La densité au cœur de la notion d’intensité urbaine

Maxime Pinon

Citer cet article

Référence électronique

Pinon, M. (2024). La densité au cœur de la notion d’intensité urbaine. L’intensité urbaine : un outil d’attractivité pour la Seine-Saint-Denis ?. Mis en ligne le 30 octobre 2024, Cahiers ESPI2R, consulté le 17 février 2025. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1489

La densité est probablement la notion la plus souvent utilisée pour étudier l’intensité urbaine ; la seconde étant souvent confondue avec la première. Or, densifier ne veut pas dire intensifier.

Définition de la densité

Avant d’aborder plus précisément la notion de densité, nous nous intéresserons à sa définition. Toutefois, il en existe plusieurs car elle peut englober plusieurs aspects.

De manière générale, nous pouvons considérer que la densité exprime « le rapport théorique entre un indicateur quantitatif (démographie, nombre de logements, nombre d’emplois…) et une surface d’étude donnée » (Pradel & Duffrene, 2018, p. 17).

Fouchier complète cette définition afin de l’intégrer dans le contexte de l’urbanisme :

Un rapport théorique entre une quantité ou un indicateur statistique (nombre d’habitants, d’emplois, d’entreprises, de mètres carrés de plancher, etc.) et l’espace occupé (surface de terrain brute ou nette, surface de terrain cessible ou autres indicateurs de superficie à différentes échelles géographiques).
(Fouchier, 1997, p. 20).

La densité demeure avant tout une grandeur physique qui peut s’appliquer à différentes variables. Fouchier (1997) divise la densité en deux catégories, à savoir les densités de contenant, qui ont trait au bâti (correspondant aux coefficients d’occupation du sol), et les densités de contenu, qui portent sur les usagers (habitants, employés, etc.).

À titre d’information, nous donnons ci-dessous plusieurs définitions, respectivement, de densité de contenu et de contenant, tirées du guide de l’ADEME Faire la ville dense, durable et désirable :

La densité résidentielle, soit le rapport entre le nombre de logements et la surface d’étudie hors voies publiques. Cet indicateur mesure strictement l’occupation du sol par des logements. Densité résidentielle = Nombre de logements/Surface (hectares)

La densité humaine ou de population :
À l’échelle globale, la densité correspond au nombre d’habitants par km² qui s’applique généralement aux différents espaces de la ville (centre et périphérie). Densité de population = Nombre d’habitants/Surface (km2 ou hectares)
(Pradel & Duffrene, 2018, p. 17)

Outre les différentes densités de contenu et de contenant, il faut également distinguer la densité brute de la densité nette :

La densité brute : se rapporte à l’ensemble des espaces constituant la surface d’étude, et comprend les équipements publics, les voieries et les espaces verts construits dans la surface d’étude.

La densité nette: spécifique à l’échelle de la parcelle ou de l’îlot. Elle prend en compte l’ensemble des surfaces occupées par une affectation spécifique, sans y intégrer les espaces publics. Elle concerne donc les logements, les activités, les commerces et autres équipements.
(Pradel & Duffrene, 2018, p. 19)

S’il est important de préciser la notion de densité, ses différents types et de donner quelques méthodes pour les calculer, l’intensité urbaine ne peut cependant pas être calculée à l’avance mais doit être planifiée dans un projet global. Un projet visant à développer une intensité urbaine n’a donc pas pour objectif principal d’évaluer précisément la densité attendue, mais plutôt d’en établir une estimation large. C’est notamment à travers les formes urbaines que cette réflexion sera menée.

Les différentes formes urbaines et le concept de « densité perçue »

Comme évoqué précédemment, lorsque la densité est utilisée pour évoquer l’intensité urbaine, il ne convient pas de traiter cette question au travers de chiffres, car l’intensité urbaine n’est pas prévisible ou quantifiable mais s’inscrit dans une réflexion globale. Il semble plus intéressant dans ce cas de parler des formes urbaines que peuvent prendre la ville et les quartiers denses. Nous pouvons ainsi évoquer la notion de morphologie urbaine.

Selon l’étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) Densités vécues et formes urbaines. Étude de quatre quartiers parisiens (2003), la forme urbaine peut être interprétée comme « une organisation spatiale » liée aux conditions historiques qui ont influencé son développement. La forme urbaine est employée pour « désigner les configurations spatiales de la ville, dont l’analyse morphologique a dégagé les éléments constitutifs (rue, parcelle, îlot, édifice, etc. » (APUR, 2003, p. 8-9).

La densité n’est donc pas directement liée à la forme urbaine, mais cette morphologie va contribuer positivement ou négativement à la densité d’un quartier. En ce sens, une même forme urbaine n’a pas systématiquement la même densité et, inversement, une même densité peut être obtenue par différentes formes urbaines, comme illustré dans le schéma de l’ADEME ci-dessous (figure 3).

Figure 3. Différents types de formes urbaines à densité égale

Figure 3. Différents types de formes urbaines à densité égale

Reproduit de Pradel & Duffrene, 2018, p. 23. D’après : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France – IAU. (2005). Appréhender la densité. 2. Les indicateurs de densité. Note rapide sur l’occupation des sols, 383.

Plusieurs formes urbaines sont représentées – un grand ensemble, un quartier pavillonnaire et un quartier mixte – chacune représentant des hauteurs et des typologies de bâtiments différentes et chacune représentant la même densité (76 logements/ha). Cette représentation schématique, tout comme la notion de densité, est donc souvent contre-intuitive car l’imaginaire entend difficilement qu’une construction de grande hauteur puisse avoir la même densité qu’un quartier pavillonnaire. On parle alors de densité « perçue » ou de densité « vécue ».

La densité vécue renvoie à la perception des usagers, à leur ressenti vis-à-vis d’une forme urbaine et à leur appréciation positive ou négative de cette dernière (Pradel & Duffrene, 2018, p. 23-23). Nous pouvons retenir de cette notion que la densité est un terme subjectif, qui peut être interprété différemment selon les personnes, leur perception des lieux ou des formes urbaines. C’est notamment de cette manière que la densité, souvent associée aux grands ensembles, est dans l’imaginaire collectif vue négativement, défavorablement, et souvent synonyme de stress. Selon l’étude Sofres Les Français et leur habitat. Perception de la densité et des formes d’habitat (2007), près de deux tiers des Français (65 %) pensent que la densité est une chose négative (TNS Sofres, 2007, p. 10). Il y a donc une part importante de subjectivité dans la densité qui influe, très souvent de manière négative, sur la perception qu’ont les habitants de ce que représente une ville dense.

Cela se retrouve également dans la réflexion sur les formes urbaines : en effet, dans l’imaginaire collectif, lorsque l’on pense aux bâtiments les plus denses, on évoque souvent les grands ensembles, les tours et les barres d’immeubles de très grande hauteur. Pourtant, comme le montre le schéma ci-dessous de l’ADEME (figure 4), les grands ensembles font au contraire partie des typologies urbaines à faible densité.

Figure 4. Formes urbaines et densités

Figure 4. Formes urbaines et densités

Reproduit de Pradel & Duffrene, 2018, p. 28. D’après : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France – IAU. (2005). Appréhender la densité. 3. Formes urbaines et densités. Note rapide sur l’occupation des sols, 384.

Sans surprise, les formes urbaines les moins denses correspondent à l’ensemble des opérations d’habitat individuel, et ce quelle que soit leur forme. Toutefois, ce qui apparaît plus surprenant au regard notamment des croyances du grand public, est de relever que les grands ensembles immobiliers présentent un niveau de densité bâtie aussi faible (inférieure à 1). Il ne suffit donc manifestement pas de construire haut pour densifier.

Par ailleurs, le schéma montre une forme de logement moins connue : l’habitat intermédiaire. Une circulaire de la Direction de la construction (1974)1 définit l’habitat social intermédiaire « par la possession d’un accès individuel, d’un espace extérieur privatif égal au quart de la surface du logement et d’une hauteur maximale rez-de-chaussée plus trois étages ». Aujourd’hui, cette forme d’habitat propose un nombre réduit de logements individuels groupés (entre 5 et 20) tout en limitant l’impact de la densité perçue sur les habitants et en se rapprochant des formes architecturales de l’habitat individuel. La différenciation physique du logement, au moyen de volumes ou de matériaux distincts, permet aux habitants d’identifier leur propre logement. De plus, la possibilité de s’approprier un espace extérieur, un jardin ou une terrasse, rend possible la pratique de certaines activités qui ne pourraient être réalisées dans un espace commun.

Quelques enjeux de la densité urbaine

La densité est maintenant devenue une problématique urbaine reconnue et a été en partie générée par les différentes solutions en matière de logement qu’il a fallu trouver au cours des deux derniers siècles. Cependant, la périurbanisation et l’expansion de la ville dans ses limites, qui découlent de ces solutions, participent au phénomène d’étalement urbain et a de nombreuses conséquences importantes à souligner.

Cette expansion de la ville, bien que provenant initialement du besoin en logements et de la recherche de propriété individuelle, a pu se développer et se structurer grâce à la démocratisation de l’automobile – et des moyens de transport en général (bus, train, etc.). Ces évolutions ont des impacts écologiques majeurs : l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols en raison de la construction de routes, de la multiplication des équipements urbains et des habitations ; la pollution du sol, de l’air ; la consommation des ressources et des espaces naturels (terres agricoles, forêts).

Cette artificialisation et cette imperméabilisation sont aussi en grande partie entretenues par la croissance démographique des territoires. En effet, selon l’étude Faire la ville dense, durable et désirable par l’ADEME (Pradel & Duffrene, 2018), qui s’appuie sur les données de Corine Land Cover 2012 (inventaire biophysique de l’occupation du sol et de son évolution selon une nomenclature de 44 postes), ce sont les départements ayant la plus forte évolution démographique (données étudiées entre 1990 et 2010) pour lesquels le taux d’artificialisation des sols a le plus augmenté (Pradel & Duffrene, 2018, p. 8). Un département comme la Seine-Saint-Denis, qui a accueilli de nombreuses populations au cours du siècle dernier, est donc directement concerné par l’artificialisation, même si tous les territoires proches de Paris le sont déjà très fortement.

Par ailleurs, il est intéressant de comprendre quels types de constructions et d’équipements ont généré le plus d’artificialisation et d’imperméabilisation des sols. Ainsi, grâce aux données mesurées par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer et communiquées en 2017 dans son rapport Artificialisation, de la mesure à l’action (cité par Pradel & Duffrene, 2018, p. 9-10) nous pouvons constater, sans surprise, que ce sont avant tout l’habitat (42 %) puis les équipements de transport (28 %) qui génèrent le plus d’artificialisation des sols. Il est donc clair que l’impact le plus important en France sur l’artificialisation des sols provient de l’organisation de l’habitat dans son environnement urbain et, par conséquent, des infrastructures de transport permettant de les rejoindre.

La densification est donc, pour la ville intense et la ville durable, un véritable sujet qui permettrait, par une réduction de l’échelle de la ville, de renforcer la proximité et l’accessibilité des différents services aux habitats. Cependant, la densité est une notion qui inquiète plus qu’elle ne rassure la population mal informée. Dans l’imaginaire collectif, la densité est en effet synonyme de grandes hauteurs et de grands ensembles, alors qu’elle favorise le développement durable et la proximité.

Il est aujourd’hui important de densifier les villes, mais il est tout aussi important de le faire de manière réfléchie et raisonnée ainsi que de sensibiliser les habitants, sans quoi ils s’opposeront toujours aux projets proposés.

1 Note de l’éditeur : circulaire du 9 août 1974.

1 Note de l’éditeur : circulaire du 9 août 1974.

Figure 3. Différents types de formes urbaines à densité égale

Figure 3. Différents types de formes urbaines à densité égale

Reproduit de Pradel & Duffrene, 2018, p. 23. D’après : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France – IAU. (2005). Appréhender la densité. 2. Les indicateurs de densité. Note rapide sur l’occupation des sols, 383.

Figure 4. Formes urbaines et densités

Figure 4. Formes urbaines et densités

Reproduit de Pradel & Duffrene, 2018, p. 28. D’après : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France – IAU. (2005). Appréhender la densité. 3. Formes urbaines et densités. Note rapide sur l’occupation des sols, 384.

CC BY-NC-ND 2.0 FR sauf pour les figures et les visuels, pour lesquels il est nécessaire d'obtenir une autorisation auprès des détenteurs des droits.