La partie précédente a fait état de volumes reposant sur une approche qui estime la demande potentielle de logements. Celle-ci diffère pourtant encore du nombre de logements à construire car elle ne tient pas compte des besoins liés au mal-logement ou au non-logement. Or, selon la Fondation Abbé Pierre (2019), 3 953 000 personnes sont en situation de mal-logement, dont 902 000 privées de logement personnel. Ici, l’objectif sera de prioriser et de se concentrer sur cette catégorie, considérée comme la plus urgente, lorsque les autres situations n’impliquent pas toutes un besoin en logements supplémentaires mais peuvent relever d’une politique de rénovation et d’accompagnement social.
Le calcul de la privation de logement
Si l’intégration de la notion de privation de logement dans les calculs des besoins semble une évidence morale, elle reste cependant sujette à un débat méthodologique de fond car la manière de la prendre en compte ne repose pas que sur des faits mesurables (le nombre de ménages mal logés), mais aussi et surtout sur une décision politique : à quel horizon temporel décide-t-on de fixer la résorption théorique du nombre de ménages mal ou non logés ? Prend-on en compte toutes les situations, ou bien seulement la privation de logement ? Quel est le niveau d’effort que consent à demander la puissance publique dans ce domaine ?
Puisque la présente étude porte sur une temporalité de onze années, c’est ce délai qui est ici retenu, mais tout autre choix politique, qui choisirait un horizon plus éloigné, orienterait nécessairement le résultat à la baisse. La prise en compte du mal-logement est donc nécessaire dans tout calcul des besoins, mais elle doit être considérée indépendamment de l’estimation précédente de la demande potentielle dans la mesure où la méthode d’estimation du besoin est ici fondamentalement différente.
Par souci de cohérence, le nombre de ménages privés de logement est estimé à partir des chiffres de 2019 et non des plus récents (2023). Tout comme pour le renouvellement du parc, ces données étant estimées à une échelle nationale, elles ne peuvent plus faire l’objet d’une décomposition à l’échelon local : les chiffres obtenus ne sont donc à retenir qu’au niveau national.
Le nombre de ménages a déjà été estimé pour les résidents en chambres d’hôtel, ce qui n’est pas le cas pour les trois autres sous-catégories de la privation de logement personnel : les personnes sans domicile, en habitation de fortune et en hébergement chez des tiers, qui restent comptabilisées à la personne. Afin de convertir ce nombre de personnes en ménages, différentes sources sont utilisées. L’objectif ici est de réduire au maximum la surestimation du nombre de ménages privés de logement personnel en prenant en compte le fait qu’une personne ne correspond pas nécessairement à un ménage. Cela permettra d’incorporer ce type de besoin à la demande potentielle tel que :
Tout d’abord, selon l’étude réalisée par l’Insee en 2013 (Yaouancq, Lebrère, Marpsat, Régnier, Legleye & Quaglia, 2013) sur l’hébergement des sans-domicile, il ressort que 103 000 adultes ont eu au moins une fois recours, au début de l’année 2012, aux services d’hébergement ou de restauration dans les agglomérations de 20 000 habitants ou plus en France. Parmi ces personnes, 81 000 adultes étaient sans domicile, dont 65 % vivant seuls. À partir de ce chiffre, on peut approximativement estimer que 35 % des 143 000 personnes sans domicile recensées par la Fondation Abbé Pierre constituent un ménage d’au moins deux personnes. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle ces 143 000 personnes représenteraient au maximum 117 975 ménages est retenue. Dans un second temps, selon le document de travail de l’Insee concernant les difficultés de logement (Rougerie, 2020), 45 000 habitations de fortune étaient occupées par 100 000 personnes en 2016. En appliquant ce même ratio aux personnes recensées par la Fondation Abbé Pierre, on peut estimer que les 91 000 personnes concernées sont approximativement réparties dans 40 950 habitations de fortune. Enfin, selon une étude sur la cohabitation intergénérationnelle menée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement – Cerema (Dupré & Mertiny, 2017), 384 086 foyers fiscaux étaient en situation de cohabitation présumée subie en 2013. Un chiffre correspondant selon eux à 302 911 ménages étant donné que certains ménages peuvent abriter deux situations de cohabitation présumée subie. Selon ce ratio, les 643 000 personnes en hébergement « contraint » chez des tiers correspondraient à 507 105 ménages. Ainsi, le nombre de ménages privés de logement personnel est alors estimé à 687 030 en 2019 (cf. Tableau 5).
Une première approche consisterait à résorber ces besoins issus de la privation de logement sur les onze prochaines années (2019-2030). Cependant, il est plus probable que la création annuelle de logements n’affecte pas nécessairement le flux annuel d’entrées dans la catégorie des personnes privées de logement, qui dépend du contexte économique et social du territoire. Par conséquent, le scénario « pessimiste » qui suppose que ce stock ne reste pas stable mais continue de croître est retenu. Néanmoins, la population mal logée suit sa propre évolution et croît plus vite que la population totale. C’est la raison pour laquelle l’évolution du nombre de ménages concernés est projetée à partir de l’extrapolation de tendance de la population mal logée entre 2013 et 2019 :
Avec le taux géométrique de variation annuelle moyenne :
Le nombre de personnes recensées en tant que mal logées par la Fondation Abbé Pierre s’élevait à 3 642 177 en 2013, soit une variation annuelle moyenne d’environ + 1,37 % sur la période 2013-2019. À titre de comparaison, sur la même période, la variation annuelle de la population totale est de + 0,36 %. Ici, l’évolution de la population mal logée a été préférée au détriment de celle des personnes privées de logement personnel afin de prendre le phénomène dans son ampleur et de réduire le risque d’erreur à la suite de petits changements au sein des sous-catégories. Par exemple, entre 2015 et 2016, la sous-catégorie des personnes vivant dans des résidences sociales « ex nihilo » a été supprimée. Néanmoins, à titre d’information, la Fondation Abbé Pierre estimait à 685 142 le nombre de personnes privées de logement personnel en 2013, soit une variation annuelle moyenne d’environ + 4,69 % sur la période 2013-2019.
Ainsi, les besoins non satisfaits à résorber liés aux ménages privés de logement personnel sont estimés en moyenne à 741 412 logements entre 2019 et 2030, soit 67 401 par an (cf. Tableau 6).