Les deux projets expérimentaux que nous avons étudiés défendent des enjeux de transition écologique très différents. À Nantes, au départ, l’objectif est d’optimiser les ressources en énergie des logements collectifs, tandis qu’à Bruxelles, il s’agit de créer des solidarités entre les communautés vis-à-vis de la gestion de l’eau. Les évolutions et les variations de projet dans le temps ont fait l’objet d’une attention particulière de notre part. En effet, le but est d’analyser le cycle de vie des expérimentations. Comment les objectifs varient-ils dans le temps ? Que reste-t-il après la fin d’un projet ?
Nous avons fait le constat, au départ de la recherche, qu’une considération très forte était portée aux dispositifs lors du lancement des projets. Les évaluations ne rendaient pas compte des effets du dispositif au long court. L’enjeu était donc pour nous d’observer des projets matures et leurs cycles de vie.
À Nantes
Symbiose est au départ très orienté sur l’énergie autour d’une innovation qui consiste à capter la chaleur des toits pour alimenter les chauffe-eaux de l’immeuble. Comme l’indique le directeur de l’innovation de Nantes Métropole Habitat : « Initialement c’est un projet énergétique. On se demandait comment utiliser la chaleur fatale des toitures pas seulement pour du photovoltaïque. »
Ce projet de chauffe-eau intelligent est aussi devenu, au fil des mois, un projet qui teste en conditions réelles les capacités de production maraîchère sous cette serre. Enfin, il porte aussi une dimension d’animation autour du jardinage et de l’alimentation auprès des habitants du quartier. Cette entreprise innovante dans son aspect technique est devenue un prétexte à tisser du lien social et permet de créer des innovations sociales et du vivre-ensemble. À la suite de la livraison de la serre, l’enjeu est aussi de travailler les pieds d’immeuble sur ces sujets de l’alimentation et du bien-être. Aujourd’hui, Symbiose se décline en trois volets, comme le rapporte le directeur de l’innovation à Nantes Métropole Habitat : « C’est un projet en trois volets : rénovation thermique, agricole, enjeu social autour de l’alimentation. On a un an de retour. Il a été conçu avant la Covid mais livré en septembre 2022. »
Au fil du temps, la dynamique de projet et les objectifs associés ont évolué. La dimension expérimentale a pris un tournant social avec l’animation de la serre et l’ouverture d’activités aux habitants. Cette dynamique est fragile ; elle nécessite une attention forte au long court, et aussi des financements (difficiles à obtenir de la part du bailleur social dont « ce n’est pas le métier »1). Finalement, la serre Symbiose est un bâtiment iconique d’un quartier en transformation, qui veut conserver ses espaces verts tout en se densifiant.
Symbiose est assez caractéristique d’une évolution des projets expérimentaux qui tendent de plus en plus à aborder des problématiques liées au mieux-vivre, à la santé globale, au bien-être, au lien social. C’était très peu le cas sur les premiers projets labellisés au titre du Nantes City Lab plus portés sur l’éclairage intelligent, les mobilités intelligentes, etc. Aujourd’hui, l’expérimentation sert de nouveaux objets : il y a la volonté d’être plus efficace au service de la bifurcation écologique. Cette dimension a été renforcée du côté des politiques publiques par la nouvelle feuille de route issue du grand débat « Fabrique de nos villes », votée au conseil métropolitain en avril 20242.
À Bruxelles
Brusseau a mobilisé les communautés entre 2017 et 2021. Aujourd’hui, un nouveau projet est porté par la même équipe autour de la place Flagey à Bruxelles. Brusseau est passé par différentes étapes :
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entre 2017 et 2019, c’est le temps de l’animation et du recrutement des communautés avec la collecte des premières données ;
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de 2019 à 2021, la collecte s’est poursuivie, puis il y a eu une phase d’analyse des données et de sensibilisation à un public plus large (jusqu’à 2023). Il y a également une volonté de la part des porteurs de projet de renforcer l’aspect opérationnel en s’associant largement aux services techniques et aménageurs. Durant cette période, d’autres initiatives comme la protection du marais Wiels ont vu le jour. Les mobilisations citoyennes sur ces sujets se multiplient et s’autonomisent.
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le projet est désormais fini ; ce qu’il reste est une méthode d’Urban Living Lab à la bruxelloise sur les sujets de l’eau qui se déploie dans d’autres quartiers et une mobilisation citoyenne. Des méthodes de « codiagnostic » voient le jour et croisent la récolte de données via les sciences citoyennes3 avec des données plus techniques.
Ce que l’analyse révèle à partir de l’étude des cycles de vie des projets et les limites
Notre recherche montre qu’il y a une nécessité de mettre en évidence les objectifs du projet à différents temps de vie – au lancement, pendant et après. La période de l’après est généralement oubliée car peu d’évaluations anticipent un retour sur usages à long terme. Pourtant, à ce stade du projet, certaines inflexions s’opèrent à l’épreuve des usages, et des nouvelles perspectives s’ouvrent pour les expérimentations.
Notre étude montre aussi des limites quant à l’évaluation des projets une fois livrés. Bien que nous puissions mettre en évidence les effets en termes de pratiques et d’ambiances à posteriori, certaines informations manquent pour bien comprendre les problématiques à chaque temps de vie et leurs effets sur les lieux.
Analyser le cycle de vie du projet permet aussi de questionner son autonomie par rapport au cadre d’expérimentation initial. En effet, Symbiose apporte plein de réponses en termes d’innovations technologiques et sociales, mais peut difficilement dans le contexte actuel (en 2024) s’affranchir d’un portage institutionnel fort pour sa gestion et son animation. Ce type de projet nécessite de la part du bailleur une implication au long court qui questionne son champ d’action et son cœur de métier.
Comment penser la fin des projets ? Comment s’assurer que des effets perdurent au-delà du temps de l’expérimentation ? Comment favoriser les dynamiques d’essaimage et de capitalisation des données ?