Si une connaissance fine du client a toujours été un moteur de développement et d’amélioration pour les entreprises, l’avènement du numérique et de la data ont accéléré la course à la collecte, à la gestion et à l’analyse de données. Comme vu précédemment, une bonne connaissance des données clients permet aux retailers d’ajuster leur offre et de personnaliser leurs services.
Afin d’optimiser la gestion opérationnelle de leurs points de vente, les commerçants se sont d’ores et déjà familiarisés avec un panel d’outils connectés. Parmi eux, on peut notamment citer :
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les lecteurs de flux : également utilisés par les bailleurs de centres commerciaux aux entrées des sites, ils indiquent le nombre de personnes entrantes, la durée moyenne de présence et le taux de transformation1 ;
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les capteurs de mouvements : ils aident à appréhender le mouvement de flux à l’intérieur du point de vente afin de déterminer les zones bénéficiant d’une forte affluence ou au contraire celles qui sont moins fréquentées. Ces capteurs indiquent aussi les horaires de passage ;
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les caméras de reconnaissance faciale : ces équipements peuvent donner des renseignements sur le sexe, la tranche d’âge ou encore l’humeur des clients. Elles sont souvent utilisées pour des raisons de sécurité mais permettent aussi d’évaluer « l’efficacité de la publicité ou du merchandising, en croisant les données d’âge, de genre, de réactions émotionnelles ou de moment de la journée » (Rieunier, 2017, p. 273) ;
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les caisses automatisées : elles permettent une réduction des coûts de fonctionnement dans la mesure où elles améliorent la gestion des stocks, rendent le travail d’inventaire moins fastidieux, procèdent à l’analyse des ventes.
Les données extraites grâce à ces outils offrent l’opportunité, avant tout, de mesurer la performance de leur local, de trouver des solutions à ses faiblesses ou de mettre en avant ses forces.
Parfois, face à la baisse de fréquentation des centres commerciaux, les outils déployés par les commerçants ne suffisent plus à optimiser leur stratégie commerciale. Côté bailleurs, la transmission des chiffres d’affaires par leurs enseignes locataires est facilement concédée mais, là encore, cela ne semble plus suffire à l’obtention d’une analyse fine des indicateurs de consommation ni amener une meilleure connaissance des consommateurs. C’est pourquoi les centres commerciaux s’engagent eux-mêmes vers une digitalisation de leurs bâtiments et de leurs services.
Les centres commerciaux connectés : l’exemple de Qwartz
En 2014, la foncière Altarea Cogedim inaugure son centre commercial Qwartz, en le qualifiant de premier centre connecté de France. Situé à Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine, cet actif s’étend sur 85 000 m2 et vise, à l’époque, entre 10 et 11 millions de visiteurs par an.
Pour mettre en avant la numérisation du centre, Altarea met en place de multiples outils : une application spécialement conçue pour le centre commercial, une connexion WiFi active et gratuite, une cité de l’e-commerce proposant à ses enseignes locataires ou à des e-commerçants d’exposer leur catalogue via des bornes interactives, ou encore un point de collecte des commandes mis à disposition des locataires qui ne bénéficient pas de leur propre dispositif de click & collect.
Concernant l’application, elle permet de bénéficier en temps réel d’informations sur des produits, d’outils comparatifs de produits, d’effectuer une e-réservation ou encore d’avoir accès à des offres promotionnelles ciblées en fonction de son profil client.
Afin de rendre son offre marketing personnalisable, Altarea s’est notamment doté d’une Digital Factory, une plateforme de traitement des données qui permet en outre de décrypter les comportements des visiteurs du centre commercial, dans leur environnement physique comme digital.
En 2016, Albert Malaquin, directeur général de la digitalisation et de l’innovation chez Altarea, estimait que 5 % à 10 % des utilisateurs des outils numériques mis en place par le centre acceptaient le partage de données personnelles avec le propriétaire (Cordon & Echeveste, 2018, p. 3). Reconnaissant que ce pourcentage fût plutôt faible, Albert Malaquin mettait en avant le fait que le taux de transformation issu des actions marketing mises en place grâce à la collecte de données était assez élevé (11 %), comparé au taux de transformation des messages promotionnels envoyés par mail aux clients.
Afin d’améliorer la connaissance de sa zone de chalandise et de ses visiteurs, Altarea mise donc sur le déploiement d’une stratégie digitale propre à ses centres commerciaux, qui a aussi été développé au sein de Cap3000 à Saint-Laurent-du-Var. Cette connaissance des usages propres à leurs visiteurs lui permet donc de valoriser son actif dans la mesure où ces nouveaux équipements contribuent à « enrichir la valeur matérielle du centre commercial ainsi qu’à créer une valeur immatérielle » (Cordon & Echeveste, 2018, p. 4).
La base de données consommateurs constituée peut profiter autant au bailleur, en ce qu’elle améliore la visibilité commerciale du site, qu’à ses locataires qui ont une meilleure connaissance de leurs clients, ou encore aux visiteurs qui sont mieux informés des actions marketing en cours selon leurs préférences.
Stratégie omnicanale et marketplaces dédiées
Avec le récent contexte sanitaire, le commerce physique s’est vu contraint de s’adapter en un temps record aux fermetures administratives. Beaucoup de marketplaces ont été mises en ligne afin d’assurer aux commerces fermés une continuité de leurs ventes, et ce plus encore pour les commerçants indépendants. Ces initiatives ont pu être portées aussi bien par les pouvoirs publics que par des acteurs privés.
Dans cette optique, les propriétaires de centres commerciaux se sont vus contraints de développer rapidement des outils digitaux propres à assurer une continuité de revenus à leurs locataires. Pour exemple, outre son engagement bien établi en matière digitale, Alatarea Cogedim a déployé sa marketplace My e-shop à Cap3000. Essentiellement axée sur le modèle du Web-to-store, My e-shop a vocation à augmenter la visibilité des enseignes du centre commercial via la possibilité de faire du click & collect. En complément de cette nouvelle offre de services, un drive a été spécialement mis en place sur le parking du centre commercial afin que les achats commandés sur la marketplace puissent être retirés en voiture en cas de fermeture de l’accès au centre. Grâce à ce nouveau dispositif développé en collaboration avec la start-up Wishibam (également responsable du lancement de la marketplace dédiée aux commerçants de la ville d’Angers, angersshopping.com), le propriétaire de Cap3000 assure la remise des commandes au consommateur en moins de 4 h ainsi qu’une gestion des stocks des enseignes en temps réel. En juillet 2020, les premiers résultats étaient plutôt concluants puisqu’une vingtaine d’enseignes, dont des enseignes nationales et internationales bénéficiant déjà d’un site e-commerce, se sont jointes au projet (ex. : Asics, Minelli, American Vintage), et 10 000 produits avaient pu être référencés (Bicard, 2020c).
Sur un autre modèle, Mercialys a développé son dispositif Ocitô, qui recouvre plusieurs facettes (Mercialys, 2020a). Il s’agit d’abord d’une marketplace éponyme qui permet au client de commander les produits des commerçants présents dans leur centre commercial et ayant adhéré au dispositif. Une fois le produit commandé, le client peut : retirer son achat en boutique ; se le faire livrer via un service de livraison Colissimo ou express assuré par des livreurs en scooters (pour la restauration uniquement) ; retirer son achat au sein de casiers de retrait ou via un drive. Le commerçant ayant adhéré à ce dispositif se voit confier une tablette qui lui indique l’état des commandes en cours afin qu’il puisse les préparer. Les centres commerciaux mettent également à disposition des locaux spécifiques pour les commerçants ayant reçu des commandes par Ocitô.net pour qu’ils y stockent leurs produits. Dans un esprit ship-from-store2, Ocitô a aussi vocation à optimiser la gestion des stocks. Pour cela, Mercialys a fait appel à OneStock, spécialiste en Order Management System (OMS) ou « système de gestion des commandes ». La solution logicielle de OneStock permet une « unification des stocks des enseignes au niveau national [et] l’expédition des commandes reçues en ligne sur leur site marchand directement depuis le magasin optimal au regard de la localisation de l’acheteur » (Mercialys, 2020). D’abord en phase de test sur les sites d’Angers et de Rennes, Ocitô est aujourd’hui déployé sur 80 % du patrimoine de Mercialys.
La mise en place de ces solutions omnicanales tend à intégrer la notion de commerce unifié et présente beaucoup d’avantages. Si cela permet aux locataires des centres commerciaux de rester actifs en dépit de fermetures forcées, cela intègre mieux aussi les nouveaux usages de consommation et renforce le service alloué au consommateur. Les commerçants locataires peuvent également voir leur rôle local maintenu.
Néanmoins, pour que ce type de solution fonctionne réellement, les bailleurs doivent faire face à des investissements conséquents qui n’entrent pas toujours dans leur système habituel, et l’ensemble des locataires des centres commerciaux concernés doivent y adhérer, ce qui n’est pas toujours une évidence. En effet, les enseignes succursalistes disposent généralement de leurs propres outils digitaux et ne peuvent pas toujours cumuler les contrats avec les prestataires.
De même pour les commerçants franchisés, puisque les conditions commerciales et juridiques des contrats de franchise ne leur permettent pas toujours de souscrire à ce type de service. Reste aussi la question des coûts éventuels de ces solutions, notamment au regard des commissions susceptibles d’être prélevées sur les livraisons.