L’émergence du concept de « zéro artificialisation nette » (ZAN) va profondément modifier notre vision de la ville, et sa mise en œuvre pourrait amener à la fois une certaine compacité, par l’intensification des tissus urbains des villes, et aussi plus d’espaces de respiration et d’aération pour s’adapter au changement climatique. En France, cet objectif nécessite la construction d’observatoires pour suivre à la fois la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), mais également l’évolution de l’artificialisation dans le cadre de la loi dite « Climat et résilience » du 22 août 20211. Le MOS+, développé par L’Institut Paris Region, est une première réponse qui propose de tenir compte de la nature des sols d’après l’analyse de leur couverture.
Le ZAN, vers une nouvelle approche de l’urbanisme
En 2011, l’Union européenne (UE) fixe sa feuille de route pour une croissance économique respectueuse des ressources naturelles et des limites de la planète. Avec un horizon d’ici à 2050, la Commission dessine une stratégie contribuant à réduire fortement l’impact du développement économique sur l’environnement, la biodiversité et les services écosystémiques. L’objectif est de favoriser une gestion durable des ressources. L’UE estime à plus de 1 000 km² de nouvelles terres qui sont utilisées chaque année pour la construction de logements, d’infrastructures de transport et de loisirs, pour l’industrie. Ces terres, qui sont de ce fait rendues imperméables par l’homme, représentent un problème sérieux, en particulier dans les territoires déjà en carence d’espaces riches en biotopes et en nature spontanée. L’UE se donne donc comme objectif à 2050 de supprimer toute augmentation nette de surfaces de terres occupées par l’urbanisation pour limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols (Commission européenne, 2011).
Le ZAN : limitation de la consommation et de l’artificialisation des sols
Dans cette optique, en 2018, le Plan biodiversité du gouvernement français, dans l’axe 1, fixe parmi ses principes celui du ZAN. Des mesures doivent être mises en place pour mieux maîtriser l’artificialisation des sols. Les documents d’urbanisme et les règles en matière d’aménagement doivent favoriser le renouvellement urbain et la densification de l’habitat et, dans la mesure du possible, renaturer les espaces artificialisés laissés à l’abandon.
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 fixe les modalités d’atteinte de l’objectif ZAN à 2050 en s’appuyant, notamment, sur sa déclinaison dans les documents d’urbanisme. Deux étapes sont prévues dans l’application du ZAN. La première consiste à diviser par deux la consommation d’ENAF avant 2031 au regard des dynamiques passées, la seconde à réduire l’artificialisation (ENAF, jardins et autres) et à atteindre le ZAN en 2050. Cette réduction de l’artificialisation peut être brute, c’est-à-dire que plus aucun sol n’est artificialisé, ou nette, c’est-à-dire que l’équivalent des espaces artificialisés doit être renaturé.
Afin de répondre à ces objectifs, le conseil régional d’Île-de-France initie, le 17 novembre 2021, la révision du schéma directeur environnemental de la région Île-de-France (SDRIF-E) et fait du ZAN un objectif majeur. Il devrait être approuvé et rentrer en vigueur en 2024.
Le ZAN pose plusieurs défis, parfois contradictoires ou du moins difficiles à concevoir. Comment garantir un maintien ou une amélioration du cadre de vie des habitants dans les zones denses, tout en continuant à construire pour répondre aux besoins économiques et de logements, et en préservant la biodiversité et les espaces naturels ? Une des réponses passe par une meilleure connaissance du territoire et la construction d’outils de support à la réalisation d’une politique de planification. Il faut une approche fine et systémique ainsi que des outils de suivi de l’artificialisation qui permettent d’accompagner ces changements.
La notion d’artificialisation en débats
La loi Climat et résilience définit une nouvelle notion, celle d’artificialisation, qui correspond à « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme). Cette notion, qui sera reprise dans les documents de planification, devrait permettre de développer une nouvelle approche de l’évolution de la nature en ville.
De multiples questions se posent ; d’une part, sur les seuils minimaux de surface à retenir, au sein des outils de suivi, pour considérer un espace comme étant artificialisé ou non, et, d’autre part, sur les caractéristiques dont le terrain doit disposer (boisé ou non boisé, avec un usage ou sans usage...). Les décrets n°s 2022-762 et 2022-7632 devant préciser ces éléments sont parus au printemps 2022 et rajoutent en quelque sorte une incertitude. Ainsi, selon ces décrets, les friches non bâties, les jardins de l’habitat et des tissus pavillonnaires, les espaces paysagers des grands ensembles sont considérés au sein des outils de suivi comme des espaces artificialisés. Pourtant, ces espaces semblent réunir les conditions nécessaires pour être considérés comme non artificialisés du fait de leur fonction hydrique, notamment. Cela paraît donc être en contradiction avec les objectifs initiaux de la loi et amène un flou sur la prise en compte de ces espaces entre les règlements d’urbanisme et les outils de suivi (Bove, Delaville, Marzilli & Dugué, 2022).
La définition des seuils minimums à considérer pour définir un espace comme étant artificiel ou non artificiel n’est quant à elle pas encore tranchée et devrait l’être dans les prochains mois dans des décrets à venir. Derrière toutes ces questions et choix opérés se dessinent plus globalement les enjeux d’une amélioration de la qualité de vie, de l’acceptabilité de la densité, de la place laissée à une biodiversité ordinaire et de la capacité des territoires à se saisir des objectifs ZAN.
Quels outils pour suivre et mettre en œuvre le ZAN ?
Au regard de ces objectifs se pose la question des outils à disposition pour quantifier les dynamiques passées, fixer les objectifs et réaliser le suivi, que ce soit pour la consommation d’espaces ou l’artificialisation. L’Île-de-France dispose depuis de nombreuses années du MOS, un outil spécifique de connaissance et de suivi des sols. Face à l’enjeu ZAN, cet outil doit encore s’affiner afin de s’inscrire en complémentarité avec les nouvelles bases de données de connaissance des sols et du foncier disponibles à l’échelle nationale3 (fichiers fonciers, OCS-GE, BD Topo…).
Le mode d’occupation du sol, un outil de suivi de la consommation d’espaces
Le mode d’occupation du sol (MOS) est une base singulière en France. C’est le seul observatoire de suivi des sols sur un périmètre aussi vaste et sur un temps aussi long. Réalisé tous les quatre à cinq ans depuis les années 1980, le MOS permet de visualiser les transformations des sols et d’analyser les grandes mutations liées notamment à l’urbanisation. À partir de cette base il est ainsi possible de quantifier les dynamiques de consommation des sols naturels, agricoles et forestiers par l’urbanisation. Aujourd’hui, le MOS s’avère être un outil précieux pour apprécier les phénomènes qui modifient le territoire régional et pour suivre l’application du SDRIF. Depuis le premier millésime du MOS, nous observons une diminution continue de la consommation d’ENAF. Cette consommation annuelle a presque été divisée par quatre en 30 ans (Cormier, Delaville, Marzilli & Dugué, 2020).
Le MOS est une base produite grâce à un partenariat avec l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) qui effectue tous les quatre ans une photographie aérienne de l’ensemble de la région. Ces campagnes photographiques sont dans la mesure du possible effectuées sur un pas de temps resserré, généralement entre la mi-mai et la fin septembre afin que le couvert végétal soit le plus homogène. Les clichés ou photographies sont assemblés lors du « mosaïquage ». Los de cette étape, les photographies sont fusionnées entre elles, en s’appuyant sur les lignes naturelles (lisière de bois, route, etc.) observables sur les photographies aériennes pour garantir la cohérence des entités au sol (L’Institut Paris Region, 2022). La photographie aérienne est ensuite interprétée manuellement par des experts. Cette analyse est menée au regard du MOS précédent afin de repérer les secteurs ayant muté et devant faire l’objet d’une mise à jour.
Cet inventaire numérique de l’occupation des sols présente quatre niveaux de nomenclature, respectivement à 11, 24, 47 et 81 postes. L’emboîtement des nomenclatures permet de répondre au besoin d’une observation multi-échelle du territoire francilien. La généralisation sémantique que nous retrouvons dans le MOS offre à ses usagers une utilisation simplifiée de la base. Dans la nomenclature la plus simple, à 11 postes (figure 4), les postes de 1 à 4 indiquent les ENAF, le poste 5 les espaces ouverts artificialisés et les postes de 6 à 11 les espaces urbains construits. Dans les autres nomenclatures (24, 47, 81), les postes sont plus détaillés. Comme illustré sur la figure 3, le poste « activités » est décliné en cinq autres dans la nomenclature à 47 postes, parmi lesquels nous pouvons distinguer, par exemple, les commerces des bureaux pour une analyse plus fine des enjeux économiques.
L’occupation du sol grande échelle, la construction d’un référentiel national
Les deux approches issues de la loi Climat et résilience imposent une recherche ciblée sur des outils qui soient en mesure d’appréhender à la fois la consommation d’espaces (urbanisation de surfaces soustraites aux espaces naturels) et l’artificialisation. Si le suivi de la consommation est assez classique, celui de l’artificialisation est nouveau. L’analyse de l’artificialisation doit prendre en compte la multifonctionnalité des sols, ce qui implique de disposer d’informations sur la couverture des sols et leurs usages, et plus particulièrement leur caractère perméable ou non.
Dans un souci croissant de sobriété foncière et avec les objectifs de la loi Climat et résilience, il y a nécessité de mieux qualifier le renouvellement urbain au-delà des mutations d’usages et de quantifier la part d’espaces imperméabilisés par les opérations d’aménagement. Pour cela, un outil national de suivi de l’artificialisation des sols est en train d’être conçu. L’IGN met ainsi en place le développement de l’OCS-GE deuxième génération (occupation du sol à grande échelle), une nouvelle base de données géographique à l’échelle de la France entière qui présente l’avantage d’une double nomenclature, à la fois sur l’usage des sols (17 postes) que sur sa couverture (14 postes ; Benet & Delaville, 2022).
Pour constituer l’OCS-GE, l’IGN s’appuie sur l’intelligence artificielle afin d’automatiser le plus possible la chaîne de production et de mise à jour des informations. Un « modèle d’apprentissage profond » (Deep learning) interprète les objets d’une image aérienne ou spatiale pour les traduire en données polygones qui, après traitement, fondent le socle d’informations pour la génération des catégories d’usage et de couverture du sol (IGN, 2022).
Si, d’un côté, ces méthodes de constitution de la donnée géographique permettent de gagner davantage en uniformité à l’échelle nationale pour un coût de production limité, d’un autre côté, elles doivent encore répondre aux spécificités de chaque territoire. En Île-de-France, l’OCS-GE ne permettra pas non plus de disposer de la vision sur le temps long que seul le MOS offre aujourd’hui.
« Le MOS+, vers une vision moins binaire de l’occupation des sols »4
Si le MOS de L’Institut Paris Region permet de différencier les ENAF des non-ENAF, il n’est aujourd’hui plus suffisant pour répondre aux enjeux fixés par la loi Climat et résilience. Du fait de son âge et dans un souci de cohérence, sa méthode de construction a peu évolué et il est aujourd’hui moins précis que d’autres référentiels, notamment sur la prise en compte des surfaces de voirie ou des jardins de l'habitat (Delaville, Marzilli & Dugué, 2021).
Du MOS à la conception du MOS+
La mise en œuvre de l’objectif ZAN en Île-de-France réaffirme la nécessité de perfectionner les connaissances locales liées aux évolutions de l’occupation des sols, d’affiner et d’améliorer la connaissance des territoires, mais surtout de cartographier les espaces artificialisés. Dans cette optique, un nouveau référentiel MOS + a été développé à L’Institut Paris Region. Il s’agit premièrement d’enrichir le MOS existant en le complétant sur des thématiques pour lesquelles la photo-interprétation n’est pas suffisante : routes de moins de 25 m d’emprise, parkings, espaces publics et trottoirs, emprise des bâtiments, dalles... Aussi, la caractérisation des sols en sera affinée ; secondement, de le faire évoluer en conservant une rétroactivité sur le temps long. Ces améliorations sont d’ores et déjà disponibles pour les millésimes 2012, 2017 et 2021.
Le MOS + est conçu comme une surcouche au MOS, dont la conception reste inchangée. Il est réalisé en s’appuyant sur le référentiel à grande échelle (RGE) de l’IGN, dont la BD Topo et la BD Parcellaire font partie, et la nouvelle base Espaces publics de L’Institut Paris Region (figure 5). La prise en compte du MOS et du RGE, qui disposent d’une échelle minimum de saisie bien plus grande, comme le cadastre, permet de concevoir un MOS + à la granulométrie davantage précise par rapport à celle du MOS et de l’OCS-GE. Contrairement au MOS, cette nouvelle couche peut être utilisée à des échelles territoriales plus fines.
Dans un tissu d’habitat individuel, le MOS+ permet de mieux prendre en compte les voies de desserte. Par conséquent, à l’échelle régionale, on observe une diminution des surfaces dédiées à cette typologie d’habitat par rapport au MOS classique (- 16 %).
Afin de faciliter son utilisation, le MOS + dispose d’une nomenclature quasiment similaire à celle du MOS classique. Le découpage géographique et la précision des polygones sont deux des principales améliorations. En l’absence d’une définition de l’artificialisation stabilisée, il intègre d’ores et déjà un indicateur de minéralité se rapprochant de la notion de pleine terre.
Indicateur de la minéralité des sols
L’indicateur de de minéralité est un indice de couverture des sols qui mesure et localise la présence de matériaux comme le béton, l’asphalte ou le bitume, qui sont qualifiés de minéraux. Il permet d’approcher d’autres qualités du sol comme celles de pleine terre ou de perméabilité. Il se différencie ainsi de la représentation plus classique de l’usage (habitat, activités, loisirs...) que propose depuis longtemps le MOS.
La construction de cet indicateur s’appuie sur un croisement : de l’usage des sols issu du MOS, de l’emprise des bâtiments, des dalles et des parkings de la BD Topo et de la base Espaces publics de L’Institut Paris Region. Il est réalisé à partir de l’état actuel des connaissances et non d’un travail de terrain. Il peut prendre quatre valeurs :
-
non minéral (vert foncé) : espaces boisés, champs, surfaces en eau ;
-
potentiellement non minéral (vert clair) : jardins de l’habitat pavillonnaire, espaces verts de l’habitat collectif discontinu ;
-
potentiellement minéral (gris) : chemins de fer, cours de l’habitat collectif en centre-ville, zones d’activités, carrières, places et parvis ;
-
minéral (blanc) : emprises des chaussées, bâtiments (noir), revêtements bétonnés/asphaltés, chantiers, etc.
L’indicateur de minéralité met en évidence les espaces de jardins, ou encore certains espaces publics, comme des espaces de biodiversité ordinaire. Entre plusieurs millésimes, il permet de suivre les processus de densification et de renouvellement au sein des tissus bâtis en révélant les impacts sur les sols.
Tableau 1. La minéralité des sols selon la base de données
Base de données |
Présentation |
Minéralité des sols |
Mode d'occupation des sols (MOS, 81 postes) L’Institut Paris Region |
Base régionale (Île-de-France), actualisée tous les 4 à 5 ans. Elle représente l’usage du sol ou la couverture majoritaire de chaque secteur. |
|
BD Topo Bâtiments IGN |
Base nationale actualisée en temps réel, permettant notamment de cartographier l’ensemble des bâtiments existants en France. |
L’emprise des bâtiments est considérée comme minérale. |
Base Espaces publics L’Institut Paris Region |
Base régionale (Île-de-France), actualisée tous les 4 à 5 ans. Elle permet de repérer et de qualifier l’ensemble des espaces publics liés à la route et de les caractériser. |
|
Selon le MOS+, en Île-de-France, environ 80 % des sols sont non minéraux (bois, forêts, parcs…) et 8 % des sols sont minéraux (routes, parkings, constructions). 12 % des espaces ont un statut hybride potentiellement minéraux ou non minéraux (jardins de l’habitat, grands ensembles d’habitation, zones d’activités…). À l’échelle régionale, et entre 2012 et 2021, ces chiffres sont restés stables. On observe tout de même la disparition, sur cette période, d’un peu plus de 7 000 hectares d’espaces considérés comme non minéraux, dont près de 3 000 hectares du fait de la construction de nouveaux bâtiments ou de la création de routes.
Conclusion
Dans un contexte foncier tendu et face à des outils numériques de plus en plus précis et nombreux, la connaissance des sols est un enjeu majeur pour les territoires afin d’accompagner la planification et suivre ses impacts.
Alors que les seuils et les critères de définition de l’artificialisation sont encore flous, il y a pourtant urgence, au regard du calendrier, à concevoir des outils de suivi. Il est pour cela nécessaire de développer des outils adaptables qui pourront évoluer si besoin. Aujourd’hui, ces interrogations demeurent sur l’échelle de mise en place de ces outils de suivi et sur la possibilité de déroger à l’OCS-GE avec la construction d’outils locaux. Faut-il privilégier un outil national, dont la couverture et la précision sont homogènes sur l’ensemble du territoire, ou favoriser localement l’émergence d’outils comme le MOS+ qui, tout en répondant aux critères énoncés par la loi, dispose d’un niveau de précision plus fin, d’une antériorité importante et reflète les spécificités des territoires ?
Du fait de la qualité des données utilisées en entrée et de leur amélioration constante, l’ensemble de ces référentiels est voué à évoluer encore dans les années à venir. Il est alors nécessaire de mettre en place des outils qui conservent malgré tout une cohérence dans le temps ou qui ont la capacité d’évoluer, de s’affiner tout en permettant une modification rétroactive sur les millésimes les plus anciens.