Comme nous l’avons vu précédemment, le modèle économique des sociétés qui gèrent des centres commerciaux est avant tout basé sur la pérennité d’une trésorerie stable dans la durée. Comme pour tout immeuble, il s’agit de gagner la confiance des investisseurs et d’assurer la valeur des actifs dans le temps afin de réaliser une vente bénéficiaire et de pouvoir contenter ses actionnaires.
Le bail commercial étant le principal moyen d’obtenir des revenus, il est au cœur du système de cash-flows des foncières et constitue le socle principal des relations contractuelles entre les bailleurs et les locataires.
Selon l’article 145-4 du Code de commerce, le bail commercial a une durée légale minimum de neuf ans, avec la possibilité pour le locataire de bénéficier du droit de donner congé selon un calendrier triennal (3e et 6e année du bail, 9e année pour les baux de plus de neuf ans). Alors que certains décrivaient jadis le bail commercial comme étant avant tout favorable au bailleur, la législation est venue renforcer l’assise du locataire, notamment via la loi Pinel de 20141 (limitation du déplafonnement des loyers, indexation des loyers suivant l’indice des loyers commerciaux (ILC) ou l’indice des activités tertiaires (ILAT) pour les bureaux, précisions sur la répartition des travaux et des charges entre les parties par l’établissement d’une liste écrite insérée dans le bail, droit de préemption du locataire en cas de vente du local, etc.).
S’il reste une excellente illustration de la liberté contractuelle, le bail commercial a tout de même tendance à être davantage encadré que par le passé, rendant les relations bailleurs/preneurs de plus en plus normées, y compris sur la répartition des coûts financiers. Or, le chiffre d’affaires du commerce de détail tend à se dégrader, et les loyers commerciaux proposés par les bailleurs ne baissent pas nécessairement. Ils ont même tendance à augmenter, notamment sous l’effet des indexations ou des stratégies de revalorisation mises en place par les bailleurs. Les commerçants constatent donc souvent une augmentation de leur taux d’effort. « L’effet ciseau » dénoncé par les enseignes locataires depuis quelques années a vu ses effets largement décuplés avec le nouveau contexte sanitaire et les fermetures imposées par l’État, bien que de nombreuses mesures économiques aient été prises pour venir en aide aux commerçants.
Alors que la vacance commerciale continue de courir, les commerçants comme certains bailleurs ressentent un besoin plus important de flexibilité au sein de leurs relations contractuelles. Elle porte aussi bien sur la durée des relations contractuelles que sur les conditions financières issues des accords entre les parties contractantes.
Flexibilité sur la temporalité des revenus locatifs : le commerce éphémère
Depuis quelques années, les propriétaires et gestionnaires de centres commerciaux tendent à développer le commerce éphémère, dont les conditions de mise en œuvre diffèrent du bail commercial classique. Les raisons peuvent être multiples. Si la plupart du temps il s’agit de lutter contre la vacance commerciale, il peut aussi être question de ramener de la lumière sur des endroits ne bénéficiant pas d’un flux passant suffisant, de mettre en place une animation commerciale ou tout simplement d’initier de nouveaux partenariats avec des commerçants qui ne souhaitent pas s’engager sur du long terme ou qui n’en n’ont pas encore les moyens.
En centre commercial, le commerce éphémère est souvent assujetti à deux types de contrat : la convention de mise à disposition et le bail dérogatoire.
•La convention de mise à disposition
D’origine civile, les conventions de mise à disposition trouvent leur source dans le droit des contrats. En fonction des intérêts des parties et des conditions négociées, elles peuvent faire l’objet d’une contrepartie financière ou être délivrées à titre gratuit. En centre commercial, elles sont souvent utilisées dans le cadre de la mise à disposition par le bailleur d’emplacements qui ne nécessitent pas d’exploitation commerciale : local de réserve /stockage, parking, borne électrique, affiche publicitaire, borne arcade, antenne téléphonique, distributeur de bonbons, manège, etc.
Plus rarement, ces conventions peuvent être conclues à des fins d’exploitation commerciale pour les terrasses mitoyennes aux restaurants par exemple, ou encore la mise à disposition d’un emplacement destiné au commerce éphémère. Souvent intégrés au mail des centres commerciaux, ces emplacements connaissent une durée d’exploitation variable : quelques jours, quelques semaines, parfois quelques mois.
Les conventions de mise à disposition présentent l’avantage d’offrir un délai de traitement juridique plus rapide que les baux commerciaux ou les baux dérogatoires.
Le bail dérogatoire
Intégrés au Code de commerce depuis la loi Pinel, les baux dérogatoires, aussi nommés « baux précaires », permettent de déroger au statut des baux commerciaux. La liberté dans la durée est assez flexible, de quelques semaines à quelques mois ; ils ne peuvent cependant pas excéder 36 mois consécutifs sur un même fonds (article L. 145-5 du Code de commerce).
Pour les centres commerciaux, les baux dérogatoires peuvent aussi bien concerner des emplacements en cellules que des emplacements dans les mails.
La signature de baux précaires peut présenter des avantages pour l’ensemble des parties prenantes. Pour le preneur, cela lui permet de tester son activité au sein d’une zone de chalandise dont il n’a pas encore connaissance, tout en bénéficiant de conditions financières et juridiques moins contraignantes qu’avec un bail commercial. En fonction des conditions négociées, la durée de préavis peut être très courte ou intervenir à n’importe quel moment du bail, les loyers plus faibles et les modes de paiement plus adaptés à la situation du preneur. Par exemple, un bailleur peut accepter un prélèvement mensuel plutôt qu’imposer un prélèvement trimestriel.
Pour le bailleur, un bail dérogatoire lui permet de combler rapidement une vacance commerciale, bien que les revenus locatifs soient beaucoup moins sécurisés dans le temps. Par ailleurs, il doit rester vigilant à l’arrivée du terme du bail. Si le preneur est laissé en possession du local et qu’aucune des parties n’a émis le souhait de donner congé à compter d’un mois après le terme, le bail précaire se transforme en bail commercial.
Si les baux dérogatoires semblent de plus en plus utilisés au sein des centres commerciaux, il n’est pas toujours privilégié par les bailleurs. En effet, en fonction des stratégies budgétaires adoptées, ces derniers préfèrent parfois avoir recours à une « vacance stratégique » afin de ne pas impacter la valeur locative de leurs locaux.
Une commercialisation rapide d’une cellule via la conclusion d’un bail dérogatoire implique aussi un certain investissement de la part du bailleur, qui doit pouvoir garantir une mise à disposition rapide du local. Idéalement, cela exige de consacrer des sommes dédiées à des travaux d’aménagement afin que les coques puissent être occupées instantanément par le locataire, sans pour autant avoir l’assurance d’une relocation.
Flexibilité sur les conditions financières des baux
Les mesures d’accompagnement
Les mesures d’accompagnement sont des gestes commerciaux concédés par le bailleur au profit du locataire. Ils peuvent prendre plusieurs formes : franchise de loyer, participation du bailleur aux travaux, loyers progressifs sur une période définie ou encore mise à disposition anticipée des locaux. En fonction des négociations commerciales initiées par les parties et de leurs intérêts respectifs, elles peuvent parfois se cumuler.
Les loyers au sein des centres commerciaux étant généralement plus élevés qu’en pied d’immeuble et en retail park, l’usage veut que les bailleurs accordent aisément ces concessions afin de soutenir le démarrage d’activité du locataire. D’ordinaire, les mesures d’accompagnement sont abordées par les parties lors de la phase de négociation des conditions locatives et prennent effet en début de bail. De manière plus exceptionnelle, elles peuvent être octroyées en cours de bail face à un locataire en difficulté, à condition que la stratégie commerciale du bailleur l’exige, notamment pour la mise en place des loyers progressifs. Par exemple, un locataire ne pouvant plus assumer son loyer en raison d’une perte de chiffre d’affaires conséquente peut bénéficier en cours de bail d’un retour à la progressivité de son loyer sans pour autant dégrader la valeur de son loyer facial.
Avec l’augmentation de la vacance commerciale au sein des centres commerciaux, les bailleurs acceptent des mesures d’accompagnement plus importantes que par le passé, notamment sur les débuts d’activité.
Toutefois, en raison du contexte sanitaire actuel, beaucoup de commerçants estiment que les mesures d’accompagnement proposées ne suffisent pas à assurer la pérennité de leur activité. Afin d’harmoniser la problématique des loyers dus au titre du second trimestre 2020 et d’éviter une multiplication de procédures contentieuses (Barbier, 2021), le Gouvernement est allé jusqu’à mettre en place une médiation entre les différentes fédérations de bailleurs et commerçants. Le résultat de cette médiation a donné lieu à la signature d’une charte de bonnes pratiques2 par la plupart des grands bailleurs et quelques fédérations de commerçants, une partie d’entre elles ayant refusé de la signer en estimant que les gestes en faveur des commerçants étaient trop faibles. En résumé, les bailleurs se sont engagés à concéder :
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le report jusqu’à trois mois de loyer pour les commerces, en particulier les TPE, ayant été dans l’obligation de fermer ;
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l’annulation jusqu’à 50 % des trois mois de loyers reportés pour l’ensemble de ses locataires avec une demande possible de contrepartie3 ;
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l’ouverture des négociations au cas par cas avec les enseignes ayant pu rester ouvertes.
En novembre 2020, Bercy a opté pour un dispositif fiscal incitatif, qui consiste à délivrer un crédit d’impôt (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 2021) au profit des bailleurs acceptant d’abandonner les loyers dus au titre de ce mois-là.
En plus des baisses temporaires de loyer, beaucoup de commerçants souhaitent bénéficier de plus de flexibilité, notamment sur le loyer facial.
Les loyers
Dans le cadre du bail commercial, il existe en pratique plusieurs aménagements concernant les loyers. Les parties peuvent décider le paiement d’un loyer fixer, d’un loyer binaire ou d’un loyer totalement variable.
En centre commercial, les loyers sont souvent binaires. Le loyer se décompose alors entre une part fixe (le loyer minimum garanti, LMG) et une part variable. Généralement, le loyer variable additionnel correspond à un pourcentage de chiffre d’affaires préalablement négocié entre les parties.
Avec les confinements successifs, les locataires ont été très nombreux à souhaiter un réajustement temporaire de leur loyer en fonction de leur chiffre d’affaires. De même, certains militent pour l’institution d’un loyer variable, sur toute la durée de leur bail, afin que leur loyer soit en cohérence avec leur chiffre d’affaires. Pragmatique et légitime, cette solution se heurte à la nécessité des bailleurs de disposer de revenus prévisionnels sécurisés afin de ne pas impacter la valeur locative de leurs locaux.
En résumé, les aménagements sur les loyers commerciaux ont tendance à être temporaires, et la flexibilité demandée par les locataires est souvent limitée par le besoin de prévisibilité des bailleurs.
La flexibilité quant aux relations contractuelles entre les bailleurs et les locataires semble plus que jamais nécessaire au regard de la conjoncture commerciale. Cependant, en pratique, la subtilité des arbitrages à réaliser pour l’ensemble des parties ne permet pas de dégager de réels axes d’évolution.