Les innovations des enseignes et des distributeurs

Yseult Lavarda

Citer cet article

Référence électronique

Lavarda, Y. (2023). Les innovations des enseignes et des distributeurs. Les centres commerciaux et la mutation des usages. Mis en ligne le 16 octobre 2023, Cahiers ESPI2R, consulté le 09 mai 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/1215

Afin de s’adapter aux nouveaux enjeux du commerce, les enseignes misent sur plusieurs aspects à développer. Outre la rationalisation de leurs emplacements, elles ont tendance à mettre en avant les nouveaux usages dans leurs stratégie marketing et les services offerts au consommateur, à essayer d’autres formes de magasins et à rendre leur offre plus responsable.

Un marketing marqué par l’innovation

Pour fidéliser leurs clients et en acquérir de nouveaux, les commerçants sont en recherche d’innovation constante, qu’il s’agisse de l’aménagement de leurs locaux, leur esthétique, ou des services délivrés au consommateur.

Bien qu’il ne représente pas nécessairement la première préoccupation des acheteurs, le critère esthétique d’un commerce a toujours son importance. Avec l’essor des réseaux sociaux, les usagers des lieux de commerce, restauration, loisirs ou encore musées partagent leur expérience. Afin de se démarquer, les retailers ont donc tendance à rendre leurs locaux de plus en plus « instagrammables » et s’offrir ainsi une meilleure visibilité et une bonne réputation. En Ukraine, cette préoccupation est même allée jusqu’à toucher la grande distribution. Connue pour se démarquer via ses aménagements et ses décors, l’enseigne alimentaire Silpo a ouvert en janvier dernier un nouveau lieu entièrement dédié aux arts du cirque. Un thème enchanteur et amusant propice à l’établissement d’un cadre joyeux pour faire ses courses essentielles (Chenevoy, 2021b). Peut-être nos enseignes nationales de grande distribution s’en inspireront-elles ?

Aux États-Unis, Amazon ne mise pas seulement sur la théâtralisation de ses magasins, mais aussi sur sa technologie brevetée « Just Walk Out » pour fluidifier au maximum l’expérience d’achat et accroître sa praticité. Pour avoir accès à ces boutiques sans caisse, il est nécessaire d’être titulaire d’un compte Amazon, d’un smartphone compatible, de télécharger l’application, d’y intégrer ses données bancaires et de scanner un QR code à l’entrée. Afin de s’assurer de la sécurité des achats, la firme s’est dotée d’un large système de capteurs/lecteurs RFID et de caméras ainsi que d’un système de reconnaissance faciale. Souriez, vous êtes filmés ! Ce système sera-t-il amené à se démocratiser en France ? Pour le moment, les grandes enseignes nationales présentes en centre commercial s’en tiennent à l’installation de caisses automatiques. En parallèle, quelques entreprises et start-up testent et développent des concepts de magasin autonome, essentiellement sous la forme de conteneur de 15 à 18 m2 (exemples : Black Box de Monoprix, conteneur Boxy ; Nice Daily, 2021).

En France, c’est l’enseigne Jennyfer qui s’est récemment distinguée avec l’ouverture de son concept « Don’t Call Me » au sein du centre commercial Les Quatre-Temps à la Défense. Ce nouveau flagship bénéficiant d’un emplacement stratégique ultrafréquenté déploie une stratégie qui combine design, marketing omnicanal, prise en compte des nouveaux usages, partenariats entre enseignes : mobilier flashy et design, caisses en libre service, bornes de retrait click and collect, cabines connectées sur le réseau social TikTok, étalages dédiés aux cosmétiques NYX ou Cometeshop. Jean-Philipe Evrot, vice-président Digital et communication de l’enseigne, qualifie cette nouvelle stratégie de « retailtainment » qui vise avant tout à faire de DMC Jennyfer « un média qui a des magasins », en puisant sa force dans « sa capacité à interagir avec sa communauté » (Chenevoy, 2021a).

Émergence de nouveaux services

Le drive

À l’origine, le drive est essentiellement développé par la grande distribution, dans les zones commerciales de périphérie. Aujourd’hui, certaines enseignes déploient des services de drive piéton en plein centre-ville, comme Carrefour, Auchan ou encore Leclerc, Monoprix.

Désormais connu de tous, le drive permet de passer commande sur le web puis de venir en voiture récupérer ses achats dans un point de contact spécialement dédié au retrait des commandes. Fort de son succès (Carrelet & Cruzet, 2014), le service de drive prend désormais la forme d’espaces dont l’aménagement tend à optimiser le retrait des commandes et à fluidifier le parcours client.

D’ailleurs, il est d’usage de distinguer plusieurs catégories de drive :

  • les drives accolés : ce sont des entrepôts dédiés, accolés à un magasin classique, généralement à un hypermarché ;

  • les drives déportés : ce sont des points de retrait autonome et éloignés des magasins ;

  • les drives picking : ce sont des points uniquement dédiés au service de retrait à l’intérieur d’un magasin. Ils ne font pas l’objet d’une construction spécifique.

Certaines enseignes implantées en centre commercial ont élaboré de véritables stratégies drive. Par exemple, l’enseigne du groupe Mulliez Boulanger compte aujourd’hui 154 magasins sur 182 ayant un drive (Picard, 2021a). L’enseigne justifie ce déploiement impressionnant en raison du volume important de son chiffre d’affaires issu de l’e-commerce (entre 20 % et 25 %) et du pourcentage de commandes réalisées sur le web qui sont retirées en drive (30 %).

L’installation additionnelle de drives reliés aux magasins physiques n’est pas un phénomène nouveau, notamment pour les acteurs de la grande distribution. Cependant, le chiffre d’affaires engrangé par les drives est de plus en plus important, et ce service se démocratise depuis le début de la pandémie de Covid-19. En 2020, 2,6 milliards d’euros ont été dégagés par les drives des grandes surfaces alimentaires.

Le click and collect

Comme vu précédemment, le click and collect est un service qui permet de retirer directement en magasin un produit acheté sur le web. Depuis le début du contexte sanitaire lié à la Covid-19, il s’est largement répandu auprès de l’ensemble des commerçants.

Émergence de nouveaux formats : les espaces boutiques

Les espaces boutiques permettent aux enseignes qui le souhaitent de bénéficier d’une visibilité accrue à moindre coût, puisqu’elles ne disposent pas de la charge habituelle dévolue à l’immobilier. Pour les enseignes hôtes, elles peuvent notamment diversifier leur offre de produits, générer du trafic supplémentaire et optimiser la gestion de leur surface. Ces espaces, qui ne sont pas toujours éphémères, permettent notamment de tester de nouveaux concepts, de nouveaux produits ou encore de savoir si le lieu choisi correspond à leur cible client. Les espaces boutiques sont fréquemment utilisés en retail, notamment par la grande distribution. Toutefois, le contexte sanitaire récent semble avoir constitué une parfaite opportunité pour la multiplication de ces derniers.

Les espaces boutiques prennent généralement la forme de corners ou de shops-in-shop. Bien que la distinction entre ces deux types d’espace soit parfois complexe, Karine Picot-Coupey, professeure de marketing et spécialiste des réseaux de distribution à l’IGR-IAE de l’université de Rennes 1 indique que « la distinction varie parfois en fonction des contrats juridiques » passés entre les enseignes partenaires, « notamment en ce qui concerne la vente de marchandise » (Velluet, 2015).

Le corner

Au départ, les corners ont d’abord été développés dans les grands magasins, avec des espaces spécifiques et des vendeurs dédiés ou réservés à certaines marques. L’espace réservé à un corner est protéiforme : il peut s’agir d’un stand, d’un rayon, d’un présentoir, d’un kiosque, etc.

Dans tous les cas, la surface d’un corner est réduite à quelques mètres carrés. Il se distingue du shop-in-shop dans la mesure où l’enseigne disposant du corner n’a pas l’entière mainmise sur l’aménagement du lieu ou sur le personnel qui en est responsable. Les conditions de rémunération de l’enseigne hôte se fait via une convention contractuelle entre l’enseigne hôte et l’enseigne invitée.

Le shop-in-shop

Le shop-in-shop, littéralement un « magasin dans un autre magasin », désigne un espace de vente dédié à une enseigne invitée par l’enseigne titulaire du bail commercial affecté au local. D’ordinaire, le principe se destine à des opérations marketing ciblées comme des ventes thématiques ou des opérations de promotion.

Selon Virginie Sablé, alors responsable du développement de la filière Franchise et réseaux chez KPMG, les shops-in-shop nécessitent des surfaces de 30 m2 minimum (Velluet, 2015). Ils peuvent également disposer d’un système de caisse autonome. Leur aménagement est caractérisé par un mobilier et des équipements propres à l’identité de l’enseigne invitée, qui dédie et gère un personnel spécifique rémunéré par l’enseigne invitée. Selon les contrats passés entre l’enseigne invitée et l’hôte, le shop-in-shop peut être redevable d’un pourcentage du chiffre d’affaires et/ou du versement d’un loyer fixe. Récemment, le modèle du shop-in-shop a été très utilisé, notamment au sein des hypermarchés, qui peuvent voir ainsi leur chiffre d’affaires et leur fréquentation renforcés.

Il est souvent d’usage d’observer des partenariats entre enseignes du même groupe. Exemples :

  • Cdiscount dans des hypermarchés Casino, dès 2017 ;

  • espaces Boulanger, Decathlon, Cultura chez Auchan : en octobre 2020, un shop-in-shop Decathlon de 360 m2 a investi l’hypermarché Auchan du centre Aushopping Saint Jean, près d’Orléans. Sept collaborateurs Decathlon y travaillent à plein temps (Decathlon, 2020). De même, Boulanger a investi 800 m2 au Aushopping d’Amiens, et Cultura a pris ses quartiers au centre commercial Bel Est à Bagnolet (Seine-Saint-Denis).

Cependant, certaines enseignes de groupes différents n’hésitent plus à mettre en place cette pratique. Exemples :

  • une trentaine d’implantations Darty sont prévues dans les Carrefour entre 2020 et 2021 (Picard, 2019) ;

  • Columbus Café entre chez Auchan à Englos (Nord) sur 53 m2 (Demollien, 2020) ;

  • Aubert chez Carrefour : 297 m2de vente dans le Carrefour de Clay-Souilly (Seine-et-Marne ; Yvernault, 2019).

Comme nous l’avons vu, les espaces boutiques recouvrent de multiples avantages pour les enseignes partenaires. Pour un bailleur, cela peut également augmenter l’attractivité de la surface louée et générer davantage de flux, tout en diminuant le risque de vacance commerciale, puisque le locataire devrait percevoir des revenus supplémentaires. Bien que ces formats puissent s’insérer dans un système favorable à l’ensemble des acteurs d’un centre commercial, ils court-circuitent volontiers le système traditionnel basé sur le statut des baux commerciaux, qui assure la quasi-totalité des revenus des bailleurs.

Développement du « commerce responsable »

Les enjeux du développement durable ayant pris une ampleur inédite ces dernières années, le commerce s’est lui aussi saisi de ces thématiques. Les détaillants sont donc de plus en plus nombreux à enrichir leur offre de produits « responsables ».

Cette tendance marque l’ensemble du commerce de détail, qu’il s’agisse du prêt-à-porter, de l’alimentaire, de l’équipement de la maison ou encore des produits ménagers : la Fnac et Boulanger vendent désormais des produits reconditionnés ou d’occasion, tandis que la mode éthique continue son ascension dans la fast fashion comme chez les petits créateurs. L’enseigne alimentaire Le Drive tout nu souhaite même constituer un réseau de « franchise sociale ». Tous ses futurs franchisés devront obtenir l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS). Ce jeune concept de drive zéro déchet s’est notamment engagé à ce que 60 % de ses produits soient issus d’exploitations de producteurs locaux, dans un rayon inférieur ou égal à 100 km.

Entre produits issus de circuits courts, gammes bio, processus de fabrication respectueux de l’environnement, seconde main, vente en vrac, traçabilité accrue des produits, le consommateur se trouve désormais face à des enseignes très connues qui intensifient leurs efforts dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ne proposant qu’une part limitée de produits responsables, et des nouvelles enseignes en développement qui proposent une offre 100 % responsable.

Autrefois, les offres de produits responsables étaient davantage associées aux enseignes indépendantes ou aux nouvelles marques émergentes, rarement implantées en centre commercial. Aujourd’hui, le « commerce responsable » n’est plus cantonné aux acteurs précurseurs en la matière, puisqu’un certain nombre d’enseignes présentes en centre commercial choisissent de développer cet axe (exemple : Patatam, vêtements de seconde main).

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