La juridicisation de l’artificialisation

Un regain d’intérêt pour les sols ?

Maylis Desrousseaux

Citer cet article

Référence électronique

Desrousseaux, M. (2023). La juridicisation de l’artificialisation. Dans S. Depraz (dir.), Qu’est-ce qu’artificialiser veut dire ? Définitions comparées de l’artificialisation des sols en contexte de contrainte foncière forte. Mis en ligne le 22 décembre 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 02 mai 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1287

Le présent texte constitue une retranscription des propos de Maylis Desrousseaux tenus lors de cette quatrième journée d’étude du laboratoire ESP2R. Les notes de bas de page sont celles de l’éditeur.

Introduction

La présente communication porte sur la juridicisation de la notion d’artificialisation des sols en France. Une fois surmontée la difficulté de diction qu’impose un tel sujet, il s’agit tout d’abord de revenir sur l’emploi des termes au cours de ces dernières années, au fil des différentes lois françaises et européennes, afin de donner un peu de hauteur au concept d’artificialisation. Cette genèse permet également de comprendre le processus de formalisation de la doctrine « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans la loi dite « Climat et résilience » d’août 20211.

En guise d’introduction, rappelons que l’artificialisation est une notion bien française se traduisant très difficilement, ce qui complexifie le travail de recherche scientifique : dès lors que l’on veut étudier précisément cette notion, nous sommes contraints d’employer des combinaisons de mots-clés qui portent sur l’étalement urbain ou sur la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. L’artificialisation n’est donc pas encore un concept véritablement scientifique mais reste une notion en devenir à laquelle nous donnons, en France, une connotation assez négative, synonyme de dégradation : on ne dit jamais qu’artificialiser un sol pourrait l’améliorer. Puisque le sol sera potentiellement imperméabilisé, l’artificialisation entraîne un impact alors que le land take occasionne un land change. L’anglais renvoie, plus objectivement, au constat d’un changement d’usage ou d’état, du passage d’une surface vers une autre. Cet écart révèle une particularité française : les pouvoirs publics ont d’office cherché à lutter contre l’artificialisation des sols, considérée implicitement comme un problème, avant même d’en avoir fait un constat sans préjugés. Cela étant dit, l’artificialisation entraîne bel et bien une modification des sols de nature à altérer leurs fonctions (stockage de carbone, filtration de l’eau, cyclage des éléments, habitat de biodiversité et production de biomasse).

La naissance de cette lutte prend racine au ministère de l’Agriculture, lequel visait initialement et uniquement la préservation des espaces à vocations agricole et forestière face à l’extension urbaine. L’artificialisation s’opposait à toute surface qui n’était pas agricole, mais aussi forestière, la sylviculture ayant été naturellement ajoutée pour constituer désormais une seule et même entité qualifiée d’« espaces naturels, agricoles et forestiers » (ENAF). Elle contient donc, dès le départ, cette idée de « grignotage », de consommation d’espaces due à l’avancée irrémédiable de la ville – alors que, de toute évidence, l’ensemble des lois en vigueur jusqu’à présent est assez mal parvenu à cantonner le phénomène.

Initiative internationale et choix français

Il est éclairant de comparer le choix français, qui consiste à se concentrer sur le ZAN, et les ambitions de départ qui prévalaient à l’échelle internationale. Le quinzième objectif de développement durable (ODD) « Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres », issu de l’Agenda 2030 adopté en 2015 par les membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), vise en effet l’ensemble des formes de dégradation des terres :

15. 3. D’ici à 2030, lutter contre la désertification, restaurer les terres et sols dégradés, notamment les terres touchées par la désertification, la sécheresse et les inondations, et s’efforcer de parvenir à un monde sans dégradation des sols.2
(15e ODD, Agenda 2030)

En français, le recours à l’expression « terres », en référence à l’anglais land, renvoie essentiellement à l’idée des terres agricoles et à la préservation de leur disponibilité (quantitative), alors que l’expression anglophone revêt une dimension beaucoup plus large, paysagère et qualitative. La traduction affaiblit donc la force politique et la précision des termes. De ce fait, le Zero Net Land Degradation, objectif prévu à l’horizon 2030 par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (2012)3, va plus loin que le principe ZAN. En 2002, la Commission européenne4 a en effet répertorié huit grandes menaces qui pèsent sur les sols, dont la salinisation, l’érosion et les pollutions, si bien que l’artificialisation n’est qu’une dimension parmi d’autres de la dégradation des sols, en association avec l’imperméabilisation. En ce sens, il est regrettable qu’une véritable politique publique de protection des sols, au sens le plus complet du terme, ne soit pas définie en France ; se concentrer seulement sur un phénomène nuira à l’efficacité des dispositifs et à la compréhension des enjeux d’ensemble sur les sols.

Une intégration européenne…

Textes sur la protection des sols : une valeur non contraignante

Fixé par la Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources5 en 2011, le No net land take by 2050 est un objectif qui renvoie au changement d’usage des sols.

Si nous voulons mettre un terme d’ici à 2050 à l’augmentation nette de la surface de terres occupée, en suivant une évolution linéaire, nous devons ramener l’occupation de nouvelles terres à 800 km² par an en moyenne entre 2000 et 2020.
Jalon : d’ici à 2020, les politiques de l’UE tiendront compte de leur incidence directe et indirecte sur l’utilisation des sols dans l’UE et ailleurs dans le monde, et nous serons en bonne voie pour atteindre notre objectif consistant à supprimer d’ici à 2050 toute augmentation nette de la surface de terres occupée ; l’érosion des sols aura été réduite et leur teneur en matières organiques aura augmenté, alors que les travaux d’assainissement des sites contaminés auront bien progressé.
(Commission européenne, 2011, p. 18 et p. 19)

Il s’agit d’un cadrage politique européen qui ne relève pas véritablement du droit contraignant dans la mesure où aucune sanction n’est prévue si les engagements attendus ne sont pas tenus. De fait, en matière de droit de l’Union européenne (UE), la question des sols est aujourd’hui sous-traitée par rapport aux directives-cadres sur l’eau ou aux textes sur l’air. Une proposition de directive-cadre pour la protection des sols6 avait bien fait l’objet de discussions en 2006, mais celle-ci a été bloquée par un veto de cinq États, dont la France. On a donc eu recours au principe de subsidiarité et de proportionnalité : le sol est un enjeu de droit national mais pas de droit européen. Cependant, l’UE se remobilise : une stratégie thématique sur le concept de « santé des sols » vient d’être adoptée7, tandis qu’une résolution du Parlement européen8 sur le sujet a été également votée au printemps dernier. Dans ce contexte, la question des sols reprendra sans doute sa place dans les sphères décisionnelles européennes. À l’horizon 2023, une proposition de directive relative à la santé des sols devrait être présentée. La santé des sols y est présentée comme un objectif à atteindre qui se mesurerait grâce à la définition d’indicateurs de qualité des sols : il s’agirait de préserver la capacité des sols à rendre des fonctions (cf. supra) dans un milieu donné et en référence à un usage.

Les suites juridiques données à la feuille de route de 2011

Pour l’heure, la principale traduction juridique de la feuille de route est la modification, en 2014, de la directive de 20119 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Cette directive10 intègre en effet le facteur land parmi les impacts à prendre en compte dans les évaluations environnementales. Ce texte a été transposé en droit français par l’ordonnance du 3 août 2016 et son décret d’application du 11 août 2016, modifiant notamment l’article L. 122-1, §3 du Code de l’environnement :

L’évaluation environnementale permet de décrire et d’apprécier de manière appropriée… les incidences notables directes et indirectes d’un projet sur les facteurs suivants :
1° La population et la santé humaine ;
2° La biodiversité, en accordant une attention particulière aux espèces et aux habitats protégés au titre de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 ;
3° Les terres, le sol, l’eau, l’air et le climat ;
4° Les biens matériels, le patrimoine culturel et le paysage ;
5° L'interaction entre les facteurs mentionnés aux 1° à 4°.
(Article L. 122-1, §3 du Code de l’environnement)

… au succès relatif

Les conséquences pour le droit français ont été de faible ampleur. En effet, dans les textes, les évaluations environnementales intégraient déjà cette dimension. Il s’avère que l’absence de prise en compte de l’impact des projets sur le sol et les terres vient davantage de la mise en œuvre du droit. Par ailleurs, il a été observé que trop souvent les projets se contentent de préciser la surface des projets sans mesurer quelles fonctions des sols seront altérées par leur emprise au sol. C’est notamment ce que regrette l’Autorité environnementale lorsqu’elle formule des avis sur la qualité des évaluations environnementales. Ainsi, en 2019, dans son rapport annuel de synthèse11, elle a déploré que cette question de l’artificialisation et de ses impacts soit trop souvent négligée dans ces études. En outre, le champ d’application de l’étude d’impact des projets d’aménagement inscrits aux catégories 39 et 40 de la nomenclature des études d’impact12 est trop restrictif en raison de critères de surfaces rarement atteints dans la pratique :

L’artificialisation des sols se poursuit et les mesures de compensation restent privilégiées par rapport à l’évitement et à la réduction des impacts et, même lorsqu’elles sont prévues et mises en œuvre, encore très en deçà des destructions occasionnées, faute de prendre en compte une approche écosystémique et de considérer les fonctionnalités liées à la biomasse et à la capacité de stockage du carbone. Les objectifs « zéro artificialisation nette » et « zéro perte nette de biodiversité » restent encore des horizons peu concrets.
(Autorité environnementale, 2020, p. 4)

Quant au contenu de l’étude d’impact, le manque de compétences en pédologie – nécessaire pour mesurer les impacts d’un projet sur le sol – dans les bureaux d’études explique que ce volet soit sous-estimé. La discipline est pourtant enseignée en France, où l’on trouve de très bons pédologues, mais elle est assez peu répandue, si bien que les études d’impact sont menées d’abord par des écologues et portent préférentiellement sur la question de la biodiversité, réduite à celle de la présence d’espèces patrimoniales ou non.

L’artificialisation devient un objectif de politique publique – 2018

État de l’art et autres rapports : les études fleurissent

Progressivement, les préoccupations autour de l’artificialisation des sols évoluent, tant dans la sphère publique que dans les problématiques du ministère de l’Environnement. Elle se dégage progressivement du seul giron du ministère de l’Agriculture, puisque le lien avec l’érosion de la biodiversité est davantage fait. La consommation des sols n’est plus seulement un problème d’agriculteurs et de forestiers, mais de biodiversité. De ce fait, un grand état de l’art13 a été commandé par le ministère en charge de l’Environnement14, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)15 et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Réalisée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)16 et l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFFSTAR) en 2017, l’expertise permet de mieux dessiner une éventuelle politique publique sur ce sujet, dont sont issus en partie les objectifs du ZAN, aux côtés d’un faisceau de rapports et de documents tels le Plan biodiversité en 201817, le rapport de France Stratégie en 201918. Avec l’adoption du Plan biodiversité, la lutte contre l’artificialisation des sols est intégrée explicitement aux politiques publiques en matière de protection de la biodiversité, non plus seulement sous sa dimension spatiale. Jusqu’à présent, les mécanismes juridiques s’étaient concentrés sur le maintien d’un certain équilibre entre les ENAF et les espaces urbanisés19. Désormais, l’intention du législateur porte clairement l’idée qu’au sein même de ces grandes catégories d’espace « cohabitent » des sols artificialisés et des sols non artificialisés, renforçant significativement les besoins de précision en matière de mesure. En parallèle, le Comité pour l’économie verte20 identifie un grand nombre de leviers financiers et fiscaux pour accompagner l’objectif ZAN et limiter cette artificialisation des sols.

La définition du concept en débat

En 2018-2019, le dossier de l’artificialisation des sols est donc lancé, mais l’heure n’est pas encore au droit. On se heurte d’abord à la définition des concepts : en fonction des disciplines interrogées, de forts points de désaccord émergent. D’abord, de manière systématique : pourquoi les sols agricoles ne sont-ils pas considérés comme artificialisés alors que certains sont moins riches en biodiversité que les sols des jardins ? Cette contradiction s’explique par l’histoire politique de la notion d’artificialisation évoquée précédemment, qui s’est construite initialement sur la question de la protection des espaces agricoles. Politiquement, en dépit de toute démonstration scientifique, il serait contre-productif de considérer aujourd’hui des sols agricoles et forestiers comme artificialisés, peu importe leur qualité environnementale très discutable.

Juridiquement, la problématique du ZAN ne devrait pas être intégrée limitativement au Code de l’urbanisme, comme cela a été le cas par l’application de la loi Climat et résilience, mais au Code de l’environnement ; peut-être qu’ainsi une véritable politique de l’environnement serait mise en œuvre. Cela se justifie aussi parce que, scientifiquement, on oscille entre ce changement d’état agricole/non agricole, le phénomène d’expansion des villes et la question de l’imperméabilisation, qui représente une atteinte aux propriétés du sol. Les papiers évoquent régulièrement ce soil sealing soit, littéralement, « le scellement du sol » : c’est l’altération complète de ses fonctions, avec très peu de réversibilité, comme en témoigne le sol blanc, asphyxié, révélé par les travaux dans la rue, par exemple. Ce sol de remblai serait très compliqué à renaturer dans le cadre d’une politique de compensation.

En fonction des concepts utilisés – artificialisation, urbanisation, imperméabilisation –, les impacts et les enjeux varient, et la gouvernance aussi. L’artificialisation concerne quasiment l’ensemble des activités humaines ; aujourd’hui, aucune autorité administrative ne délivre un permis d’artificialiser, aucun établissement public n’est en charge de l’artificialisation à proprement parler. Cela risque de donner lieu à une gouvernance éclatée, ce qui rend assez difficile de se saisir véritablement du problème et de limiter les impacts de manière centralisée.

Un recours progressif à la notion d’artificialisation

Initialement, l’artificialisation n’est pas une notion juridique. Depuis la loi Grenelle 2 de 201021, elle est intégrée dans les textes juridiques, avec un essor remarqué ces dernières années. Certains auteurs22 affirment que la notion de ZAN fait passer une obligation de moyens à une obligation de résultats et renforce donc la règle. Dans la loi Grenelle, notamment, il est question de bilans, de mesures, d’objectifs : il s’agit de connaître la quantité d’espaces consommée sans que cela entraîne nécessairement une interdiction. À partir du moment où la commune légitime son parti d’aménagement, elle peut toujours négocier quelque peu pour ouvrir à l’urbanisation certaines zones, peu importe son bilan passé.

Ont suivi des textes, des circulaires, des instructions assez intéressantes du point de vue sémantique, avec le retour de la gestion économe de l’espace sortie du Code de l’urbanisme en 2016 à la suite de la recodification. Avant cette recodification, les collectivités territoriales étaient en effet garantes de la gestion économe du sol. L’instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace réintègre des standards juridiques d’utilisation rationnelle « en bon père de famille » : on peut continuer à artificialiser, mais de manière économe. Ce texte, qui a mis presque un an avant d’être publié et a nécessité la signature de nombre de bureaux du Gouvernement23, rappelle le droit existant.

La présente instruction du Gouvernement appelle au renforcement de la mobilisation de l’État local pour porter les enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols, appliquer les dernières mesures législatives prises en la matière et mobiliser les acteurs locaux.
(Instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace, p. 2)

À la lecture de l’instruction, on comprend qu’il aurait « suffi » d’appliquer le droit en vigueur pour limiter l’étalement urbain, la consommation d’espaces. Elle a quelque peu jeté un pavé dans la mare au moment de son adoption ; certains plans locaux d’urbanisme (PLU), qui avaient été préparés en collaboration avec les services de l’État, ont dû être complètement repensés parce qu’ils ne correspondaient plus aux lignes de ce texte de 2019. De la même manière, un an plus tard, une circulaire sur l’urbanisme commercial24 a très tôt été visée comme l’ennemi à abattre sur la question de l’artificialisation des sols en rappelant que la lutte contre cette dernière est un impératif, ce qui est assez contradictoire.

Néanmoins, les règles se durcissent, en préparation de l’adoption de la loi Climat et résilience et sa nouvelle définition qui donne plus de profondeur à la notion d’artificialisation.

La prise en compte des fonctions des sols via l’artificialisation 2021

Grâce aux projets de recherche, de communication sur les questions des sols, au travail de l’ADEME, la question des fonctions des sols est enfin intégrée dans la loi Climat et résilience de 2021, ce qui est une première pour le Code de l’urbanisme, mais aussi pour le Code de l’environnement, le Code rural, le Code de la santé publique. Cette loi entraîne un changement de paradigme, alliant aux exigences législatives et réglementaires de limitation de la consommation de l’espace celles plus qualitatives de la qualification des sols à l’échelle de la parcelle.

La définition de l’artificialisation (Code de l’urbanisme)

Le droit français s’intéresse très peu aux fonctions des sols ; le droit de l’urbanisme fait ici figure de pionnier par la définition donnée de l’artificialisation :

L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.
La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.
L’artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés.
(Article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme)

La fonction écologique d’un sol est sa capacité à fonctionner dans un environnement donné. De ces fonctions en découlent des services écosystémiques directement bénéfiques à l’être humain. Dans ce cas, toute atteinte aux fonctions écologiques d’un sol est-elle synonyme d’artificialisation ? La réponse est non ; il faut attendre le décret d’application pour savoir quelles surfaces – et non plus les sols, le vocabulaire change – seront considérées comme artificialisées ou non artificialisées. Cette nomenclature guidera les opérations de désartificialisation, terme considéré dans la loi comme synonyme de renaturation. La renaturation se caractérise par le changement d’une surface d’une catégorie de surfaces artificialisées vers une catégorie de surfaces non artificialisées.

Cependant, le décalage est très fort entre la loi et les décrets récemment consultés, qui sont à la limite de la légalité. En effet, le terme de renaturation a un sens en droit ; il est utilisé dans le cadre de la trame verte et bleue25 sur la renaturation des berges et fait appel à un savoir-faire proche de la restauration écologique, un des mécanismes des plus exigeants. Il ne s’agit pas de la remise en état d’un sol pollué, d’excavation et de mise en décharge, mais d’essayer de « refonctionnaliser » le milieu. La loi affirme bien le principe de restauration. Le terme de renaturation est en outre présent dans les documents de gestion des réserves naturelles sur des opérations de renaturation d’espaces forestiers qui étaient en exploitation et désormais en marche vers une trajectoire de « forêt naturelle ». Les projets de décrets ne reflètent pas la rigueur qu’elle suppose.

En outre, la mention du « potentiel agronomique » des sols aux côtés de leurs fonctions écologiques témoigne d’une approche qui oscille entre celle de la cohérence écologique et celle de la reconnaissance d’enjeux politiques26. Par exemple, la lecture des débats parlementaires portant sur la notion de « pleine terre »27, finalement abandonnée, est riche en enseignements quant à la recherche d’un équilibre entre une définition scientifique et politique de la notion d’artificialisation.

Convergence des mécanismes de compensation et de renaturation (Code de l’environnement)

Les mesures de compensation sont mises en œuvre en priorité au sein des zones de renaturation préférentielle identifiées par les schémas de cohérence territoriale en application du 3° de l’article L. 141-10 du code de l’urbanisme et par les orientations d’aménagement et de programmation portant sur des secteurs à renaturer en application du 4° du I de l’article L. 151-7 du même code, lorsque les orientations de renaturation de ces zones ou secteurs et la nature de la compensation prévue pour le projet le permettent. Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent alinéa.
(Article L. 163-1 du Code de l’environnement)

Cet article du Code de l’environnement se situe dans le chapitre qui porte sur les mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité. La loi Climat et résilience a organisé une convergence des sites de désartificialisation et des sites qui seront affectés aux mesures compensatoires sous la responsabilité des maîtres d’ouvrage dans le cadre de la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC) biodiversité. Cela sera identifié à l’échelle des schémas de cohérence territoriale (SCoT). La question est alors celle de la satisfaction du critère de proximité et d’équivalence écologique selon le projet, sachant que si les mesures portent sur des espaces artificialisés, voire imperméabilisés, l’état initial du site avant impact est inconnu. L’équivalence écologique n’est donc pas mesurable, ce qui suscite des interrogations, tout comme certains éléments de la nomenclature des surfaces artificialisées28. Par exemple, « les surfaces d’activité extractives de matériaux en exploitation », qui comprennent les carrières, sont considérées comme des surfaces non artificialisées, ce qui est une contradiction de la loi. Beaucoup de travail reste encore à réaliser.

1 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

2 Consultez l’Agenda 2030 et ses 17 ODD à cette adresse : www.agenda-2030.fr/17-objectifs-de-developpement-durable

3 Zero Net Land Degradation. A Sustainable Development Goal for Rio+20 To secure the contribution of our planet’s land and soil to sustainable

4 Commission des communautés européennes. (2002). Stratégie thématique en faveur de la protection des sols. Communication de la Commission au Conseil

5 Commission européenne. (2011). Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources. Communication de la Commission au

6 Commission des communautés européennes. (2006). Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection

7 Commission européenne. (2021). Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030. Récolter les fruits de sols en bonne santé pour les

8 Résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur la protection des sols.

9 Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et

10 Directive n° 2014/52/UE du 16/04/14 modifiant la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés

11 Autorité environnementale. (2020). Rapport annuel 2019de l’Autorité environnementale.

12 39 : Travaux, constructions et opérations d’aménagement. 40 : Villages de vacances et aménagements associés, catégories telles qu’intitulées depuis

13 Schmitt, B. (dir.). (2017). Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : quels leviers pour en maîtriser l’expansion ou les

14 Commissariat général au développement durable, ministère de la Transition écologique et solidaire.

15 Devenue l’Agence de la transition écologique.

16 Devenu l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

17 La Plan biodiversité est présenté le 4 juillet 2018 : www.ecologie.gouv.fr/plan-biodiversite

18 Fosse, J., Belaunde, J., Dégremont, M., & Grémillet, A. (2019). Objectif « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sol

19 Desrousseaux, M., Béchet, B., Le Bissonnai, Y., Ruas, A., & Schmitt, B. (coord.). (2019). Sols artificialisés : déterminants, impacts et lev

20 Loisier, A.-C., & Petel, A.-L. (2019). Les instruments incitatifs pour la maîtrise de l’artificialisation des sols. Comité pour l’économie ver

21 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

22 Soler-Couteaux, P., & Strebler, J.-P. (2021). Les documents d’urbanisme à l’épreuve du zéro artificialisation nette : un changement de par

23 Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

24 Circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation.

25 Crée par la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 ».

26 Béchet et. al, 2017.

27 Exemple : séance du 25 juin 2021.

28 Décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les

1 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

2 Consultez l’Agenda 2030 et ses 17 ODD à cette adresse : www.agenda-2030.fr/17-objectifs-de-developpement-durable

3 Zero Net Land Degradation. A Sustainable Development Goal for Rio+20 To secure the contribution of our planet’s land and soil to sustainable development, including food security and poverty eradication (mai 2012).

4 Commission des communautés européennes. (2002). Stratégie thématique en faveur de la protection des sols. Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au comité des régions.

5 Commission européenne. (2011). Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions.

6 Commission des communautés européennes. (2006). Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE.

7 Commission européenne. (2021). Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030. Récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains, l’alimentation, la nature et le climat. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européenne et au comité des régions.

8 Résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur la protection des sols.

9 Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.

10 Directive n° 2014/52/UE du 16/04/14 modifiant la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.

11 Autorité environnementale. (2020). Rapport annuel 2019 de l’Autorité environnementale.

12 39 : Travaux, constructions et opérations d’aménagement. 40 : Villages de vacances et aménagements associés, catégories telles qu’intitulées depuis le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale.

13 Schmitt, B. (dir.). (2017). Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : quels leviers pour en maîtriser l’expansion ou les effets ? INRA & IFSTTAR. L’étude comprend un rapport, une synthèse et un résumé.

14 Commissariat général au développement durable, ministère de la Transition écologique et solidaire.

15 Devenue l’Agence de la transition écologique.

16 Devenu l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

17 La Plan biodiversité est présenté le 4 juillet 2018 : www.ecologie.gouv.fr/plan-biodiversite

18 Fosse, J., Belaunde, J., Dégremont, M., & Grémillet, A. (2019). Objectif « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ? Rapport au ministre de la Transition écologique et solidaire, au ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et au ministre chargé de la Ville et du logement. France Stratégie.

19 Desrousseaux, M., Béchet, B., Le Bissonnai, Y., Ruas, A., & Schmitt, B. (coord.). (2019). Sols artificialisés : déterminants, impacts et leviers d’action. Quae.

20 Loisier, A.-C., & Petel, A.-L. (2019). Les instruments incitatifs pour la maîtrise de l’artificialisation des sols. Comité pour l’économie verte.

21 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

22 Soler-Couteaux, P., & Strebler, J.-P. (2021). Les documents d’urbanisme à l’épreuve du zéro artificialisation nette : un changement de paradigme. Revue de droit immobilier, 10, 512.

23 Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, ministère de la Transition écologique et solidaire, direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises, direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, service de la compétitivité et de la performance environnementale, sous-direction de la qualité du cadre de vie, sous-direction de la performance environnementale et de la valorisation des territoires.

24 Circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation.

25 Crée par la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 ».

26 Béchet et. al, 2017.

27 Exemple : séance du 25 juin 2021.

28 Décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme.

Maylis Desrousseaux

Maîtresse de conférences en droit public, École supérieure des géomètres et topographes (ESGT), Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Le Mans

CC BY-NC-ND 2.0 FR sauf pour les figures et les visuels, pour lesquels il est nécessaire d'obtenir une autorisation auprès des détenteurs des droits.