Historiquement, l’acte de commerce a toujours été au cœur de nos sociétés : le négoce, l’achat, la vente, l’échange de marchandises, de denrées, de valeurs ou de services ont été des vecteurs de croissance et de mobilité intimement liés au développement économique et aux évolutions sociétales. Au fil du temps, le commerce a toujours su tirer son épingle du jeu en s’adaptant sans cesse aux besoins des populations, jusqu’à être désigné comme un critère d’attractivité des territoires. C’est donc en se fixant durablement sur des aires géographiques que le commerce s’est allié à l’immobilier.
L’immobilier commercial
En France, et plus généralement en Europe, le centre-ville est traditionnellement perçu comme le point d’ancrage de l’activité commerciale locale.
Au fil des âges s’y sont succédé et entremêlées des formes nomades ne faisant pas l’objet de bâti, comme les places de marché ou les foires, et des activités commerciales sédentaires insérées au tissu urbain et prises en compte dans la manière de construire la ville : forums antiques, échoppes d’artisans et de commerçants alimentaires répondant à un besoin de proximité, halles, passages couverts, galeries commerciales, centres commerciaux, etc.
De nos jours, les immeubles à destination commerciale les plus représentés en centre-ville sont :
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les locaux commerciaux de pieds d’immeuble : visibles en façade des rez-de-chaussée, ils sont généralement dédiés au commerce de proximité ou intégrés à une dimension high street retail, qui se traduit par un emplacement dans des rues commerçantes historiques ayant un flux passant touristique et local continu ;
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les grands magasins : si l’on retrouve des grands magasins dans certains centres commerciaux, la plupart sont installés dans des immeubles entiers. L’Union du grand commerce de centre-ville (UCV) les définit « comme des magasins de détails, disposant d’une surface de vente d’au moins 2 500 m2 et réalisant moins d’1/3 de leur chiffre d’affaires en produits alimentaires » (Bathelot, 2017). Ces grands magasins sont parfois de véritables mastodontes. Pour exemple, les Galeries Lafayette Haussmann détiennent une surface de vente de 70 000 m2 ;
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les galeries commerciales et les passages couverts : ils sont constitués d’ensembles de magasins regroupés au sein d’un espace clos et piéton dédié au commerce ;
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les centres commerciaux : d’abord développés en périphérie des villes, les centres commerciaux ont peu à peu réussi à s’implanter en centre-ville, comme en témoignent certains sites très fréquentés : Les Terrasses du port à Marseille, Beaugrenelle à Paris ou encore Jaude à Clermont-Ferrand.
Dans la seconde moitié du xxe siècle, le commerce de périphérie s’est développé. L’accession du commerce aux entrées de villes s’est notamment appuyée sur l’étalement urbain initié durant les Trente Glorieuses et a largement été influencée par la propagation de nouveaux concepts commerciaux tels que les supermarchés, hypermarchés et les centres commerciaux. La gourmandise foncière assumée de ces nouveaux espaces et l’opportunité de conquérir de nouveaux territoires de consommation ont ainsi participé au phénomène de délocalisation du commerce des centres-villes historiques vers la périphérie et les entrées de villes. En fonction des politiques locales initiées dans les territoires, cette délocalisation commerciale s’est parfois accompagnée d’une dévitalisation des centres-villes au profit de ce nouveau modèle commercial.
Le paysage commercial de périphérie peut ainsi se décomposer de la manière suivante :
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les centres commerciaux : ils sont généralement organisés autour de « locomotives » commerciales (grandes surfaces alimentaires et des moyennes surfaces spécialisées), d’une galerie marchande attenante et d’un parking de plusieurs centaines ou milliers de places. Leur surface minimum est de 5 000 m2 GLA ;
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les parcs d’activités commerciales (PAC) : selon le Conseil national des centres commerciaux1 (CNCC), un PAC se définit comme « un ensemble commercial à ciel ouvert, réalisé et géré comme une unité. Il comprend au moins 5 unités locatives ». Sa surface minimale est de 3 000 m2 SHON (surface construite) et peut aller jusqu’à 10 000 m2 SHON ;
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les retail parks : ce concept commercial est né dans les années 1980 dans les pays anglo-saxons et n’est autre que la traduction anglaise de « parcs d’activités commerciales ». Néanmoins, on considère de plus en plus les retail parks comme des actifs spécifiques en raison de leur évolution qualitative (Trauchessec, 2014 ; Lelogeais, 2018). On peut alors les définir comme des PAC dont la conception architecturale vertueuse permet une organisation et une gestion d’ensemble et où les enseignes sont regroupées autour d’un parking commun.
Les centres commerciaux
Histoire et origines
À l’origine, les centres commerciaux se sont d’abord développés aux États-Unis. Véritables miroirs de l’americain way of life, ils prennent l’apparence de « lieu clos, volontairement coupé du monde extérieur pour favoriser l’acte de consommation » (Maillard, 2007). S’opère alors un regroupement de plusieurs commerces au sein d’un même ensemble immobilier dans le but de proposer une offre commerciale riche et diverse et d’encourager la consommation de masse. Implantés en périphérie des villes et aux abords d’axes routiers à fort trafic, les premiers grands centres commerciaux sont bâtis là où l’opportunité foncière est grande, et sont indissociablement liés à l’utilisation de la voiture.
En France, les premiers centre commerciaux – Cap3000 (Saint-Laurent-du-Var) et Parly 2 (Le Chesnay) –sont tous deux inaugurés en 1969. De retour des États-Unis, l’initiateur du projet de Parly 2, Robert de Balkany, s’inspire du modèle des malls américains et y voit l’occasion de surfer sur la vague de consommation propre aux Trente Glorieuses.
Très vite, le modèle est décliné à travers la France, et des centres similaires sont construits : Rosny 2, Vélizy 2, Évry 2 ou encore La Part-Dieu à Lyon. Ces centres commerciaux à l’implantation historique ont su traverser le temps et apparaissent aujourd’hui encore comme des références du secteur.
Définition
Bien que le centre commercial n’ait jamais fait l’objet d’une définition juridique, on lui connaît une définition d’usage qui prospère à l’échelle européenne. Un grand nombre d’acteurs, dont le CNCC, s’accordent ainsi sur le fait qu’un centre commercial peut être perçu comme un « ensemble d’au moins 20 magasins et services totalisant une surface commerciale utile (dite surface GLA) minimale de 5 000 m2 conçu, réalisé et géré comme une entité ».
À partir de cette définition générale, le critère de la surface commerciale utile et celui du nombre de magasins et services présents sur site permettent de dégager plusieurs catégories de centres commerciaux2 :
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les centres commerciaux super-régionaux : surface GLA supérieure à 80 000 m2 et/ou accueillant 150 magasins et services (3 % du parc) ;
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les centres commerciaux régionaux : surface GLA supérieure à 40 000 m2 et/ou accueillant au moins 80 magasins et services (11 % du parc) ;
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les grands centres commerciaux : surface GLA minimum de 20 000 m2 et/ou accueillant au moins 40 magasins et services (34 % du parc) ;
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les petits centres commerciaux : surface GLA d’au moins 5 000 m2 et/ou accueillant au minimum 20 magasins et services (48 % du parc) ;
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les centres commerciaux à thème spécialisés : offre commerciale spécifique à un thème particulier, comme l’équipement de la maison (4 % du parc).
Les 838 centres commerciaux ouverts en France couvrent une surface de 18 millions de m2 GLA et abritent plus de 38 800 commerces, soit environ 10 % d’entre eux. Très fréquentés, ils accueillent chaque année 3,2 milliards de visiteurs (André-Chaigneau, 2018a) et génèrent un chiffre d’affaires global de 129 milliards d’euros, soit environ 5 % du PIB français3.
Contexte commercial et besoin de transformation
Depuis quelques années, la France fait face à un contexte commercial particulièrement complexe. Si l’essor du commerce électronique amène naturellement à se questionner sur le rôle du commerce physique, les changements d’usages induits par la modification des habitudes de consommation suggèrent aussi une transformation nécessaire de l’offre commerçante ainsi qu’un réajustement des bailleurs sur les formats immobiliers proposés. Parallèlement à l’évolution des usages de consommation, la survenance d’événements sociaux ou imprévisibles (mouvement des Gilets jaunes, grèves prolongées, fermetures établies en raison du récent contexte sanitaire ; Bicard, 2021a) a eu pour effet de dégrader de manière significative la fréquentation des commerces. Or, le bon fonctionnement d’un centre commercial est assujetti à la synergie de plusieurs aspects. Économiques d’abord, dans la mesure où les commerçants locataires doivent pouvoir dégager assez de chiffre d’affaires pour assumer leur engagement contractuel envers le bailleur. Pour cela, il faut que leur offre corresponde à la demande des visiteurs mais aussi que les indices de consommations et de fréquentation des sites soient favorables. La bonne insertion territoriale d’un centre commercial est également essentielle. L’accessibilité des centres ainsi que leur assise au sein du tissu local sont des aspects dont le caractère perfectible doit faire l’objet d’un travail continu.
Problématique
Les risques induits par la combinaison de ces différents facteurs participent à établir une conjoncture défavorable à l’immobilier commercial dans sa globalité mais peut-être plus encore pour les centres commerciaux, dont les problématiques structurelles ont fait l’objet d’une mise en lumière accélérée avec les confinements successifs. Par ailleurs, l’engouement des consciences pour les thématiques environnementales et le développement durable oriente le débat public sur l’assise foncière des centres commerciaux et le modèle de consommation qu’ils véhiculent, continuant d’altérer leur image.
Dans ce contexte, la transformation des centres commerciaux semble de plus en plus nécessaire. Cette thèse professionnelle abordera donc la problématique suivante : dans quelle(s) mesure(s) les centres commerciaux français parviennent-ils à s’adapter à la mutation des usages ? Le modèle des centres commerciaux est-il pérenne ?