Soulard, C.-T. (2018). The landscapes of professional farms in mid-sized cities, France. Geographical Research, 56(2), 154-166.

Schwab, E., Caputo, S., & Hernández-García, J. (2018). Urban Agriculture: Models-in-Circulation from a Critical Transnational Perspective. Landscape and Urban Planning, 170, 15-23.

Taburet, A. (2012). Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain. [Thèse de doctorat, université du Maine]. Tel.archives-ouvertes.fr

Tozzi, P., & D’Andrea, N. (2014). Écoquartiers français et jardins collectifs : actualité et perspectives. VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 14(2).

Verzone, C., & Dind, J.-P. (2011). De l’agriculture urbaine au Food Urbanism : état des lieux et perspectives pour la Suisse. Urbia, 12, 137-159.

Figure 1. Les résidences avec jardins partagés situées au sein de ZAC.

Figure 1. Les résidences avec jardins partagés situées au sein de ZAC.

© Louis Cretin.

Figure 2. De la mise en scène des jardins partagés à des stratégies de communication plus discrètes.

Figure 2. De la mise en scène des jardins partagés à des stratégies de communication plus discrètes.

Figure 3. Jardin partagé avec pergolas, bacs à compost, arbres fruitiers, cabanons de jardin.

Figure 3. Jardin partagé avec pergolas, bacs à compost, arbres fruitiers, cabanons de jardin.

© Bastien Ivars.

Pascale Scheromm

Louis Cretin

Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Montpellier
Unité mixte de recherche (UMR) Innovation et développement dans l’agriculture et l’alimentation

© Groupe ESPI.