La transmission au sein du cercle familial

Résumés des interventions de la session 1

Fernanda Sabrinni-Chatelard

Citer cet article

Référence électronique

Sabrinni-Chatelard, F. (2025). La transmission au sein du cercle familial. Actes des 5ᵉ et 6ᵉ journées d’étude. La transmission des biens immobiliers / La défiscalisation immobilière. Mis en ligne le 30 avril 2025, Cahiers ESPI2R, consulté le 01 mai 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1678

Les interactions entre le droit immobilier et la question de la transmission des biens immobiliers représentent un champ d’étude à la croisée des enjeux théoriques et pratiques, où les frontières traditionnelles des disciplines juridiques s’effacent pour laisser place à une réflexion transversale.

La transmission des biens immobiliers constitue aujourd’hui un enjeu central tant pour les familles et les entrepreneurs que pour les praticiens du droit et les acteurs du secteur immobilier en général. Les mutations sociales, juridiques et économiques complexifient les pratiques et rendent ce sujet incontournable. C’est dans ce cadre que cette journée d’étude, organisée par le département Droit du laboratoire ESPI2R, s’est tenue ; elle a rassemblé chercheurs, praticiens et professionnels de l’immobilier.

Cette journée a été structurée autour de deux grandes thématiques  : la transmission au sein du cercle familial et la transmission hors du cercle familial. Ces deux volets ont permis d’éclairer les multiples outils juridiques, économiques et techniques à disposition des parties concernées, tout en soulevant les défis et les opportunités qu’ils engendrent.

Le matin, les intervenants se sont attachés à explorer les mécanismes de transmission au sein du cercle familial, où les questions de partage et d’équité restent sensibles. Trois thématiques ont été traitées : la société civile immobilière (SCI) comme outil de transmission successorale, le cas du partenaire survivant et l’achat en indivision dans le régime de la séparation des biens.

La SCI comme outil de transmission successorale

Arnaud Walravens, maître de conférences à Cergy Paris Université et responsable du master Droit du financement et des investissements immobiliers, a ouvert les discussions en exposant les atouts et les limites de la SCI dans un cadre successoral. La SCI permet de contourner certains obstacles liés à l’indivision tout en offrant une gestion structurée du patrimoine familial. Cependant, elle requiert une planification rigoureuse et une rédaction précise des statuts pour éviter des conflits ultérieurs.

La transmission dans le cercle familial : un enjeu complexe

La transmission du patrimoine au sein du cercle familial n’est pas toujours évidente, en raison de la complexité des liens familiaux, comme dans le cas du concubinage. Pour faciliter cette transmission, la SCI peut s’avérer très utile en particulier pour les biens immobiliers. Cette solution connaît un grand succès en France, avec plus d’un million de SCI recensées1. Cependant, la transmission de biens non liquides (immobiliers) est plus complexe que celle de biens mobiliers (actions, avoirs).

Les difficultés de la transmission

En matière de transmission, la règle générale impose le partage et la vente, souvent en raison d’un manque de liquidités permettant de dédommager les héritiers via une soulte. Cette situation peut être douloureuse, notamment en milieu rural, où l’attachement à la maison familiale est fort. Par ailleurs, dans le cas d’une entreprise personnelle, il existe un risque de liquidation de l’activité.

Historiquement, le Code civil de 1804 prévoyait une égalité stricte entre héritiers et un partage en nature afin d’éviter les litiges, ce qui a cependant entraîné un morcellement excessif des exploitations agricoles. Ce morcellement aurait même contribué à la baisse de la natalité. Face à cette problématique, des solutions telles que les groupements fonciers agricoles ou forestiers ont été mis en place depuis les années 1980 pour préserver l’intégrité des patrimoines.

La SCI comme outil de préservation du patrimoine

La SCI permet d’anticiper la transmission du patrimoine. Le donateur crée la SCI de son vivant et attribue dès lors une partie des parts aux héritiers. Les statuts de la SCI réglementent ensuite la distribution des parts restantes lors du décès. Cette anticipation offre une alternative à la donation-partage, qui consiste à répartir les biens de son vivant afin de limiter les droits de mutation grâce aux abattements fiscaux, bien que cela impose une division anticipée du patrimoine.

Toutefois, la SCI présente des limites dans le cadre de l’acquisition de sociétés commerciales, car elle peut entraîner un risque de confusion de patrimoines et d’extension de la procédure collective à la SCI.

La gestion des parts et les droits des héritiers

Deux options s’offrent au donateur : donner la nue-propriété des parts tout en conservant l’usufruit, ce qui lui permet de gérer les biens et d’en percevoir les revenus, ou céder l’entière propriété tout en prévoyant dans les statuts les règles de gestion future.

Les immeubles appartiennent à la SCI tandis que les parts sont détenues en nue-propriété par les héritiers. Toutefois, cette situation peut générer des conflits entre usufruitier et nus-propriétaires, car leurs intérêts divergent. L’article 1844 du Code civil, modifié en 2019, prévoit des décisions collectives et accorde un droit de vote aux nus-propriétaires sauf pour l’affectation des bénéfices, qui revient à l’usufruitier.

En cas de décès, la pleine propriété se reconstitue sans frais de succession. Toutefois, si le donateur préfère renoncer au démembrement, la rédaction des statuts doit être encore plus précise car cette décision est irrévocable.

Les mécanismes de protection

Pour contrôler la gestion et préserver le patrimoine familial, plusieurs mécanismes peuvent être intégrés dans les statuts, comme le droit de veto du donateur, un droit de vote plural, une clause de préemption ou d’agrément pour empêcher l’entrée d’un tiers dans la SCI. Toutefois, l’article 1844-1 du Code civil impose qu’aucun associé ne puisse être totalement privé des bénéfices de la SCI.

Les avantages et les précautions

La SCI permet une habituation progressive à la gestion des biens et préserve le patrimoine familial, tout en évitant les contraintes de l’indivision, où l’unanimité est nécessaire pour certaines décisions. Cependant, la SCI doit être créée avant l’acquisition des biens, faute de quoi l’opération pourrait coûter plus cher.

Enfin, il est important de noter que la SCI peut porter atteinte aux droits du conjoint survivant. Toutefois, des mécanismes existent, comme le droit au maintien dans le logement pendant un an (article 763 du Code civil) ou un droit viager au logement (article 764 du Code civil). Pour contourner ces limites, il est recommandé de conclure un bail au nom des deux époux afin de garantir leur protection. La SCI constitue un outil efficace pour organiser la transmission du patrimoine familial à condition d’anticiper et de rédiger des statuts précis pour prévenir tout conflit futur.

Le cas du partenaire survivant

La transmission du patrimoine en cas de décès soulève de nombreuses interrogations, en particulier concernant les droits du partenaire survivant. Lors de son intervention, maître François Graou a apporté un éclairage précis sur le rôle du notaire dans ce processus et les enjeux qui en découlent.

L’importance de l’accompagnement par un notaire

L’accès au fichier immobilier de publicité foncière est strictement réservé aux notaires (et, marginalement, aux communes). Par conséquent, tout acte immobilier doit impérativement être réalisé par un notaire. Toutefois, en cas de SCI, l’intervention d’un notaire n’est pas obligatoire. Un avocat peut suffire pour la transmission de parts lors d’une succession. Il est néanmoins essentiel d’être prudent lors des transmissions : il est recommandé de ne pas transférer trop de patrimoine en une seule fois afin de préserver des ressources suffisantes pour maintenir un niveau de vie confortable.

L’accompagnement d’un notaire revêt une importance particulière pour les familles recomposées, pour lesquelles la gestion du patrimoine s’avère souvent complexe. Concernant la transmission au partenaire, la situation peut être délicate en raison du risque de rupture. Il est donc crucial de prévoir des dispositions permettant de limiter les effets de la transmission en cas de décès, sous condition de maintien du lien marital, afin de garantir une réversibilité de l’acte. Il est généralement déconseillé d’effectuer des donations immédiates, à l’inverse des transmissions aux enfants, qui sont plus courantes.

Le démembrement de propriété, un choix privilégié

Le démembrement de propriété est la solution privilégiée par les notaires dans le cadre des transmissions patrimoniales. La fiscalité de ces actes demeure relativement avantageuse, avec des décotes progressives en fonction de l’âge du donateur (par exemple, une décote de 40 % à 60 ans et de 30 % à 70 ans). Néanmoins, la transmission au sein du couple est moins favorable. Le pacte civil de solidarité (PACS) constitue ainsi une garantie minimale, mais il reste insuffisant : en l’absence de testament, le partenaire pacsé ne bénéficie d’aucun droit successoral. La situation des concubins est encore plus défavorable, la fiscalité applicable s’élevant à 60 %, ce qui rend cette solution peu intéressante.

Enfin, dans tous les cas, il existe une certaine réticence à inclure les partenaires dans les situations d’indivision, en raison des complications potentielles qu’elles peuvent engendrer.

La question de la transmission patrimoniale met en évidence la nécessité d’une planification rigoureuse, notamment pour les partenaires survivants, afin d’assurer une sécurité juridique et financière optimale. Toutefois, au-delà des aspects successoraux, l’acquisition de biens en commun représente un autre défi majeur pour les couples, en particulier lorsque ceux-ci sont soumis au régime de la séparation de biens. Cette configuration spécifique soulève des problématiques distinctes, notamment en ce qui concerne la répartition des contributions et la gestion des éventuelles disparités financières entre les partenaires. Ceci est l’objet de l’intervention suivante.

L’achat en indivision dans le régime de la séparation des biens

Estelle Fragu, maître de conférences à l’université Paris-Panthéon-Assas, a mis en lumière les défis spécifiques liés à l’achat en indivision dans le cadre d’un régime de séparation de biens. Elle a souligné les écueils des modes de financement inégaux et l’incidence des règles relatives aux contributions aux charges du mariage. Ses réflexions ont ouvert le débat sur la complexité croissante induite par la jurisprudence récente qui, tout en cherchant à protéger les conjoints impécunieux, alourdit les opérations immobilières conjointes.

« Charges du mariage » et immobilier

En effet, le régime de la séparation de biens séduit de nos jours de plus en plus de couples, attirés par sa simplicité apparente et par l’autonomie patrimoniale qu’il institue pour les époux. Cependant, il est rare que ces derniers n’envisagent aucune opération immobilière « en commun » pendant le mariage. Ainsi, il a été nécessaire d’évoquer l’élargissement du champ d’application de l’article 214 du Code civil concernant les charges du mariage, en expliquant les tensions théoriques, pratiques et juridiques générées par cette évolution.

Le principal débat théorique réside dans l’inclusion, sous la notion de « charges du mariage », d’opérations financières variées allant des dépenses alimentaires aux investissements immobiliers de grande envergure. Dans ce sens, la Cour de cassation, en élargissant cette notion, a confronté des dépenses de natures très différentes, ce qui soulève des questions quant à leur justesse et à la cohérence du raisonnement juridique. En particulier, l’assimilation du paiement d’un loyer à un remboursement d’emprunt est contestée, le premier étant perçu comme une simple jouissance du bien tandis que le second permet l’accès à la propriété.

Un autre point majeur porte sur la question de la contribution des époux aux charges du mariage dans le cadre d’un régime de séparation de biens. La Cour de cassation, dans sa jurisprudence, a posé une présomption irréfragable selon laquelle les époux sont réputés avoir contribué proportionnellement aux charges, empêchant ainsi une action en sur-contribution, même si l’un des époux a financé de manière disproportionnée l’acquisition d’un bien commun2. Cette présomption entrave donc toute possibilité de revendication financière par l’époux qui aurait assumé plus que sa part.

Les incertitudes de la réforme de la Cour de cassation

Afin de limiter cette situation, la Cour de cassation a exclu l’apport en capital provenant de fonds personnels des modes de contribution aux charges du mariage, rendant ainsi difficile la revendication d’une créance en indemnisation en cas de financement disproportionné. Ce revirement jurisprudentiel a été confirmé à plusieurs reprises entre 20193 et 20224, provoquant néanmoins une incertitude quant à son application, notamment en ce qui concerne les dépenses d’amélioration ou les cas d’emprunt où un apport en capital est utilisé.

La réforme proposée par la Cour de cassation soulève également des incohérences, telles que la distinction entre l’utilisation de revenus et d’apports en capital, ainsi que les ambiguïtés sur la gestion des régimes matrimoniaux distincts. Ces distinctions rendent l’application de l’article 214 complexe et parfois imprévisible, notamment en cas d’acquisition ou de construction d’un bien commun.

Vers un certificat prénuptial ?

Une piste pour améliorer la sécurité juridique des futurs époux serait de prendre en considération les propositions formulées lors du 118Congrès des notaires, qui s’est tenu en 2022. Le certificat prénuptial, qui fournirait des informations essentielles sur les régimes matrimoniaux, permettrait de prévenir les risques liés à l’ignorance légale.

En somme, bien que la Cour de cassation cherche à équilibrer la répartition des charges du mariage, la complexité croissante de sa jurisprudence suscite des questionnements sur la prévisibilité des conséquences juridiques. La prudence et l’anticipation restent donc des éléments clés pour une gestion patrimoniale efficace dans le cadre du mariage.

Retour en images : extrait vidéo des interventions

Journée d'étude n° 5 du laboratoire ESPI2R - la transmission au sein du cercle familial : extrait vidéo (matin)

Crédits: © Franck Lam

Permalien: https://youtu.be/zLuy-WMjFic?feature=shared

1 Source : Observatoire statistique des greffiers des tribunaux de commerce.

2 Cour de cassation, civile, chambre civile 1, 18 novembre 2020, n° 19-15.353, publié au bulletin : « Un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution. »

3 Cour de cassation, civile, chambre civile 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, publié au bulletin : « Sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. » 

4 Cour de cassation, civile, chambre civile 1, 9 juin 2022, n° 20-21.277, publié au bulletin : « Sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. »

Fernanda Sabrinni-Chatelard

Responsable du département Droit, laboratoire ESPI2R

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    Paru dans Actes des 5ᵉ et 6ᵉ journées d’étude. La transmission des biens immobiliers / La défiscalisation immobilière, 15 | 2025, Cahiers ESPI2R

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